Dans le nouvel album d'Enrique Morente
intitulé 'Flamenco en directo',
le maestro du cante rassemble 9 thèmes enregistrés en
direct à Cadiz, Grenade et Cartagène, entre 1992 et 2008... des
perles précieuses longtemps mises de côté et enfin diffusées et
révélées au large public grâce à cet album où l'on retrouve la
guitare de Juan et Pepe Habichuela, Rafael Riqueni et David
Cerreduela. Dans son album, Enrique Morente inclut aussi une chanson
nouvelle, Nana de Oriente, émouvante berceuse pacifiste
interprétée par Morente avec ses filles Estrella et Soleá. Le
Maestro du cante nous a fait honneur de nous accorder
un entretien lors de son passage à Paris, entretien dans lequel
il nous parle de lui, de son nouvel album et de ses projets:
- Enrique Morente, le public est heureux de te retrouver
sur la scène parisienne. Cela fait plusieurs années que tu es
venu à Paris, n'est-ce pas?
- Oui, la dernière fois que je suis venu, c'était au Théâtre de
Chaillot, il y a 6 ans environ et j'étais venu, auparavant, à
plusieurs reprises, lors de diverses concerts.
- Comment vis-tu ton chant?
- Je vis le chant comme je ressens la vie et celle de mes amis.
L'état de mes amis m'influence plus que mon état personnel...
- Te considères- tu comme anti conformiste
dans ton art?
- Oui, je le suis très souvent et plusieurs jours de la semaine.
- Depuis quand ta vie est-elle liée au Flamenco et au
cante plus particulièrement?
- Quand j'étais petit, mon premier travail fut de chanter, puis
je suis venu à Madrid pour travailler dans cette ville et c'est
là bas que je suis devenu professionnel.
- Tu chantais aussi dans les églises, n'est-ce pas?
- Oui, je le faisais en parallèle de ma carrière artistique.
J'ai une double personnalité...
- Tu as une large discographie dans laquelle on remarque ta
profonde connaissance de la tradition Flamenca ainsi que ton
ouverture sur d'autres styles de chants et de registres
musicaux. Cette recherche constante de sonorités nouvelles,
est-ce une nécessité pour toi?
- Oui, l'inquiétude de la création, je l'ai toujours eu. J'ai
toujours cherché à en savoir un peu plus, et le travail au
quotidien, c'est aussi très important pour moi. Quand je prépare
un concert, j'ai toujours le souhait que celui-ci sera différent
de celui d'avant.
- Ton besoin de mener des recherches dans divers registres
musicaux signifie-t-il que la tradition Flamenca n'est pas assez
riche?
- La tradition Flamenca est très riche et mes recherches se
situent surtout dans la tradition et chez les classiques. Le
reste est un peu annexe. J'ai dédiée ma vie au chant classique,
au cante jondo et ma recherche se situe par dessus tout
dans ce domaine. Tout le reste, ce sont des créations naturelles
du moment, réalisées au jour le jour.
- Tu restes ouvert à tout type d'influences dans ta création,
n'est-ce pas?
- Oui, je suis ouvert à tout ce qui est bon. J'écoute, je vois,
je vis...
- Penses-tu que le Flamenco vit une bonne période, actuellement?
- Oui, je pense qu'il vit une période favorable(...) Il y a
beaucoup de très bons professionnels constitués de jeunes qui
ont beaucoup de capacités artistiques.
- Tu es l'un des premiers cantaores à interpréter les
letras des grands poètes. Quels sont ceux que tu préfères,
par dessus tout?
- Pour que je chante ces letras, elles doivent me plaire,
sinon je ne peux pas les chanter, néanmoins, parmi les poètes
qui ont marqué ma sensibilité, il y a Federico Garcia Lorca et
Miguel Hernandez. Ce sont les poètes que j'ai le plus ét udié,
lu, et qui m'ont le plus servi pour créer.
- D'où vient le projet de
création de ton nouvel album 'Flamenco en directo'?
- J'avais plusieurs cassettes de mes enregistrements passés,
dans ma cuisine, mélangées aux pommes de terre et autres légumes...je suis
terriblement désordonné. On m'a donné la bonne idée de rassembler
ces enregistrements pour en faire un disque. J'aurais pu faire 3 albums
mais, comme certains enregistrements étaient détériorés, j'ai du
faire un choix...je sortirai probablement un deuxième album
prochainement, sur ce même concept, puis je passerai à autre
chose.
- Comment as-tu choisi les thèmes de cet album?
- Ce sont tous des chants issus du cante jondo classique avec mon
interprétation personnelle. La 'Nana de Oriente' est une de mes
créations. C'est le seul thème enregistré en studio. J'ai été inspiré par les enfants d'Orient actuels,
victimes de la guerre. Ils chantent pour leur mère.
- Dans cette chanson, nous entendons pour la première fois ta
fille Solea...
- Oui, mais elle chante depuis sa plus tendre enfance, comme sa
sœur. Elle chantait et dansait comme sa sœur et, du fait qu'elle a
étudié à l'université et qu'elle a terminé sa formation, je
crois qu'elle veut chanter maintenant.
- Pour toi, quelle différence y a t-il entre le fait
d'enregistrer en direct et enregistrer en studio?
- C'est réellement très différent. Je n'avais jamais sorti de
disque en direct, auparavant, et l'expression change car le
studio pousse à la création et le direct favorise
l'expression.
- Il y a des artistes qui préfèrent enregistrer en direct...
- Oui, mais quand tu es dans un studio d'enregistrement, la part
du direct est petite. Auparavant, les premiers directs réalisés
en studio étaient comme les directs en public car
l'enregistrement se faisait en une seule fois. Recommencer 20
fois en studio fait que ce direct devient relatif. En fait, la grande
différence c'est que, quand on enregistre en studio, le pub lic n'est pas là...
- Quand tu chantes devant un public, penses-tu que cela change
ton cante?
- Oui, cela change l'expression de l'artiste et on doit faire
certaines choses qu'on ne fait pas en studio comme le fait de se
peigner beaucoup mieux les cheveux. De plus, il y a une chaleur
et une âme quand le public est là. Mais le travail en studio ne
doit pas être dévalorisé. Il y a des gens qui considèrent que
c'est de la musique en 'boite de conserve'. Moi, je considère
que les deux formes sont aussi importantes l'une que l'autre et
il faut les respecter tout autant.
- Pourrais-tu nous en dire plus sur le prochain album que tu
envisages de sortir?
- Oui, tout d'abord j'essaye de convaincre Fernando Crespo, le
directeur artistique d'Universal Music Spain, pour sortir
ce nouvel album car la crise de la vente discographique touche
aussi le Flamenco. Cet album sera basé sur mes enregistrements
passés, donc il sera fait sur le même concept que 'Flamenco en
directo'.
- Ces enregistrements datent de
quelle période?
- Certains ont une dizaine d'années, d'autres sont antérieurs.
Il y a une grande partie de ma vie dans 'Flamenco en directo' et
dans le prochain album; pour qu'on ne devine pas mon âge, dans
le prochain album, je ne mettrai pas la date d'enregistrement de
chaque thème...
- Quel sera le contenu du prochain album?
- Il y aura donc des enregistrements en direct réalisés il y a
plusieurs années ainsi qu'un thème enregistré en studio 'Nana de
la cebolla', poème emblématique de Miguel Hernandez. Je
l'avais déjà interprété il y a plusieurs années dans un album en
hommage à Miguel Hernandez. J'ai repris ce thème et je l'ai
enregistré à nouveau.
- Nous avons hâte de
découvrir ce nouvel album et en attendant, nous écoutons avec
grand plaisir Flamenco en directo, que nous recommandons
vivement. Merci Enrique et à très bientôt.
- Merci à toi...

Visiter le site Web d'Enrique
Morente:
www.enriquemorente.com
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Remerciements à Fernando Crespo et François
Arveiller d'Universal Music
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