Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

   

 

LA TRANSE : approche en terme d'ethos culturel                    

 En quelque époque et quelque latitude qui le caractérise, le phénomène de transe associé à la musique et en particulier au flamenco (même si le terme est peu usité dans ce champ d’expression artistique car il demeure simplement un dérivé) est fabriqué par notre esprit mais avant tout modelé par un imaginaire fécond, conditionné au niveau collectif.
La musique en tant que combinaison sonore produit non seulement un impact sur les nerfs mais elle est également douée d’une signification pleinement en mesure d’engendrer ce que l’on appelle la « Transe ».Maintes façons, activités et pratiques peuvent stimuler cet état de conscience modifié. Chaque culture humaine dans ses réflexes, sensations, émotions communément partagés privilégie tantôt l’instrument de musique, tantôt la voix, tantôt la danse.

 La question initiale qui nous interpelle est de savoir comment agit la musique ?
De prime abord celle-ci partage à la fois un effet physique, moral affectant tous nos sens et notre perception. En ce sens, elle a une portée universelle. Nombres d’études ethnologiques ont été entreprises afin de déterminer ce que sous-tend cet universel au niveau des logiques, formes de représentations, modes de pensées spécifiques à chaque culture dans ce que chacune d’elle a d’irréductible.
Les facteurs d’engendrement de la transe communiqués par la musique ?
Les conditions d’occurrence de la transe peuvent être soit profane soit religieuse. Dans l’ensemble des situations ethnographiés la « crise » apparaît soit comme le résultat direct de la frénésie de la musique (cf : ndöp sénégalais, le candomblé brésilien…) soit comme le moyen d’y mettre fin (cf : tarentulisme).

Pour résumer lapidairement les choses, la transe puise sa force dans le fait d’envahir la conscience d’un ou plusieurs individus (passage problématique de la transe à la possession) en introduisant en eux des éléments extérieurs  qui sont la plupart des cas le signe de la volonté ou de la présence d’un esprit ou d’une divinité. Submergé par des forces qui le dépassent mais avec lesquelles il est obligé de communiquer, le possédé est en prise à des conduites que nous pouvons qualifier « d’hystériformes ». S’en suit parfois une identification, une théâtralisation du sujet envoûté.
Les fonctions de la musique, dans tout ce processus, sont claires. C’est en s’impreignant de la musique que le possédé vit publiquement une relation privilégiée entre deux « mondes ». Or, les relations de la musique avec cet état émotionnel atypique (mais culturellement  fréquent) varie notoirement d’une société à une autre. Les fonctions sont multiples, elles peuvent être d’ordre émotionnelle, invocatoire, incantatoire…
La langue que parle la musique est comprise et décodée par tous les acteurs de la cérémonie et mise en scène telle une vaste pièce de théâtre. Les rôles ne sont pas distribués à l’improviste mais sont sérieusement encadrés par une symbolique culturellement normalisée. La possession peut certes résulter de la volonté d’une divinité mais elle passe par des êtres intermédiaires, frontières (médium, chaman…) et s’exécutent souvent sous forme de vocation, de rituels initiatiques.

(peinture: les visions du peintre chaman Pablo Amaringo)

Différents traits constitutifs nous permettent de reconnaître une musique comme susceptible d’évoquer un état de conscience altérée qualifiée de « transe » ou « d’extase ».
Avant tout, l’éventail du mot  « musique » doit être entendu dans son acception la plus large, c'est-à-dire non pas simplement comme un art mais comme une pratique susceptible de provenir de n’importe quel objet, corps, matériau pouvant générer du bruit, du son organisé, confidentiel, assourdissant…Ceux-ci allant du plus élémentaire, simple (battements de mains…) au plus complexe, raffiné (instruments de lutherie traditionnelle…)
La plupart des études, recherches traitant  implicitement ou explicitement du pouvoir émotionnel de la musique dans l’accompagnement de la transe envisage celle-ci au travers une vertu quasi magique, incantatoire.  La musique, dans la transe, sollicite diverses formules rythmiques souvent impaires susceptibles de produire des effets hypnotiques. Toutes les musiques de possession, de séances de transe initiatique, les danses spectaculaires qui y sont rattachées, composées d’instrumentistes ou de chanteurs, procèdent surtout d’une répétition inlassable, soutenue des heures durant. Sous cette forme, la musique fournit la force nécessaire au sujet pour troubler sa perception ordinaire, favorisant un état de grande excitation, d’inspiration pouvant aboutir jusqu’à l’envol extatique.  Le chant des hymnes, la musique instrumentale prennent d’assaut le possédé qui conduit tous ces faits et gestes en fonction du tremblement sonore qui envahit tout son être. Les danseurs se laissent emporter par la puissance surnaturelle des rythmes.
D’après l’ethnomusicologue Gilbert Rouget, « Physiologiquement, au niveau sensoriel, si la musique est principalement perçue par l’ouïe, elle ne passe pas que par cette voie. Les vibrations musicales sont des mouvements dont l’amplitude est, à l’échelle du corps humain, relativement grande…Il est ainsi de nature immédiatement matérielle et concrète. Une vibration musicale peut être quelque chose de palpable ».

Philippe Blache