- Le Festival International
Arte Flamenco de Mont de Marsan s’est terminé, il y a quelques
jours. En tant que Directrice artistique de ce Festival, quelles
sont tes impressions sur cette 26ème édition ?
- Vu les messages que je reçois et les retours
que j’ai, c’était une édition spéciale, voire historique, avec
des moments où le temps a été suspendu et où les spectateurs ont
pu vivre des moments Flamencos qui resteront gravés dans les
mémoires. Cela a été très significatif le soir de la rencontre
entre Manuela Carrasco et Antonio Canales, mais aussi entre El
Pele et Encarna Anillo, quand ils ont chanté ensemble sur scène;
chacun est reparti avec beaucoup d’émotion et des souvenirs pour
toute la vie, d’après les retours que j’ai.
- Certains aficionados fidèles
au Festival affirment que, selon eux, cette édition était la
meilleure. Qu’en penses-tu ?
- Oui, c’est ce qu’on m’a dit aussi. Les
aficionados qui suivent le festival depuis ses débuts m’ont dit
que cette édition était l’une des meilleures, voire la
meilleure. Mais, la programmation seule ne suffit pas. C’est un
ensemble qui fait qu’on touche à un moment donné, à une forme
d’excellence. Tout compte: la ferveur et la passion du public et
aussi de toutes les personnes qui travaillent tout au long de
l’année, les équipes de François Boidron, du Conseil Général,
que ce soit au niveau technique, de la mairie, toutes les
personnes qui mettent du cœur et du sens pour que ce Festival
soit une véritable réussite, cette année, a été véritablement
significative de ce travail là.
- Revenons à ces rencontres
d’artistes. Comment t’es venu l’idée de réunir ces artistes là,
précisément ?
- Je pars toujours de ce que je vois et de ce que
je ressens et, sincèrement, pour le spectacle du mercredi, qui
est un spectacle unique où je voulais marquer la semaine et les
esprits, j’ai tout simplement réfléchi et je me suis demandé
quoi faire pour pouvoir avoir du sens. J’ai cherché du sens.
Dans le Flamenco, on parle toujours des sentiments, de l’âme, de
l’humain. A un moment donné, il faut se pauser les bonnes
questions. Si l’on veut avoir un résultat Flamenco, il faut y
mettre les éléments nécessaires, y compris dans le choix de la
programmation. Il fallait mettre des personnes
avec une âme magnifique, des capacités et une maitrise technique
qui ne sont plus à prouver, mais surtout du sens. Mais le seul
élément qui ait véritablement du sens dans le Flamenco, c’est
bien le cœur. Antonio Canales et Manuela Carrasco, au-delà
d’être des artistes reconnus internationalement et des stars du
Flamenco, sont des véritables amis, des personnes avec un cœur
énorme et avec qui le Festival a une véritable histoire
d’amitié. Un journaliste de la Radio Canal Sur m’a demandé
comment j’arrivais à faire cela. Je lui ai répondu de je ne
faisais rien. Il m’a rétorqué « Tu ne te rends pas compte que ce
qu’ils font, ils le font pour toi! » Je lui ai répondu qu’il
s’agit probablement d’une histoire d’amitié et surtout de
sincérité. Je suis très touchée par le fait que les artistes se
donnent à Mont de Marsan, comme nulle ne part ailleurs, et que
cela continue. Plus nous ferons des programmations avec du sens
et du cœur, plus nous aurons les résultats que nous constatons
déjà.
- Le taux de fréquentation des
spectacles, comment était-il par rapport aux années
précédentes ? La météo n’a pas été très favorable cette année.
Le festival Off en a-t-il pâti ?
- J’attends les résultats précis à ce sujet. Nous
avons une réunion vendredi, et nous aurons tous les résultats.
Logiquement, quand il pleut, ce qui était prévu à l’extérieur ne
pouvait pas fonctionner au mieux. Cependant, en ce qui concerne
le taux de fréquentation dans les salles, comme depuis quelques
années, nous étions complets très rapidement, voire les premiers
jours pour certains spectacles.
- Cette année encore, le
Flamenco était représenté autant dans la ville que dans les
salles de spectacle. L’accès gratuit à plusieurs évènements est
un atout majeur de ce Festival. Vu la conjoncture économique
actuelle, la gratuité des spectacles en extérieur va-t-elle être
reconduite, d’une année sur l’autre ?
- François Boidron est mieux placé que moi pour
répondre à cette question puisque cela concerne les finances du
Festival. A priori, cela sera maintenu. Quoi qu’il en soit, si
l’on devait
faire des économies, effectivement, nous serions obligés d’en
faire quelque part. Cela dit, c’est aussi important pour le
Flamenco que pour les festivaliers de pouvoir assister à des
spectacles gratuits, des initiations gratuites pour les enfants.
Il est important de préciser qu’en parallèle de la programmation
au Café Cantante et à l’espace François Mitterrand, il y a
d’autres activités et de véritables actions mises en place pour
la diffusion du Flamenco en direction aussi du public empêché:
dans les hôpitaux, les prisons. Au-delà des spectacles gratuits,
il y a tout un travail du même niveau pédagogique qu’une école.
Il y a eu des initiations dans les crèches.. C’est énorme et
cela va bien au-delà des spectacles gratuits en extérieur!
Effectivement, il va falloir réfléchir à cela. Pour l’instant,
nous n’y sommes pas encore, et nous espérons, pour le plaisir de
tout le monde
et pour ceux qui ont pu profiter du Festival, que
ça puisse continuer ainsi.
- Actuellement, les artistes
issus de la scène française sont programmés, en général, à la
Bodega. Dans les programmations futures, ces artistes auront-ils
l’espoir de se produire sur la scène du Café Cantante ou sur
celle de l’espace François Mitterrand ?
- Tout d’abord, je tiens à rappeler que certains
artistes français se sont déjà produits sur les grandes scènes
du Festival.
En effet, Ana Perez y déjà dansé et le chanteur Jesus de la
Manuela a fait la fête de clôture avec Pedro el Granaino,
l’année dernière. Concernant les salles avec entrées payantes,
je suis obligée de donner au public, à ceux qui ont acheté leur
entrée, des spectacles qui ne peuvent pas voir en France. Tout
le monde ne peut pas se rendre à la Biennale de Séville, tout le
monde ne peut pas assister aux spectacles au Festival de Jerez!
Donc, je dois aussi proposer des spectacles pour le public qui
ne peut se déplacer sur des festivals internationaux. C’est ce
que je propose dans la programmation, sur la scène du Café Cantante et de l’Espace François Mitterrand.
-
Au-delà des moments forts que tu
as évoqués tout à l’heure, y a –t’il eu d’autres moments
intenses que tu aimerais nous raconter ?
- Oui, il y a eu des jolis moments et de belles
choses tous les soirs. J’ai été très touchée particulièrement
par la rencontre d’Encarnita et d’El Pele. Le duo sur la chanson
« El alma » d’El Pele a été un bon moment aussi. Les jeunes
talents, Selene… Un festival, c’est une vie en raccourci. Il se
passe beaucoup de choses en peu de temps et on multiplie les
liens. Il y a plus de 300 artistes qui viennent! C’est une
histoire de groupe. A chaque nouveau groupe, on vit des choses
différentes; Les professeurs de stages eux, ils se donnent toute
la semaine. Une véritable famille Arte Flamenco se met en place
durant toute cette semaine là. Comme dans la vie, il y a des
bons moments, des moments très forts; quand on doit se séparer,
ce sont des moments plus tristes mais nous avons toujours
l’espoir de nous retrouver l’année suivante.
- Concernant les moins bonnes
surprises, si tu as envies de les évoquer, y a-t’il eu des
difficultés inattendues à surmonter ?
- Là aussi, il faut être très réaliste et vrai.
Bien sur, on ne peut pas gérer un festival de cette envergure
sans qu’il y ait des difficultés, qu’elles soient d’ordre
technique ou dans les rapports humains, car beaucoup de
personnes travaillent ensemble et il faut maintenir un peu tout
cela. C’est un peu comme sur un bateau, il faut un capitaine et,
après, on règle les soucis et on fait en sorte que le bateau
arrive à destination et qu’on ne jette personne à la mer! Et
puis on oublie les difficultés parce que, c’est un peu comme
faire face à des difficultés quelles qu’elles soient, on ne fait
pas d’omelettes sans casser des œufs. L’essentiel est qu’on
avance.
- Chaque année, les artistes
expriment leur gratitude envers ce Festival. Souvent, ils le
disent directement au public, quand ils sont sur la scène, comme
El Pele qui t’a remercié et t’a invitée à venir le rejoindre sur
scène, à la fin de la représentation. Beaucoup disent qu’ils
donnent le meilleur d’eux même lors de cet évènement. Quel est
ton secret pour susciter une telle implication de la part des
artistes?

- Si je le disais, ce ne
serait plus un secret (sourire)… je pense que ça se joue au
premier coup de fil, quand je téléphone à un artiste et que je
lui dis : « Voila, j’ai une idée […] qu’est ce que vous en
pensez ?» Bien sur que la relation que j’ai avec les artistes
doit forcément aider. C’est plus facile de travailler en
relation de confiance, d’amitié, avec des artistes avec lesquels
j’étais liée presque familialement quand je vivais en Espagne.
Forcement, il y a des affinités et une confiance qui favorise
les choses. Nous sommes dans un Festival où c’est l’humain et le
Flamenco qui compte avant tout. Ainsi, quand je fais part des
projets qui semblent peu communs pour certains artistes, quand
je présente l’intérêt que cela peut avoir pour le Flamenco de
faire cela, il y a une forme de confiance et de respect mutuel
qui s’instaurent et qui font qu’ils disent: « Oui, on te suit,
on y va, et on fera tout pour que cela se passe comme tu l’avais
imaginé.» Voila comment ça se passe dans une véritable honnêteté
et une grande liberté. Avant de monter sur scène, je leur dis à
tous et à chacun « La scène est à vous, vous êtes chez vous. »
C’est peut-être cela la phrase magique ! Offrir un Flamenco dans
un monde où le Flamenco devient très cadré, très commercial,
alors que, pour les artistes, ce qui compte avant tout, c’est la
liberté. Ce sont peut-être ces phrases que je dis avant de
monter qui leur donnent envie de se sentir libre et de se
transcender. C’est ce que m’ont dit certains artistes.
- Cette année, Manolo Marin a
donné un Master-class. Il a assisté aussi à tous les spectacles.
Sa présence dans les lieux du Festival, qu’est-ce que cela a
suscité en toi ?
- Quand j’ai téléphoné à Manolo parce que je
voulais qu’il soit l’invité d’honneur du Festival, c’était
important pour moi, car c’est un monsieur chez qui sont passés
les plus grands, il faut le préciser. C’est une référence dans
le monde du Flamenco. Nous sommes un Festival qui sait aussi
reconnaitre la valeur des personnes qui ont fait que le Flamenco
est devenu ce qu’il est. Manolo est une de ces personnes qui ont
donné ses lettres de noblesse au Flamenco. Donc, un festival
comme le nôtre, rendant hommage à une personnalité comme Manolo,
cela me paraissait absolument logique et indispensable. Au-delà
de cela, c’est vrai que le fait de le voir présent dans la
salle, au premier rang, avec un visage toujours rayonnant,
ouvert et avec le sourire, cela m’a plutôt rassurée. Dans le
fait de réaliser une programmation, il y a la projection de mes
gouts personnels, de ma sensibilité. Ce n’est pas évident que
tout le monde ressente la même ch
ose. Bien sur, j’ouvre mon cœur
le plus grand possible pour que tout le monde puisse y trouver
ce dont il a besoin pour satisfaire ses exigences artistiques et
émotionnelles. Néanmoins, j’ai toujours un doute de savoir si
mes choix sont aussi le choix du public. J’avoue que, cette
année, Manolo a été mon baromètre. Quand je percevais son
engouement dès le début du spectacle, je me disais en moi-même :
« Ca va, ça va le faire ! »
-
Pourrais-tu nous donner un avant-gout de la programmation de la
prochaine édition ?
- Après cette édition qu’on qualifie déjà
d’historique, j’ai envie de faire durer le plaisir. L’ingrédient
de la réussite a été de produire de l’inattendu et des
spectacles qu’on ne voit pas ailleurs. Il faut donc que
j’ « oublie » pendant un instant ce qui s’est passé cette année
pour faire place à de nouvelles idées pour l’année prochaine:
Soit de réunir certaines personnes, soit de faire encore des
choses qui aient du sens. Je crois que la véritable clé du
succès, pour qu’il y ait de l’émotion et des sentiments, pour
que le Duende arrive, c’est le fait de présenter des
spectacles qui aient du sens et de la sensibilité. C’est cela
l’objectif. J’ai déjà des noms de personnes que j’avais déjà en
réserve depuis l’année dernière. On va essayer de relever le
défi de ce 26ème Festival pour que le 27ème
soit aussi Historique.
- C’est ce que nous souhaitons
aussi… Merci beaucoup Sandrine pour cette édition que nous
considérons aussi comme étant historique et dans laquelle nous
avons senti, d’une manière palpable, la présence du Duende! A
bientôt !