
A l'occasion de la
sortie de son nouvel album 'El sentido del aire', Juan
Carmona s'est produit sur la scène de
l'Européen, à Paris, faisant salle comble. Après son magnifique
concert, Juan nous a accordé l' entretien qui suit:
- Juan, 3 années ont passées avant la sortie de ton nouvel album
'El sentido del aire'.
Qu'est-ce qui a motivé la création de cet
opus?
- Après avoir réalisé 'Orillas', un disque basé sur la
rencontre avec la musique du Maghreb et la 'Sinfonia Flamenca'
qui
est plus une rencontre avec un orchestre classique, j'avais
envie de retourner à ce que je suis, car je n'ai jamais cessé et
je serai toute ma vie un guitariste Flamenco.
Après avoir réalisé ces deux albums, j'avais envie de revenir à
un album Flamenco de guitare. Si j'ai pris le temps de le faire,
c'est parce que je souhaitais revenir à un travail à la hauteur de
'Borboreo'.
Cet album a beaucoup plu dans le milieu du Flamenco et il a
beaucoup marqué. C'était une responsabilité et un poids pour
moi, à l'époque où je vivais à Jerez. J'ai eu besoin de prendre
le temps pour composer mon nouvel album.
- 'El sentido del aire', pourquoi avoir choisi ce titre?
- En fait dans 'El Sentido del aire', il y a un jeu de mots.
'Sentido del aire', cela peut être le sens de l'air et
c'est aussi le 'feeling' en Flamenco. J'ai porté beaucoup
d'attention au rythme lors de l'élaboration de ce disque. Il y a
eu plusieurs périodes dans le Flamenco. Auparavant, il fallait
avoir une super technique pour être un super guitariste
Flamenco, plus tard, il fallait avoir beaucoup d'harmonies pour
se faire remarquer dans le milieu et aujourd'hui, c'est le
rythme qui prime, c'est dans l'air du temps. Les jeunes sont à
l'affut des rythmes du Flamenco. Ce titre exprime tout cela
et j'exprime aussi l'orientation que je veux donner à ce
travail.
- Dans ce nouvel album, tu reviens à l'essence du Flamenco,
n'est-ce pas?
- Oui, l'essence du Flamenco qui est caractérisée par le
compas,
el aire et le soniquete...
- Cet album est produit par Juan José Suarez 'Paquete'. Pourquoi
as-tu fait ce choix?
- Paquete , qui est le
fils de Ramón 'El Portugués' est le directeur artistique de ce
disque. Il est aussi à l'origine de la 'Barbaria
del sur' qui faisait partie à l'époque de Ketama, des
révolutionnaires du Flamenco. J'ai choisi ce producteur car
c'est quelqu'un qui a une grande connaissance de la
tradition du Flamenco tout en ayant une grande ouverture
d'esprit. Il faut savoir que Paquete est à l'origine de projets
comme les albums d'El Cigala est de ceux de Tomatito. Pour moi,
c'est important d'aller vers quelqu'un comme lui.
- Pourrais-tu nous commenter chaque thème de ton album? il
débute par un tango, n'est-ce pas?
- Oui, le premier thème est un tango Flamenco qui donne le titre
de l'album. Dans ce thème, ce qui est très important c'est la essencia Flamenca mais avec un touche de modernité. Cette touche
de modernité a été amenée par le son, par les harmonies et le soniquete. Dans ce thème,
Paquete joue la mandole. Le deuxième
thème 'La estrella que me guia' est une Buleria. J'ai fait
un gros travail car je l'ai vraiment pensé pour deux guitares.
Chaque falseta a été construite de manière à ce que la 2ème
guitare puisse répondre ou avoir un rôle aussi important que la
première. C'est pour cette raison que c'est moi même qui fait
les deux guitares. C'est un morceau où j'ai invité El Piculabé,
un chanteur que je souhaitais inviter depuis longtemps. Il
chante très bien et je l'aime beaucoup. Il a fait une letra dont
tout le monde parle. Il y a aussi l'apport de mes amis de Jerez
puisqu'il y a El Grilo, El Lua, Carlos Grilo. Il y a aussi
Montse Cortes, dont j'aime beaucoup la voix. Le 3ème thème
'Camino de la memoria' est une
Minera. Je l'avais composée il y a longtemps et j'avais envie de
la revoir et de l'approfondir. J'avais été marqué par l'époque
où je me suis présenté au concours de La Union dans les Cantes
de La Mina et j'en garde un souvenir assez fort. J'avais écouté
Encarna Fernandez qui est une grande chanteuse de la Union. La
voix de cette femme m'a beaucoup inspiré. Je termine la Minera
d'une manière un peu particulière, a compas 4 pour 4, presque
por Buleria où je fais intervenir des gens comme Bernardo Parilla au
violon et tous les gens de Jerez. Paquete est là aussi. Il était
important pour moi d'effectuer ce changement et de terminer
cette Minera d'une manière plus festive.
- Ensuite il y a 'La Gachi'...
- Oui, 'La Gachi', les gens savent ce que c'est. J'ai simplement
voulu mettre une pointe d'humour, c'est un thème un peu plus
léger. C'est une Rumba Flamenca que j'ai beaucoup harmonisée,
avec des consonances brésiliennes, parfois accompagnée d'un
excellent bassiste, Michel Alibo. Le thème suivant, 'Soleariyas',
je l'ai composé avec beaucoup d'intérêt, en voulant changer un
peu les codes de la Solea. Tout le monde la joue en mi ou
en la. Harmoniquement, j'ai trouvé une suite d'accords qui me
semble
très intéressante pour la Solea. La rythmique est pensée comme
la Buleria, tout en restant por Solea. A la fin, j'arrive à
mêler la mélodie aux chœurs très Flamencos. Nous avons pris
beaucoup de plaisir à l'enregistrer. Puis, il y a 'Juanelo'. En
fait, Juanelo est un vieux chanteur de jerez qui chantait très
bien por Seguiriya et comme c'est une Seguiriya,
il était indéniable
que je devais l'appeler ainsi. Je suis parti sur une Seguiriya
avec un accordage proche de celui de la Rondeña. La profondeur
de la Seguiriya, c'était important de la respecter, tout en lui
apportant une touche de modernité. Le thème suivant c'est 'Brijinda'.
- C'est un titre assez énigmatique...
- En fait, Brijinda est un mot gitan qui se traduit par la
pluie. Quand j'habitais à Jerez, un ami avait écrit un
dictionnaire en Kalo et il m'en avait donné un exemplaire. C'est
de là que je tire certains mots que l'on retrouve dans quelques
thèmes de mes albums. Il faut savoir que j'accorde beaucoup d'importance au
fait de mettre des mots en Kalo dans mes disques. Dans 'Borboreo',
par exemple, il y a un thème qui s'appelle Pepindorio. Cela veut
dire 'Antonio' en Kalo et c'est le nom de mon fils. 'Crayisa', dans
la Sinfonia Flamenca, cela veut dire 'Reine'. J'attache de
l'importance à cette langue car je souhaite qu'elle ne se perde
pas, d'autant plus que mes parents sont gitans. Dans 'Brijinda',
je mets l'accent sur la mélodie en essayant de trouver des
accords profonds. Puis, il y a 'Los Migueletes', qui est une
Buleria dans laquelle j'ai invité Montsé Cortes et
Piraña. Je
finis l'album avec Campañillero et j'ai beaucoup apprécié
de le faire en trio avec Duquende et Chano Dominguez.
Lorsque je leur ai fait cette proposition d'enregistrement, ils ont accepté
immédiatement et comme ils habitent tous les deux à Barcelone,
je suis parti là bas et nous avons enregistré ce thème à
Barcelone.
- As-tu enregistré dans différentes villes pour réaliser cet
album?
- Oui. Quand je cherche des artistes à Barcelone, je vais à
Barcelone, je vais chercher des artistes à Jerez, j'enregistre à
Jerez et cela se passe de la même manière pour les différents artistes.
- Quels sont les thèmes qui te tiennent le plus à cœur?
- J'aime beaucoup le Tangos, la Buleria, mais j'aime beaucoup
aussi la Seguiriya et la ballade aussi, en fait, c'est difficile
de choisir...
- Quelle est la place du cante
dans ta création et dans tes spectacles?
- Le cante, c'est fondamental. je peux paraitre un peu
révolutionnaire pour certains, mais je le répète, je ne suis
qu'un guitariste Flamenco et je le resterai toute ma vie. C'est la
seule chose qui me fait vibrer. Quand je
suis parti pendant une dizaine d'années à Jerez, je n'ai
accompagné que le chant et la danse. J'ai accompagné Agujetas,
Terremoto, El Grilo, El Pipa... ils me voyaient tous comme
un guitariste qui accompagnateur et ils ne savaient pas que
j'étais aussi un compositeur; C'était volontaire de ma part car
j'avais besoin de comprendre comment cela fonctionnait car, pour
moi, l'âme du Flamenco, c'est le chant.
Dans mes spectacles, même si je m'en vais loin du Flamenco, il y
a un cante por seguiriya qui tombe à un moment donné bien
précis. Mon dictionnaire, quand j'étudie chez moi, c'est la Paquera,
Terremoto, El Zambo, Capullo, la Fernanda y Bernarda,
c'est Agujetas... mais comme je vis avec mon époque, j'essaye de
vivre avec elle et avec tout l'acquis que j'ai dans le
Flamenco.
- Cet album
est-il un aboutissement ou est-ce le début d'un nouveau cycle?
- En fait, j'ai presque fini un autre album et après avoir fait
cela, je me demande si c'est le moment de le sortir car ce
travail est assez loin du Flamenco et comme j'ai pris gout à
revenir aux sources du Flamenco, peut-être vais-je réaliser un autre album
Flamenco avant de sortir celui-là...
- Donc tu es toujours en pleine créativité, n'est-ce pas?
- Oui... ce qui est sûr c'est que chaque fois que j'ai fini un
album, je me dis que c'est le dernier, car je suis très fatigué,
mais, 10 jours après, c'est reparti pour de nouveaux projets.
- Tu as conçu ta marque de guitare. Pourquoi?
- Je me suis rendu compte que quelques marques détenaient le
monopole des guitares Flamencas et que ce sont des guitares très
bonnes mais très chères... En dehors de cela, je suis passionné
de lutherie, depuis toujours et j'avais envie de mettre au point
une guitare qui ait une grande qualité sonore et qui soit d'une
grande commodité. Très souvent, les luthiers ne se rendent pas
compte que jouer de la guitare, c'est très difficile et, en
plus, si l'instrument n'est pas commode, cela complique les
choses. J'avais envie d'arranger tout cela et que ma guitare
soit à un prix accessible et pour l'instant, cela se passe bien.
- Utilises-tu la guitare que
tu as conçue quand tu joues?
- Oui, la guitare avec laquelle je jouais ce soir
c'est une des miennes.
- Quelles sont tes prochaines
dates de spectacle?
- Je serai en Italie, à Milan, et à Oslo avec
l'orchestre symphonique d'Oslo, puis je vais à Montréal, puis en
Russie et j'ai encore d'autres dates...
- Merci Juan et à très bientôt

Visiter le site Web de Juan Carmona:
www.juancarmona.com
Ecouter des extraits sonores
de l'album 'El sentido del aire'
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Remerciements à Cendryne Roé et à Julie
Barlatier de Nomad Kultur
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