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La
poésie
la Copla
dans le flamenco:
"
Sur les six cordes de boyau de la guitare, avec quatre lignes de mots
sortis de ses entrailles, le peuple chante sa peine. C'est une fenêtre ouverte
sur l'âme de tout homme. C'est la Copla. Nul poète n'a su exprimer avec tant
d'intensité et une telle économie de mots, les fleurs et les ronces de la
passion et du désespoir. Il n'y a pas, chez l'auteur anonyme de la copla,
intention d'art. Il chante quand cela lui chante, se plaint quand il a la peine;
il mêle souvent l'amour avec la mort, rarement avec la joie. Il n'écrit pas,
il donne son soupir au vent et le vent le rapporte. Chaque Copla est la pointe
-sèche d'un des motifs qui sont la vie et la transe
de l'être (cliquer sur le mot transe souligné en jaune pour lire une
explication approfondie de ce terme); motifs
perpétuels, communs et limités: la femme et l'homme, l'amour, la haine, la
pauvreté, la peine, la mort. Un accent inouï, un sens extrême de
l'évocation. Avec une image tout un drame est dit. On entent mais surtout on
voit . Et presque toujours c'est triste comme la condition humaine; une
légère ironie effile, parfois, l'âpreté du cri. Aucune nation n'a donné à
la poésie d'éternité un tel ensemble de chants, jaillis anonymement de chaque
papille de son jour, de chaque étoile de sa nuit, de son héroïsme et de sa
faillite, poésie de chair et d'âme que sont le romancero espagnol, le
Cancionero, et le cante Jondo" Guy Lévis Mano.
Dans
l'art Flamenco, Le Cantaor chante la musique des mots. Il accorde tout
d'abord son Cante à l'esprit de son texte, tragique ou léger, puis , il
utilise chaque phrase pour en faire une ligne musicale qu'il modèle selon son
style.
Mais
, que sont ces textes? Les textes chantés par le cantaor sont de petites
strophes de trois ou quatre lignes , de courts poèmes d'une versification
régulière ou irrégulière qu'on appelle" copla".
Au
cours d'un chant, le cantaor enchaîne plusieurs coplas qui peuvent n'avoir aucun
lien littéraire entre elles. Cependant elles sont reliées par un fort lien
expressif. Les coplas d'un même cante doivent être du même sentiment.
Les
coplas traditionnelles sont anonymes, certaines sont classiques., connues
de tous parce qu'elles adhèrent à un chant précis comme les paroles d'un air
à succès.
Le
nombre de coplas existant est incalculable tellement elles sont
nombreuses. La richesse de ce trésor s'explique par son caractère populaire.
Il appartient à un peuple qui aime la poésie d'une façon naturelle, parce qu'elle
la touche d'une façon intuitive, sans cérébralité. Son goût du verbe, des
images verbales, de la plainte et de la plaisanterie font que
la poésie jaillit de lui d'une manière permanente . C'est une
source de création inaltérable et sans cesse renouvelée.
A
propos du duende:
"Le
duende est un pouvoir, non un faire, c'est une lutte et non une pensée. J'ai
entendu un vieux maître guitariste affirmer"le duende n'est pas dans la
gorge;le duende monte en dedans depuis la plante des pieds". C'est à dire
qu'il n'est pas question de moyens, mais de véritable style de vie; c'est à
dire de sang; c'està dire de très vieille culture, de création active. Ce
pouvoir mystérieux que chacun ressent et qu'aucun philosophe ne peut expliquer"
est, en somme, l'esprit de la terre. Un jour, une chanteuse andalouse Pastora
Pavon, la Niña de los Peines, chantait dans un petite taverne de Cadix. Elle
chantait de sa voix sombre, de sa voix d'étain fondu, de sa voix couverte de
mousse, l'enroulait dans sa chevelure, la mouillait dans la manzanilla, ou
l'égarait sur des landes obscures et très lointaines. Mais rien:
c'était inutile. Les auditeurs restaient silencieux. Au milieu du silence,
Pastora Pavon s'arrêta de chanter. Seul, sarcastique, un homme tout petit, de
ces petits danseurs qui surgissent soudain des bouteilles d'eau de vie, dit tout
bas:"vive Paris", comme pour dire:"Ici, nous nous moquons des
dons, de la technique, comme du savoir faire. Nous cherchons autre
chose".Alors, la Niña de los Peines se leva comme une folle, cassée en
deux telle une pleureuse médiévale, elle but d'un seul trait le feu d'un grand
verre d'eau de vie et se rassit pour chanter, sans voix, sans souffle, sans
nuances, la gorge embrasée, mais...avec duende. Elle était parvenue à
détruire tout l'échafaudage de la chanson pour laisser passer un duende
furieux et incendiaire...Sa voix ne jouait plus, sa voix était comme un flot de
sang, imposant sa douleur et sa sincérité" (Federico García Lorca, la
havane 1930).
Vocabulaire
Flamenco :
Thématiques
de la copla :
La
copla évoque parfois la fleur, l'oiseau ou l'étoile, car la copla est une fleur
colorée, éphémère. Elle est un oiseau qui vient se poser un instant près de
nous et qui s'envole." Naturelle, brève, sans ornement, elle jaillit de
l'âme comme une étincelle électrique; elle vous blesse le cœur d'un mot et
s'enfuit." ( Gustavo Adolfo Bécquer )
Mais
sa couleur est plus souvent le noir . En effet , ses coplas sont nées au
cours des siècles d'un peuple qui était plus que pauvre. Il a beaucoup à
dire, il le dit et c'est douloureux. Le thème de la mort est aussi présent. Le
peuple andalou y a été souvent été confronté pendant de longs siècles
de guerre et de misère .
Néanmoins,
certaines
coplas évoquent la joie, la naissance heureuse de l'amour, où
d'autres thèmes festif et joyeux car le peuple andalou sait rendre
hommage à la vie.
Ce
peuple vit avec la poésie, y compris celle des poètes académiques: les textes
de Machado, Lorca ou Bécquer sont connus de lui , car ces
poètes ont puisé leur inspiration dans la poésie populaire andalouse.
Les
poètes du Flamenco:
Federico
Garcia Lorca
: Célèbre
poète et écrivain de théâtre, Federico Garcia Lorca est né le 5 juin
1898 à Fuente Vaqueros, près de Grenade. Surtout reconnu pour son talent
d'écrivain, Lorca était aussi un peintre et un musicien accompli. Dans ses
oeuvres, Il s'inspirait du folklore gitan et plus particulièrement du
Flamenco , musique populaire de son Andalousie natale. Poète des gitans, grand
admirateur de la lune et de la nature, plongé dans le chaos new-yorkais qui
préfigure le monde moderne, il fait éclater sur la page et dans nos cœurs un
feu d'artifice d'images
fulgurantes et douloureuses.
En
1922, Garcia Lorca et le compositeur Manuel de
Falla organisèrent la "
Fiesta del cante Jondo", un festival de musique folklorique consacré à la
chanson profonde. C'est dans deux de ses poèmes les plus importants,
""Poema del cante jondo" et "Romencero gitano " que
l'on ressent le plus l'influence du flamenco. Ces deux poèmes révèlent , sous
forme lyrique, les impulsions musicales, poétiques et spirituelles de Lorca. L'influence
du flamenco transparaît également dans ses pièces de théâtre " Bodas
de sangre", "Yerma", " La casa de Bernarda Alba" où Lorca
réussit subtilement à capter l'essence de l'âme divisée du peuple Espagnol
de l'époque. Ses livres sont lus dans tous les pays de langue Espagnole et ont
connu un immense succès en Argentine, Uruguay et à Cuba. Les principaux
thèmes traités dans ses oeuvres sont l'amour, la fierté, la passion ainsi que
la mort violente, thèmes qui ont beaucoup marqué sa vie. Quand
éclate la guerre civile, en juillet 1936, il est à Grenade, comme chaque été.
Soupçonné de sympathies républicaines, la garde civile civile franquiste
vient l'arrêter : le 19 août, Federico Garcia Lorca est fusillé près
de Viznar avec ses compagnons de captivité. Ce
poète reste présent dans la mémoire de nombreux artistes, chanteurs et écrivains
actuels. En 1996 et 1998, Enrique Morente, une des grandes voies du
Flamenco a consacré deux albums à l'interprétation des oeuvres de Garcia
Lorca. Dans l'album intitulé "Omega" Enrique Morente rend un
hommage Garcia Lorca ainsi qu'à sa poésie anti-conformiste. Dans
l'album justement intitulé " Lorca", Enrique Morente interprète des
extraits de "canciones de la Romeria de Yerma" ainsi que des fragments
du "poema del cante jondo" et de l'ouvrage intitulé "asi
pasen cinco años". Sur
la photo ci-dessus, Federico Garcia Lorca arbore l'insigne de "La
Barraca", la troupe de théâtre ambulant qu'il a créée en 1932 et qui
fit connaître les grands classiques dans les villages andalous et espagnols.
 Federico
Garcia Lorca 
Federico
Garcia Lorca avec quelques amis dans les souterrains de l'Alhambra, Granada
1923 quelques
poèmes extraits du recueil de poésie II de Federico Garcia Lorca:
Grenade en 1850
"Depuis ma
chambre
j'entends le jet
d'eau.
Un doigt de la
treille
un rais de soleil
désignent le
lieu où est mon cœur.
Sur la brise d'août
s'en vont les
nuées.
Au cœur du jet
d'eau, je rêve
que je suis
éveillé ."
F. G. Lorca
La guitare
"
Commence le pleur
de la guitare.
De la prime
aube
les coupes se
brisent.
Commence le
pleur
de la guitare
Il est inutile de
la faire taire.
Il est impossible
de la faire taire.
C'est un pleur
monotone,
comme le pleur de
l'eau,
comme le pleur du
vent
sur la neige
tombée.
Il est
impossible
de la faire taire.
Elle pleure sur des
choses
lointaines.
Sable du Sud
brûlant
qui veut de blancs
camélias.
Elle pleure la
flèche sans but,
le soir sans
lendemain,
et le premier
oiseau mort
sur la branche.
O guitare!
Soir
" Trois
immenses peupliers
une étoile.
Le silence mordu
de grenouilles
paraît
une gaze piquée
de verts grains
de beauté.
Sur la rive
un arbre sec
se voit
fleurir en cercles
concentriques.
Et sur l'eau mes
songes s'évadent
vers une fille de
Grenade."
F.G.Lorca.
|
Le
silence
"Entends, mon
fils, le silence.
C'est un silence
ondulé,
un silence
où glissent échos
et vallées
et qui fait
s'incliner les fronts
vers le sol."
F.G Lorca
O cœur à mort
blessé".
F.G Lorca
Arbre de chant
" Le
roseau, voix et geste,
de nouveau,
derechef,
tremble sans
espérance
sur la brise
d'hier.
La fille en
soupirant
le voulait
attraper
mais arrivait
toujours
une minute
après.
Ah, soleil,
lune, lune!
Une minute
après
soixante fleurs
pâlies
s'enroulaient à
ses pieds.
Vois comme il se
balance
de nouveau,
derechef,
nu de fleurs et
de branches
dans la brise
d'hier."
F. G. Lorca
Allant au bord
de la mer...
"Allant au
bord de la mer
compter vagues
et coquilles
ma belle trouva
bientôt
la rivière de
Séville.
Entre cloches et
lauriers
se balançaient
cinq navires
ayant les rames
dans l'eau
et les voiles à
la brise.
qui regarde dans
la tour
caparaçonnée,
là haut?
Cinq voix nous
ont répondu
rondes comme des
anneaux.
Le ciel superbe
montait
le fleuve assis
sur ses rives.
Dans l'air à
peine rougi
cinq bagues se
balançaient ".
F.G.Lorca
|
Idylle
"Tu voulais que
je te dise
le secret du
renouveau.
Mais je garde le
secret
tout autant que
le sapin.
Arbre dont les
milles doigts
indiquent mille
chemins.
Je ne te dirai
jamais, mon amour,
pourquoi si
lentement le fleuve coule...
|
Mais je mettrai
en ma voix d'eau dormante
le ciel cendré
de tes regards.
Tourne autour de
moi , ma brune,
et prends bien
garde à mes feuilles.
Tourne encore,
tourne toujours
jouant à la
noria de l'amour.
Quand je le
voudrais, je ne puis te dire,
hélas , le
secret du renouveau ".
F.G.Lorca
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Juan
Ramón Jiménez:
De
18 ans l'aîné de Lorca et de 6 ans le cadet de son ami Machado, Juan
Ramón Jiménez est né en décembre 1881 à Moguer, petite ville d'Andalousie
de la province de Huelva. Son entrée dans le monde adulte est marqué par la
mort subite de son père ( le poète a 19 ans ). De ce deuil, il conservera un
tempérament mélancolique prompt au retrait et à l'isolement. En
ces premières années du siècle cependant, Jiménez déploie une activité
créatrice intense qui ne tarde pas de faire de lui l'un des écrivains les plus
en vue de la capitale espagnole. En
1916, il se marie avec Zenobia et revient à Madrid. A cette époque, son
oeuvre arrive à maturité: de l'idéal romantique, d'une certaine outrance
égotiste et décadente- Lorca parle de la terrible exaltation de son moi- elle
s'élève peu à peu vers l'espace plus aéré de la" poesia desnuda".
Moins radicalement engagé que Lorca, rêvant d'une troisième force, Jiménez
s'exile néanmoins en 1936. Les États-Unis, Cuba ,Porto Rico enfin où le
couple s'installe définitivement en 1951. En 1956, deux ans avant sa mort, il
reçoit la consécration du prix Nobel. Mais, l'agonie de Zenobia, qui
mourra trois jours après cette attribution transforme sa joie en tristesse
profonde. "
Il y a deux maîtres: Antonio Machado et Juan Ramón Jiménez...
Le second, grand poète troublé par une terrible exaltation de son moi,
écorché par la réalité qui l'environne, incroyablement déchiré par des
riens, aux aguets du moindre bruit, véritable ennemi de son
exceptionnelle et merveilleuse âme de poète. " Frederico Garcia Lorca. "
Beauté et éternité se conjuguent , vivantes et plus grandes toujours, dans
toute sa poésie, sûrement comme en nul autre poète des meilleures époques de
la poésie" German Blieberg.
"Laisse
ruisseler ton baiser
-à la manière
d'une source-,
jet de fraîcheur
dans la vasque de mon cœur!
Et mon cœur,
ensuite, rêvant
te rendra,
doublement, l'eau de ton baiser,
au fil de mes
rêves, par-dessous la vie.
Et l'eau de ton
baiser
-oh nouvelle
aurore de la source!-
sera éternelle
à jamais,
car la source en
sera mon amour."
extrait du
poème " nocturne " du recueil "éternités" de
Juan Ramón Jiménez. |
Nouveau
printemps
"Avec la
fleur encore en terre
-oh arbuste
blond!-
tu m'as tendu,
dans le vent encore froid,
tes bras
délicats.
-Nues, avec
opulence,
nous regardaient
les roses
des anciens
rosiers,
avec stupeur.-
Oh, comme pesait
peu ton immensité
répandue sur
mon cœur ardent!
Tu étais toute
la terre déjà,
et tu étais
encore tout le ciel!
extrait du
recueil "éternités" de juan Ramón Jiménez.
|
Fleur
" Mon
chagrin et l'étoile
s'extasiaient en
leur idylle.
Tu es passée
dans le jardin,
et ta main, pour
jouer,
distraitement,
m'arracha mon
chagrin.
extrait du
recueil de poésies "éternités" de Juan Ramón Jiménez.
 |

"En
notre amour, la peine et la joie
s'allument et
s'éteignent,
comme, au
printemps,
le matin et le
soir.
Oh suave et
douce
de l'ombre à la
lumière,
de la lumière
et de l'ombre
-ni toute
lumière
ni ombre
complète-,
l'une et l'autre
belles, si naturelles;
simulacre de
luttes,
dans la déroute
et le triomphe égales!
Amour;
crépuscule, aurore
de
printemps!"
extrait du
recueil de poésie "éternités" de Juan Ramón
Jiménez. |
Antonio
Machado: (
1875-1939) Antonio
est l'un des plus grands poètes espagnols du 20è siècle. Moins éclatante et
audacieuse que la poésie de Lorca, mais empreinte d'une sagesse et d'une
profondeur qui lui donne une portée égale à celle des grands poètes de tous
les temps, Le Khayyam (Perse) à Umberto Saba ( Italie ), l'œuvre de Machado
interroge constamment les grands mystères de la vie humaine, dans une contemplation
attentive des hommes et du monde. Il a médité toute sa vie sur
les valeurs de l'Espagne, sur l'effondrement de son empire et son repliement face
à une Europe en pleine effervescence politique et intellectuelle. Sa poésie,
mêlée des influences romantiques, symbolistes et populaires, dessine des
symboles entre songe et réalité, se souvient des paysages sévillans de son
enfance, comme dans le premier de ses recueils de poèmes, Soledades, galerias,
otros poemas ( 1907 ). Plus tard, Campos de Castilla ( 1912 ), qui doit beaucoup
au lyrisme épique de Miguel de Unamuno, déroule de sévères étendues de
Castille dans la lumière changeante des différentes saisons. Mais la poésie
de Machado est surtout une méditation sur le passé, le présent, la vie et la
mort. "Les grands poètes sont tous des métaphysiciens manqués; les
grands philosophes sont des poètes qui croient à la réalité de leur
poésies".

Les songes
La plus belle
fée a souri
en voyant la
lumière d'une étoile pâle,
qui en fil
suave, blanc, silencieux
s'enroule en
fuseau de sa blonde sœur.
Puis sourit à
nouveau car le lin des champs
est tout
emmêlé autour de sa quenouille.
Derrière le fin
rideau de la chambre
le jardin est
baigné de lumière dorée.
Le berceau
,presque dans l'ombre. L'enfant dort.
Deux fées
laborieuses lui tiennent compagnie,
filant le lin
subtil des songes
avec leurs
quenouilles d'ivoire et d'argent.
extrait des
"Champs de Castille" d' Antonio Machado.

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La
vie aujourd'hui a un rythme
d'ondes qui
passent,
de petites
vagues tremblantes
qui s'écoulent
et se rejoignent.
La vie
aujourd'hui a le rythme des rivières,
le rire des eaux
qui courent
parmi les joncs verts
et parmi les
verts roseaux .
Le vent léger
apporte un rêve fleuri;
la jeune sève
frémit dans les branches nouvelles;
les ailes et les
frondaisons tremblent,
et le regard
sagittal de l'aigle
ne trouve aucune
proie...la campagne frissonne de songes,
le soleil vibre
comme une harpe.
Fugitive
illusion de deux yeux guerriers,
qui passe dans
les forêts
à l'heure du
zénith; que tremble dans mon cœur
l'or de ton
carquois !
Sur tes lèvres
fleurit l'allégresse
des champs en
fleurs; les premières primevères
parfument ton
vêtement ailé,
les violettes
parfument tes sandales .
j'ai suivi tes
pas dans le bois ancien,
qui
s'élançaient à la suite de la biche rapide,
et les muscles
roses et agiles
de tes jambes
sylvestres entre les vertes branches.
Passagère
illusion de yeux guerriers
qui passe dans
les forêts,
quand la terre
reverdit et que les rivières
rient parmi les
roseaux!
Que tremble dans
mon cœur l'or
que tu portes
dans ton carquois !
extrait des
"Champs de Castille" d' Antonio Machado.
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Miguel
Hernández Giner
Né
en 1910 à Orihuela, en Espagne,
Miguel Hernández Giner
est l'un des plus grands poètes
et dramaturges espagnols du 20è
siècle. Son enthousiasme pour la
littérature est si fort, que
même s'il dut abandonner très
tôt ses études pour aider son
père agriculteur, il passait de
longs moments à la
bibliothèque pour lire l'oeuvre
des grand auteurs du siècle d'or
espagnol. Parallèlement à ses
études d'autodidacte, Miguel
Hernández écrit et publie
son premier poème dans un
journal hebdomadaire local. En
1932, Miguel Hernández
commence des séjours réguliers à
Madrid. Ses rencontres avec
Lorca, Alberti et Neruda
provoquent en lui un choc
profond. Lui, le paysan
taciturne se trouve en face des
grands poètes espagnols et qui
le reconnaissent et le
protègent. Tous s'émerveillent
devant son travail.
En 1937, il
épouse Joséfina Manresa.
Ils auront un fils qui mourra
prématurément. Il écrit pour ce
premier enfant et pour son
deuxième fils né en 1939. Quand
éclate la guerre civile, il
s'engage du côté des
républicains. Lorsque
Miguel Hernández essaie de
fuir l'Espagne pour aller au
Portugal, il est arrêté à la
frontière par la police
portugaise et remis à la garde
civile espagnole. Il sera
transféré de Huelva à Madrid,
puis à Séville. Condamné à
mort par les fascistes avant
d'être condamné à perpétuité et
de mourir dans sa cellule, à
Alicante, à 31 ans, le 28 mars
1942, Miguel Hernández a
enrichi la littérature
hispanique d'une poésie engagée,
sensible et dépouillée dont les
thèmes principaux sont l'amour,
la mort, la guerre et
l'injustice.
Enrique
Morente l'a chanté, Paco
Ibanez aussi; que vive
ainsi de bouche en bouche les
grands poètes!
Quelques oeuvres dont il est
l'auteur:
- Perito en
Lunas
(1934)
- El rayo que
no cesa
(1936)
- Vientos del
pueblo me llevan
(1937)
- El hombre
acecha
(1938–1939)
- Cancionero y
Romancero de Ausencias
(inachevé, 1938–1942)
« Ta voix
coule douce
comme d’un pot de miel,
et dans son mouvement,
le désir met dans mes
mains terrestres
ses roses au feu
habituel.
J’arrive exaspéré au
sommet
de ta poitrine
insulaire, et je
l’entoure
d’une mer ambitieuse et
je piétine
des pétales de lumière
exaspérés.
Mais tu te défends avec
des murailles
de mes cupides
tentatives
de te submerger dans la
terre et dans la mer.
Comme une pierre pure et
indifférente, tu te tais
:
un silence de pierre, ce
sont des roses et
d’autres roses
que tu poses et tu
déposes dans mes mains.
»
Miguel
Hernández |
La
poésie Arabo-andalouse :
Le
peuple Andalou a toujours valorisé la prose, la poésie et la musique. Amateur
d'art , ce peuple découvre à coté du roi poète Al-Mutamid ,
quelques poètes dignes d'intérêt comme Ibn Zaydun (1003-1071 ), All-Ramadi
, et quelques siècles plus tard, Ibn Zamrak, le poète du 14ème
siècle. Muwwashah
et zéjel : poésie populaire dont le poète Ibn Quzman fut l'auteur le plus réputé de ce style poétique.
Le
muwwashah , connu en occident sous la dénomination de poésie strophique,
constitue un pan original de la production littéraire de l'occident
musulman médiéval. Apparu au 10ème siècle en Espagne, il apporta des
changements par rapport à l'ancienne forme de poésie dite "Qasida" . Le
muwwashah fut redécouvert par les orientalistes vers le milieu du 20ème
siècle . Par ailleurs, transmis oralement par les musiciens et les chanteurs
qui se sont succédés de générations en générations, il est
parvenu jusqu'à nous de cette façon là , également.
-
Le shugl : c’est un poème chanté d’obédience populaire
de la musique arabo-andalouse .
-
Le barawal : c’est un poème chanté de langue populaire,
intégré ces derniers siècles à la nouba .
Ces
poèmes ont traités tous les sujets sociaux , politiques, religieux ...
Le
muwwashah est le plus utilisé de ces formes poétiques. Il nous présente
le monde de façon beaucoup plus intense que la réalité . Les andalous avaient
un amour profond pour la poésie et la musique tout comme pour l’art en général,
ils ont donc fait en sorte que toutes les formes d’art s’épanouissent . En
général les thèmes qui reviennent le plus souvent sont la femme et l’amour
dans toutes les étapes de son évolution .
Les
marocains ont continué de se servir de ces formes de poèmes pour leurs noubas
.
Ils
ont aussi développé une forme de poème qui leur est propre : Le Malhun
c’est
la plus élaboré des formes de versification en arabe dialectal marocain . Il
s’agit d’un vaste corpus de poèmes que perpétue une tradition de chants .
Le
texte poétique prédomine sur la musique . Le poète que l’on nomme Nadhem
al-malhun reproduit l’équilibre entre le populaire et le savant, la
dimension populaire est liée principalement à la langue utilisé :
l’arabe dialectal marocain, la dimension savante est lié à la dimension thématique,
son imagerie poétique et ses liens avec la musique arabo-andalouse .
Le
malhun repose sur deux éléments : les ouvertures et les parties
alternant un refrain .
Les
poèmes sont signés et datés, ainsi le poète protègeson
œuvre .
Il
s’inspirede la poésie arabe et des muwwashaht .
Le
malhun possède ses
propres modes et ses propres rythmes .
Le
haddari est le rythme omniprésent car c’est lui qui mène le poème jusqu'à
la phase finale .
Il
a emprunté un bon nombre de tab’ arabo-andalous .
L’orchestre
est composé de cordes et de percussions, son rôle est de suivre discrètement
les inflexions vocales du chanteur .
Le
chanteur soliste est le personnage le plus important de l’orchestre du Malhun
, il détient un répertoire assez larges de poèmes, de savoir
moduler, de pouvoir changer de rythme.
Le
contenu poétique de la nouba:
Tous
les muwashshah-s ne sont pas forcement chantés. Certains sont déclamés, lus ,
ou étudiés sur le plan de la poésie. Les spécialistes de la littérature
arabe les ont classés en trois grandes catégories: les poèmes bachiques, les
poèmes d'amour, les thèmes de la nature. En fait, il est difficile de séparer
ces thèmes dans la mesure où ils forment une unité et s'imbriquent les uns
dans les autres. On serait tenté de
dire que la poésie égrène tout au long
des noubas un thème unique à variations: celui de l'attente de l'amant . Quant
au personnage principal, héros des corpus arabo-andalous, c'est un solitaire
qui ronge son frein. Il attend désespérément l'arrivée de l'aimée .
Curieusement celle-ci n'est pas évoquée au féminin, comme par ailleurs pour
le reste de la poésie arabe, ce qui donne un double niveau à la signification
et peut être interprétée selon la conception mystique. L'attente de l'aimé
deviendrait l'attente de Dieu .Le héros languit, et son attente devient
sournoise et pleine de douleur. C'est pourquoi il se consume et sollicite un
médecin par bon nombre de poèmes . Le médecin est attendu pour guérir non
seulement le corps, mais également l'esprit, tout comme l'échanson. Pour faire
oublier la douleur qu'engendre l'attente, les qualités physiques et morales de
l'amant sont souvent énoncées: elles constituent la majeur partie des poèmes.
Elles font de l'amant un véritable héros, qui dépasse sa condition humaine
puisqu'il peut comprendre le langage des oiseaux. Toutefois l'absence de l'aimé
ne débouche pas sur l'attente de la mort qui est rarement évoquée.
L'optimisme triomphe finalement . Il s'agit donc d'une thématique de l'attente,
mais d'une attente où la sérénité l'emporte sur la douleur. Cependant la
séparation n'est pas toujours inéluctable: dans certains poèmes , les deux
amants se retrouvent dans un bonheur très pudique qui ne se laisse jamais aller
aux images érotiques : ils se contentent de chastes baisers. Plus rarement les
amants convolent en juste noces. Il faut rappeler aussi que le corpus arabo-andalou était généralement chanté lors des mariages, il fallait par
conséquent honorer et louer les jeunes époux: des poèmes font donc allusion
au couple comme aux noces, mais ils semblent récents et répondent à une demande
précise. On ne peut indéfiniment évoquer les errements de l'attente
lorsqu'il est question d'honorer l'union de jeunes mariés .
poème
extrait du corpus des noubas:
(
Algérie :
poème chanté lors du msdar de la nouba ghrîb, le barwal de la nouba hsîn (
tradition de Constantine), le msaddar de la nouba mjenba ( tradition d'Alger et
de Tlemcen ).
"
Les fleurs sourient, le jasmin recouvre les branches
Lève
toi mon aimé, écoute la voix de l'oiseau
qui
chante dans le jardin en fleurs multicolores
Lys
et narcisses ont enlacé les roses,
L'aubépine
s'étale sur les feuilles
l'aube
se lève et recouvre de ses rayons l'obscurité"
Yallis et al-Hafnâwî
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Quelques termes expliqués
:
Abyât:
les vers. Deuxième mouvement de la nouba tunisienne calé
entre msaddar et btâyhî.
Ahâzîj:
pluriel de hazaj 1) mètre de la prosodie classique. 2) pièce musicale mesurée
et vive. 3) dernière partie du concert selon al-Maqqarî.
Âla
: littéralement instrument de musique . Définit la musique arabo-andalouse du
Maroc de type profane, par opposition à samâ, d'essence sacrée.
Amal:
oeuvre, synonyme de san'a. Pièce chantée en Al-andalus et notée également
dans les sources persanes du 16è siècle (Ibn Ghabî ).
Barwal:
1) poème chanté de langue populaire, intégré ces derniers siècles à la
nouba . 2) mouvement de la nouba libienne et tunisienne.
Bashraf:
du turc pechrev ou introduction . Ouverture instrumentale.
Btâyhî
: qui s'installe . Mouvement de la nouba arabo-andalouse en Algérie et en
Tunisie.
Bughya:
intention. Ouverture instrumentale libre de la nouba marocaine.
Chaabi:
genre populaire et dialectal algérois rattaché ou dérivé de l'arabo-andalou.
Gharnâtî:
de Grenade. Style conservé principalement par l'école de Tlemcen,
caractérisé par une tristesse profonde et un accablement.
Ghinâ:
littéralement le chant. 1) terme générique pour désigner à l'époque
classique l'art musical et s'emploi de préférence au pluriel aghânî. 2)
terme spécifique pour désigner l'art vocal.
Hazza:
littéralement se trémousser. Terme utilisé par le lexicographe tunisien
Al-Tîfâshî pour désigner un mélisme ornemental vocal..
Hudâ:
chant du chamelier. Première manifestation musicale arabe selon les historien
de la période classique.
Juwwâq:
flûte à sept trous utilisée dans l'art arabo-andalou de Constantine et
exceptionnellement dans celui de Tlemcen.
Kamânja
ou Kemandja: nom du violon ou de l'alto dans le monde arabe. En Afrique du Nord,
on dit souvent Kamalja glosé par l'expression : la perfection (kamâl ) est
arrivée (jâ).
Kunnâsh:
recueil rassemblant des poèmes chantés . Synonyme de safîna ( vaisseau ).
Kwîtra
ou Kuitra : diminutif de Kithâra, luth, survivant de nos jours en Algérie et
connu autrefois en Tunisie .
Malhun
ou Malhoun: genre traditionnel populaire et urbain au Maroc, basé sur la
qasîda. Il est chanté avec l'accompagnement d'un petit
ensemble . Son lien avec l'art arabo-andalou est de plus en plus admis.
Malouf:
littéralement, conforme à la tradition. Désigne à Constantine, en Tunisie et
en Libye la musique arabo-andalouse.
Mjarrad:
dépouillé. En Tunisie désigne la nouba chantée dans les confréries sans la
présence des instruments de musique . S'oppose à malouf ou mâ'lûf.
Muwashshah:
littéralement broder, ce qui dans un collier relie une perle à une autre d'où
poème enjolivé .Poème né en Al-Andalus, de forme libre,s'opposant à la
qasida classique de construction rigoureuse. Il peut être déclamé ou chanté,
et fait partie du patrimoine littéraire comme musical. En tant que forme
chantée, le muwwashshah est toujours mesuré. En Afrique du Nord, on dit
tawshîh.
Qantara:
le pont. Deuxième phase de tempo modéré de la nouba marocaine et qui invite
à la danse
.Qânûn:
1) règle, loi. 2) cithare sur table montée d'une centaine de cordes disposées
trois par trois dont les vibrations sont obtenues par des onglets métalliques
fixés aux doigts.
Qasîda:
poème monorime arabe apparu déjà à l'époque antéislamique et seul modèle
poétique connu jusqu'à l'invention du muwashshah. La qasîda est à la base du
sawt, du malhûn marocain comme du chaabi algérien. elle fait partie au
Proche-Orient de la suite wasla et se présente comme une improvisation vocale
en langue classique. En Afrique du Nord, la Qasîda dite qsîda relève davantage
de formes populaires et n'est pas incluse dans la nouba.
Qawwali
ou Kawwali: musiciens soufis dans la tradition de l'islam pakistanais et
indien
Rabâb
ou rebab: vièle en forme de barque et à archet . Instrument clé de la musique
arbo-andalouse.
Safîna:
vaisseau. Compilation poétique regroupant les principaux poèmes chantés. La
safîna apparaît au 19è siècle.
Samâ:
littéralement audition, audition intérieure ou mystique. Dans le vocabulaire
soufi: séance des confréries allant jusqu'à la transe. Au maroc, désigne le
répertoire sacré, sans apport instrumental par opposition à âla (
répertoire profane ).
sharki:
littéralement oriental. Forme de musique savante ottomane pouvant être
rapprochée du muwashshah.
'ûd:
luth arabe à manche court et à caisse renflée de quatre à cinq doubles
cordes que l'on joue avec un plectre.
Zajal:
1) poésie populaire en Al-Andalus. 2) poème s'intégrant à la nouba d'Afrique
du Nord. 3) forme de musique populaire responsoriale du Proche-Orient ( Égypte,
Liban ).
Isabelle
Jacq
(Photos: vues de l'Alhambra et
ses jardins)
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