Accueil Al-Andalus  Flamenco Liens Contact Email
   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Interview de Juan Carmona, en février 2017

à Paris

Réalisation: Isabelle Jacq Gamboena

Photos: Alain Jacq

 

Le grand guitariste Flamenco Juan Carmona   nous avait subjugué dans ses précédents albums, par sa virtuosité et sa manière si personnelle de nous faire voyager dans son univers musical ancré dans la tradition du Flamenco tout en étant résolument moderne. Dans son nouvel album, « Perla de Oriente » (Nomades Kultur/L’autre Distribution), Juan nous emporte cette fois-ci sur les routes bigarrées de la Corée du Sud, Taiwan et de la Chine, au travers d'un répertoire musical d'une finesse et d'une délicatesse exceptionnelles. Evoquant ses tournées dans l'Empire du Milieu,  Juan Carmona crée  une musique Flamenca dont la qualité le hisse au sommet de cet art et le met sur les pas de Paco de Lucia à qui il dédie ce nouvel opus. Nous avons eu le bonheur d'assister au concert que Juan a donné au Théâtre de l'Alhambra, et de l'avoir retrouvé, à l'issue du spectacle, pour l' entretien que voici:

- Juan Carmona, merci pour ce merveilleux spectacle au Théâtre de l'Alhambra, à Paris. Il y a quelques mois, tu as sorti  un très bel album intitulé « Perla de Oriente ». L’enregistrement de cet album s’est réalisé dans des conditions assez particulières, n’est ce pas ?

- En effet, nous étions partis pendant un mois en tournée en Asie et nous avions fait plusieurs étapes dans trois pays : Taiwan, Corée du Sud et Chine. Nous avons réalisé vingt cinq concerts, au total. A un moment donné, nous sommes arrivés dans un théâtre et, derrière le théâtre, je vois un super studio d’enregistrement, à la pointe de la technologie! Je parle donc à mes musiciens et je leur propose d’enregistrer le spectacle tel qu’il est. J’ai toujours fait des productions très élaborées mais, cette fois ci, je voulais réaliser un album plus "Live". Nous nous sommes assis et nous avons enregistré. C’est ce qui a donné cette fraicheur propre à l’enregistrement en Live. Après, je suis rentré à Madrid, j’ai fait quelques petites retouches, j’ai rajouté des palmas au niveau des chœurs, et voila, l’album  était terminé.  

- Le titre « Perla de Oriente », que signifie-t-il ?

- « Perla de Oriente », qui signifie « Perle d’Orient », c’est le surnom que l’on donne à la ville de Shanghai. Quand j’étais en Espagne, à Séville, pour le mixage, je sors et je vois un reportage sur Shanghai. J’entends le commentaire « La perla de Oriente », dans ce reportage. Cela a provoqué une étincelle dans mon esprit et c’est ainsi que j’ai décidé de nommer mon nouvel album « Perla de Oriente ».

- Parcourons les onze thèmes de l’album et parles nous du contenu,  si tu veux bien:

-  Le premier thème c’est « Antonio », une Rumba avec des accents, des couleurs. Je suis guitariste Flamenco d’origine Gitane, et j’ai toujours été quelqu’un qui aime vivre avec son temps. Le Flamenco a évolué, il a changé. Avant, on interprétait des chants qui étaient en rapport avec la vie. Ce sont des choses qui se sont « perdues ». Depuis toujours, ma préoccupation  a été de renouveler le Flamenco sans pour autant dénaturer ce coté traditionnel. C’est pour cela que je suis parti à Jerez, car Jerez c’est le berceau du Flamenco. Mais, à la fois, j’ai toujours aimé rencontrer des musiciens d’horizons divers. Par exemple, nous étions partis en Ouzbékistan avec des musiciens; j’ai joué avec des musiciens iraniens, indiens, chinois...  ma palette est trop large pour les évoquer tous.  Le jazz aussi a été important pour moi. Donc, « Antonio » c’est une Rumba qui est inspirée d’une couleur assez jazzy. C’est un hommage à mon fils.

Le deuxième thème, « So » ; je l’ai tiré de Soleares avec à la fois un coté un peu américain, car j’ai toujours aimé faire mes tournées en Amérique. Je trouve qu’il y a un public qui, personnellement, me plait beaucoup. « So », c’est vraiment la rencontre entre le Flamenco traditionnel et le Flamenco de demain. Harmoniquement, je vais très loin, en ajoutant des chœurs qui sont à la fois très aériens, très « out » comme on dit dans le sens où cela sort, mais d’une manière totalement voulue. Quand je fais une production comme celle là, je demande toujours à mon chanteur d'avoir aussi ce recul avec la tradition pour pouvoir voyager entre la tradition et la modernité. Cette Solea est vraiment révélatrice de cet état d’esprit que je recherche.

-« Sol Naciente » et « Luz de la mañana »:

 - C’est une introduction que j’ai fait sur l’album  « Orilla » ; j’ai revisité ce thème pour lui donner une peu de fraîcheur. J’ai trouvé que c’était une introduction idéale pour amener « Luz de la mañana » qui est Le Tango phare du spectacle. Le disque c’est comme le spectacle, il respecte la chronologie. «  Luz de la mañana », évoque le moment de ma vie où je suis parti vivre à Jerez, cette période où j’ai rencontré le grand producteur Isidro Muñoz, le frère de Manolo Sanlucar. Isidro est, à mon avis, le producteur essentiel du Flamenco. Pour ceux qui ne le sauraient pas, c’est lui qui a formé Vicente Amigo, et beaucoup d’autres guitaristes. A l’époque, il composait la musique des films de Carlos Saura. Il m’a rencontré et il m’a dit : « je veux te produire un disque ». A partir de là, je suis allé tous les jours chez lui, à Sanlucar de Barrameda. C’est à cette période que j’ai pris conscience du fait que c’était bien que j’aille à Jerez, mais qu’il y avait une chose plus importante encore, c’était de ne pas oublier mon identité. C’est d’ailleurs le conseil qu'Isidro me donnait régulièrement. Ce thème « Luz de la mañana », m’a ramené à cette période où j’ai pris conscience qu’il était important que je reste moi-même tout en m’imprégnant de tout ce que j’entendais; à cette époque, il s'agissait de ce que j'entendais à Jerez.

- « Camino imperial »:

 - C’est une Minera que je cherchais dans les tonalités les plus profondes, car la Minera, c’est le chant des mineurs, avec la souffrance et tout ce qui l’accompagne. Quand je compose un morceau, il est primordial pour moi de  remettre le palo dans son contexte. En effet, même si je suis quelqu’un de moderne, si je compose une Minera, il faut qu’il y ait un lien avec l’histoire de ce palo, c’est-à-dire avec le chant des mineurs. Dans la composition, je cherche toujours des tonalités qui nous ramènent à cette tradition.

- « Bulerias Prohibidas »:

-  Là, j’ai fait un jeu de mots en rapport avec la « Cité interdite », de Pékin, en Chine. C’est une Buleria « prohibida » (« interdite »), car tout en me baladant dans la tradition, je lui apporte aussi des couleurs très modernes, avec la collaboration de mes musiciens qui sont particulièrement talentueux. Il faut savoir que plusieurs de mes musiciens étaient ceux de Paco de Lucia. Le flutiste était avec Paco de Lucia. Le percussionniste est celui de Tomatito. Ce sont d’excellents musiciens. Dans cette Buleria, j’ai voulu être au plus proche de ce palo, mais à la fois apporter une touche de modernité avec la complicité de mes musiciens.

-« Mar de China »:

- C’est une Alegria ; j’ai voulu faire un jeu de mots entre tout ce qui est lié à la mer, car Cadiz est une ville au bord de la mer et l’Alegria provient de Cadiz. Cette fois-ci, j’ai fait quelque chose d’un peu atypique. Normalement, l’Alegria évoque la joie ; la joie s’exprime en général dans les tonalités majeures. Moi, j’ai fait une Alegria qui commence dans les tonalités mineures, ce qui lui apporte une sorte de mélancolie. J’aime bien prendre des risques, mais, à un moment donné, je recentre toujours la musique pour que les gens sachent de quoi il s’agit. Commencer par des tonalités mélancoliques alors que c’est une Alegria qui devrait être une musique joyeuse : voila l’originalité de ce thème.

- « Casa de té » et « Rumbo pa Shanghai »:

- « Casa de té », c’est une introduction pour amener « Rumbo pa Shanghai », qui est une Rumba. Là vraiment, je suis dans le Flamenco de demain car, dans le rythme et les harmonies, j’ose faire des choses qu’on ne trouve pratiquement que chez les musiciens Jazz.  Bien sur, c’est une  Rumba ; il y a un compas Flamenco, mais harmoniquement et au niveau des gammes, je suis vraiment dans un coté plutôt jazzy.

- « Jarasum »:

- « Jarasum » c’est un très beau festival Jazz qui se trouve en Corée. C’est le festival le plus impressionnant que j’ai vu de ma vie. On arrive sur un stade de foot et on joue devant quarante mille ou cinquante mille personnes. On s’est croisé avec Richard Galliano, Richard Bonnat, avec énormément de super musiciens. Là, c’est pareil, j’ai voulu faire une Buleria qui soit à la fois dans la tradition mais aussi qui ait un lien avec le jazz. Je lui donné le nom de ce festival.

- et la magnifique « Perla de Oriente »:

- Pour ce thème là, c’est très particulier. Le disque devait s’arrêtait à la 10ème plage. Je rentre de Chine, j’ai mon album. Il a été mixé à Séville. Donc j’appelle le gars qui s’occupe de cela, il me donne une date mais il se trompe et cela me fait perdre un mois. Je dois donc attendre le mix. Je me retrouve chez moi et, spontanément, il me vient une mélodie en rapport avec la Chine. Je pense au disque, à la Chine, à la tournée, et il me vient cette mélodie. La particularité c’est que je suis en train de monter un projet avec un musicien arménien, et l’instrument que l’on entend au début, dans ce thème, c’est  le Duduk. C’est là que je m’aperçois que je ne peux pas laisser passer ce morceau, qu’il faut que je l’intègre dans le disque. Je demande à mes musiciens de revenir et c’est là qu’on enregistre « Perla de Oriente ».

- De quelle manière a été accueilli le Flamenco lors de ta tournée en Chine? C’est un art si différent de la culture chinoise… Quel est ton ressenti par rapport à cela ?

-  J’ai été agréablement surpris, à tel point que, depuis, j’y suis retourné et que j’y retourne encore dans un mois, pour une nouvelle tournée. Je pense que, aux chinois, il va leur arriver la même chose qui est arrivé aux japonais. Tu connais l’attirance que les japonais ont pour le Flamenco, à tel point, qu’à Tokyo, on trouve des tablaos et des écoles de danse. Je crois que les Chinois son en train de rentrer dans l’air Flamenca et il commence à se passer beaucoup de choses la bas. En Chine, j’ai été accueilli dans les plus grandes salles, sachant qu’en Chine, les salles c’est Pleyel multiplié par deux. J’ai eu un accueil extraordinaire au niveau du public et des professionnels de la musique. J’ai joué dans les plus beaux théâtres chinois, dans les plus beaux festivals, dans des salles impressionnantes!

- Il existe aussi une Biennale de Flamenco a Shanghai, n’est ce pas ?

- Oui, il y a une biennale, ainsi que des écoles de danse qui sont en train de se monter. Il y a de plus en plus de gens qui vont là bas pour le Flamenco. Je viens de répéter, il y a quatre jours, avec un musicien chinois qui est venu de Shanghai à Marseille et nous avons monté un projet ensemble. Je pars jouer en Chine, mais si ce musicien devient une star là-bas, je vais probablement l’inviter à jouer en France. Je pars à Shenzhen, à Shanghai, et ailleurs. La Chine, c’est immense!

- En Chine, comment le public réagit-il lors de tes concerts ? Quels sont les retours que tu as à propos de ton travail ?

- Ce qui est étonnant, c’est que, là bas, le public est très éduqué. Au début, cela surprend, on se demande s’ils aiment la musique. Mais, en fait, pendant le concert, le public ne veut rien perdre ; donc il ne fait aucun bruit, il est très attentif. Une fois qu’on sort de la salle, c’est très différent. Les gens faisaient la queue pour me serrer la main.

- Merci Juan pour cet entretien que tu nous as accordé et pour ton magnifique album « Perla de Oriente ». A très bientôt!

Visiter le site web de Juan Carmona: www.juancarmona.com