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Interview de Juan Carmona  réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena', en mai 2011,  pour Musique Alhambra

 

 

Lors de la Rue Flamenco, évènement culturel qui s'est tenu du 5 au 8 mai 2011 à la Grande Halle de la Villette, à Paris, Juan Carmona s'est produit sur la scène de la salle Charlie Parker, devant une salle comble.  Le talent de ce guitariste que l'on surnomme le 'Gitano Frances' ne cesse de surprendre le public.  Son 'sello personal' et son talent indéniable lui ont valu de nombreuses récompenses dont une troisième nomination aux Grammy Latin Awards avec son magnifique album ' El sentido del Aire'. Juan nous a accordé un entretien au cours duquel il nous parle de sa carrière artistique et nous dévoile plusieurs projets aussi passionnants les uns que les autres:

-  Juan, en tant que directeur artistique de la programmation de la 'Rue Flamenco', comment as-tu élaboré cette programmation?

- J'ai souhaité mettre en avant le Flamenco actuel avec des consonances modernes et, par contraste, la tradition. Le premier jour, il y avait David Dorantes, pianiste qui fait partie de cette nouvelle génération d'artistes qui possède une ouverture musicale. En deuxième partie,  j'ai choisi Mercedes Ruiz qui est dans la plus pure tradition de Jerez.

- Tu t'es produit lors de la deuxième soirée, pour le plus grand bonheur du public. Pourrais-tu nous parler de ton travail en tant qu'artiste et de ton spectacle que tu as présenté au public, ce soir là?

- J'ai vécu une dizaine d'années à Jerez et j'ai été, pendant très longtemps, un artiste attaché à la tradition Flamenca. C'était donc fondamental pour moi de connaitre cette tradition. Je pars donc à Jerez, je m'entoure de gens comme Agujetas, Capullo, les grands artistes de cette ville et, suite à cela, je rencontre Isidro Muñoz, le frère de Manolo Sanlucar, qui me fait prendre conscience du fait que c'est génial que je fasse un travail vers la tradition mais que j'ai une identité qui est mienne et des influences qui sont autres que le Flamenco. Donc, par rapport à cela, mon travail a consisté à faire un medley entre la tradition et toutes les influences que je pouvais avoir, aussi bien au travers le jazz que les musiques ethniques, la musique brésilienne... Mon parcours est celui de quelqu'un qui voyage à travers deux mondes: la tradition et la modernité. J'ai un grand respect pour la tradition et une envie folle d'ouverture musicale. Mon spectacle, c'est le reflet de mon identité, ce sont des compositions personnelles où je mêle à la fois cette grande tradition qui est celle de Jerez, par exemple, tout en ayant une ouverture musicale.

- Ton spectacle s'articulait principalement autour de ton nouvel album, n'est-ce pas?

- Oui, pour cette soirée, j'ai voulu représenter essentiellement l'album 'El sentido del aire' tout en reprenant des titres phares des albums 'Sinfonia Flamenca' et 'Borboreo'

- Nous avons pu apprécier aussi le talent du danseur Nino de los Reyes aussi... Que souhaiterais-tu nous dire à son sujet?

- Ce danseur est quelqu'un de particulier qui vient de remporter le premier prix de Madrid, dernièrement. Il a une grande ouverture car il a étudié les claquettes aux Etats Unis. Dans sa façon de danser, nous pouvions remarquer à la fois un grand respect pour la tradition et une grande ouverture. C'est aussi pour cette raison qu'il y avait des passages qui étaient très ouverts musicalement.

- Nous remarquons que ton groupe est constitué d'un 'noyau dur', c'est à dire des artistes avec lesquels tu travailles depuis plusieurs années. Quant aux danseurs, ils changent assez régulièrement. Y a-t-il une raison à cela?

- Je suis quelqu'un qui a constamment besoin d'improvisation, de renouveau. J'aime bien garder une base fixe avec des artistes comme Rafael de Utrera, mais j'aime aussi pouvoir me balader dans des univers chorégraphiques différents et c'est pour cela que, lorsque je suis passé à l'Européen à Paris, il y avait le danseur Rafael del Carmen, et sa danse n'a absolument rien à voir. Il est dans la tradition de Séville et il fait partie de la compagnie Manuela Carrasco. Cette fois-ci, je voulais justement partir sur autre chose. Nino, je l'ai rencontré à Madrid. J'avais vraiment envie de travailler avec lui.

- Nous remarquons aussi que tu travailles depuis de nombreuses années avec ton frère, Paco Carmona. Quel lien entretiens-tu avec lui sur le plan artistique?

- Quand j'avais 10 ans et qu'il en avait 7, nous nous levions le matin, buvions le café au lait et déjà nous avions la guitare dans les mains.  Nous avons une complicité que je ne peux trouver ailleurs. Il ressent quant je suis bien où quand ça ne va pas, quand il faut qu'il me rattrape. Nous avons une liberté totale et une complicité musicale et de sang.  Dans le milieu du Flamenco, nous travaillons souvent en famille; en effet, ce n'est pas pour rien que pendant longtemps Paco de Lucia a travaillé avec son frère Ramon et que maintenant il travaille avec un des fils de son frère. Il garde un lien avec la famille. Il en est de même pour Tomatito; il travaille avec ses cousins.

- Tu es aussi à l'origine de la création du Festival les 'Nuits Flamencas' de Châteauvallon. Chaque année, tu assures la direction artistique de cet évènement culturel qui, depuis sa création il y a 5 ans, a acquis une belle renommée dans le monde du Flamenco. Comment ce projet est-il né?

- Comme tu le sais, quand je suis parti en Andalousie dans les années 87, j'étais déjà en contact avec tout le milieu Flamenco parisien et tout le monde me disait que je pourrais faire un lien entre l'Espagne et la France. Au début, cela ne me tentait pas, car j'étais concentré exclusivement sur la création avec des musiciens. Alors que je faisais un concert à Châteauvallon, le directeur est venu me voir à l'issue du concert et, comme il a accroché aussi bien musicalement qu'humainement, il m'a simplement dit 'Si tu as une idée, le lieu est là'. La beauté de ce lieu et les possibilités qu'il offre pour les artistes m'enthousiasmaient. L'idée à fait son chemin et j'ai donc répondu favorablement à sa demande car c'est très pratique et très facile pour moi de monter un projet dans ce lieu.

- La programmation de la prochaine édition des Nuits Flamencas est déjà faite, n'est-pas?

- Oui... pendant plusieurs années, j'ai mis l'accent sur la danse car c'est une discipline artistique plus accessible que le chant; elle a un impact sur le public que le chant et la guitare n'ont pas. Mon but, dans ce festival, c'est "d'éduquer" les gens au Flamenco, leur faire comprendre qu'il n'y a pas que les robes à pois. C'est pour cela que, cette année, j'ai programmé le pianiste David Dorantes et que l'année prochaine, il y aura Duquende.

- Pour revenir à la danse, il y a eu une révélation pour le public parisien, c'est le danseur Amador Rojas. C'est beaucoup grâce au  festival de Châteauvallon que ce danseur s'est fait connaitre en France, n'est-ce pas?

- Oui, et en plus, il revient cette année. Ce sera la troisième fois qu'il participe à ce Festival. Cette année, il présente un nouveau spectacle. C'est un personnage très particulier, dans tous les sens du terme. Beaucoup de gens disent qu'ils aimeraient voir mon spectacle avec Amador Rojas. Il a un style et une façon très particulière  de concevoir la danse. C'est un sévillan avec tout ce que cela représente, l'école de Séville, etc. De plus, au personnage qu'il est se mêlent toutes les rencontres qu'il a fait; ça donne le personnage qu'on a pu voir.

- Concernant tes nombreux projets, nous avons été informé par ton projet relatif à la musique de corrida. Pourrais-tu nous en parler?

- J'ai été contacté par Marie Sara, seule femme torero et une des rares personnes qui torrée à cheval. Elle m'a fait une proposition qui m'a beaucoup intéressé. Elle trouvait que, musicalement, la corrida, elle en avait fait le tour. Elle voulait donc donner un nouveau souffle à ce genre musical.  Nous avons travaillé ensemble et j'ai trouvé très intéressant de travailler dans cet univers car, dans la tauromachie,  on ne connait à l'avance ni la réaction du taureau, ni celle du torero. Il y a une part de risque qui me plait. J'aime prendre des risques et j'ai trouvé que c'était le projet idéal pour cela. Nous serons le 14 juillet prochain aux Saintes Marie de la Mer.

- Auparavant, tu as réalisé aussi des musiques de films. Cette envie  d'associer de la musique aux images, cela remonte donc à plusieurs années...

- En effet, j'ai travaillé sur plusieurs musiques de film et notamment avec Vladimir Cosma pour le film 'Cuisine et dépendances'. En réalisant ce travail, je me suis rendu compte que les images prennent une toute autre dimension à partir du moment où la musique est totalement appropriée à ce que l'on voit. C'est ainsi que je me suis aperçu de l'impact que pouvait avoir la musique, en dehors des concerts.

- As-tu des projets de création d'album?

- Je suis un grand assoiffé de création. Ce qui me plait le plus c'est de composer et de créer. Mon album 'El sentido del aire' est sorti il y a un an et je savais que, très vite, j'allais tourner la page et qu'il me faudrait autre chose. Je travaille donc sur un nouvel album  que j'enregistre en studio, à Madrid. D'un style très moderne, il rassemblera des artistes complètement différents les uns des autres. Il y aura des gens comme Joseli, Caramelo de Cuba, un grand pianiste cubain qui est très demandé dans les productions de musique du monde. Dans la tendance plus traditionnelle, des artistes tels que Ramon el Portugues, qui est dans la même lignée que Camaron de la Isla, participeront à ce projet. Il y aura mes compositions personnelles ainsi que celles de Paquete. De plus, nous coproduisons ensemble cet album.

- Paquete a collaboré aussi dans ton dernier album 'El sentido del aire', n'est-ce pas?

- Oui, je m'entends très bien avec lui sur le plan musical et humainement. J'avais envie de renouveler cette expérience.

- La date de sortie de l'album est-elle déjà fixée?

- Quand je commence un disque, je ne sais jamais quand il sera terminé. A tout moment, cela peut prendre un virage auquel moi-même je ne m'attendais pas. En règle générale, je mets un an, voire un an et demi à réaliser un album. Je pense qu'il verra le jour en 2012, peut-être avant...

- Y a-t'il un autre projet dont tu aimerais nous parler?

- Quand je suis parti à New York, au mois de janvier, j'ai eu l'immense surprise de voir Al di Meola entrer dans le théâtre. Depuis que je suis gamin, je suis en admiration devant lui. Cette rencontre mémorable d'Al Di Meola, John McLaughlin  et de Paco de Lucia dans le disque 'Friday Night in San Francisco' sorti en 1981 a ouvert les portes à tous les guitaristes... et je vois ce guitariste qui tombe en admiration devant moi... je n'en reviens pas! Nous avons un projet ensemble; ce sera peut-être sous la forme d'un trio. Je suis très content de monter ce projet avec lui.

- Tu as beaucoup de projets de création... j'imagine que tu effectues aussi une tournée, actuellement.

- Oui, concernant mon actualité, il y a plusieurs concerts en France, une tournée aux Etats Unis, en Tunisie, ...

- Parmi tes créations musicales, trois albums ont été nominés aux Grammy Award. Quel est ton sentiment à ce sujet?

- Tu sais, je suis né à Lyon, j'ai grandi en France. Depuis tout petit, j'ai une grande admiration pour tous ces artistes que l'on connait: Paco de Lucia, Manuela Carrasco, Enrique Morente, Carmen Linares. Et dire qu'aujourd'hui je me retrouve à participer à un concours avec tous ces gens...je n'ai pas de mots pour exprimer ce que je ressens tellement c'est fort! j'ai l'impression de vivre un rêve car j'ai du mal à y croire, à réaliser que c'est la réalité. Manolito Soler, le danseur de Paco de Lucia dans les années 70,  m'a dit, un jour "Toi, ton seul problème c'est que 'no te lo crées' ('tu ne le crois pas'). En effet, je ne réalise pas ce qui se passe et ce qui s'est passé dans ma carrière artistique. Je gagne des premiers prix à Madrid, à Jerez, aujourd'hui je participe à des concours dans lesquels je me retrouve avec tous ceux que j'ai toujours adulé et quand Paco de Lucia me croise, il me dit " Toi, tu n'arrêtes pas, on te voit partout". Tout cela, moi, je ne le réalise pas. Je me vois toujours comme étant le petit gitan issu de Marseille...

- Ce qui est important finalement, c'est que le public, lui, il se rend compte de ton succès.

- Oui, c'est d'ailleurs le public qui me renvoie cela.

- Merci Juan pour cet agréable moment de partage et pour ton immense talent... à très bientôt!

 

  Voir le reportage sur la Rue Flamenco, en mai 2011, à la Grande Halle de la Villette, Paris: cliquer ici

Visiter le site web de Juan Carmona: www.juancarmona.com

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Remerciements à Sandryne Roé, Julie Barlatier et Juliette de Nomades Kultur