Miguel Poveda nous envoute
avec sa voix tout au long des 18 coplas de son nouveau double
album 'Coplas del querer', opus qui a été encensé à juste
titre par la critique. Nous avons retrouvé Miguel Poveda lors de
sa tournée en France, lors de son récent passage à Paris et cela
pour notre plus grand plaisir:
- Miguel Poveda, tu es né à Barcelone et tu as grandi là bas. Ta
carrière artistique s'est-elle déroulée là bas aussi?
- Oui, j'ai commencé à Badalona, un quartier situé à la
périphérie de Barcelone. A Badalona il y a beaucoup de peñas
Flamencas, comme dans d'autres endroits à Barcelone. C'est là que je pouvais chanter, apprendre et rencontrer des
Flamencos.
Puis, j'ai commencé à chanter dans les tablaos Flamencos de
Barcelone, comme le tablao 'El Cordobes' ou celui de
'Carmen'.
- Le Flamenco est donc très présent en catalogne, n'est-ce pas?
- oui, comme à Nîmes...
- On dit que le berceau du Flamenco c'est l'Andalousie, qu'en
penses-tu?
- Bien sur, l'Andalousie, c'est là que tout se
forme dans le Flamenco. La Catalogne est devenue Flamenca car elle reçoit
beaucoup d'immigrés d'Andalousie et parce que les catalans
aiment le Flamenco.
- Maintenant tu vis à Séville. Pourquoi as-tu choisi cette
ville?
- Cela fait 7 ans que je vis à Séville. Je suis tombé
amoureux de Séville. C'est une ville très commode où le temps,
le rythme et les individus sont plus lents. Elle a ses défauts comme
toutes les villes mais une des raisons qui m'ont fait rester là
bas c'est le fait d'être en contact avec des personnes,
d'avoir du temps pour les voir, prendre un café. Jaime aussi
la chaleur humaine qu'il y a dans cette ville. J'ai beaucoup
d'amis à Séville.
- Gardes-tu un contact avec Barcelone?
- Oui bien sur, je suis né là bas, j'y ai grandi, j'ai des
milliers de souvenirs puisque j'y ai vécu jusqu'à 30 ans. Mes
parents résident en catalogne, mais cousins aussi, et j'ai un
attrait pour la musique catalane. On peut dire que Barcelone est
mon père et que Séville est ma mère, ou vice versa. On aime
autant son père que sa mère...
- D'où vient ton aficion pour le Flamenco?
- A la maison ma mère écoutait beaucoup de Flamenco. Elle vient
d'un village tout proche de Cordoba. Mes grands-parents étaient
aussi des aficionados au F lamenco et à la copla. Ma mère
rapporta cette musique lorsqu'elle immigra en catalogne. Ma mère
visitait les peñas Flamencas, un frère de ma mère chantait en
amateur et un cousin jouait de la guitare. De plus, dans le
quartier où j'habitais, j'écoutais le Flamenco qu'on entendait
par les
fenêtres des maisons.
- La critique te situe comme un des chanteurs les plus
importants de ta génération. Comment vis-tu ce succès?
- Bien sur que j'aime que la critique soit positive à mon égard
mais je ne suis pas dépendant de cela. S'il y
des propos négatifs à mon sujet, j'essaye d'apprendre de cela.
Ma carrière est basée sur ce que je ressens, ma nécessité
personnelle et humaine de communiquer au travers de la musique, de faire du Flamenco le mieux possible,
de montrer de la meilleure manière, au monde, la musique
que j'aime profondément, pour que le monde tombe amoureux de ma
musique plus que de moi même. Il est clair que je mène une
carrière artistique depuis plusieurs années et que si l'on me
situe à cette place actuellement, c'est que j'ai aussi beaucoup
travaillé. J'ai beaucoup d'amis qui sont des chanteurs jeunes et
qui chantent très bien et dont j'apprends beaucoup. J'ai la
chance d'être très bien accompagné.
- Tu as reçu des récompenses importantes dans ta carrière
artistique. Penses-tu comme Pablo Picasso que la gloire est la
pire des choses qui puisse arriver à un artiste qui souhaite évoluer?
- En effet, j'ai reçu de nombreux prix et,
récemment, le Premio Nacional de musique en Espagne,
le Premio de la musique du meilleur disque de l'année. Recevoir
tous ces prix, cela me plait. C'est un peu comme un cycliste à
qui on donne de l'eau ou une tape sur l'épaule pour
l'encourager, quand il a franchi une étape et qu'il poursuit son
objectif d'arriver au bout de la course. Cela l'encourage. Donc,
en ce qui me concerne, je n'ai pas le problème de Picasso...
- Que souhaiterais-tu nous
dire à propos de ton nouvel album 'Coplas del querer'? Dans cet opus, tu rends un hommage aux poètes
espagnols classiques, n'est-ce pas?
- En fait, il s'agit plus d'auteurs que de poètes. Ces auteurs
écrivent de très belles chansons qui apportent beaucoup à la
musique andalouse. Parmi tous ces auteurs, il y en a un,
Rafael de León qui, en plus d'être auteur
de chansons, était un très grand poète. Je l'apprécie beaucoup.
Il était très ami avec Federico Garcia Lorca. Je revendique le
genre de la copla car, au travers tout ce répertoire, il y en a
qui sont à la hauteur d'autres genres comme le Tango arge ntin,
le Bolero ou comme la chanson française. Ce sont des musiques
populaires.
- Que racontent-elles?
- Ce sont des chansons qui parlent du quotidien,
de l'amour, du désamour au travers un ressenti très espagnol.
C'est pour cela que je l'ai appelé 'Coplas del Querer'.
En général, les coplas racontent aussi la fête des
taureaux, l'Espagne, le peuple ou certaines personnes. J'ai
essayé d'enlever les clichés liés à ces coplas en
parlant non seulement de la fête des taureaux, de l'Espagne,
mais j'ai voulu aussi chanter l'amour au son des coplas.
Il y a beaucoup de chansons que je connais depuis ma plus
tendre enfance et comme il y en a beaucoup qui me plaisent, cela
fut très dur d'en choisir seulement 10. J'ai donc décidé de
faire un double album pour ne pas renoncer à trop de chansons.
- Il y a différentes influences musicales dans cet album,
n'est-ce pas?
- Oui, il y a beaucoup de sons différents, et par dessus tout
des sonorités jazz et méditerranéennes et du Flamenco bien sur
car c'est mon registre musical. J'ai choisi tout ce
répertoire de chansons andalouses car j'apprécie vraiment ce
genre qui est jeune; il a peine 100 ans. Il a été très
maltraité, car il fut dévalorisé par le franquisme en Espagne
bien que les grandes figures de ce genre continuaient à le
revendiquer et à le chanter. Donc il a acquis une connotation
très politique. Être coplero ou chanter la copla, c'était très
mal vu. Heureusement, avec le temps, les choses se sont
arrangées. Dans cet album, je revendique l'aspect artistique du
répertoire de la copla et je lui donne une forme plus actuelle.
- Parmi les musiciens qui
participent à cet album, il y a le guitariste Chicuelo. Tu travailles depuis
longtemps avec lui, n'est-ce pas?
- Oui, nous nous connaissons bien ainsi que Joan
Albert Amargós qui participe aussi dans ce disque. Nous
savons comment chacun fonctionne en studio ou lors des concerts,
en direct. C'est agréable de travailler ensemble car nous allons
dans la même direction. Avec les années, j'ai eu la chance de
former mon équipe avec laquelle je suis en phase et c'est pour
cela que nous continuons à faire de bonnes choses ensemble.
- Pour mettre la musique sur
les chansons, comment as-tu procédé?
- Les musiques étaient déjà faites puisque
Concha Piquer, Miguel Molina, Carlos Cano et d'autres les
avaient déjà chantées. J'ai seulement fait des arrangements
différents. Au lieu d'avoir un grand orchestre, nous avons
travaillé avec un quintet, sur des sonoritées jazzy et dans
d'autres moments, avec une formation Flamenca de guitare, voix
et palmas.
- Quel regard portes-tu sur
ton travail?
- Je le fais avec beaucoup de passion, beaucoup
d'amour et de dévouement sinon je n'aurais jamais poursuivi ma
carrière artistique puisque tout les éléments étaient en ma
défaveur: catalan, payo, de Badalona, et quand je voyais
tous ces grands chanteurs comme La Paquera de Jerez ou
Chocolate qui étaient au devant de la scène, la concurrence
était rude. Si je devais émettre une critique à propos de mon
travail, c'est qu'on ne peut obtenir dans un disque le même
résultat qu'en direct, je pense d'ailleurs que c'est le cas de
tout le monde. Le disque peut être parfait, t'émouvoir bien sur,
mais l'émotion du direct, aucun disque ne peut la restituer, pas
même un album enregistré en direct. Cette magie que l'on ressent
lorsqu'on est dans un théâtre, cette émotion de toucher la
musique avec les mains, d'avoir ses musiciens à côté, cela ne
retrouve pas dans un disque. Si tu mettais un disque chez toi et
que tu ressentais les mêmes sensations que si tu étais dans un
théâtre, lors d'un concert, ce serait merveilleux.
- Il est important de voir
l'artiste sur scène...
- Oui, les disques te donnent une référence sur
ce qu'est un artiste, mais dans certains cas, quand tu vois
l'artiste en direct, il peut être pire que sur le disque.
C'est pour toutes ces raisons que je ne veux pas enregistrer
d'album que je ne puisse chanter ensuite en direct. Juan
Albert Amargo était très clair aussi sur ce point. Quand
nous avons réalisé l'enregistrement, les musiciens étaient les
mêmes que ceux qui allaient m'accompagner sur scène, en direct.
- As-tu travaillé ta voix?
- Ma voix s'est façonnée d'elle même avec le
travail continuel, mais je n'ai jamais pris de cours de chant.
J'ai appris en chantant et en écoutant les autres chanter. Le
chant est l'expression de l'être humain.
- Ta collaboration avec
plusieurs cinéastes, pourrais-tu nous en parler?
- Le fait que la musique Flamenca apparaisse dans
le 7ème art sous la forme de bandes sonores avec des
directeurs aussi importants que Pedro Almodovar,
Carlos Saura ou le français Nicolas Klautz, cela me
plait beaucoup. De plus, ces films sont projetés partout dans le
monde et touchent donc un autre style de public ; cela induit
une diffusion plus large du Flamenco.
- Le Flamenco, qu'est ce que
cela t'apporte intérieurement?
- Pour moi, le Flamenco est un peu une
thérapie...ne serait-ce que par le fait que les letras de tous
ces auteurs contiennent beaucoup d'expériences de vie. De plus,
chanter
devant beaucoup de personnes, et exprimer beaucoup de
sentiments, communiquer au travers le chant, la musique, cela
procure un véritable soulagement.
- Comment perçois-tu le
Flamenco actuel?
- Il n'y a peut-être pas autant de
grandes figures qu'avant, mais les artistes d'aujourd'hui
apportent de bonnes choses et rénovent le Flamenco, ce qui lui
permet de continuer à exister, évoluer, de se nourrir d'autres
musiques, d'autres cultures.
- Merci Miguel pour ce très
bon moment passé en ta compagnie, et à très bientôt...

Visiter le site Web de Miguel Poveda:
http://miguelpoveda.com
Ecouter des extraits sonores de l'abum
'Coplas del querer'
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