Depuis plusieurs années que
nous suivons la carrière artistique du talentueux guitariste
Manuel Delgado, nous attendions avec impatience la sortie d'un
album à son nom. C'est chose faite avec "Bellamar", le
magnifique opus que Manuel a enregistré en 2013 et qui sort très
prochainement dans les bacs. Après avoir écouté en boucle cet
album Flamenco qui diffuse une ambiance musicale chaleureuse et intimiste, où mélancolie et
douceur de vivre se mêlent avec raffinement aux senteurs
ibériques et marines, c'est avec beaucoup d'enthousiasme que
nous avons retrouvé Manuel dans un café parisien pour un
entretien qu'il nous a accordé et dont nous vous restituons le
contenu:
- Manuel Delgado,
tu viens d’enregistrer « Bellamar », un premier album à
ton nom. Pourrais-tu nous parler de s
autres albums que tu as faits avant celui-ci ?
- Les albums les plus importants que j’ai faits
avant celui-ci, sont des albums dans lesquels j’ai participé en
tant que compositeur. J’ai fait beaucoup de participations en
tant que guitariste ou des arrangements dans d’autres projets.
En tant que compositeur, j’ai fait trois albums : « Azucena
» (1998), « Crossing Roots », album que j’ai enregistré
en Inde avec un duo de guitares avec le guitariste Ralph
Siedhoff. En 2011, nous avons enregistré un autre album intitulé
« Soleado. » Nous avions rajouté un percussionniste. Cela
m’a apporté des expériences discographiques en tant que
compositeur.
- Ton nouvel album «
Bellamar » a été enregistré en 2013. Quelle est sa date de
sortie ?
- La sortie officielle dans les bacs est le 3
novembre prochain. Il y a déjà un lien vers la sortie numérique:
https://itunes.apple.com/album/bellamar/id923004594
- Qu’est-ce qui est à
l’origine de cet album et qu’est-ce qui a motivé la création de
ce disque ?
- L’idée de cet album a émergé comme une
évidence. Tant que l’on ne ressent pas cette évidence, on ne
pense pas à enregistrer un album. Moi, j’ai toujours aimé
composer. J’ai fait beaucoup de morceaux, quelques thèmes ont un
certain temps, mais je les modifie toujours un petit peu.
D’autres morceaux sont plus récents. A un moment donné, cela
semblait évident que j’avais le matériel pour faire un album à
mon nom, dans lequel je reflète mon univers musical au travers
du Flamenco.
- Cet album, comment a-t-il
été produit ?
- Je suis très fier d’avoir réussi à convaincre
plusieurs sociétés qui investissent régulièrement dans les
enregistrements. J'en suis
extrêmement content. En effet, l’Adami et l’SCPP m’ont aidé
financièrement. Il faut dire aussi que j’ai eu l’aide financière
d’Audiens. Tout cela a permis la réalisation de cet album. En
fait, c’est une autoproduction avec des subventions qui m’ont
permis de faire les choses correctement. Il y a eu aussi une
partie d’investissement personnel car, faire un album, cela
coute cher, mais je suis très content d’avoir bénéficié de l'aide précieuse
de ces entités françaises qui ont apprécié et décidé
que cet objet en valait la peine.
- Le titre « Bellamar », que
signifie-t-il ?
- Bellamar, c’est une forme poétique qui fait
référence à la mer, à l’eau, à la méditerranée, en fait. Je suis
de Barcelone. La présence de la mer a été quelque chose de
fondamental, pour moi, dans mon enfance, et même maintenant,
aujourd’hui. Donc, Bellamar, c’est une façon de dire que l’eau,
la Méditerranée, elle est belle. Cela va au-delà d’un concept
esthétique. Bellamar c’est quelque chose de presque
philosophique.
- Tu dédicaces ce disque à tes
grands-parents, n’est ce pas ?
- Oui, il y a une composition que je dédie à mon
grand-père, car mon grand-père c’était un vrai minier d’Almeria,
dans les années 30. C’était son métier. J’ai entendu parler de
lui toute ma vie. Il est décédé pendant la guerre, en luttant
contre les troupes de Franco et donc, cette image de mon
grand-père a été extrêmement forte pour moi, bien que je ne l’ai
pas connu. J’ai composé une Taranta, style de las Minas, de la
région d’Almeria. Pour moi, c’était un acte très important de
pouvoir dédier cela à mon grand-père, mais aussi à toute ma
famille parce que, finalement, quand on fait des compositions
personnelles, même si c’est dans le monde du Flamenco, c’est
quand-même quelque chose d’intime, de très lié à mon vécu, à ma famille, à mes origines
de Barcelone, de l’Espagne.
-Dans cet album, il y a 10
thèmes constituées de divers palos dont plusieurs
Bulerias, n’est-ce pas ?
- Effectivement, il y a trois Bulerias et
une Solea por Buleria. Ces Bulerias sont très
différentes les unes des autres. Les idées musicales sont aussi
très différentes. La « Solea por Buleria », dans cet
album est très « flamenca », grâce à la participation
fantastique du chanteur Alberto Garcia.
- C’est un album qui, dans
l’ensemble, est très ancré dans la structure du Flamenco…
- Oui, c’est quelque chose que j’ai voulu, que ce
soit un disque de Flamenco et forcément, aujourd’hui, quand on
fait un disque de Flamenco, on est presque obligé de faire un
pont entre ce qui est traditionnel et ce qui est moderne. Si
l’on fait un disque purement traditionnel, cela ne correspond
pas à mon état d’esprit. Si je fais un disque purement moderne,
cela ne correspond pas non plus. Donc, l’objectif, c’est
d’arriver à trouver le lien entre la tradition et la modernité.
- Dans le choix des musiciens
et des instruments, tu as crée une sorte de contemporanéité et
surtout, une belle originalité, déjà par l’utilisation du
bandonéon, du basson et du violon. Comment t’es venue l’idée
d’intégrer ces instruments dans ta musique ?
- Ces choix étaient extrêmement naturels. Je
dirais qu’ils n’ont pas été cherchés, mais qu’ils ont été
trouvés… ce qui n’est pas pareil ! Je les ai trouvés dans des
concerts, dans mes expériences dans les autres formations. La
musicienne qui jour du bandonéon, c’est ma fille. Donc, là,
c’était plus que trouvé ! Je n’ai donc pas cherché à faire un
truc spécial. J’ai trouvé des choses et je les ai utilisées.
- Pourrais-tu nous expliquer
un à un les thèmes qui constituent l’album, « Barrio La Paz »,
le premier thème, par exemple ?
- « Barrio La Paz », c’est tout simplement
le quartier où j’habitais à Barcelone, avec mes parents, pendant
mon enfance. C’était donc un clin d’œil au quartier de
Barcelone, dans lequel j’ai vécu. Le deuxième thème c’est «
Dame Pinga. » C’est un Tango, morceau qui évoque ce
que j’ai vécu au Brésil, lors des tournées
que j’ai faites avec différentes formations. La Pinga
c’est la Cachaza, et je trouvais que c’était évocateur
d’une certaine joie. Pour le Tango, cela tombait très
bien. Après, il y a « El Rompido », un Fandango.
J’ai choisi cela car une de mes premières visites en Andalousie
a été dans la province de Huelva. Là, j’ai connu cette
magnifique plage qui s’appelle « El Rompido. » Ce thème
se réfère à ce lieu. J’ai voulu rendre hommage aux sensations
que j’ai eu le jour où j’ai découvert ce village et cette plage.
Le thème suivant, c’est « Barna Querida. » C’est encore
une allusion à Barcelone parce que nous, à Barcelone, on dit «
Barna », quand on parle de notre ville. C’est un truc
très connu là bas. « Barna Querida », c’est donc «
Barcelona Querida. » Après, il y a « Herrerias. »
C’est le nom du petit village situé dans la province d’Almeria,
village dans lequel ma mère est née et où elle a passé son
enfance. C’est un village entièrement minier, même encore
aujourd’hui. C’est un village incroyable ! « Madera Flamenca
», c’est le thème le plus traditionnel de l’album.. C’est une
Solea por Buleria, avec le chant d’Alberto Garcia. Le terme
« Madera » fait allusion à quelque chose de très profond,
de très classique. Après, il y a « Manantial. » C’est un
Tanguillo que j’ai composé il y a longtemps, que j’ai
fait évoluer et qui a trouvé un aboutissement avec
l’intervention du bandonéon et du basson. Le Tanguillo
est un style joyeux, à la base. Manantial, ça fait
référence à un texte qui accompagne ce morceau qui n’est pas
inclus dans l’album. Dans ce texte, on parle justement d’une
source d’eau, d’une source pure d’inspiration. Le thème suivant,
c’est « Enigma. » C’est le seul morceau de l’album dont
on ne peut lui attribuer une forme Flamenca. C’est une espèce de
déclinaison harmonique dans laquelle, en fait, j’introduis
« Latidos », le thème qui suit. « Latidos », c’est
une Buleria très importante pour moi. « Latidos »
signifie « Battements du cœur. » Ce thème, je l’ai fait beaucoup
évoluer avant l’enregistrement car je voulais donner une place
particulière au violon. Après, il y a « Padentro », une
Solea, plus Flamenco qui puisse y avoir. « Padentro
» signifie « vers dedans », « à l’intérieur. » C’est tout à fait
dans l’esprit de la Solea.
- Dans cet album, l’ambiance
est intimiste et chaleureuse. Dans ta manière de jouer de la
guitare et d’exprimer le Flamenco, il y a quelque chose de très
émouvant. Pourrais-tu nous parler de ta vision du Flamenco.
A-t-elle changée depuis que tu as enregistré cet album ?
- Le Flamenco, pour moi, c’est une histoire sans
fin. A chaque moment, on ressent le besoin d’une évolution car
il y a une tradition très forte, derrière. Actuellement, nous
percevons des artistes et des musiciens Flamencos
extraordinaires, dans cette génération. Chaque fois, cela
m’incite à aller toujours plus loin. L’évolution n’a pas de fin.
La seule chose dont on est obligé, qu’and on enregistre un
album, c’est de donner une forme définitive, qui ne le restera
pas, par la suite. En tant que guitariste Flamenco, mon
évolution consiste d’être toujours en recherche d’autre chose.
Cet album me permet aussi de faire le point et de tourner une
page.
- Parle-nous, s’il te plait,
des musiciens que tu as réunis pour l’enregistrement de ce
disque et des raisons pour lesquelles tu les as choisis…
- Je les ai choisis car ils ont été enthousiastes
lorsque je les ai sollicités et qu’ils aiment jouer dans ce
projet. On doit mettre en avant Stephen Bedrossian qui m’a
épaulé d ans
ce projet, qui m’a toujours soutenu et qui a cru, dès le départ,
à cet album. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble à
répéter et à trouver des choses. Pourtant, ce n’était pas
évident au début, avec la contrebasse. Nous avons trouvé des
choses très intéressantes, avec lui. Notre collaboration va sans
doute continuer, dans les prochaines années. Il y a aussi Cedric
Diot, qui est un excellent percussionniste et aussi guitariste.
Il s’est donné de tout son cœur dans ce projet. Quant au
chanteur Alberto Garcia, j’ai une véritable admiration pour lui
et je suis heureux qu’il soit présent dans cet enregistrement.
Il y a aussi ma fille Carmela. C’est une satisfaction énorme
pour moi de l’inclure dans cet album. Mais il a fallu beaucoup
travailler. Il est vrai que je compose pour la guitare mais je
suis loin d’être un compositeur au sens « noble » du terme. J’ai
du faire une expérience empirique avec les instruments pour
arriver à composer une musique qui me plaise. Donc, avec
Carmela, il a fallu chercher le lien et même si c’est ma fille,
cela n’a pas été évident. Sophie Bernado, c’est une trouvaille.
En effet, trouver quelqu’un qui joue d’un instrument aussi
classique que le basson et qui arrive à lui donner des accents
aussi improvisateurs et aussi inspirés, c’est exceptionnel !
Cette musicienne a une manière de jouer du basson d’une
manière extrêmement créative et inspirée en même temps. Elle est
issue d’une école classique, ce qui fait qu’elle a une perfectio n
dans le son, une musicalité extraordinaire. Il y a aussi Zied
Zouari. J’adore sa manière de jouer du violon ! Il est très
inspiré et il a une capacité d’improvisation hors du commun tout
en gardant une véritable rigueur. C’est donc un excellent
violoniste ! Il faut dire aussi que tous les artistes qui sont
là, dans cet album, ce sont des gens avec lesquels je me sens à
l’aise dans les enregistrements, dans les concerts, quand on est
en tournée. L’aspect humain, c’est important! Nous savons que
nous pouvons aller partout ensemble et que cela se passera
toujours bien, entre nous aussi. Il y a aussi un autre musicien
que je souhaite signaler : il s’agit de Dani Barba. C’est un
excellent guitariste de Flamenco qui m’a fait le plaisir de
venir jouer des palmas. Les palmas, c’est plus
difficile que cela puisse paraitre et c’est important dans le
Flamenco. Dani est un guitariste d’Arcos de la Frontera (Cadiz,
Espagne). J’adore sa manière de jouer, d’ailleurs nous jouons
ensemble dans d’autres projets. Je suis sure qu’on entendra
parler de lui dans les prochaines années. Il est donc venu avec
toute sa générosité pour nous accompagner aux
palmas.
- Quelles sont les prochaines
dates de concert pour présenter cet album au public ?
- La date importante, c’est le 20 novembre
prochain á 20h30 au Studio de l’Ermitage, à Paris 20ème. Lors
de ce concert, il y aura tous les artistes qui ont participé à
l’enregistrement de l’album. Il y aura aussi la participation de
2 chanteurs : Alberto Garcia et Cécile Evrot et d’une danseuse
et pas des moindres puisqu'il s'agit d' Alejandra Gonzalez...
- En effet ! Merci beaucoup
Manuel pour ton magnifique album et à très bientôt !
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