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Moraito
Chico

"Le monde du Flamenco est en deuil... Nous perdons un immense
artiste! Manuel Moreno Junquera, Moraíto Chico, nous a quitté le 10 aout
2011, à l'âge de 55 ans. La santé de ce grand guitariste s'était dégradée dans
les derniers mois qui ont précédé sa disparition. Il était le digne représentant
du style guitaristique de Jerez et fut pendant plusieurs années le fidèle
accompagnateur du cantaor José Mercé. Nous l'avions vu sur scène à
plusieurs reprises, notamment sur la scène du Festival Arte Flamenco de Mont de
Marsan, en 2010, aux côtés de Juana la del Pipa. Il nous avait ébloui
autant par sa maitrise technique que par sa chaleureuse présence et ses
compositions magistrales. Moraito, les cordes de ta guitare se sont tues
mais tu es présent dans nos cœurs, pour toujours. Que ton âme repose en paix".
Isabelle Jacq 'Gamboena'
Biographie
Moraito
provient du quartier de Santiago, et de l'une des familles gitanes connue pour
avoir été le vecteur des formes flamencos de Jerez : les Morao. Son père,
Juan Morao, son oncle, Manuel Morao, sont guitaristes. Mais un tel
pedigree n'est pas suffisant pour qu'apparaisse le cantaor, le bailaor
ou le
guitarrista d'exception : il faut aussi une personnalité d'exception. C'est le
cas de Moraito qui ,comme guitariste, réunit des qualités de maîtrise
instrumentale et d'accompagnateur du cante et qui possède aussi des qualités
humaines de rassembleur de sa gente flamenca de Jerez. La Bulería de 32 minutes
du disque Jerez : Fiesta et Cante Jondo illustre bien son rôle, dans le moment
inspiré où il stimule, relance six cantaores et sait capter le moment de
chacun dans cette sorte de grand jeu grave et irréversible qu'est une Fiesta por Bulerías de ce type, toujours aux limites du don de chacun, ou de sa perte.
Mais,
somme toute, Jerez n'a jamais manqué de ces catalyseurs qui savent faire
prendre les ingrédients de la Fiesta au moment opportun. Bien des guitaristes
de Jerez ont su jouer ce rôle, sans parvenir à développer l'authentique
personnalité créatrice qui fait le tocaor solo. Jerez a d'ailleurs la réputation
d'un flamenco corto, un peu court : les cantaores ne connaissent bien que les
cantes gitans traditionnels, de Basse Andalousie (Soleà, Siguiriya, Butería,
Alegria, Tangos, Martinete), et dans le passé, les guitaristes, bons
accompagnateurs, ont rarement ét é de grands stylistes. Dans son album
"Morao
y oro", Moraito administre l'exemple contraire. Dans les neuf thèmes
qu'il développe, son inspiration créatrice se situe toujours à un haut niveau
d'imagination musicale et de sens des formes. Bien sûr, question de culture, on
le sent encore plus familier des genres qu'on affectionne à Jerez : Bulería,
trois fois représentée dans ce disque, Siguiriya, Soleà ; mais il y a de
grands moments dans les Sevillanas pourtant quoi de moins jerezano qu'une
Sevillana ? -, dans la Rondeña, le Taranto. La tradition de Jerez, aujourd'hui,
tend de plus en plus à se résumer à une manière, à une façon de jouer
gitan qui reste reconnaissable, avec toujours la prééminence du compas sur la
mélodie et l'harmonie (ou le mode), et, en conséquence, une ornementation à
fonction rythmique, très ramassée, très courte et très intense. On entend
peu de ces trémolos, arpèges et trilles interminables et mielleux. A Jerez, le
baroque se fait presque dépouillé. Pour le reste, le mouvement qui depuis
trente ans est en train d'unifier la géographie flamenca et de gommer les
particularismes locaux, a aussi touché Jerez. Tout le monde joue tout, et Moraito
joue donc une Rondeña et un Taranto, ce qui ne se serait pas vu il y a quarante
ans. Dans cette culture où le Flamenco est porté à une intensité limite, Moraito
sait établir, avec un langage musical contemporain, l'équilibre entre la
raison esthétique et la folie de Jerez qui la piétine.
Frédéric
Deval

Concert de
Moraíto
au Festival Arte Flamenco de Mont de Marsan 2010. Photos d' Alain Jacq:
Les dernières photos de Moraíto
en France, au Festival de Nîmes 2011. Photos de Jean-Louis Duzert:
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