Dans le
cadre de la 23ème édition du Festival Arte Flamenco de Mont de
Marsan, les co-auteurs de la magnifique bande
dessinée 'Mauvais garçons'
éditée en 2009 chez Futuropolis ont présenté le
travail qu'ils avaient réalisé l'année
dernière, lors du Festival Arte Flamenco,
alors qu'ils étaient en résidence. Une très
belle exposition réunissait des letras
por Solea choisies et mises en scène par
Christophe Dabitch, et quelques planches
originales issues de la BD 'Mauvais
garçons', des peintures et dessins du
peintre et illustrateur Benjamin Flao, auteur de la
superbe affiche de la 23 ème édition d'Arte Flamenco. Nous
avions eu le plaisir de réaliser une interview de Christophe
Dabitch que nous avions diffusée sur le site Musique Alhambra et
qui nous amenait, bien évidemment, à l'interview de son alter
ego, Benjamin Flao, entretien que nous vous restituons,
ci-dessous:

- Pourrais-tu nous parler de ton métier de dessinateur et de ton
parcours artistique?
- Aujourd'hui et depuis quelque temps, je suis auteur de bandes
dessinées, mais cela n'a pas toujours été le cas. Je m'y suis
mis sur le tard mais je dessine depuis que
je suis tout gamin, sans doute par l'envie de prolonger les jeux
d'enfants.
Je suis issu d'une famille qui dessine. Mon père est
architecte; mon oncle, Gilbert Flao, m'a beaucoup influencé.
A l'école, on me disait qu'il fallait faire des métiers normaux
pour gagner de l'argent, mais dans ma famille, je voyais qu'il y
avait des gens qui faisaient du dessin et qui pouvaient en
vivre. Donc, très tôt, je me suis dit que je pourrais faire cela
plus tard. J'ai donc essayé de ne faire que dessiner. A 14
ans, je suis parti dans une école de dessin pendant 2 ans.
Ensuite, je me suis fait virer, donc je suis allé faire une
école de publicité pendant 1 an; cette expérience ne m'a pas
plu. Finalement, j'ai compris que ce qui me convenait c'était
d'apprendre les métiers de l'illustration et de la bande
dessinée; il y avait l' école Emile Colh à Lyon qui était
spécialisée dans ce domaine. J'ai fait 2 ans dans cette école.
Après quoi, je suis parti gagner ma vie en faisant des
caricatures, l'été, pendant une dizaine d'années. Durant
l'année, avec un ami avec lequel nous avons fait l'affiche
d'Arte Flamenco 2011, nous faisions des affiches, des pochettes
de disques, des fresques murales et nous continuions à faire des
caricatures de temps en temps. J'ai commencé à voyager à cette
période là et j'ai commencé à réaliser des carnets de voyage. En
2000, j'étais invité à une expédition en Sibérie qui avait pour
objectif de chercher des Mammouths congelés dans le sol sibérien.
ça a été l'occasion de faire mon premier livre intitulé 'Carnet
de Sibérie-Mamutus expédition". Suite à cet ouvrage, j'ai fait
plusieurs voyages avec, le plus souvent, des livres à la clef.
Parmi les livres que j'ai réalisés, il y a eu "Sillage
d'Afrique", un voyage qui m'a amené sur la côte Est africaine,
en 2003; puis, je suis retourné en Érythrée et j'ai sorti un
carnet de voyage éponyme, puis, j'ai commencé à faire de
la bande dessinée. J'ai rencontré Christophe Dabitch qui avait
fait aussi un carnet de voyage. Je l'ai rencontré à Saint-Malo,
au Festival "Etonnants voyageurs". Il m'a fait participer à la
revue "La lunette" qu'il faisait à l'époque et dans
laquelle il publiait des reportages dessinés. Puis, j'ai refait
des voyages en Afrique de l'Est, entre l'Érythrée, le Kenya
et Madagascar. J'ai beaucoup dessiné lors de ce voyage. Suite à
cela, j'ai attaqué la bande dessinée avec Christophe Dabitch.
Nous avons fait "La ligne de fuite".
- Tu as fait un long parcours
avant de te lancer dans la bande dessinée...
- Oui, en fait, pour moi, il était hors de question que je fasse
comme beaucoup d'étudiants qui, en sortant de l'école Emile Colh,
allaient s'enfermer sur une bande dessinée pendant pas mal de
temps. C'est assez monacal comme travail et quand on a 20 ans,
on a autre chose à faire, à mon sens. J'avais envie de me
promener un peu, d'aller voir ailleurs, prendre l'air et ramener
plus tard de quoi faire des livres. Le premier livre que je
faisais avec Christophe Dabitch correspondait au moment où je me
sédentarisais et m'installais en Bretagne, avec femme et enfant.
C'était donc le bon moment. Il y a eu ce premier livre, puis un
second, "Mauvais garçons".
- Comment en es-tu arrivé à envisager ce projet de bande
dessinée?
- Après la ligne de fuite, j'avais d'autres propositions de
livres, mais les scénarios n'étaient pas encore faits.
Christophe, lui, venait de finir ce scénario. En fait, ce
scénario vient d'une trouvaille avec un de ses amis qui était
dans une école de journalisme. C'était Manuel que l'on retrouve
dans la bande dessinée. Il était très intéressé par la collecte
du patrimoine du Flamenco, entre autre par les Soleas, ces
textes courts qui expriment des idées fortes. Cet homme est allé
retrouvé sa famille à Utrera et, plus tard, il est devenu
danseur de Flamenco. Il a un ami qui s'appelle Benito qui est,
lui aussi, dans la bande dessinée. Ces deux personnes essayent
de vivre du Flamenco mais ils ont une exigence qui fait qu'ils
n'acceptent pas n'importe quoi. D ans la bande dessinée des
"Mauvais garçons", je ne connais pas la part de fiction et de
réalité. Quand j'ai commencé le travail avec Christophe;
l'histoire était déjà faite, et cela correspondait à une période
où Christophe avait du mal à écrire car il avait des soucis.
Mauvais garçons, c'est aussi une histoire qui parle de la
création, des difficultés de la création, des concessions que
l'on doit faire pour la création, et cela est transposé sur le
Flamenco. Il se trouvait aussi que Manuel avait des histoires de
cœur un peu difficiles. Tout cela est dans la bande dessinée.
Donc, Christophe a crée une histoire très forte, très belle.
Quand je l'ai lue, je me suis même demandé si c'était utile de
l'adapter à la BD. J'ai eu une telle émotion en lisant
cette histoire! Elle était tellement bien, écrite ainsi, sans images,
que j'ai eu un peu peur de la travestir, de la trahir. Donc,
cela a été un peu difficile de réaliser cette bande dessinée. Il
fallait que je me réapproprie l'histoire et que je fasse quelque
chose avec cela, sans forcément être aller à Utrera et tremper
dans cet univers. Donc, j'ai plutôt fantasmé cet univers. Ce que
je trouvais intéressant, c'était l'aspect héroïque des
personnages dans le Flamenco avec toujours une posture très 'cow
boy'. Je trouvais intéressant d'explorer cet univers. Même le
scénario relève plus d'un film d'art et essai que d'une histoire
romanesque ou d'aventure. Cela relate plutôt un quotidien, une
réalité.
- Pourquoi Christophe s'est-il
adressé à toi pour réaliser ce projet?
- Il savait que j'aimais cet univers, que j'aimais la musique
Tzigane, qu'elle provienne des peuples de l'Est ou de la musique
indienne du Rajasthan, ou du Flamenco.

- Comment as-tu fait pour t'approprier cet univers du Flamenco?
- Concrètement, j'ai surtout regardé et lu des livres. J'avais
déjà séjourné en Andalousie, mais je n'avais pas été à Utrera.
J'estime que cette manière de fantasmer sur une ville, c'est
aussi bien. C'est donc ce que j'ai fait. J'avais quelques
supports visuels tels que des photos que Christophe avaient
prises et qu'il m'avait données. Le scénario était lui-même doté
de beaucoup d'éléments forts avec des indications précises sur
les lieux, les danses, etc. De plus, j'ai écouté beaucoup de
musique et j'ai essayé de me mettre dans la peau des
personnages.
-
Ta présence au Festival Arte Flamenco a commencée l'année
dernière, n'est-ce pas?
- Oui, Christophe et moi étions invités
après que les organisateurs du Festival aient découvert notre
bande dessinée 'Mauvais garçons'. Ils nous ont proposé une
résidence avec une création. Cette année, nous effectuons la
deuxième étape de notre résidence. L'objectif était de
s'imprégner de tout se qui se passait dans le Festival. Chaque
jour, il fallait réaliser une page d'un format raisin contenant
des dessins et des textes. Le plus souvent, c'était soit des
images de la rue, soit des images de concerts que nous avions
vus. Christophe demandait aux artistes des textes à eux,
des Soleas que nous faisions traduire le plus souvent par
Manuel Pampino. Cette année, nous exposons ces fameux
tableaux et des planches originales de 'Mauvais garçons'.
- Tu vas participer aussi à un
BD concert, dans le cadre du Festival. Que souhaiterais-tu
nous dire à propos de ce projet?
- En fait, il s'agit plutôt d'un concert dessiné.
Pendant qu'un groupe se produit sur scène, je vais essayer de
mettre de l'image dessus, de dessiner en direct avec une caméra
qui film en direct mes traits et qui projette ensuite l'image
sur un grand écran. Cela aura lieu sur la place de l'hôtel de
Ville, à la Bodega.
- Est-ce la première fois que
tu fais cela?
- Non, c'est un exercice que je fais souvent car,
ma compagne et moi avons crée un spectacle dans lequel nous
faisons ce genre de choses.
- Qu'est-ce qui t'intéresse
dans ce projet et comment vas-tu l'aborder?
- La grande frustration d'un dessinateur c'est de
ne pas communiquer avec le public, de ne pas avoir de retour
direct sur nos productions. Avoir ce retour, c'est une de mes
motivations. A la manière des Haïkus japonais, je vais essayer
de développer une calligraphie Flamenco. Ce qui m'intéresse,
c'est d'offrir une gestuelle en essayant de mettre la même
intensité véritable et sincère, celle qui part du ventre et qui
sort par le biais du pinceau. Je vais utiliser beaucoup de
techniques car cela me semble justifié. Cela m'intéresse
beaucoup d'être dans la même position et la même énergie que les
musiciens.
- Etre immergé dans le milieu
Flamenco pendant plusieurs jours, qu'est-ce que cela t'apporte,
d'un point de vue personnel?
- Justement, dans ce contexte, nous sommes au
cœur de cette histoire de sincérité et d'intensité. Je pense que
pour les musiciens, les chanteurs et les danseurs, la condition
sinéquanone de leur art, c'est cela, c'est d'être possédé par ce
qui se passe. Il n'y a pas de place à l'esbroufe et dans mon
cas, c'est la même chose. Je ne pensais pas que cet univers
allait m'intéresser autant. Je trouve cela très fort d'autant
plus que j'avais certains préjugés auparavant et ils se sont
dissipés au contact des artistes de ce milieu. Il y a tout un
apparat, mais cela fait réellement partie du jeu. Quand on les
voit travailler, il y a vraiment quelque chose de fort et de
sincère qui se dégage de chacun d'eux et j'essaye de m'inspirer
de cela.
- Quel est le thème de ta
prochaine BD?
- Cette fois ci, l'histoire se passera en Afrique
de l'Est, dans le milieu des marins pêcheurs de là-bas. J'y
évoquerai la magie, le vaudou, la mer et les promoteurs
immobiliers étrangers. C'est un peu une dénonciation de tout
cela...
- Merci Benjamin pour cet
entretien passionnant et pour ton merveilleux travail. à
bientôt!
- merci à toi...

Voir le reportage
sur le Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan 2011
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