
Alors que nous avions eu le
bonheur de voir danser Juana Amaya, dans le spectacle "Gala
Flamenca", lors de la 29 ème édition du Festival International
Arte Flamenco de Mont de Marsan, samedi 8 juillet 2017, le
destin nous a ramené auprès de la grande dame du Flamenco,
quelques semaines après. Cette fois-ci, c'est à Paris que nous
avons eu l'immense joie de passer un moment en sa
compagnie, lors d'un entretien qu'elle nous a accordé, à deux
pas du studio Rockland, lieu où elle donne un stage de Flamenco,
organisé par l'association "La rose Flamenca" de Cristina
Magdalena:
- Juana Amaya, nous avons eu
le bonheur de te voir danser récemment, dans le Gala Flamenca,
lors de la 29 ème édition Festival International Arte Flamenco
de Mont de Marsan. Pourrais-tu nous parler de ce spectacle et la
manière dont tu as-tu vécu ce moment exceptionnel?
- Gala Flamenca est un spectacle qui a été
présenté tout d'abord à Londres puis, nous avons fait une
tournée aux Etats Unis: New York et Miami. Nous nous sommes
produits également à la Suma Flamenca. Le Directeur Miguel
Marin m'avait proposé de participer à cette création car
il voulait y réunir toutes
les tonalités possibles du Flamenco, ainsi que des artistes
d'âges différents. J'y apporte une touche de Flamenco
traditionnel et Gitan. Au Festival Arte Flamenco, j'ai passé un
très bon moment sur la scène montoise.

- Il y a eu des moments
très forts et inoubliables lors de ce spectacle, comme par
exemple ton duo avec la chanteuse Herminia Borja.
- Ce passage auquel tu fais allusion, c'est un
baile por Tangos qui a été élaboré mais qui laisse
une grande part à l'improvisation, à l'envie qui surgit à ce
moment précis. Ce passage du spectacle est très fort et très
étrange pour moi aussi car je l'ai vécu comme une sorte d'explosion
d'émotions
entre Herminia et moi. Ces "letras" d'amour et de désamour
qu'elle chante et qui te
portent, t'empoignent profondément et te font sortir les
tripes!
- Pour le public aussi,
c'était vraiment magique!
Depuis plusieurs années, tu
dispenses des stages de danse Flamenca au sein de l'Ecole
de danse de Cristina Magdalena, à Paris. Actuellement, tu es à
Paris, pour cette raison, n'est-ce pas?
- Oui, pour moi, l'école de Cristina, c'est comme
ma deuxième école. Je navigue entre mon école à Séville et son
école à Paris. Les élèves que je fais travailler ici sont
assidus et reviennent chaque année à mes stages. J'ai le plaisir
de voir leur évolution d'une manière concrète. Cela fait
maintenant 7 ans que je viens, et cela pendant deux mois.
- Dans ta biographie, tu
apparais sous le nom de Juana Maria Gomez. Juana Amaya est
ton nom d'artiste. D'où provient-il?
- Mon arrière grand-mère s'appelait Francisca
Amaya Flores. C'était la sœur de Diego Amaya Flores "Diego del
Gastor", le légendaire guitariste Flamenco traditionnel. Ma
grand-mère s'appelait Francisca Amaya Amaya, ma mère Juana
Garcia Amaya, et moi j'ai perdu ce nom car il y a eu beaucoup de
générations de femmes. Ce nom, même si je ne l'indique pas dans
ma signature, je le porte dans mon sang. Ma grand-mère me disait
souvent, avec une pointe d'humour: " Juana, je te transmets mon
nom Amaya, mais si tu arrêtes la danse, tu devras me rendre ce
nom!"
- Tu es née à Moron de la
Frontera. Que souhaiterais tu nous dire au sujet de ta terre
natale?
- Moron de la Frontera est une ville proche de
Séville et d'Utrera. Moron de la Frontera a vu naitre
beaucoup de guitaristes. C'est aussi une terre de chaux et de
champ d'oliviers. De plus, elle a toujours très bien accueilli
ceux qui viennent d'ailleurs, tout comme mes oncles Diego del
Gastor, Luis Joselero. C'est une ville très ouverte! C'est
aussi une ville légendaire qui a eu son âge d'or dans les années
1960. Quand il n'y avait pas encore internet, beaucoup
d'étrangers venaient à Moron de la Frontera pour trouver le
Flamenco.
- Qu'est ce qui t'a amené à
danser le Flamenco?
- Moron de la Frontera est très imprégné
par le Flamenco, en général. J'ai la chance d'être issue d'une
famille Gitane qui a une histoire de guitare, d'art. Pour la
danse, je pense que je suis la pionnière dans ma famille à être
une artiste, en tant que femme, car tous les autres étaient des
hommes. On m'a raconté que, quand j'étais petite, ma cousine
allait s'amuser tandis que moi, je me mettais à danser comme mon
cousin Ramón Barrull, un bon danseur qui est décédé jeune, paix
à son âme. J'ai commencé à apprendre à danser à la maison. Puis,
à partir de 9 ans, j'ai commencé à danser dans les peñas, dans
les casetas. Le danseur et chorégraphe Mario Maya venait chaque
année à Moron de la Frontera. Il me vit danser dans une "caseta"
de Feria, pour la première fois, quand j'avais 9 ans. Je l'avais
impressionné à tel point qu'il demandait de mes nouvelles chaque
fois qu'il repassait dans notre ville. A 14 ans, il m'a engagé
pour être sa partenaire artistique. Cela a donné un véritable élan à
ma carrière artistique. A partir de ce moment là, j'ai voyagé et
découvert les théâtres. La première fois que je suis partie à
l'étranger, j'avais 14 ans. Je suis venue à Paris, au Théâtre
Carré Sylvia Montfort. C'était mon premier spectacle sur la
scène d'un théâtre: je m'en souviendrai toujours!
- Qui ont été tes maitres?
- Je citerai Ramón Barrull et Pepe Rio Amaya.
- Qu'est-ce qui caractérise la
danse Flamenca de Moron de la Frontera?
- La danse de Moron se distingue par la force et
par une sensibilité différente d'ailleurs.
- Ta manière de danser
est-elle influencée par ta terre natale?
- Probablement, mais, avant tout, j'ai appris à
danser chez moi. A cette époque, il n'y avait pas d'écoles de
danse. J'ai forgé mon style au contact d'autres artistes et de
maestros. En travaillant avec tant d'artistes différents et de
personnes si généreuses, j'ai évolué et j'ai élaboré ma propre
technique. C'est ce qui fait la différence entre mon
apprentissage et la manière actuelle de se former à la danse.
- Ta manière de danser est
très Gitane: pleine de force, d'expression et de pureté. C'est
ce qu'on admire dans ta danse.
- Merci Beaucoup...
- D'où provient cette force?
Se passe-t-il quelque chose de spécial sur scène, quand tu
danses, pour dégager cette puissance étonnante?
- Je ne sais pas réellement. Mais une chose est
sure c'est que chaque fois que j'entre sur une scène, c'est
comme si je pénétrais dans une autre dimension. Le passage sur
scène m'amène à me déconnecter du monde extérieur. Cette force vient de dieu
et de mon nom Amaya, qui provient d'une forte tradition. Ce nom
qui est inscrit dans mes gènes a été porté par plusieurs femmes
danseuses dotées de beaucoup de force et de beaucoup de
caractère. On pense bien évidemment à la danseuse Carmen
Amaya...
-
Oui, bien sur! Carmen Amaya est-elle un exemple pour toi?
- En effet, elle a été un véritable exemple. Je
l'ai vue dans le film "Los Tarantos". Quand je l'ai vu danser,
elle m'a beaucoup marquée et impressionnée. C'est une femme et
une danseuse authentique, et cela, le public le ressent aussi.
- Quand tu danses, tu exprimes
aussi beaucoup d'émotions. Comment se déroule le processus
créatif, au moment où tu es sur scène? te concentres-tu
uniquement sur les letras du chant où alors, penses-tu à des
choses intimes, à certains moments de ta vie ?
- Il y a quelque chose qui m'a marqué depuis mon
plus jeune âge, c'est le fait que, quand je dansais, on me
disait souvent que j'étais comme enfant prodige, mais que,
quand je grandirai, j'aurai besoin de travailler et de vivre
pour parfaire mon art. Je ne comprenais pas l'importance de ces
paroles. Maintenant, je m'en rends compte. L'artiste grandit
beaucoup avec ce qui lui est arrivé dans sa vie. Son expérience
de vie et tous les palos le font grandir et influent
beaucoup dans son art.
- As-tu un palo de
prédilection? et si oui, pourquoi?
- La Solea, car c'est la mère du Flamenco.
C'est un palo très puissant et très difficile à danser.
- Parles nous de quelques
moments importants de ta carrière artistique, s'il te plait
- Parmi les moments importants, je citerais ma
participation dans un premier rôle dans l'œuvre théâtrale de
"Carmen" de Salvador Távora, pièce dont la première a eu lieu au
Théâtre de la Maestranza, à Séville. Danser avec un cheval de
Jerez, et devoir me synchroniser à ses pas, à sa danse, sentir
le regard de la Duchesse d'Albe dans le public, tout cela m' a
vraiment impressionné! D'autres moments très importants quant
j'avais une vingtaine d'années: ma collaboration avec le
chanteur d'Opéra Placido Domingo, dans l'Opéra "Le Cid" ainsi
que ma participation dans le trio que nous formions avec Joaquin
Cortes et Antonio Canales, accompagnés par le piano d'Arturo
Pavon, dans un autre spectacle.
- Quelle place accordes-tu au
chant quand tu danses?
- Danser est un langage, mais il a besoin du
chant et de la guitare pour s'exprimer pleinement. Il faut se
préparer et se former à la danse, mais il est nécessaire aussi
de se former pour danser avec le chant et avec la guitare. Si
quelqu'un apprend à danser mais ne sait pas danser quant il est
accompagné au chant et à la guitare, c'est qu'il n'est pas
réellement connecté au Flamenco.
- Es-tu favorable à
l'incorporation d'autres styles de danses et de musiques dans le
Flamenco?
- Je suis ouverte à tout ce qui est bon et à tout
ce qui peut apporter au Flamenco, sans perdre de vue le fait que
Flamenco a déjà été crée dans sa forme la plus "aboutie". On ne
peut pas lui enlever son essence, malgré les tentatives que l'on
constate de plus en plus souvent, actuellement. Parfois, à l'issue d'un
spectacle auquel j'assiste, la question suivante me vient à
l'esprit: "Mais où est donc le Flamenco dans tout cela?"
- Quelle est ta définition du
Flamenco?
- Le Flamenco, c'est comme une religion. Le
Flamenco inclut tous les sentiments de l'être humain: la joie,
la tristesse, la force, la fragilité, et tant d'autres
sentiments... tout y est! Le Flamenco attire les gens, dans
monde entier. Le Flamenco, c'est une manière de vivre.
- Tes projets artistiques?
- Oui, il y a beaucoup de projets pour le début
de l'année. Une tournée en Argentine, au Japon, au Brésil et
d'autres projets encore... tout en continuant à enseigner le
Flamenco.
- Quels conseils donnerais-tu
aux danseurs qui veulent se professionnaliser ?
- Le meilleur conseil que je pourrais leur
donner, c'est qu'ils se fient aux conseils des plus âgés, qu'ils
connaissent la nouveauté mais aussi et surtout, la tradition du
Flamenco, le "vieux" Flamenco. Pour qu'un arbre puisse pousser
et s'élever, il faut que ses bases soient solides. Ses bases, ce
sont ses racines.
Il faut beaucoup travailler tout en sachant qu'
avec le cœur et l'envie, on peut arriver à tout. Il faut
pratiquer la danse tous les jours, mener une vie saine,
manger d'une manière équilibrée. Pour danser, il est nécessaire aussi d'avoir
une force spirituelle...
- Merci Juana pour ces bons
conseils et pour l'entretien que tu nous a accordé.
- Merci à toi, à bientôt!

Remerciements à Cristina Magdalena de
l'association "La rose Flamenca" pour son accueil chaleureux
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