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Interview de David Dorantes

en octobre 2017

pour la sortie de son album "El tiempo por testigo"

 Réalisation: Isabelle Jacq Gamboena

 

 

Dorantes en concert, samedi 18 novembre 2017, à 20h, au Pan Piper, Paris 11eme                   Dorantes en concert, samedi 18 novembre 2017, à 20h, au Pan Piper, Paris 11eme

Avec son talent et sa créativité hors du commun, David Peña Dorantes s'est imposé sur la scène internationale autant en solo qu'avec ses diverses formations et collaborations artistiques.  Cet artiste natif de Lebrija est devenu le Joyau du piano Flamenco. Dans son nouvel album "El Tiempo por testigo", Dorantes célèbre ses 20 années de carrière artistique. Réunissant plusieurs thèmes inédits et une réactualisation d'œuvres qui ont marquée la carrière de l'artiste pour différents motifs, et que Dorantes a accepté de montrer dans cet album, avec le regard de la maturité,   cet opus est un magnifique témoignage de la richesse mélodique et rythmique contenue dans sa musique. Pour la sortie de ce nouvel et magnifique album, Dorantes  nous accordé l'interview suivante:

- Dans ton nouveau disque « El tiempo por testigo » (« Le temps pour témoin »), tu rassembles dix thèmes pour célébrer tes vingt années de carrière artistique. Sur quels critères as-tu choisi ces  morceaux?

 - J’ai sélectionné ces thèmes car ils représentent quelque chose d’important dans ma vie. Parmi ces 10 thèmes, sept d’entre eux évoquent différentes étapes de ma vie, un reflet des moments clé durant ces vingt dernières années: un changement, un nouvel état émotionnel ou mille autres choses.  Les trois autres thèmes sont inédits et nouveaux. Je les ai inclus de manière à établir un lien entre ces vingt années passées et mes vingt prochaines  années, pour créer un pont entre le passé et l’avenir.

 - Parmi les trois thèmes inédits, « La maquina » est le premier morceau de l’album. Il surprend réellement par ses sonorités nouvelles et atypiques. L’idée de composer cette musique, comment   a-t-elle surgit ? 

 - Dans ce morceau, j’évoque deux  aspects de ma vie. Tout d’abord, je me réfère à mon enfance. En effet, quand j’étais petit, dans ma famille, je jouais avec tout ce qui était à ma portée pour faire du compas et du Flamenco. Par exemple, l’almanach des mois, nous l’utilisions sous forme de jeu pour chanter por Buleria. Dans ma famille, nous faisions de la musique avec tout. Comme j’évoque ces vingt dernières années, j’ai eu l’envie de prendre une machine à écrire et de marquer le rythme avec cette machine.

"La maquina" révèle un autre aspect important de ma vie d’artiste. En effet, au début du morceau, je prends un papier, la machine à écrire, marque le rythme en écrivant avec, puis je joue le morceau au piano et, à la fin, je chiffonne le papier et le jette parterre. Pour moi, cela exprime la lutte que nous avons, nous les créateurs, à l’heure de créer, cette lutte éternelle, car nous-mêmes sommes nos pires ennemis. Nous nous confrontons à nos propres peurs, à nos doutes, à nos propres limitations aussi, parfois. De plus, nous prenons, créons puis effaçons à nouveau. Cette lutte sans fin est inhérente à tout créateur.

 - L’autre magnifique morceau « Barejones », que signifie-t-il pour toi ?

 - « Barejones », c’est le nom du quartier de Lebrija dans lequel j’ai vécu durant mon enfance, jusqu’à 8 ou 9 ans. Ce village proche de Jerez et situé à soixante kilomètres de Séville, a vu naitre beaucoup d’artistes Flamencos. Je vivais dans une maison près d’un immense champ de blé. Je me souviens de ce blé déjà sec et jaune, de ces grands espaces dans lesquels je jouais. Dans le thème « Barejones », je voulais refléter cette enfance que j’ai vécue dans mon village natal. Il y a aussi la partie Flamenca inhérente à ma famille. Mon père est guitariste, ma grand-mère est chanteuse, mon oncle est Juan Peña El Lebrijano. Nous nous réunissions très souvent, tous, avec Fernanda, Bernarda de Utrera. Il y a eu beaucoup de fêtes dans cette maison. Donc mon enfance s’est déroulée dans cet espace ouvert, champêtre et aussi avec cette  « Flamencura » que j’ai vécu, dès mon plus jeune âge, avec ma famille. C’était une atmosphère vraiment magique !

 - Ce devait être extraordinaire ! …« Y el tiempo », le troisième morceau inédit, que représente-t-il pour toi ?

 - Dans ce thème, il y a uniquement les sonorités du piano et  des palmas corporelles que je fais moi-même. Je joue du piano de toutes les manières : sur les touches, à l’intérieur, en dessous, dans les cordes, etc. Cela crée une atmosphère et c’est propice à une recherche au-delà des sonorités communes. C’est une manière d’entrer dans l’intimité de l’instrument et de l’utiliser différemment.

 - Tu es né au sein d’une grande famille d’artistes Flamencos. Tout à l’heure, tu as cité quelques uns d’entre eux. Es-tu conscient de ton héritage ? De quelle manière cela influe dans ta manière de jouer du piano ?

 -  Oui, je suis vraiment conscient de mon héritage, et je ne le changerais pour rien au monde ! Pour moi et pour le musicien que je suis, je ne pouvais avoir meilleur héritage ! J’y tiens et j’en prends énormément soin. Je dis souvent que j’ai eu deux sortes de conservatoires : le premier, naturel, le conservatoire Flamenco, celui que j’ai fréquenté au sein de ma famille et l’autre, le conservatoire classique. Celui qui a vraiment de l’importance pour moi, c’est le premier, le « conservatoire » familial, avec des maitres comme le sont Juan Peña El Lebrijano, Fernanda et Bernarda, mon père, ma grand-mère El Perrate. En fait, j’ai en une multitude de maitres ! Cela influe dans mon langage musical, car je considère la musique comme un langage. Ce langage, je l’ai acquis dès mon plus jeune âge ; il est naturel et on ne peut pas me l’enlever.  C’est comme si j’essayais de parler le français, on remarquerait tout de suite mon accent espagnol. De la même manière, quand je joue de la musique, on remarque tout de suite que je suis Flamenco.

 - Pourquoi t’es-tu dirigé vers la musique ? as-tu été soutenu dans ta formation et dans ton choix artistique, au début ?

 - J’étais un enfant obsédé par la musique. A l’âge de 2 ans, j’avais un petit accordéon et je jouais constamment avec lui. A la maison, mon père dansait, écoutait de la musique, jouait des percussions. Comme il était guitariste, il avait beaucoup guitares. Il jouait souvent de cet instrument. Dès l’instant où je lui ai fait part de mon souhait de devenir musicien, mon père m’a soutenu, il m’a aidé à devenir musicien, m’a encouragé à étudier.

 - Tu as commencé par la guitare pour ensuite pratiquer le piano. Quelle a été la raison de ce changement?

 -  En effet, au départ, jouer de la guitare à la maison, c’était normal puisque beaucoup en jouaient : mon père, mon frère, mon oncle le guitariste Pedro Bacan. Mais, ce qui m’attirait par-dessus tout, c’était le piano. Il y en avait un dans la maison de ma grand-mère La Perrata. Quand je lui rendais visite, quand j’étais enfant, j’allais sans tarder dans la pièce où se trouvait cet instrument et je me mettais à en jouer sans me lasser ; j’aimais beaucoup les sonorités du piano. Puis, je suis allé au conservatoire et lorsque j’ai commencé ma formation, le conservatoire m’a demandé de travailler les sonorités et la technique sur un piano. Alors, pour m’acheter ce piano, j’ai accompagné les chanteurs à la guitare, dans les festivals, pendant une période. Quand j’ai acquis mon piano, j’ai arrêté la guitare et me suis mis sérieusement à étudier le piano.

 -  Avec ta musique, tu prouves que le piano est Flamenco et peut exprimer tous les sentiments, comme le fait la guitare. Qu’en penses-tu ?

 - Je pense réellement que les instruments sont des sons, des tonalités. Ce qui est important, c’est l’interprète. Là est la question. Le Flamenco, je l’assume depuis mon plus jeune âge et si même je jouais de la guitare, cela sonnerait Flamenco. Là est la clef. Le piano n’est qu’un instrument, ce qui est déjà bien, mais ce qu’il apporte ce n’est qu’une tonalité. Par rapport à la technique de la guitare, avec le piano, il faut passer par d’autres chemins. En assumant cela, je pense que, au fond, c’est tout à fait possible de traduire les émotions avec cet instrument et de le faire vibrer sur la fréquence du Flamenco.

 - La fierté Gitane est récurrente dans ta musique et plusieurs thèmes se réfèrent au peuple Gitan, à son histoire. Citons par exemple, le célèbre thème « Orobroy » que tu as composé il y a vingt ans et dont tu as inclut une nouvelle version dans ton album « El tiempo por testigo ».  La musique est-elle aussi un moyen pour toi de faire passer des messages?

 - Sans chercher à tomber dans le fanatisme, car je pense que le fanatisme n’est bon pour rien, il est vrai que je suis fier d’être Gitan et je sais que, nous autres, avons des valeurs qui sont ni pires ni meilleures que celles des autres, mais qui sont simplement  différentes et avec lesquelles je suis en phase. Je sais que je peux apporter aux autres une prise de conscience de certaines choses, et changer le regard que l’on porte sur notre peuple. Tu vois, par exemple, je suis passé par le conservatoire et je suis bien engagé dans ma carrière artistique. J’ai un cousin qui est architecte, un autre qui est avocat ; mon frère ainé est technicien du son. Nous sommes tous studieux.  Cela prouve, d’une part, que nous pouvons être comme les autres. D’autre part, l’histoire des Gitans est très intéressante ; elle est pleine de parties obscures et de joie. Cela a toujours attiré mon attention et j’aime refléter cela dans ma musique. C’est une histoire où il y a beaucoup de choses à dire.

 - « Orobroy » est un thème très important pour le monde Gitan. De plus, cette chanson est devenue très célèbre. Te perçois-tu comme le porte parole du monde Gitan ?

- Je ne sais  si l’on me considère comme le porte parole du monde Gitan. Une chose est sure, c’est que j’ai composé « Orobroy » quand j’étais très jeune, je devais avoir quatorze ans. Je l’avais mis de coté jusqu’à ce que je le ressorte et l’enregistre, il y a vingt ans de cela. Dorénavant, je ressens que ce thème ne m’appartient pas car tout le monde l’a fait sien et s’identifie à lui. Le peuple Gitan en fait de même. Peut être que c’est le thème qui nous unit tous. Je suis un créateur, ou simplement celui qui a trouvé le thème et qui l’a mis en place.

 - Dans la nouvelle version d’ « Orobroy », vingt huit enfants de la chorale « Meridianos » t’accompagnent au chant. Pourquoi as-tu choisi de travailler avec eux?

 - Le  « Coro Meridianos » provient du Poligono Sur, à Séville. Il est constitué d’enfants que la société a délaissés, qui sont défavorisés autant dans le domaine familial que matériel. Meridianos est un organisme qui a pour objectif de faire émerger le talent de ces enfants pour  qu’ils puissent évoluer et avancer dans la vie, trouver un équilibre et une place dans cette société. Quand j’ai rencontré les enfants de cette chorale, j’ai eu envie de les aider. Ils sont venus dans mon studio et nous avons enregistré ensemble la nouvelle version d’« Orobroy ». Le fait de les choisir pour chanter cette chanson, cela a vraiment un sens pour moi comme pour eux. Leur participation a été très constructive pour nous tous.

-Dans ton nouvel album, tu comptes aussi sur la participation de Javier Ruibal et de Francis Posé. Tu sais vraiment bien t’entourer, n’est-ce pas ?

 - En effet, Javier Ruibal est un très bon batteur. Il provient de la musique Pop et d’autres univers, mais il sait très bien s’adapter au Flamenco. Quant à Francis Posé, musicien qui provient du Jazz, c’est un grand contrebassiste. J’accorde autant d’importance aux compétences artistiques qu’aux qualités humaines des musiciens qui m’entourent.  Javier Ruibal et Francis Posé sont aussi de très bons amis et il y a une très belle connexion entre nous.

- Avec le temps, as-tu changé ta manière de ressentir et de vivre le Flamenco et la musique, en général ?

- Oui, avec le temps, j’ai changé ma manière de ressentir la musique, la vie et tout ce qui m’entoure. Au travers de l’expérience et du temps, les êtres humains changent. Au début, il y a vingt ans, je travaillais dans une chambre de deux mètres carrés. J’étudiais sans cesse et je composais. Dans le cadre de ma carrière artistique, je commençai à voyager et à découvrir beaucoup de pays, beaucoup d’endroits. De plus, toute cette expérience acquise avec d’autres musiciens et d’autres styles de musiques, comme par exemple avec Renaud Garcia Fons avec lequel j’ai enregistré l’album antérieur, me fait voir la musique d’une manière différente et me permet de continuer à apprendre de tout cela.

- Comme tu le dis, dans ta musique tu dialogues parfois avec d’autres styles de musique comme le jazz. Pour toi, cette rencontre avec d’autres univers musicaux, est-ce une nécessité ou est-ce simplement par curiosité ?

 - C’est une nécessité. J’ai réellement besoin de ne pas rester seulement dans le Flamenco, et de m’ouvrir à d’autres styles de musique. Le Flamenco est très riche mais j’ai besoin de partager ma musique avec d’autres musiciens. Je m’intéresse aussi à la manière dont compose les musiciens comme Bella Bartok, Stravinsky  ou d’autres afin de m’ouvrir davantage. Je ne délaisse absolument pas le Flamenco, mais j’ai besoin de laisser s’épanouir ma part d’artiste universel.

 - Tu as l’honneur d’avoir introduit avec maestria le piano dans le « toque Flamenco », et de porter cet instrument en tant que soliste dans toutes les scènes du monde. Tu es considéré comme le meilleur pianiste du monde Flamenco. Quel est le secret de ta créativité et de ta réussite à l’échelle internationale ?

 - En fait, je ne le sais pas… c’est très difficile de déterminer cela. Je trouverais une explication dans la valeur que j’accorde au travail, à la volonté de se dépasser  et de ne jamais se contenter d’un niveau acquis mais toujours essayer d’aller de l’avant. Le Flamenco me donne une couleur très différente des autres pianistes et, à partir de cela, il ne s’agit pas de se conformer à cette couleur mais plutôt d’essayer d’avancer en travaillant et en gardant cette ouverture d’esprit, en continuant à boire à plusieurs sources : celle du Flamenco mais aussi celles qui sont au delà. Mais, par-dessus tout, c’est le travail qui permet d’avancer !

 - Quels conseils donnerais-tu aux élèves qui pratiquent le piano Flamenco et qui souhaitent se professionnaliser ?

- Le meilleur conseil que je pourrais leur donner c’est que, au delà du fait qu’il faut beaucoup travailler, il est nécessaire de beaucoup écouter le rythme, d’apprendre à maitriser le compas car cela est essentiel dans le Flamenco. Ecouter beaucoup de guitare, du chant, essayer aussi de sentir comment on respire le Flamenco, la philosophie du Flamenco et comment on le vit. Tout cela est très important pour se professionnaliser.

 - Tu prépares une tournée pour la sortie d' "El tiempo por testigo" et tu seras en concert à Paris, le 18 novembre prochain. Quelles sont tes impressions sur le fait de revenir en France ?

 - Je viens beaucoup en France, dans différentes villes. Revenir à Paris, devant un public français, cela me réjouit vraiment. Je ne dis pas cela parce que tu es française, mais parce que cela vient du cœur. Le public français est un public qui reçoit, qui respecte et qui ressent la musique. Chaque fois que j’ai un concert en France, je suis fou de joie.

 - Nous aussi, nous t’attendons avec impatience. Quels sont les autres pays dans lesquels tu vas effectuer ta tournée ?

 - Je vais jouer en Hollande, à New York, en Angleterre, au Portugal, en Pologne, en Espagne…

 - Cela fait une belle tournée! Quelle importance accordes-tu au fait de jouer en direct, devant un public ?

 - C’est très important pour moi de jouer et de défendre chaque album en direct, de jouer devant différents publics, dans différents pays. Ce sont des  beaux moments de ma vie de musicien. Pendant le concert, s’il manque une note, cela n’a pas vraiment d’importance pour moi. Ce que je privilégie par-dessus tout,  c’est que le public ressente ma musique. Jusqu’à maintenant, avec ce projet, j’ai la grande chance que le public soit très réceptif, qu’il se lève , applaudisse et qu’il demande des rappels. Pour moi, c’est parfait !

- David Dorantes, nous te souhaitons beaucoup de succès pour cette tournée et pour ce nouvel album qui est un petit bijou dont nous recommandons vivement l’écoute!A bientôt.

- Merci à toi, et à bientôt.     

  Site web de Dorantes: www.dorantes.es