C'est à Séville que nous avons rencontré
Iásonas Damianós,
danseur Flamenco au regard lumineux et à la gestuelle énigmatique.
Alors qu'il nous ouvrait les portes de son studio de répétition situé en
plein cœur de Séville, nous avons
assisté à une séance de travail telle qu'il la réalise au
quotidien. Le voir danser et
le fait d'avoir eu un entretien avec lui nous permirent de ressentir
pleinement la passion
profonde qui anime ce danseur dont le talent, la sincérité et la
personnalité nous ont conquis.

-
Iásonas
, comment as-tu découvert le Flamenco et quelle fut ta
formation?
- Mon premier contact avec le Flamenco eut lieu par hasard, dans
une académie d'Athènes. Peu de temps après, j'ai commencé à
approfondir cette danse, en fonction des informations, des
moyens et des possibilités qu'il y a en Grèce. Je me formai avec
des professeurs de différents styles et je fis mes premiers
pas dans le monde de la scène, porté par une véritable aficion
et malgré mes connaissances un peu
limitées, à cette période.
Lorsque j'eus la chance de découvrir l'art du maestro Andrés
Marin, lors d'un stage qu'il donna en Grèce, je pris la décision
de partir vivre à Séville. Ces dernières années, ma manière
d'étudier, plus intensive que jamais, est d'avantage centrée sur
une analyse des codes du baile, des cantes et de la
tradition, toujours sous les conseils de
personnes qui, par
leur expérience, leur éducation et leur trajectoire, ont gagné
mon respect et mon admiration. De ce fait, j'évite de collecter
à outrance des pas, des chorégraphies ou des informations qui
sont inutiles pour ceux qui manient le langage du Flamenco dans
sa forme la plus essentielle.
- Quels sont tes maitres?
- Celui qui m'a transmis l'amour du
Flamenco, et qui, heureusement, continue à le faire, c'est
Andrés Marin. Outre le fait que ce maestro Sévillan
m'a formé au Flamenco, il m'a enseigné aussi le respect et
l'humilité nécessaires pour continuer à évoluer et à apprécier
pleinement cet art si profond. En règle générale, les grands
Maestros et les artistes qui marquent l'histoire du Flamenco
sont une source d'inspiration constante pour les autres et ils
prodiguent leur enseignement avec générosité, ce qui garantit le
fait que la qualité ne se perdra pas, bien que les temps
laissent présager le contraire.
- Tu vis à Séville. Pourquoi
as-tu choisi de t'installer dans cette ville?
- A mon avis, Séville est la ville qui offre le
plus large éventail de possibilités dans le domaine du baile
Flamenco. Ici, en plus de bénéficier d'une bonne qualité de vie,
tout le monde peut recevoir une formation complète, tout en
partageant l'expérience de ceux qui forment le panorama actuel
du baile. On peut trouver différents styles, écoles, et
philosophies sur cet art et sur la profession, éléments qui sont
inhérents à la culture Flamenca.
- Comment se déroule une
journée 'normale', pour toi?
- En plus des répétitions et des cours qui
occupent la majeure partie de mon temps, la journée se déroule
en suivant le rythme que mon corps m'exige. J'essaye aussi de
passer des moments avec les gens qui rendent ma vie intéressante
et agréable. Les amis. En prenant un café et en causant, autour
d'un bon repas, une promenade sous le soleil. Le reste du temps,
j'essaye de trouver le contact avec le Flamenco sans porter les
chaussures de danse: un livre, un chant, un documentaire ou
simplement une réflexion, c'est ce qui m'accompagne dans les
moments les plus solitaires de la journée.
- Tu enseignes la danse,
n'est-ce pas? Quelle importance accordes-tu à cet aspect de ton
travail?
- Je respecte trop l'enseignement pour pourvoir
l'intégrer dans mes activités professionnelles. J'ai 25 ans, il
me semble que c'est un peu trop tôt pour pouvoir transmettre
l'essence de la culture Flamenca. Dans le passé, j'ai donné des
stages de danse en essayant, par dessus tout, de corriger
certaines choses chez mes élèves (surtout dans les pays hors de
l'Espagne), ces choses que personne n'avait corrigé dans mon
baile à l'époque où je faisais encore certaines erreurs dans
le Flamenco. Outre le fait que c'était un travail, cette
expérience fut aussi une distraction et un apprentissage. Etre
professeur est un métier dur, qui donne des responsabilités, et
qui est sérieux. Cela exige plus qu'une bonne préparation au
niveau technique et une courte expérience scénique. Je m'y
engagerai lorsque je sentirai que je peux dédier tout mon temps
et mon attention à cela.
- Quand as-tu créé ta
compagnie Flamenca 'Mu.Danza' et qui sont les artistes qui la
composent?
- Elle s'est crée il y a un an. C'est un projet
qui est né dans notre studio de répétition, après des heures de
travail et de recherche avec Yorgos Karalis, guitariste
avec lequel je partage la majeure partie de la direction
musicale. Il y a aussi Niño de Elche, un des plus grands
cantaores de notre génération, le percussionniste Karo
Sampela, un musicien doté de grandes facultés et
d'expérience ainsi que le guitariste Javier Gomez,
musicien qui apporte toujours le maximum afin d'obtenir le
résultat attendu.
- Que souhaites-tu exprimer au
travers de ta danse?
- Dans mon cas, les choses fonctionnent à
l'envers, c'est pour cela que l'expression vient en second. En
premier lieu, je crée des mouvements ou j'essaye de m'adapter à
ceux que je connais déjà ou encore ceux que j'apprends, puis
je tente de trouver leur signification. De cette manière,
l'expression utilise l'intellect comme influence et non comme
référence principale. Ainsi, le résultat sort de manière plus
primitive. J'aspire à oublier mon identité de bailaor et,
d'une manière neutre, de créer ce que la situation me permet, de
former un équilibre entre l'expression 'crue' et les codes
essentiels du Flamenco. La réponse est donc une question que je
me pose à moi même: chaque moment de danse basé sur l'honnêteté
est une expression unique mais, mes fragments, mouvements,
réflexions, créations sur la danse, de quoi parlent-elles?
- Quel est ton objectif en
tant que danseur?
- Epouser le moment, arriver à vivre par et pour
le Flamenco.
- Comment décrirais-tu ton
style de danse?
- Je suis dans une recherche continuelle pour
trouver mon propre langage de mouvements, donc je ne pense pas
qu'on puisse mettre une étiquette sur mon baile. J'essaye
d'expérimenter des choses au niveau musical, je me réfère à la
tradition au moment de choisir les cantes, et je suis
libre dans ma manière de bouger, tout en respectant la culture
pour que cela ne soit pas quelque chose
de personnel qui ressemble au Flamenco, mais plutôt quelque
chose de Flamenco qui soit personnel.
- Quelle importance
accordes-tu à la musique et au rythme quand tu danses et quels
sont les critères sur lesquels tu te bases pour choisir les
musiciens qui t'accompagnent?
- La musique et le rythme sont deux éléments
inséparable dans le Flamenco. Le bailaor qui reproduit
simplement les sons sans le ressenti musical ou qui ne se
préoccupe pas de son propre corps fonctionne comme un instrument
de plus; alors, il perd une grande partie de la magie que peut
offrir le Flamenco. Mais cela ne peut se faire sans l'aide des
collègues. Personnellement, je choisis des personnes qui
souhaitent partager avec moi l'aficion, la recherche, les
moments heureux et durs que chacun peut rencontrer dans le monde
de la musique et du Flamenco.
- Qu'est-ce qui t'inspire dans
ta danse?
- En plus de la culture Flamenca qui alimente mon
aficion et mes préoccupations, je porte un intérêt pour
d'autres formes d'expressions qui stimulent ma danse. Il s'agit
de la sculpture et de la poésie, éléments qui m'ont permis
d'ouvrir mes fenêtres et d'apprécier d'autres types de paysages
qui influent sur mes mouvements. J'éprouve de la reconnaissance
pour le fait de pouvoir connaitre, les œuvres de sculpteurs
comme Jorge Oteiza, Richard Serra, Auguste Rodin,
Constantin Brancusi, entre autres, et les poètes comme
Odysseas Elytis, Charles Baudelaire, Lorca...
- Quel est ton point de vue
sur le Flamenco actuel?
- A mon avis, le Flamenco continue à être un art
qui s'adresse à une minorité, bien qu'il existe des artistes qui
détiennent des facultés extraordinaires, cet art perd de la
profondeur. La danse et la guitare sont, d'un point de vue
technique, à leur meilleur moment (je ne sais pas si cela
apporte quelque chose, au bout du compte) et le cante,
l'élément le plus important de la culture Flamenca semble être
devenu un diamant que l'on a dévalorisé. Je ne sais ce que le
temps apportera, mais chaque fois que je regarde autour de moi,
cela me donne envie de mettre mon mp3, un fandango d'El
Carbonerillo et de rêver des années 20, quand l'art Flamenco
était plus innocent qu'un enfant et plus vrai que la mort.
- Quels sont tes projets?
- Mon unique projet est de pouvoir continuer à
apprendre et apprécier chaque pas qui peut me rapprocher de
l'essence de ma danse.
- Quels sont les mots qui
pourraient définir ta manière de vivre le Flamenco?
- Aficion, dévouement, sincérité,
recherche, travail, travail et travail...
- Merci
Iásonas
et à très
bientôt...
Synopsis du spectacle 'IV': >>
en Espagnol<<,
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Anglais<<,
>>Français<< (prochainement)
Contact artistique de la compagnie Mu.Danza :
iasonas_damianos@live.com
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