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Interview de Cristina Hoyos

réalisée par Isabelle Jacq Gamboena

en décembre 2011 

pour Musique Alhambra

 

 

 

 

Ambassadrice du Flamenco sur scène et au cinéma, Cristina Hoyos fait rayonner le Flamenco depuis de nombreuses années sur les scènes les plus prestigieuses du monde. Lors de son passage à Paris pour présenter sa nouvelle création ''El poema del cante jondo- En el café de Chinitas", cette danseuse illustre a montré une nouvelle fois au public parisien la force et l'immensité de son talent. Nous avons eu le plaisir de la retrouver dans sa loge, et c'est avec une gentillesse inouïe qu'elle a nous a accordé l'entretien suivant:

-Merci beaucoup Cristina pour ce magnifique spectacle que tu as présenté récemment au public à Paris, ville où tu viens régulièrement. Quel est ton lien avec cette ville?

- Je suis très attachée à Paris. C'est ici que j'ai inauguré plusieurs spectacles. Paris me rappelle aussi une étape de ma carrière artistique, celle avec Antonio Gades car la première fois que je suis venue dans cette ville, c'était avec lui, en 1969, pour présenter un spectacle au Théâtre de l'Odéon. Les critiques avaient été très bonnes et le public a été merveilleux avec nous. Je porte Paris dans mon cœur. J'ai dansé aussi à l'Opéra Garnier et c'était la première fois que ce lieu prestigieux présentait un spectacle de Flamenco au public. Suite à cela, j'ai dansé de nombreuses fois dans les Théâtres parisiens.

- Parlons aussi de Séville, ta ville natale. Tu résides dans cette ville, n'est-ce pas?

- Oui. Je suis née à Séville et j'ai vécu plusieurs années à Madrid, pour concrétiser certains de mes projets professionnels car, à l'époque, Séville était une petite ville où il n'y avait pas beaucoup de travail. Je suis donc partie à Madrid. Puis j'ai parcouru le monde entier lors de mes nombreuses tournées et, 20 ans après, je suis revenue vivre à Séville. Séville est une source du Flamenco. C'est dans cette ville que j'ai crée un ballet et qu'ont lieu les répétitions.

- A Séville, tu as crée aussi un magnifique Musée du baile Flamenco. Comment ce projet est-il né?

- Comme je savais qu'un jour je devrais me retirer de la scène et que je souhaitais continuer malgré tout à garder le lien avec la danse,  j'ai eu l'idée de créer une école de baile Flamenco, mais cela ne suffisait pas car si j'avais concrétisé uniquement ce projet, seuls les gens qui voulaient réellement apprendre le Flamenco seraient venus. En fait, je voulais hisser le Flamenco dans la grande catégorie des arts qui méritent qu'on leur consacre un Musée et que celui-ci s'adresse à tout type de public comme par exemple celui qui souhaite pratiquer cette danse ou encore celui qui souhaite découvrir l'aspect théorique du Flamenco. J'ai donc crée ce musée dans un style moderne et dans lequel des professeurs dispensent aussi des cours et des stages de danse pour tous les niveaux. J'ai souhaité faire ce Musée sur ma terre qui est Séville et  je veux donner tout ce que je peux au Flamenco car il m'a déjà tellement donné!

- Tu as présenté récemment au Palais des Congrès le spectacle intitulé ''El poema del cante jondo- En el café de Chinitas", qui est une adaptation à la scène des poèmes de Federico Garcia Lorca. Tu avais déjà crée des spectacles sur l'œuvre de Lorca, n'est-ce pas?

- Oui. Personnellement, c'est la troisième création que je fais sur le thème des poèmes de Federico Garcia Lorca. J'ai monté ces différents spectacles pour le Festival nommé "Lorca y Granada" qui a lieu en Andalousie, à Grenade. Comme il fallait créer un troisième spectacle autour de ce poète et comme celui-ci est une véritable source d'inspiration pour nous, j'ai monté ce spectacle en collaboration avec José Carlos Plaza, un grand directeur d'opéra et de théâtre. Il a collaboré avec moi sur la partie Flamenca. "Poema del cante jondo" et "En el café de Chinitas" sont deux poèmes différents. Dans le poème du cante jondo, nous retrouvons les letras les plus profondes, les plus dramatiques, celles qui parlent de la solitude, du cri, celle où il y a la Saeta, une Petenera, ces palos si dramatiques et profonds. Cette partie est présentée dans le petit théâtre. Dans le café, les artistes interprètent les cantes populaires de las Chinitas, qui sont des chants populaires crées par Lorca. C'est la partie joyeuse et festive du spectacle. Ce contraste entre l'aspect festif et l'aspect tragique des différentes parties fonctionne très bien, il me semble.

- Oui, parfaitement...concernant le Flamenco en général, comment ressens-tu  son évolution et le flamenco actuel?

- J'aime être de mon temps. De même que la vie évolue, le flamenco en fait autant, surtout d'un point de vue technique. Avant, nous étions plus anarchiques dans notre manière de danser.  La technique de la danse s' est beaucoup structurée et cette technique, nous la mettons au service de notre art. La technique apporte la liberté, la sécurité. Prenons l' exemple de mon nouveau spectacle: je voulais faire quelque chose de neuf car j'aime être de mon temps dans les lumières, la mise en scène, faire des grands spectacles, les enrichir, les affiner. Donc, je le fais toujours sans perdre les racines ni l'essence du Flamenco. C'est ma manière d'être de mon temps.

- Ton Ballet rassemble de nombreux artistes. Sur quels critères les as-tu choisis?

- Il y a 22 artistes. Je les choisis car, d'abord, je les connais depuis longtemps. Ils ont déjà été dans ma compagnie. Pour certains d'entre eux, je suis allée les voir danser dans un tablao ou ailleurs. Je les choisis car je pense qu'ils sont adaptés à ma manière de danser et de voir la danse. Je les choisis aussi car ce sont de bons professionnels qui aiment le baile et qui ont un comportement discipliné...de plus, ce sont de 'bonnes personnes'.

- Pourrais-tu nous parler de ta formation et des évènements clefs de ta carrière artistique?

- Ma formation a été un peu étrange car il n'y a pas d'artistes dans ma famille. Tout a commencé quand j'étais petite, lorsque mon père ramena une radio à la maison. Quand je revenais de l'école, au lieu de jouer, comme tous les enfants, moi j'allumais la radio et je me mettais à danser sur toutes les coplas andalouses et d'autres chansons et musiques. Mes parents se rendirent compte que je passais mon temps à danser et comme je viens d'une famille modeste, ils firent beaucoup d'efforts pour me payer des cours dans une académie de danse. Très peu de temps après que j'ai intégré cette académie de danse, une programmation enfant s'ouvrit dans le théâtre et c'est dans cette programmation que j'ai commencé à danser jusqu'à l'âge de 16 ans. Je commençais à voyager et à danser. Bien qu'il y eut un homme très bon à Séville, Enrique El Cojo avec lequel je prenais des cours quand je commençais à gagner ma vie, il arriva le moment où Séville fut trop petite car j'entendais parler des grands ballets et des grands danseurs, des maestros, et ils étaient tous à Madrid. Je partis donc dans la capitale et quand j'arrivai là bas, je me rendis compte à quel point j'avais encore beaucoup à apprendre, surtout sur l'aspect technique de la danse car, pour ce qui est du cœur et des sentiments, j'avais déjà tout le cœur du monde pour danser et un véritable amour pour la danse. J'appris la technique et tout ce qui s'y réfère: le placement du corps, la gestuelle, etc. Par chance, Antonio Gades me vit danser et me proposa de travailler dans sa compagnie. Alors que nous faisions des répétitions ensemble et qu'il aimait ma manière de danser, il fit de moi sa partenaire artistique. Il était un très grand danseur et chorégraphe;  j'ai donc eu une très grande chance de danser à ses côtés. Je remercie la vie de m'avoir fait rencontrer ce danseur et d'avoir travaillé plus de 20 ans avec lui.

-  Ton talent est immense, nous le reconnaissons tous. Tous ces grands moments que tu as vécus, toutes ces belles rencontres, ta trajectoire artistique fulgurante, est-ce du à la chance, au travail? les deux à la fois?

- Je crois qu'il y a une corrélation importante entre le baile, le théâtre et le Flamenco. Ce sont ces trois choses que j'aime et qui sont vitales pour moi. Je suis une artiste qui a beaucoup aimé la danse; je travaille sans relâche depuis de nombreuses années. Je n'ai jamais compté les heures de bus (dans les années 70), de train, d'avion, les répétitions et les nombreux déplacements que j'ai effectués pour danser sur toutes les scènes du monde. Il y a une part de chance dans mon parcours artistique mais il y a surtout beaucoup de travail. Je suis une femme combative et travailleuse.

- Quels sont les moments de ta carrière artistique qui sont restés gravés dans ton cœur?

- J'ai 50 ans de carrière artistique...et il y a tant de moments importants que je ne pourrais les citer tous! Voici quelques moments qui me viennent à l'esprit: mon passage à l'Opéra Garnier, à Paris, et les jeux Olympiques de Barcelone, en 1992. A Barcelone, c'est la fois où il y a eu le plus de monde à me voir danser, en une seule soirée...c'était très émouvant. Je me rappelle aussi les débuts de "Carmen" ici, au Théâtre de Paris, avec Antonio Gades. Il y a eu "Bodas de sangre" aussi... Un autre moment: celui où je suis remontée sur la scène après avoir vaincu le cancer. ça a été un moment très important aussi.

- Nous sommes très heureux que tu sois guérie. Pourrais-tu nous parler aussi de ta collaboration avec Carlos Saura?

- Ma collaboration avec Carlos Saura a été très importante pour moi. Tout a commencé quand un producteur dont la femme était très aficionada au Flamenco a apprécié mon projet d'adapter à l'écran l'œuvre intitulée "Bodas de Sangre" (1981) de Federico Garcia Lorca. Ce producteur a contacté Carlos Saura. Celui-ci a accepté le projet et l'a réalisé. Ce film eut un tel succès que, très vite, Carlos Saura prépara un deuxième film qui fut "Carmen"(1983), puis un troisième qui fut "El amor Brujo"(1986). Avec ce triptyque et nos tournées, nous avions environ 9 mois de travail par an. C'était incroyable! Partout où nous allions, le public nous félicitait et nous remerciait pour notre travail et à propos des films. Les critiques furent très positives. Grace au travail de Carlos Saura, nous fûmes comblés.

- Pour toi, qu'est-ce que le Flamenco?

- Personnellement, le Flamenco, c'est ma vie et le résumer en quelques mots, cela me parait bien difficile, car le Flamenco est encore très énigmatique. Le Flamenco est une partie de la culture de l'Andalousie et c'est aussi une manière de vivre. C'est un art très passionnel dans lequel nous donnons notre vie. Avec notre musique, notre chant et notre danse, nous développons des thèmes tels que l'amour, la joie, la tragédie, la tristesse, la sensualité... C'est le reflet de la vie et des sentiments les plus importants qui sont: la joie, la tragédie et la passion. C'est un art vivant dans lequel nous livrons nos émotions et nous transmettons beaucoup de nous-même. C'est aussi pour cela que c'est un art qui touche et fait vibrer les gens.

- Le Flamenco actuel, comment le perçois-tu?

- Le Flamenco continue d'évoluer. Il y a de très bons professionnels dans le cante, la musique et le baile, mais en tant que professionnelle de la danse, je peux affirmer qu'il y a un éventail d'artistes merveilleux, qui sont des gens très professionnels, des grands artistes qui luttent avec force et courage dans cette période difficile de crise. Ce sont des gens formidables grâce auxquels le Flamenco ouvre de nouvelles portes et poursuit son chemin. Le jour où des artistes comme moi se retirent, nous sommes confiants car la relève est assurée par ces professionnels qui dansent divinement. Celui qui a le plus d'opportunités réussira à être célèbre et continuera à évoluer dans son baile.

- Quels sont tes projets?

- Mon projet est de continuer à faire des chorégraphies. Je fais aussi des chorégraphies d'Opéra comme, par exemple, l'Opéra de Carmen ou des chorégraphies de zarzuelas. Je souhaite maintenir ma compagnie et cela n'est pas toujours facile car c'est une grande compagnie mais ma sœur qui est manager et qui s'occupe des tournées travaille très bien. Si un programmateur a besoin aussi d'une formation plus réduite, elle répond aussi à la demande. J'ai aussi le projet de retourner en Chine, l'année prochaine.

- Aurais-tu une réflexion à rajouter sur ta vie de danseuse et de chorégraphe?

- Je remercie la vie de m'avoir donné une chose si bonne qu'est la danse. J'aime cet art passionnément et bien que je me retire de la scène, je serai toujours liée à la danse en tant que Directrice artistique et chorégraphe. Ainsi, j'aurai l'espoir de revenir à nouveau à Paris.

- Nous t'attendons tous avec impatience. Merci beaucoup Cristina pour ce moment que tu nous a accordé et pour ton immense talent... à très bientôt!

Nous remercions Nicole et Romero Diaz productions