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Interview de Christophe Dabitch réalisée par Isabelle Jacq

 Gamboena, en juillet 2011,  pour Musique Alhambra

 

 

 

Marquant les esprits et les cœurs avec leur magnifique bande dessinée intitulée 'Mauvais garçons',  l'écrivain Christophe Dabitch et le dessinateur Benjamin Flao ont participé au Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan pendant deux années consécutives. En effet, l'année dernière, ils ont investi les lieux du festival dans le cadre  d'une résidence d'artistes puis, cette fois-ci,  ils ont présenté le fruit de leur travail dans une très belle exposition au Musée Despiau-Wlerick de Mont de Marsan. Rencontre avec Christophe Dabitch, lors de cette édition:

-Christophe Dabitch, tu es écrivain et parmi les nombreux ouvrages dont tu es l'auteur, tu as écrit la bande dessinée intitulée 'Mauvais garçons' qui est sortie en 2 tomes et que tu as présentée l'année dernière au Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan. D'où vient, chez toi, ce goût pour l'écriture?

- J'ai fait des études de lettres; j'ai écrit des textes en prose, des nouvelles. Au fur et à mesure, j'ai pris confiance en moi pour écrire et donner à lire à d'autres. Puis je suis passé à la bande dessinée. J'ai aussi des projets avec des photographes. J'ai un chemin d'écriture qui passe par différentes étapes. En ce moment, c'est la bande dessinée, mais, peut-être que plus tard, ce sera autre chose...

- Dans la bande dessinée 'Mauvais garçons', tu évoques le thème du Flamenco.  Ce projet de bande dessinée, comment est-il né?

- Tout d'abord, j'aime depuis longtemps la musique Flamenco, le chant et la danse; de plus,  il y a une dizaine d'années, j'ai rencontré quelqu'un qui est devenu un ami. Il s'agit de Manuel. Il  vit à Utrera, près de Séville. Il est metteur en scène et aficionado. Il tient une école de danse à Utrera. Je suis allé le voir à de nombreuses reprises, pendant la biennale de Séville, pendant la semaine Sainte et pendant la Feria; Il est venu chez moi aussi. Concernant la bande dessinée, cela fait un moment que je voulais évoquer une histoire autour du chant, car le chant et plus particulièrement la Solea, me touchent beaucoup. Je me suis demandé comment écrire en écriture en prose. Il y avait beaucoup de choses qui avaient déjà été écrites. Moi, je suis plutôt dans la bande dessinée, depuis quelques années. Je cherchais comment je pouvais réaliser cela. C'est après avoir écrit un livre qui tournait autour de Rimbaud qui s'intitule 'La ligne de fuite' que j'ai concrétisé ce projet. J'avais envie de partir du chant et j'ai choisi la Solea, c'est à dire le chant qui me touche le plus. En fait, ce sont les Soleas qui ont guidées le récit, la narration; elles m'ont inspirées pour écrire l'histoire de 'Mauvais garçons'. C'est le portrait de cet ami, Manuel, et de son copain Benito qui est un chanteur gitan. Manuel lui, est payo, c'est à dire qu'il n'est pas gitan. J'ai passé du temps avec eux et j'avais envie de raconter leur rapport au chant, leur rapport au monde, leur fantasmagorie.

- Cet ami, tu l'as rencontré en Espagne?

- Je l'ai rencontré à Paris. J'avais obtenu une bourse pour un projet d'étude en musicologie pour faire de la recherche sur les anciens chants Flamencos, pour les transmettre aux générations actuelles, d'essayer de faire un pont entre les vieux chants, cette culture populaire et cette culture orale et de la transmettre à des jeunes chanteurs. Nous nous sommes rencontré par hasard à Paris. Puis, nous sommes devenu des amis.

- Dans ta bande dessinée, tu collabores avec le dessinateur Benjamin Flao. C'est la deuxième fois que vous réalisez un projet ensemble, n'est-ce pas?

- Oui, 'La ligne de fuite', je l'avais écrit avec Benjamin Flao et j'avais envie de continuer à travailler avec lui car je savais qu'il est sensible au monde du Flamenco. Il a séjourné en Espagne; de plus, il a une approche 'musique du monde' et un goût évident pour le nomadisme. Le Flamenco est donc un thème qui l'intéresse. C'était assez naturel de ma part que je lui propose d'illustrer cette histoire là.

- Dans cette bande dessinée, comment avez-vous travaillé, Benjamin et toi, et quelles sont les différentes étapes de votre collaboration?Christophe Dabitch et Benjamin Flao

- Benjamin et moi travaillons sur un rapport de confiance. J'étais sûr, dès le début, qu'il allait incarner ce que j'ai en tête et ce que je lui ai écrit. Moi, je n'écris pas des scénarios comme des scénarios de bande dessinée ou de cinéma avec une description technique, du genre 'gros plan', c'est à dire tous les termes du cinéma et de la bande dessinée. J'écris davantage comme on écrirait une pièce de théâtre. J'essaye de faire imaginer au dessinateur tout ce que j'ai en tête et où je veux aboutir. Dans ma méthode de travail, au départ, il y a un temps de solitude dans l'écriture. Puis, je passe l'histoire à Benjamin et c'est lui qui travaille dessus. Il y a plusieurs étapes dans le travail. Tout d'abord, il y a ce qu'on appelle le découpage, pour évaluer la pagination. Il installe ses premières idées à chaud, à la lecture du scénario. Ensuite, il fait un travail sur les séquences et les différentes planches. A cette étape du travail, nous nous voyons régulièrement et nous échangeons notre point de vue. Quand cela se passe bien, il y a, au fond, un travail de deux solitaires qui arrive à se finir. De mon point de vue, avec Benjamin, cela fonctionne très bien car il arrive à incarner ce que j'ai en tête. Là, il y avait un pari assez difficile à relever, c'est à dire celui d'incarner le chant, la danse, incarner le mouvement sur le papier. La bande dessinée, c'est figé, c'est du papier sur lequel il faut arriver à incarner quelque chose. C'est assez difficile.

- Cette expérience, que t'a-t-elle apportée d'un point de vue professionnel et personnel?

- Professionnellement, le livre vit sa vie..et plutôt bien. Il y a des gens qui, comme moi, ont découvert une nouvelle forme de Flamenco par la bande dessinée et celle-ci a plutôt bien marché, elle s'est très bien vendue. Elle a d'ailleurs été traduite en espagnol et cette nouvelle version sort en Espagne sous le titre 'Los buscavidas'. D'un point de vue personnel, je suis heureux d'avoir vécu cette expérience, tout simplement. Quand on arrive à écrire quelque chose et que les retours sont très positifs, cela est gratifiant. On me dit que c'est très bien senti, que c'est dans le cœur du Flamenco. Je suis très content qu'on me dise cela, que je ne sois pas tombé à côté.

- Benjamin et toi étiez déjà présents au Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan, lors de l'édition précédente. Vous étiez en résidence, n'est-ce pas?

- Oui, les organisateurs du Festival avaient eu la bande dessinée entre les mains. Ils étaient intéressés par cette approche un peu différente du Flamenco. Ils nous ont proposé une résidence et nous avons eu 'carte blanche'. Benjamin et moi avons réalisé des grands formats textes et dessins. Moi, j'ai continué à récolter des chants auprès des artistes qui étaient là. Benjamin a dessiné. Il a fait des portraits, dessiné des atmosphères et, chaque jour, nous exposions notre travail. Nous avons travaillé ainsi pendant 5 jours.

- Cette année, Benjamin et toi exposez au Musée Despiau, à Mont de Marsan. Quel est le contenu de cette exposition et comment l'avez-vous élaborée ?

- Cette année, les organisateurs du festival nous ont proposé de faire une grande exposition, suite à la résidence. Nous avons monté cette exposition autour de la bande dessinée avec ce nous que avions réalisé l'année dernière et avec les planches originales issues de la bande dessinée, en mettant en avant les textes de Soleas et en inscrivant ces textes dans l'exposition. Nous avons donc repris certains travaux réalisés lors de notre résidence, en faisant une alternance d'images et de textes. Je souhaitais que l'on visualise le lieu d'où émerge les Soleas. Elles viennent de la terre, d'un territoire, d'un lieu qui est l'Andalousie.

-  ...D'où le choix d'une mise en scène qui présente certains textes alignés au sol, sur une bande de sable, n'est-ce pas?

- Oui, effectivement. Le Flamenco est une culture populaire qui vient de la terre andalouse. Il vit aussi comme cela, au delà des scènes culturelles et des fêtes. Il vit chez les gens qui ne sont pas forcement des artistes professionnels, et qui font d'autres travaux. J'avais envie d'exprimer cela. Nous avons donc choisi une mise en scène particulière et avons rythmé cette exposition par une alternance de textes, de dessins et de planches.

- Ces textes, d'où viennent-ils?

- Ces textes, ce sont ceux que Manuel m'a traduits. Il y en a un certain nombre. J'ai aussi récupéré d'autres textes lors de lectures d'ouvrages sur le Flamenco. Il y a aussi plusieurs Soleas contemporaines réalisées par des écrivains, des poètes. La bande dessinée 'Mauvais garçons' est rythmée par une vingtaine de chants. Dans l'exposition, je voulais donc retranscrire l' atmosphère de cette bande dessinée et faire sentir que le texte et le chant sont des éléments importants.

- Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées lors de la réalisation de ce travail?

- Comme beaucoup de gens en France, les limites que j'ai eu concernent la compréhension du texte, d'autant plus que ces textes sont fragmentés, ils se plient au rythme du chant, à ce que choisit le chanteur. Quand on n'est pas hispanisant, comme moi, il est difficile de comprendre les paroles. Je les ai faite traduire en français par Manuel de Utrera et, comme il est bilingue, il a trouvé une formulation qui sonne bien en français.

-  Après cette expérience et ta présence pendant deux années consécutives au Festival Arte Flamenco, ton lien avec le flamenco a-t-il évolué?

- Moi, je ne suis pas un spécialiste du Flamenco. Il y a plein de choses qui m'échappent encore à propos de la danse, du chant, mais je suis toujours sensible à la Solea. Elle détient une forme de poésie parfois un peu brutale; parfois cela me fait penser à l'haïku. J'aime bien cette écriture. Elle vient d'une tradition orale qui est née du peuple. Il y a très peu d'écrivains et de poètes qui font des Soleas. C'est quelque chose qui se transmet oralement. Je trouve très touchant cette forme de poésie et de chant qui, aujourd'hui encore, continue de  vivre et d'évoluer, se réinventant sans cesse tout en étant très ancré dans la tradition. J'aime cette articulation entre la tradition et le renouvellement du Flamenco. Après, c'est une question d'émotion. Quand le chant me donne des frissons et qu'en écoutant ce chant, mes poils se dressent, cela me touche sans que je sache exactement pourquoi. Dans la Solea, il y a une beauté, une souffrance, une mélancolie, une joie parfois. C'est profond. J'écoute du Flamenco et je vais en voir quand je peux. A Bordeaux, il y a des peñas; alors j'y vais de temps en temps.

- As-tu un nouveau projet d'écriture en lien avec le Flamenco?

- Sur le thème du Flamenco, mon travail en tant qu'auteur, je l'ai fait sur 'Mauvais garçons' et je pense que je ne referai pas un autre livre sur le Flamenco car cette bande dessinée est, pour moi, un aboutissement sur ce thème.

- Quels sont tes projets d'écriture?

- J'ai écrit deux histoires qui sont en train d'être dessinées par d'autres dessinateurs. La première histoire s'appellera 'La colonne' qui est l'histoire d'une colonie militaire française en Afrique de l'Ouest, à la fin du 19ème siècle. J'ai écrit une autre bande dessinée qui s'appelle 'Le capturé' qui est l'histoire d'un marcheur forcené. Je suis sensible à la marche, aux déplacements. C'est l'histoire de quelqu'un qui part en pleine inconscience. Il quitte ma ville , Bordeaux, pris par une impulsion très forte et il fait une trajectoire très longue en Europe, en Turquie, en Algérie. Il va un peu partout dans le monde et plus il avance, plus il s'éveille à lui-même.  Je suis attiré aussi par le long récit en prose. A la suite d'un voyage en Syrie, j'ai fait un livre en collaboration avec un photographe. C'est une écriture fictionnelle un peu longue. Actuellement, j'écris une histoire autour d'un conquistador au 16ème siècle, en Californie. J'ai aussi d'autres travaux d'écriture, des commandes...

- Pourquoi ce choix de fusionner ton écriture avec le travail de quelqu'un d'autre, avec une autre discipline artistique?

- Tout simplement parce que j'aime le dessin, la photographie et que j'aime travailler avec quelqu'un d'autre. J'aime ces croisements de disciplines artistiques. A un moment donné, il y aura sans doute des récits que je ferai sans collaboration, mais, pour l'instant, je fonctionne de cette manière.

- C'est une démarche très sympathique et le résultat est extraordinaire. Merci beaucoup Christophe et à bientôt.


-Merci à toi.

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Voir le reportage sur la 23ème édition du Festival Arte Flamenco