Al Andalus 


"Les rues de Cordoue embaument, la chaleur d'été s'empare de la ville... Au centre de la ville, tel un cœur qui bat, la mosquée, mezquita, traverse les siècles, invitant au recueillement. Et là, splendeur séculaire, l'on découvre la beauté. Les styles s'entrechoquent, les arcs-boutants s'interpénètrent, les voûtes romanes se fondent en arabesques, l'architecture ne fait plus qu'Une pour célébrer un idéal commun. C'est là, en pleine Andalousie, que les hommes et les cultures ont réussi à s'apprivoiser, à se respecter sans se détruire, puis à vivre ensemble. Pas une pierre, une ouverture, une pièce de maçonnerie qui ne nous rappelle que musulmans, chrétiens, arabes, juifs, califes et princes ont bâti là un temple, symbole d'une harmonie entre les hommes" (extrait d'un l'article paru dans "Les Tombées de la nuit", à propos du chanteur Abed Azrié).

L’Andalousie

"Les sept siècles de présence arabe en Espagne, de 711 à 1492, ont permis la naissance d’une civilisation dont témoigne Cordoue, Grenade ou Séville, et où vivaient en harmonie les trois religions monothéistes et des peuples d’origines diverses. Le terme « Andalousie », vient du mot arabe « al-Andalus » qui lui-même provient du mot wisigoth « Landahlauts », et  « Vandalusia » nom que les Vandales lui donnèrent au Ve siècle, désignant  un pays qui   couvre une grande partie de la péninsule Ibérique, l’Espagne et le Portugal actuel.

La musique andalouse est le brassage de trois éléments :

      -Une musique apportée par des musiciens venus du Moyen-Orient.

      -Une musique maghrébine apportée par des Berbères.

      -Une musique locale Ibérique.

Cette fusion entre les pays de l’est et de l’ouest de la méditerranée donnera l’impulsion au développement de l’art musical  Moyen-Oriental et Occidental. Le poète Ibn’abd Rabbeh-de- Cordoue (860-940), insistait sur l’origine orientale de cette expression et considérait que l’art musical autochtone était encore inexistant.

Depuis toujours, en Orient et en Occident, on s’est intéressé à  la musique andalouse en donnant une grande importance à  la personnalité unique du musicien Ziryâb qui serait à l’origine de l’héritage andalou, il en  devient même le symbole dans la conscience arabe et son parcours avivera l’amour pour la musique. Esclave affranchi , Poète, musicien et chanteur de génie, il représentait le courant moderniste de  l’école de Bagdad au temps du calife Haroun Al-Rashîd.  Jalousé par son maître Is’haq al-Mawsili, il prend la fuite et se fixe à Cordoue en 822.  Il y enseigne la musique et le chant en insistant sur la concordance des syllabes et de la musique. Il est le premier à initier des servantes et des courtisanes à l’art du chant arabe.

Il aurait aussi introduit plusieurs modes inconnus auparavant en Andalousie, pourvu l’oud de sa cinquième corde, inventé le plectre, composé  dix mille chansons et élaboré une méthode d’enseignement pour le chant. Ziryâb est présenté comme un héros civilisateur qui, tel un magicien, fait surgir tout le patrimoine musical andalou et la science des nawba-s (nouba-s). Cet homme doué d’un raffinement extraordinaire étend ses activités à d’autres domaines : l’astronomie, l’agriculture; il aurait introduit la culture de l’asperge en Espagne et remplacé les coupes de métal par des coupes en verre… 

La forme de nawba (nouba), mot qui signifie « attendre son tour », les musiciens se relayant pour chanter, était déjà connue avant l’arrivée de Ziryâb en Andalousie mais il fut le premier à enchaîner plusieurs pièces dans un concert. Il a pu de cette façon préparer et innover l’idée de la « suite ».

 Le muwash’shah, qui est un poème chanté en forme de broderie est aussi la création de Ziryâb et de ses successeurs. L’historien andalou Ibn Khaldoun(1332-1406) lui assigne une place de prédilection dans la construction musicale de l’Andalousie.

les Orientaux qui avaient vraisemblablement jadis une préférence pour le chant syllabique, vont développer en Andalousie leur goût pour le chant mélismatique. Le rôle de Ziryâb-de-Cordoue est davantage considéré comme l’élément de l’édifice andalou. Par conséquent, la construction de l’échafaudage musical ne sera réalisé que par des apports multiples sur une période de près de quatre siècles. Ziryâb n’a pu être égalé, ni dépassé ; les musiciens qui lui ont succédé n’ont donc cessé de reprendre son héritage .

Le muwash’shah qui se définit avant toute chose par sa musique qui conditionne le texte, est d’abord pensé musicalement. Il libère peu à peu la poésie arabe classique de ses structures pesantes et fait surtout évoluer la musique.

Plus tard, l’orient à son tour va importer et cultiver le même muwash’shah, cet  art qui va s’installer pour toujours dans le répertoire savant des nawba-s et des wasla-s

S’il a existé une relation entre la musique andalouse et celle des troubadours et trouvères d’occident, c’est certainement à cette époque.

Le répertoire andalou insère à l’intérieur des poèmes chantés des syllabes qui n’ont aucun sens. Elles se glissent dans le chant et obéissent à certaines règles puisqu’elles tombent à des moments précis. Ces syllabes issues de la tradition orale ont reçu le nom de tarâtîn , onomatopées désignant les syllabes sans signification (genre : ya-la-lal-li ou ya-la-la ).

Le concert (nawba ) en Andalousie fait se succéder quatre mouvements :

nashîd (hymne), pièce d’ouverture sur rythme défini, suivi du basît (simple ou lent), puis viennent les pièces dénommées muharrakât (les mobiles) ou ce qui fait bouger, remuer pour désigner un mouvement vif de la suite de concert et porterait à la danse, et enfin ahâzij (les chants).

Le terme de « suite » apparaît pour la première fois en (1557) en France dans un recueil de Pierre Attaignant -éditeur de musique- intitulé : Suyttes de bransles . La suite devient dès lors une réalité de la musique en Europe et la base de la future symphonie. Elle verra son plein épanouissement au XVIIIe siècle avec Jean-Sébastien Bach. Que l’idée de la suite se soit fortement développé en Andalousie, c’est une évidence bien qu’elle figurait déjà dans un écrit de la fin du Xe siècle à Bagdad.

La structure rythmique est un élément de base dans la musique andalouse et arabe. La nawba est basée sur une série de mouvements ordonnés. L’accélération de chacun d’eux produit de nouvelles formules rythmiques. Ces métriques développent une notion de tempo, que chacune d’entre elles constitue une dynamique propre. Et comme dans la musique occidentale : basît veut dire lent, simple ou modéré et darej, étape finale. En fait la notion de tempo importe peu, c’est l’accélération qui compte car elle permet de subtils changements et transformations des schémas métriques par exemple passer de quatre temps, à six ou à huit temps.

Le terme générique arabe duff  (tambourin sur cadre) survivra au Portugal, en Espagne ainsi qu’en Amérique Latine sous le nom adufe. Sans cet instrument il n’y a  pas de musique arabe possible et encore moins de nawba. Les quatre autres instruments qui forment la base de la musique andalouse : le luth (al-oud), la vièle à cordes frottées (al-rabâb), le bûq (à l’aspect d’un cor) et la qassaba ( flûte de roseau oblique) .

Quant à la poésie andalouse, elle forme trois genres singuliers : les poèmes bachiques, les poèmes d’amour et les thèmes de la nature. Utilisés durant les nawba-s, ils désignent un thème unique : l’attente de l’amant. Tous ces poèmes chantés décrivent une situation et un lieu intemporel qui se déroule dans un jardin où s’épanouit toutes sorte de fleurs, d’arbres et d’oiseaux. Le moment de cette attente se situe au crépuscule ou au lever du soleil. Que de poèmes relatent les splendeurs de ces moments sans oublier l’appel à la nuit qui célèbre la clarté de la lune et des étoiles.

L’amant est entouré de personnages secondaires : les bienveillants et les malfaisants,

Avec un personnage intermédiaire : le nadîm. Appelé souvent à partager la coupe de l’amant, c’est son compagnon, son confident. Il entre dans ses secrets, partage ses craintes et veille lors de cette épreuve qu’est l’attente. Quant au troisième personnage, le sâqî, l’échanson, il est appelé pour verser le vin dans la coupe. Les malfaisants awazil, les censeurs. Ils sont là pour calomnier. Ce sont des ennemis qu’il faut éviter.

L’amant dans la poésie andalouse est l’équivalent d’un héros solitaire qui attend désespérément la venue de l’être aimé qui n’est jamais désigné au féminin. Cette attente pourrait bien évoquer l’attente de dieu. Le musicien qui chante ces poèmes mène la destinée des amants. L’ensemble de la musique arabe et andalouse est une immense ode à l’absence."  Abed   Azrié

 

La suite (Wasla):

"La « suite » ou (wasla) signifie en arabe ce qui relie. Ce terme  de musique savante né au Proche-Orient au XIXème siècle remplace une forme très ancienne celle de (nawba) ou (nouba), terme francisé de l’arabe, qui signifiait d’abord : « attendre son tour » et aussi « tour donné à un musicien pour jouer suite à un autre musicien », les musiciens se relayant pour chanter, enchaînait plusieurs pièces dans un concert.

La « suite » ou (wasla) rassemble des pièces chantées et instrumentées de différents poèmes, dont le « mouwash’shah », une poésie au style simple, transparent, spontané et raffiné, né en Andalousie vers la fin du IXème siècle qui signifie en arabe : «mantille brodée symétriquement de perles et de bijoux dont la femme se pare ». Ce nouveau poème de forme libre va s’opposer à la « qasîda » classique, une des premières formes musicales de la culture arabe apparue à l’époque préislamique, de construction rigoureuse. En tant que forme chantée, le « mouwash’shah »  est toujours mesuré, tandis que la « qasîda »,  poème monorime qui se présente comme une improvisation vocale en langue classique. La « qasîda » est le seul modèle poétique connu jusqu’à l’invention du « mouwash’shah » andalou.

La structure rythmique dans la musique arabe est un élément de base, la « suite » est fondée sur une série de mouvements ordonnés et l’accélération de chacun d’eux produit  de nouvelles formules rythmiques. Ces métriques développent une notion de tempo, que chacune d’entre elles constitue une dynamique propre. En fait la notion de tempo importe peu, c’est l’accélération qui compte car elle permet de subtils changements et transformations des schémas métriques par exemple passer de quatre temps, à six ou à huit temps.

La « suite » est une succession de chant à l’unisson qui juxtapose une série de mouvements qui ne sont pas tous forcément interprétés lors d’un même concert. Son principe musical est fondé sur la notion de mode que l’on nomme (maqâm) et c’est lui d’ailleurs qui lui donne et assure sa cohérence et son identité. Chaque « suite » a sa signification définie et sa saveur, elle doit être jouée à un moment précis. Il n’y a pas d’interprétation standard de chaque « suite », elle varie en fonction des écoles et des interprètes.

Le terme de « suite » apparaît pour la première fois en France en (1557) dans un recueil de Pierre Attaignant (éditeur de musique), intitulé : « Suyttes de bransles » qui fut le premier à employer le système de caractères mobiles de Pierre Haultin pour l'impression musicale. La « suite », succession de mouvements assez courts liées thématiquement les unes aux autres, écrite d’abord pour luth ou clavier, devient dès lors une réalité de la musique en Europe et la base de la future symphonie. Elle verra son plein épanouissement au XVIIIe siècle avec George Frideric Handel et Johann Sébastian Bach. Que l’idée de la « suite » se soit fortement développée en Andalousie, c’est une évidence bien qu’elle figurait déjà dans un écrit de la fin du Xe siècle à Bagdad. Les thèmes de  la « suite » forment trois genres singuliers : les poèmes d’amour, les poèmes bachiques, et les thèmes de la nature. Utilisés durant les « suites », ils désignent un thème unique : l’attente de l’être aimé !

Hassan Haffar se donne, en soliste, avec un art musical et vocal, intérieur et sensuel une très grande liberté d’expression dans ces onze « suites d’Alep » et prouve encore une fois à travers ces trois albums qu’il est réellement un maître dans le genre.

La « suite », enfin ne survit de nos jours que dans la seule ville d’Alep." *

Abed Azrié

* ce texte va paraître prochainement dans un coffret de 3 CD « «Les suites d’Alep » chanté par « Hassan Haffar, collection Institut du Monde Arabe

La musique  Séfarade

Les Séfarades ou Sefardi (mot qui désignait les juifs d'Espagne) sont présent depuis l'antiquité dans la péninsule ibérique. Ils forment une des plus grandes communautés de la diaspora juive du Moyen-âge.
Persécutés par les Wisigoths, la tolérance prodiguée à leur encontre par les Omeyyades favorise leur épanouissement. L'arrivée des Almohades et de leur fondamentalisme les oblige à fuir, au 12è siècle, et se réfugier auprès des Rois chrétiens. Spécialisés dans le négoce, la finance, la médecine, ils deviendront rapidement les meilleurs alliés des Rois catholiques jusqu'à ce que le fanatisme des prédicateurs chrétiens se retourne contre eux et que le cycle persécution , exode recommence.

La musique séfarade se réfère à la musique originaire des alentours de la méditerranée, de l’Espagne, de l’Afrique du nord, à la Turquie et à la Grèce. Depuis la fin du VIIIe siècle, "Sefarad" désigne les juifs espagnols. Ce terme fut étendu à tous les Juifs des communautés du pourtour méditerranéen." Séfarade " signifie "espagnol" en Hébreu et fait allusion au fait que jusqu’à l’expulsion de tous les non chrétiens en 1492, une culture juive très florissante existait en Espagne. L’interaction entre ces peuples et les communautés dans les pays où ils vécurent a donné naissance à une expression culturelle incorporant beaucoup d’éléments mélodiques et rythmiques de la méditerranée. La culture des Juifs séfarades connut son âge d'or pendant l'ère musulmane d'Al-Andalus; elle vit naître des érudits comme Maïmonide et Ibn Ezra, et survécut à l'expulsion des Juifs hors d'Espagne par l'Inquisition chrétienne, en 1492. Les descendants des exilés espagnols et portugais, établis dans de nombreuses régions du globe, ont gardé jusqu'à nos jours la culture et les traditions des Séfarades.

Le ladino:

Lorsque ces communautés juives émigrèrent autour du bassin méditerranéen, elles emportèrent avec elles le " Ladino " . Langue crée par les rabbins espagnols pour traduire et enseigner les textes sacrés hébreux, le ladino consiste à traduire un mot hébreu par un mot espagnol et toujours le même à moins que ne s'y opposent des considérations exégétiques, en respectant l'ordre des mots et la syntaxe de l'original hébreu. Le Ladino n'est pas une langue parlée, contrairement au judéo espagnol.

                                                                                    

 Les  principaux instruments, dans la musique arabo-andalouse:

Le 'ûd 

Le 'ûd est un luth à manche court, sans frette. On distingue deux sortes de 'ûd: le 'ûd'arbi ( luth arabe ) et le 'ûd sharquî ( luth oriental ) également nommé 'ûd égyptien. Le premier, luth de la musique arabo-andalouse par excellence, est muni de quatre chœurs (cordes doubles ). Son usage tend à se raréfier au profit du second, muni quant à lui de cinq ou 6 chœurs ( cinq cordes doubles et une simple). Le 'ûd se tient posé sur les genoux de l'instrumentiste. Ce dernier tient le manche dans la main gauche et pince les cordes à l'aide d'un plectre dans la main droite. Le 'ûd possède une double fonction d'accompagnement et de soliste, un double rôle harmonique et mélodique.

 Titi Robin jouant du Oud  ( photo© Musique Alhambra)

Le rabâb:

Le rabâb est un instrument à cordes frottées présent dans tout le monde arabe. Le rabâb marocain est une vièle monoxyle dont la caisse est étroite et bombée. Celle ci peut être en bois de noyer, citronnier, cèdre, acajou, thuya ou encore en abricotier.  Le rabâb, par sa puissance et sa sonorité particulière, est aisément reconnaissable au sein de l'ensemble. Par sa nature de basse, il joue un rôle de soutien presque permanent.

Le târ :
Le târ est tambour sur cadre à cymbalettes. Le cercle ou corps de l'instrument, en bois de hêtre, cèdre ou micocoulier, peut être décoré de motifs géométriques. Il est percé généralement de cinq rangées d'ouvertures où se fixent des cymbalettes circulaires en cuivre, laiton ou argent, d'un diamètre de cinq à six centimètres.

L'instrumentiste tient le târ dans la main gauche, entre le pouce et l'index, le pouce étant passé à l'intérieur du cadre. Le majeur et l'annulaire actionnent les cymbalettes, également mises en mouvement par le jeu du poignet
.

Le Flamenco:

Le peuple gitan  qui se  fixera en Andalousie s'établira dans les années 1440, à Jaén.

L'arrivée du peuple gitan en Andalousie va affirmer  un art nouveau: le Flamenco, inspiré par des cultures diverses . ( voir la rubrique: Origines du Flamenco)