Marquant les esprits et les cœurs avec leur magnifique bande
dessinée intitulée 'Mauvais garçons', l'écrivain
Christophe Dabitch et le dessinateur Benjamin Flao ont participé
au Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan pendant deux années
consécutives. En effet, l'année dernière, ils ont investi les
lieux du festival dans le cadre d'une résidence d'artistes
puis, cette fois-ci, ils ont présenté le fruit de leur
travail dans une très belle exposition au Musée Despiau-Wlerick
de Mont de Marsan. Rencontre avec Christophe Dabitch, lors de
cette édition:

-Christophe Dabitch, tu es
écrivain et parmi les nombreux ouvrages dont tu es l'auteur, tu
as écrit la bande dessinée intitulée 'Mauvais garçons' qui est
sortie en 2 tomes et que tu as présentée l'année dernière au
Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan. D'où vient, chez toi, ce goût pour l'écriture?
- J'ai fait des études de lettres; j'ai écrit des textes en
prose, des nouvelles. Au fur et à mesure, j'ai pris confiance en
moi pour écrire et donner à lire à d'autres. Puis je suis passé
à la bande dessinée. J'ai aussi des projets avec des
photographes. J'ai un chemin d'écriture qui passe par
différentes étapes. En ce moment, c'est la bande dessinée,
mais, peut-être que plus tard, ce sera autre chose...
- Dans la bande dessinée
'Mauvais garçons', tu évoques le thème du Flamenco . Ce projet
de bande dessinée, comment
est-il né?
- Tout d'abord, j'aime depuis longtemps la
musique Flamenco, le chant et la danse; de plus, il y a une dizaine d'années, j'ai
rencontré quelqu'un qui est devenu un ami. Il s'agit de Manuel.
Il vit à Utrera, près de Séville. Il est
metteur en scène et aficionado. Il tient une école de danse
à Utrera.
Je suis allé le voir à de nombreuses reprises, pendant la biennale de
Séville, pendant la semaine Sainte et pendant la Feria; Il est
venu chez moi aussi. Concernant la bande dessinée, cela fait un
moment que je voulais évoquer une histoire autour du chant, car le chant
et plus particulièrement la Solea, me touchent
beaucoup. Je me suis demandé comment écrire en écriture en
prose. Il y avait beaucoup de choses qui avaient déjà été
écrites. Moi, je suis plutôt dans la bande dessinée, depuis quelques années.
Je cherchais comment je pouvais réaliser cela. C'est après avoir
écrit un livre qui tournait autour de Rimbaud qui s'intitule 'La
ligne de fuite' q ue
j'ai concrétisé ce projet.
J'avais envie de partir du chant et j'ai choisi la Solea, c'est
à dire le chant qui me touche le plus. En fait, ce sont les Soleas
qui
ont guidées le récit, la narration; elles m'ont
inspirées pour écrire l'histoire de 'Mauvais garçons'. C'est le portrait de cet ami,
Manuel, et de
son copain Benito qui est un chanteur gitan. Manuel
lui, est payo,
c'est à dire qu'il n'est pas gitan. J'ai passé du temps avec eux et j'avais envie de
raconter leur rapport au chant, leur rapport au monde, leur
fantasmagorie.
- Cet ami, tu l'as rencontré en Espagne?
- Je l'ai rencontré à Paris. J'avais obtenu une bourse pour un
projet d'étude en musicologie pour faire de la recherche sur les
anciens chants Flamencos, pour les transmettre aux générations
actuelles, d'essayer de faire un pont entre les vieux chants,
cette culture populaire et cette culture orale et de la
transmettre à des jeunes chanteurs. Nous nous sommes rencontré par
hasard à Paris. Puis, nous sommes devenu des amis.
- Dans ta bande dessinée, tu collabores avec le dessinateur Benjamin Flao.
C'est la deuxième fois que vous
réalisez un projet ensemble, n'est-ce pas?
- Oui, 'La ligne de fuite', je l'avais écrit avec
Benjamin Flao et j'avais envie de continuer à travailler avec lui car je
savais qu'il est sensible au monde du Flamenco. Il a séjourné en Espagne;
de plus, il a une approche 'musique du monde' et
un goût évident pour le nomadisme. Le Flamenco est donc un thème qui l'intéresse. C'était
assez naturel de ma part que je lui propose d'illustrer cette
histoire là.
- Dans cette bande
dessinée, comment avez-vous travaillé, Benjamin et toi,
et quelles sont les différentes étapes de votre collaboration?
- Benjamin et moi travaillons sur un rapport de confiance.
J'étais sûr, dès le début, qu'il allait incarner ce que j'ai en tête
et ce que je lui ai écrit. Moi, je n'écris pas des scénarios
comme des scénarios de bande dessinée ou de cinéma avec une
description technique, du genre 'gros plan', c'est à dire tous
les termes du cinéma et de la bande dessinée. J'écris davantage comme
on écrirait une pièce de théâtre. J'essaye de faire imaginer au dessinateur
tout ce que j'ai en tête et où je veux aboutir. Dans ma méthode
de travail, au départ, il y a un temps de solitude dans
l'écriture. Puis, je passe l'histoire à Benjamin et c'est lui
qui travaille dessus. Il y a plusieurs étapes dans le travail. Tout d'abord,
il y a ce qu'on appelle le découpage, pour évaluer la
pagination. Il installe ses premières idées à chaud, à la
lecture du scénario. Ensuite, il fait un travail sur les
séquences et les différentes planches. A cette étape du travail,
nous nous voyons régulièrement et nous échangeons notre point de
vue. Quand cela se passe bien, il y a, au fond, un travail de
deux solitaires qui
arrive à se finir. De mon point de vue, avec Benjamin, cela
fonctionne très bien car il arrive à incarner ce que j'ai en
tête. Là, il y avait un pari assez difficile à relever, c'est à
dire celui d'incarner le chant, la danse, incarner le mouvement
sur le papier. La bande dessinée, c'est figé, c'est du papier
sur lequel il faut arriver à incarner quelque chose. C'est assez
difficile.
- Cette expérience, que
t'a-t-elle apportée d'un point de
vue professionnel et personnel?
- Professionnellement, le livre vit sa vie..et plutôt
bien. Il y a des gens qui, comme
moi, ont découvert une nouvelle forme de Flamenco par la
bande dessinée et celle-ci a plutôt bien marché, elle s'est très
bien vendue. Elle a d'ailleurs été traduite en espagnol et cette
nouvelle version sort en Espagne sous le titre 'Los buscavidas'.
D'un point de vue personnel, je suis heureux d'avoir vécu cette
expérience, tout simplement. Quand on arrive à écrire quelque
chose et que les retours sont très positifs, cela est gratifiant. On me dit que c'est très bien senti, que c'est dans
le cœur du Flamenco. Je suis très content qu'on me dise cela,
que je ne sois pas tombé à côté.
- Benjamin et toi étiez déjà présents au Festival Arte Flamenco
de Mont de Marsan, lors de l'édition précédente. Vous étiez en
résidence, n'est-ce pas?
- Oui, les organisateurs du Festival avaient eu
la bande dessinée entre les mains. Ils étaient intéressés par
cette approche un peu différente du Flamenco. Ils nous ont
proposé une résidence et nous avons eu 'carte blanche'. Benjamin et
moi avons réalisé des grands formats textes et dessins. Moi, j'ai
continué à récolter des chants auprès des artistes qui étaient
là. Benjamin a dessiné. Il a fait des portraits, dessiné des
atmosphères et, chaque jour, nous exposions notre travail. Nous
avons travaillé ainsi pendant 5 jours.
- Cette année, Benjamin et toi
exposez au Musée Despiau, à Mont de Marsan. Quel est le contenu
de cette exposition et comment l'avez-vous élaborée ?
- Cette année, les organisateurs du festival nous
ont proposé de faire une grande exposition, suite à la
résidence. Nous avons monté cette
exposition autour de la bande dessinée avec ce nous que avions
réalisé
l'année dernière et avec les planches originales issues de la
bande dessinée, en mettant
en avant les textes de Soleas et en inscrivant ces textes
dans l'exposition. Nous avons donc repris certains travaux
réalisés lors de notre résidence, en faisant une alternance
d'images et de textes. Je souhaitais que l'on visualise le lieu
d'où émerge les Soleas. Elles viennent de la terre, d'un
territoire, d'un lieu qui est l'Andalousie.
- ...D'où le choix d'une
mise en scène qui présente certains textes alignés au sol, sur
une bande de sable, n'est-ce pas?
- Oui, effectivement. Le Flamenco est une culture
populaire qui vient de la terre andalouse. Il vit aussi comme cela, au delà
des scènes culturelles et des fêtes. Il vit chez les gens qui
ne sont pas forcement des artistes professionnels, et qui font
d'autres travaux. J'avais envie d'exprimer cela. Nous avons donc
choisi une mise en scène particulière et avons rythmé cette exposition
par une alternance de textes, de dessins et de planches.
- Ces textes, d'où viennent-ils?
- Ces textes, ce sont ceux que Manuel m'a traduits. Il
y en a un certain nombre. J'ai aussi récupéré d'autres textes lors de lectures d'ouvrages sur le Flamenco. Il y a aussi
plusieurs Soleas contemporaines réalisées par des écrivains, des
poètes. La bande dessinée 'Mauvais garçons' est rythmée
par une vingtaine de chants. Dans l'exposition, je voulais donc
retranscrire l' atmosphère de cette bande dessinée et faire sentir que le texte et le
chant sont des éléments importants.
- Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées lors de la
réalisation de ce travail?
- Comme beaucoup de gens en France, les limites que j'ai
eu concernent la compréhension du texte, d'autant plus que ces textes sont
fragmentés, ils se plient au rythme du chant, à ce que choisit
le chanteur. Quand on n'est pas hispanisant, comme moi, il est
difficile de comprendre les paroles. Je les ai faite traduire en
français par Manuel de Utrera et, comme il est bilingue, il
a trouvé une formulation qui sonne bien en français.
- Après cette expérience
et ta présence pendant
deux années consécutives au Festival Arte Flamenco, ton lien avec le flamenco a-t-il
évolué?
- Moi, je ne suis pas un spécialiste du Flamenco. Il y a plein
de choses qui m'échappent encore à propos de la danse, du chant,
mais je suis toujours sensible à la Solea. Elle détient une forme
de poésie parfois un peu brutale; parfois cela me fait penser à
l'haïku. J'aime bien
cette écriture. Elle vient d'une tradition orale qui est née du
peuple. Il y a très peu d'écrivains et de poètes qui font
des Soleas. C'est quelque chose qui se transmet oralement. Je
trouve très touchant cette forme de poésie et de
chant qui, aujourd'hui encore, continue de vivre et
d'évoluer, se réinventant sans cesse tout en étant très
ancré dans la tradition. J'aime cette articulation entre la tradition et le
renouvellement du Flamenco. Après, c'est une question d'émotion.
Quand le chant me donne des frissons et qu'en écoutant ce chant, mes poils se
dressent, cela me touche sans que je sache exactement
pourquoi. Dans la Solea, il y a une beauté, une souffrance, une mélancolie, une
joie parfois. C'est profond. J'écoute du Flamenco et je vais en
voir quand je peux. A Bordeaux, il y a des peñas; alors j'y vais de
temps en temps.
- As-tu un nouveau projet
d'écriture en lien avec le Flamenco?
- Sur le thème du Flamenco, mon travail en tant qu'auteur, je
l'ai fait sur 'Mauvais garçons' et je pense que je ne referai
pas un autre livre sur le Flamenco car cette bande dessinée est, pour moi, un
aboutissement sur ce thème.
- Quels sont tes projets d'écriture?
- J'ai écrit deux histoires qui sont en train
d'être dessinées par d'autres dessinateurs. La première histoire
s'appellera 'La colonne' qui est l'histoire d'une colonie
militaire française en Afrique de l'Ouest, à la fin du 19ème
siècle. J'ai écrit une autre bande dessinée qui s'appelle 'Le
capturé' qui est l'histoire d'un marcheur forcené. Je suis
sensible à la marche, aux déplacements. C'est l'histoire de
quelqu'un qui part en pleine inconscience. Il quitte ma ville ,
Bordeaux, pris par une impulsion très forte et il fait une
trajectoire très longue en Europe, en Turquie, en Algérie. Il va
un peu partout dans le monde et plus il avance, plus il
s'éveille à lui-même. Je suis attiré aussi par le long
récit en prose. A la suite d'un voyage en Syrie, j'ai fait un
livre en collaboration avec un photographe. C'est une écriture
fictionnelle un peu longue. Actuellement, j'écris une histoire
autour d'un conquistador au 16ème siècle, en Californie. J'ai
aussi d'autres travaux d'écriture, des commandes...
- Pourquoi ce choix de fusionner ton écriture avec le travail de
quelqu'un d'autre, avec une autre discipline artistique?
- Tout simplement parce que j'aime le dessin, la photographie et
que j'aime travailler avec quelqu'un d'autre. J'aime ces
croisements de disciplines artistiques. A un moment donné, il y aura sans
doute des récits que je ferai sans collaboration, mais, pour
l'instant, je fonctionne de cette manière.
- C'est une démarche très sympathique et le résultat est
extraordinaire. Merci beaucoup Christophe et à bientôt.
-Merci à toi.

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