Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview de Diego Amador réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena', en octobre 2010,  pour Musique Alhambra

 

 

Pianiste, guitariste, chanteur et percussionniste, Diego Amador est le benjamin d'une lignée de musiciens gitans vivant à Las tres mil Viviendas , la plus grande cité d'HLM de la périphérie de Séville. Avec sa musique à la fois ancrée dans la tradition flamenca et ouverte sur d'autres styles musicaux, notamment le jazz, Diego Amador a crée un univers personnel dans lequel il s'exprime avec une virtuosité et une sensibilité telles qu'il est demandé par les plus grands musiciens comme Tomatito, Chick Corea ou Larry Coryell. Lors de son spectacle aux Folies Bergères, à Paris, il était accompagné par ses musiciens habituels et  par Bireli Lagrène, le 'monstre sacré' du jazz manouche. A l'issue de cette merveilleuse représentation, il nous a reçu très chaleureusement dans sa loge, pour réaliser l'entretien qui suit:

 

- Ce soir, nous avons assisté à ton magnifique spectacle dans lequel le public a pu apprécier ton talent de pianiste et de chanteur...mais tu ne jouais pas de guitare; c'est pourtant un instrument que tu maitrises aussi parfaitement...

- Oui, mais ce soir, Bireli Lagrène était là, et c'était formidable d'être accompagné par ce grand guitariste.

- Pourrais-tu nous parler de ta collaboration avec lui?

- Nous nous connaissons depuis plus de 15 ans. En 1998, nous avions participé à évènement nommé 'Palabra de guitarra' (parole de guitare). J' accompagnais Larry Coryell, Tomatito, Joan Bibiloni et d'autres grands guitaristes. J'étais le percussionniste de tous et comme le thème  central était la guitare, je les accompagnais en faisant des percussions sur le coffret de ma guitare. Par la suite,  j'ai invité Bireli Lagrène à participer à l'enregistrement de l'album 'El aire de lo puro' sorti en 2001.

- Tu as accompagné la grande danseuse la Farruca au chant et au piano,  ce soir.  Ce n'est pas la première fois que tu travailles avec elle, n'est-ce pas?

- En fait, nous nous connaissons depuis longtemps. Nous connaissions aussi le père, le grand-père, le Maestro Farruco. C'est une belle relation.

- L'utilisation du piano dans la musique Flamenca, c'est un concept assez récent. Pourquoi as-tu choisi ce moyen d'expression, toi qui a des racines gitanes, et qui a reçu un enseignement traditionnel?

- Comme tu le dis, ce que je détiens en premier, ce sont mes racines gitanes. Je suis issu d'une famille de guitaristes, de cantaores et donc, à la maison, j'ai surtout écouté de la musique. Mais, j'aimais aussi beaucoup le jazz et c'est ainsi que le piano a capté mon attention et que j'ai voulu faire du piano. Je me suis lancé et, au fur et à mesure, je voyais que ma musique et mon style commençaient à se façonner. Ce que j'écoutais m'apportait beaucoup aussi.

- Par quel instrument as-tu commencé? la voix, la guitare ou le piano?

- Mon entourage actuel connait davantage ma facette de chanteur et pourtant, la guitare était mon premier instrument. En fait, quand mon père m'apprenait les premiers accords de guitare, il m'enseignait les bases de chaque palo qui accompagnait le chant. Donc, je devais chanter por seguiriya, solea ou alegria, par exemple, mais comme je n'avais jamais chanté dans les fêtes car cela m'intimidait beaucoup, ma voix est sortie au fur et à mesure de mon apprentissage de la guitare.

- Comment intègres-tu le Flamenco dans ta musique où la présence du jazz est très importante?

- Je me base toujours sur les palos du Flamenco. Tout ce que je fais, je le fais soit sur une buleria, ou d'autres  palos à caractère festif, sur des rythmes sur lesquels on peut bouger et improviser davantage. Je compose avec tout cela et aussi avec ce que j'ai vécu et écouté.

- Comment caractériserais-tu ton style musical?

- Ce que je fais, c'est une forme de Flamenco fusion puisque quand je fais une falseta, c'est du Flamenco et quand je chante, je chante du flamenco.

- Comment as-tu appris le piano?

- Je suis totalement autodidacte; je ne connais aucune note et je ne sais pas déchiffrer une partition. J'ai appris entièrement à l'oreille et avec le temps. Les pianistes qui me voient jouer de cet instrument me disent qu'ils ne peuvent jouer du piano de cette manière. En fait, je joue du piano comme je joue de la guitare... je suis un guitariste sur le piano, en quelque sorte.

- Pourrais-tu nous parler de la cité de las 3000 Viviendas, en périphérie de Séville, quartier dans lequel tu as vécu et dont beaucoup de grands artistes sont issus?

- On a toujours dit que dans les quartiers pauvres, marginalisés, là où il y a la souffrance, il y a  beaucoup plus de sentiments qu'ailleurs. C'est ce qui se passe aussi dans le blues car cette musique provient des quartiers défavorisés, là où les gens ont connu la faim, la pauvreté. Quand j'étais enfant, mon quartier était très différent de ce qu'il est maintenant. Avant, nous formions tous une grande famille. L'été, nous nous mettions à l'ombre et nous partagions notre repas avec les voisins. L'un ramenait une bière, l'autre une omelette ou autre chose et nous partagions cela. Nous nous réunissions tous et lorsque la nuit venait, nous étalions une grande couverture sur le sol et les enfants s'y installaient ainsi que ceux qui le souhaitaient. Quelqu'un se mettait à chanter et un autre se mettait à l'accompagner à la guitare. Il y avait cette convivialité entre nous. J'évoque une époque où la drogue n'était pas aussi présente. Quand elle est arrivée, les choses se sont dégradées, une partie de la jeunesse a commencé à sombrer dedans.

- Penses-tu que artistes qui vivent là bas ou qui sont en contact avec la jeunesse peuvent améliorer les choses?

- Oui, en partie, car la bonne énergie, l'énergie positive, la force, l'esprit peuvent  changer le cours des choses.

- Pour la jeunesse, tu es un bon exemple de créativité et d'énergie positive, n'est-ce pas?

- Oui, c'est bon pour les enfants. C'est une bonne référence pour ceux qui veulent s'en sortir.

-  Avec tes frères Raimundo et Rafael, vous formiez le groupe mythique des Pata Negra, dans les années 80. Travailles-tu encore avec tes frères musiciens ?

- En effet, mes débuts dans ce groupe, lorsqu'il existait encore, remontent à plusieurs années. Depuis, j'ai souvent travaillé avec Raimundo. Nous avons une relation fraternelle ainsi qu'un lien au travers la musique.

- Aurais-tu un projet artistique à nous annoncer?

- Je n'aime pas trop parler des projets, mais il y en a certains que je peux évoquer, comme, par exemple, un projet d'album avec Charlie Haden, un des grands maitres de la contrebasse dans le jazz. C'est un génie. Nous nous étions rencontré au Festival Jazz de Victoria. Patt Metheny et Charlie Haden passaient sur scène, avant nous. Après le spectacle, nous avons improvisé ensemble. Cela leur a tant plu qu'ils voulaient m'intégrer dans un projet musical. Cela m'a beaucoup ému car j'écoute leur musique depuis si longtemps et j'aime beaucoup leur travail. C'est comme lorsque j'ai accompagné Chick Corea. Je n'en croyais pas mes yeux. C'était un rêve qui se réalisait.

- Quel conseil donnerais-tu aux musiciens qui veulent évoluer?

- Il est nécessaire de beaucoup travailler et de beaucoup pratiquer le piano. Je suis aussi constamment en contact avec la musique, lorsque j'en écoute ou lorsque je compose.

- Quels sont les principes essentiels qui caractérisent ta manière d'être et de vivre ton art?

- La liberté de création, c'est une chose fondamentale. Jouer avec tout ce qui nous attire car tout peut être de la musique. Ne jamais mettre de barrière dans notre travail. Si le palo ne peut sortir ici, ou là bas, le faire et le refaire jusqu'à ce qu'il émerge. Quand on nait Flamenco, quand on a une âme Flamenca, avec des racines de guitaristes, tout peut se faire, avec respect.

- Diego, merci  pour cet entretien!

- Merci à toi....

 

 

Visiter le site Web de Diego Amador: http://www.diegoamador.es

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Remerciements à Maria José,  Romero Diaz et  Cristina Magdalena de l'association La Gitanilla