
Le
grand
guitariste
Flamenco
Juan Carmona
nous avait subjugué
dans ses
précédents
albums, par
sa
virtuosité
et sa
manière si
personnelle
de nous
faire
voyager dans
son univers
musical
ancré dans
la tradition
du Flamenco
tout en
étant
résolument
moderne.
Dans son
nouvel
album,
« Perla de
Oriente »
(Nomades
Kultur/L’autre
Distribution) ,
Juan nous
emporte
cette
fois-ci sur
les routes
bigarrées de
la Corée du
Sud, Taiwan
et de la
Chine, au
travers d'un
répertoire
musical
d'une
finesse et
d'une
délicatesse
exceptionnelles.
Evoquant ses
tournées
dans
l'Empire du
Milieu,
Juan Carmona
crée
une musique
Flamenca
dont la
qualité le
hisse au
sommet de
cet art et
le met sur
les pas de
Paco de
Lucia
à qui il
dédie ce
nouvel opus.
Nous avons
eu le
bonheur
d'assister
au concert
que Juan a
donné au
Théâtre de
l'Alhambra,
et de
l'avoir
retrouvé, à
l'issue du
spectacle,
pour l'
entretien
que voici:


- Juan Carmona, merci pour ce
merveilleux spectacle au Théâtre de l'Alhambra, à Paris. Il y a quelques
mois, tu as sorti un très bel album intitulé « Perla de
Oriente ». L’enregistrement de cet album s’est réalisé dans des
conditions assez particulières, n’est ce pas ?
- En effet, nous étions partis pendant un mois en tournée en
Asie et nous avions fait plusieurs étapes dans trois pays :
Taiwan, Corée du Sud et Chine. Nous avons réalisé vingt cinq concerts, au
total. A un moment donné, nous sommes arrivés dans un théâtre et,
derrière le théâtre, je vois un super studio d’enregistrement, à
la pointe de la technologie! Je parle donc à mes musiciens et je
leur propose d’enregistrer le spectacle tel qu’il est. J’ai
toujours fait des productions très élaborées mais, cette fois ci, je voulais
réaliser un album plus "Live". Nous nous sommes assis et nous
avons enregistré. C’est ce qui a donné cette fraicheur propre à
l’enregistrement en Live. Après, je suis rentré à Madrid, j’ai
fait quelques petites retouches, j’ai rajouté des palmas au
niveau des chœurs, et voila, l’album était terminé.
- Le titre « Perla de Oriente », que
signifie-t-il ?
- « Perla de Oriente », qui signifie
« Perle d’Orient », c’est le surnom que l’on donne à la ville de
Shanghai. Quand
j’étais en Espagne, à Séville, pour le mixage, je sors et je
vois un reportage sur Shanghai. J’entends le commentaire « La
perla de Oriente », dans ce reportage. Cela a provoqué une
étincelle dans mon esprit et c’est ainsi que j’ai décidé de
nommer mon nouvel album « Perla de Oriente ».
- Parcourons les onze thèmes
de l’album et parles nous du contenu,
si tu ve ux bien:
- Le premier thème c’est « Antonio », une
Rumba avec des
accents, des couleurs. Je suis guitariste Flamenco d’origine
Gitane, et j’ai toujours été quelqu’un qui aime vivre avec son
temps. Le Flamenco a évolué, il a changé. Avant, on interprétait
des chants qui étaient en rapport avec la vie. Ce sont des
choses qui se sont « perdues ». Depuis toujours, ma
préoccupation a été de renouveler le Flamenco sans pour autant
dénaturer ce coté traditionnel. C’est pour cela que je suis
parti à Jerez, car Jerez c’est le berceau du Flamenco. Mais, à
la fois, j’ai toujours aimé rencontrer des musiciens d’horizons
divers. Par exemple, nous étions partis en Ouzbékistan avec des
musiciens; j’ai joué avec des musiciens iraniens, indiens,
chinois... ma palette est trop large pour les évoquer
tous. Le jazz aussi a été important pour moi. Donc, « Antonio »
c’est une Rumba qui est inspirée d’une couleur assez jazzy.
C’est un hommage à mon fils.
Le deuxième thème, « So » ; je l’ai tiré de Soleares
avec à la fois un coté un peu américain, car j’ai toujours
aimé faire mes tournées en Amérique. Je trouve qu’il y a un
public qui, personnellement, me plait beaucoup. « So »,
c’est vraiment la rencontre entre le Flamenco traditionnel et le
Flamenco de demain. Harmoniquement, je vais très loin, en
ajoutant des chœurs qui sont à la fois très aériens, très
« out » comme on dit dans le sens où cela sort, mais d’une
manière totalement voulue. Quand je fais une production comme
celle là, je demande toujours à mon chanteur d'avoir
aussi ce recul avec la tradition pour pouvoir voyager entre la
tradition et la modernité. Cette Solea est vraiment
révélatrice de cet état d’esprit que je recherche.
-« Sol Nacien te » et
« Luz de la mañana »:
- C’est une introduction que j’ai fait
sur l’album « Orilla » ; j’ai revisité ce thème pour lui
donner une peu de fraîcheur. J’ai trouvé que c’était une introduction
idéale pour amener « Luz de la mañana » qui est Le
Tango
phare du spectacle. Le disque c’est comme le spectacle, il
respecte la chronologie. « Luz de la mañana », évoque le
moment de ma vie où je suis parti vivre à Jerez, cette période
où j’ai rencontré le grand producteur Isidro Muñoz, le frère de
Manolo Sanlucar. Isidro est, à mon avis, le producteur essentiel
du Flamenco. Pour ceux qui ne le sauraient pas, c’est lui qui a
formé Vicente Amigo, et beaucoup d’autres guitaristes. A
l’époque, il composait la musique des films de Carlos Saura. Il
m’a rencontré et il m’a dit : « je veux te produire un disque ».
A partir de là, je suis allé tous les jours chez lui, à Sanlucar
de Barrameda. C’est à cette période que j’ai pris conscience du
fait que c’était bien que j’aille à Jerez, mais qu’il y avait
une chose plus importante encore, c’était de ne pas oublier mon
identité. C’est d’ailleurs le conseil qu'Isidro me donnait
régulièrement. Ce thème « Luz de la mañana », m’a ramené
à cette période où j’ai pris conscience qu’il était important
que je reste moi-même tout en m’imprégnant de
tout ce que j’entendais; à cette époque, il s'agissait de ce que
j'entendais à Jerez.
- « Camino imperial »:
- C’est une Minera que je cherchais dans les tonalités les plus
profondes, car la Minera, c’est le chant des mineurs, avec la
souffrance et tout ce qui l’accompagne. Quand je compose un
morceau, il est primordial pour moi de remettre le palo
dans son contexte. En effet, même si je suis quelqu’un de
moderne, si je compose une Minera, il faut qu’il y ait un lien
avec l’histoire de ce palo, c’est-à-dire avec le chant
des mineurs. Dans la composition, je cherche toujours des
tonalités qui nous ramènent à cette tradition.

- « Bulerias Prohibidas »:
- Là, j’ai fait un jeu de mots en rapport avec la « Cité
interdite », de Pékin, en Chine. C’est une Buleria « prohibida »
(« interdite »), car tout en me baladant dans la tradition,
je lui apporte aussi des couleurs très modernes, avec la collaboration
de mes musiciens qui sont particulièrement talentueux. Il faut
savoir que plusieurs de mes musiciens étaient ceux de Paco de
Lucia. Le flutiste était avec Paco de Lucia. Le percussionniste
est celui de Tomatito. Ce sont d’excellents musiciens. Dans
cette Buleria, j’ai voulu être au plus proche de ce
palo, mais à la fois apporter une touche de modernité avec
la complicité de mes musiciens.
-« Mar de China »:
- C’est une Alegria ; j’ai voulu faire un jeu de mots entre tout
ce qui est lié à la mer, car Cadiz est une ville au bord de la
mer et l’Alegria provient de Cadiz. Cette fois-ci, j’ai
fait quelque chose d’un peu atypique. Normalement, l’Alegria
évoque la joie ; la joie s’exprime en général dans les tonalités
majeures. Moi, j’ai fait une Alegria qui commence dans
les tonalités mineures, ce qui lui apporte une sorte de
mélancolie. J’aime bien prendre des risques, mais, à un moment
donné, je recentre toujours la musique pour que les gens sachent
de quoi il s’agit. Commencer par des tonalités mélancoliques
alors que c’est une Alegria qui devrait être une musique
joyeuse : voila l’originalité de ce thème.

- « Casa de té » et « Rumbo
pa Shanghai »:
- « Casa de té », c’est une introduction pour amener « Rumbo
pa Shanghai », qui est une Rumba. Là vraiment, je suis dans
le Flamenco de demain car, dans le rythme et les harmonies,
j’ose faire des choses qu’on ne trouve pratiquement que chez les
musiciens Jazz. Bien sur, c’est une Rumba ; il y a un compas Flamenco,
mais harmoniquement et au niveau des gammes, je suis vraiment
dans un coté plutôt jazzy.
- « Jarasum »:
- « Jarasum » c’est un très beau festival Jazz qui se
trouve en Corée. C’est le festival le plus impressionnant que
j’ai vu de ma vie. On arrive sur un stade de foot et on joue
devant quarante mille ou cinquante mille personnes. On s’est
croisé avec Richard Galliano, Richard Bonnat, avec énormément de
super musiciens. Là, c’est pareil, j’ai voulu faire une
Buleria qui soit à la fois dans la tradition mais aussi qui
ait un lien avec le jazz. Je lui donné le nom de ce festival.
- et la magnifique « Perla de
Oriente »:
- Pour ce thème là, c’est très particulier. Le
disque devait s’arrêtait à la 10ème
plage. Je rentre de Chine, j’ai mon album. Il a été mixé à
Séville. Donc j’appelle le gars qui s’occupe de cela, il me
donne une date mais il se trompe et cela me fait perdre un mois.
Je dois donc attendre le mix. Je me retrouve chez moi et,
spontanément, il me vient une mélodie en rapport avec la Chine.
Je pense au disque, à la Chine, à la tournée, et il me vient
cette mélodie. La particularité c’est que je suis en train de
monter un projet avec un musicien arménien, et l’instrument que
l’on entend au début, dans ce thème, c’est le Duduk. C’est là
que je m’aperçois que je ne peux pas laisser passer ce morceau,
qu’il faut que je l’intègre dans le disque. Je demande à mes
musiciens de revenir et c’est là qu’on enregistre « Perla de
Oriente ».
- De quelle manière
a été accueilli le Flamenco lors de ta tournée en Chine?
C’est un art si différent de la culture chinoise… Quel est ton
ressenti par rapport à cela ?
- J’ai été agréablement surpris, à tel point que, depuis, j’y
suis retourné et que j’y retourne encore dans un mois, pour une
nouvelle tournée. Je pense que, aux chinois, il va leur arriver
la même chose qui est arrivé aux japonais. Tu connais
l’attirance que les japon ais ont pour le Flamenco, à tel point,
qu’à Tokyo, on trouve des tablaos et des écoles de danse.
Je crois que les Chinois son en train de rentrer dans l’air
Flamenca et il commence à se passer beaucoup de choses la bas.
En Chine, j’ai été accueilli dans les plus grandes salles,
sachant qu’en Chine, les salles c’est Pleyel multiplié par deux.
J’ai eu un accueil extraordinaire au niveau du public et des
professionnels de la musique. J’ai joué dans les plus beaux
théâtres chinois, dans les plus beaux festivals, dans des salles
impressionnantes!
- Il existe aussi une Biennale de
Flamenco a Shanghai, n’est ce pas ?
- Oui, il y a une biennale, ainsi que des écoles de danse qui
sont en train de se monter. Il y a de plus en plus de gens qui
vont là bas pour le Flamenco. Je viens de répéter, il y a quatre
jours, avec un musicien chinois qui est venu de Shanghai à
Marseille et nous avons monté un projet ensemble. Je pars jouer
en Chine, mais si ce musicien devient une star là-bas, je vais
probablement l’inviter à jouer en France. Je pars à Shenzhen, à
Shanghai, et ailleurs. La Chine, c’est immense!
- En Chine, comment le public réagit-il
lors de tes concerts ? Quels sont les retours que tu as à propos
de ton travail ?
- Ce qui est étonnant, c’est que, là bas, le public est très
éduqué. Au début, cela surprend, on se demande s’ils aiment la
musique. Mais, en fait, pendant le concert, le public ne veut
rien perdre ; donc il ne fait aucun bruit, il est très attentif.
Une fois qu’on sort de la salle, c’est très différent. Les gens
faisaient la queue pour me serrer la main.
- Merci Juan pour cet entretien que tu
nous as accordé et pour ton magnifique album « Perla de
Oriente ». A très bientôt!

Visiter le site web de Juan Carmona:
www.juancarmona.com

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