Ambassadrice du Flamenco sur
scène et au cinéma, Cristina Hoyos fait rayonner le Flamenco
depuis de nombreuses années sur les scènes les plus
prestigieuses du monde.
Lors de son passage à Paris
pour présenter sa nouvelle création ''El
poema del cante jondo- En el café de Chinitas",
cette danseuse illustre a montré une nouvelle fois au
public parisien la force et l'immensité de son talent.
Nous avons eu le plaisir de la retrouver dans sa loge, et c'est
avec une gentillesse inouïe qu'elle a nous a accordé l'entretien
suivant:

-Merci beaucoup Cristina pour ce magnifique spectacle que tu as présenté
récemment au public à Paris, ville où tu viens régulièrement.
Quel est ton lien avec cette ville?
- Je suis très attachée à Paris. C'est ici que j'ai
inauguré plusieurs spectacles. Paris me rappelle aussi une étape
de ma carrière artistique, celle avec Antonio Gades car la
première fois que je suis venue dans cette ville, c'était avec
lui, en 1969, pour présenter un spectacle au Théâtre de l'Odéon.
Les critiques avaient été très bonnes et le public a été merveilleux
avec nous. Je porte Paris dans mon cœur. J'ai dansé aussi à
l'Opéra Garnier et c'était la première fois que ce lieu
prestigieux présentait un spectacle de Flamenco au public. Suite
à cela, j'ai dansé de nombreuses fois dans les Théâtres
parisiens.
- Parlons aussi de Séville, ta ville natale. Tu résides dans
cette ville, n'est-ce pas?
- Oui. Je suis née à Séville et j'ai vécu plusieurs années à
Madrid, pour concrétiser certains de mes projets professionn els
car, à l'époque, Séville était une petite ville où il n'y avait
pas beaucoup de travail. Je suis donc partie à Madrid. Puis j'ai
parcouru le monde entier lors de mes nombreuses tournées et, 20
ans après, je suis revenue vivre à Séville. Séville est une
source du Flamenco. C'est dans cette ville que j'ai crée un
ballet et qu'ont lieu les répétitions.
- A Séville, tu as crée aussi un magnifique Musée du baile
Flamenco. Comment ce projet est-il né?
- Comme je savais qu'un jour je devrais me retirer de la scène
et que
je souhaitais continuer malgré tout à garder le lien avec la danse, j'ai eu l'idée de créer une école de baile Flamenco,
mais cela ne suffisait pas car si j'avais concrétisé uniquement
ce projet, seuls les gens qui voulaient réellement apprendre le
Flamenco seraient venus. En fait, je voulais hisser le Flamenco
dans la grande catégorie des arts qui méritent qu'on leur
consacre un Musée et que celui-ci s'adresse à tout type de
public comme par exemple celui qui souhaite pratiquer cette
danse ou encore celui qui souhaite découvrir l'aspect théorique
du Flamenco. J'ai donc crée ce musée dans un style moderne et
dans lequel des professeurs dispensent aussi des cours et des
stages de danse pour tous les niveaux. J'ai souhaité faire ce
Musée sur ma terre qui est Séville et je veux donner tout
ce que je peux au Flamenco car il m'a déjà tellement donné!
- Tu as présenté récemment au Palais
des Congrès le
spectacle intitulé ''El
poema del cante jondo- En el café de Chinitas", qui est une
adaptation à la scène des poèmes de Federico Garcia Lorca. Tu
avais déjà crée des spectacles sur l'œuvre de Lorca, n'est-ce
pas?
- Oui. Personnellement, c'est la troisième création que je fais
sur le thème des poèmes de Federico Garcia Lorca. J'ai monté ces
différents spectacles pour le Festival nommé "Lorca y Granada"
qui a lieu en Andalousie, à Grenade. Comme il fallait créer un
troisième spectacle autour de ce poète et comme celui-ci est une
véritable source d'inspiration pour nous, j'ai monté ce
spectacle en collaboration avec
José Carlos Plaza, un grand
directeur d'opéra et de théâtre. Il a collaboré avec moi sur la
partie Flamenca. "P oema del cante jondo" et "En el café
de Chinitas" sont deux poèmes différents. Dans le poème du cante
jondo, nous retrouvons les letras les plus profondes, les
plus dramatiques, celles qui parlent de la solitude, du cri,
celle où il y a la Saeta, une Petenera, ces
palos si dramatiques et profonds. Cette partie est présentée
dans le petit théâtre. Dans le café, les artistes interprètent
les cantes populaires de las Chinitas, qui sont
des chants populaires crées par Lorca. C'est la partie joyeuse
et festive du spectacle. Ce contraste entre l'aspect festif et
l'aspect tragique des différentes parties fonctionne très bien,
il me semble.
- Oui,
parfaitement...concernant le Flamenco en général, comment
ressens-tu son évolution et le flamenco actuel?
- J'aime
être de mon temps. De même que la vie évolue, le flamenco en fait
autant, surtout d'un point de vue
technique. Avant, nous étions plus anarchiques dans notre
manière de danser. La technique de la danse s' est
beaucoup structurée et cette technique, nous la mettons au
service de notre art. La technique apporte la liberté, la
sécurité. Prenons l' exemple de mon nouveau spectacle: je voulais faire quelque chose
de neuf car j'aime être de mon temps dans les lumières, la mise
en scène, faire des grands spectacles, les enrichir, les
affiner. Donc, je le fais toujours sans perdre les racines ni
l'essence du Flamenco. C'est ma manière d'être de mon temps.
- Ton Ballet rassemble de nombreux artistes. Sur quels critères
les as-tu choisis?
- Il y a 22 artistes. Je les choisis car, d'abord, je les
connais depuis longtemps. Ils ont déjà été dans ma compagnie.
Pour certains d'entre eux, je suis allée les voir danser dans un
tablao ou ailleurs. Je les choisis car je pense qu'ils sont
adaptés à ma manière de danser et de voir la danse. Je les
choisis aussi car ce sont de bons professionnels qui aiment le
baile et qui ont un comportement discipliné...de plus, ce sont
de 'bonnes personnes'.
- Pourrais-tu nous parler de ta formation et des évènements
clefs de ta carrière artistique?
- Ma formation a été un peu étrange car il n'y a pas d'artistes
dans ma famille. Tout a commencé quand j'étais petite, lorsque
mon père ramena une radio à la maison. Quand je revenais de
l'école, au lieu de jouer, comme tous les enfants, moi
j'allumais la radio et je me mettais à danser sur toutes les
coplas andalouses et d'autres chansons et musiques. Mes parents se rendirent
compte que je passais mon temps à danser et comme je viens d'une
famille modeste, ils firent beaucoup d'efforts pour me payer des
cours dans une académie de danse. Très peu de temps après que
j'ai intégré cette académie de danse, une
programmation enfant s'ouvrit dans le théâtre et c'est dans cette
programmation que j'ai commencé à danser jusqu'à l'âge de 16
ans. Je commençais à voyager et à danser. Bien qu'il y eut un
homme très bon à Séville, Enrique El Cojo avec lequel je
prenais des cours quand je commençais à gagner ma vie, il arriva
le moment où Séville fut trop petite car j'entendais parler des
grands ballets et des grands danseurs, des maestros, et
ils étaient tous à
Madrid.
Je partis donc dans la capitale et quand j'arrivai là bas, je me
rendis compte à quel point j'avais encore beaucoup à apprendre,
surtout sur l'aspect technique de la danse car, pour ce qui est
du cœur et des sentiments, j'avais déjà tout le cœur du monde
pour danser et un véritable amour pour la danse. J'appris la
technique et tout ce qui s'y réfère: le placement du corps, la
gestuelle, etc. Par chance, Antonio Gades me vit danser
et me proposa de travailler dans sa compagnie. Alors que nous
faisions des répétitions ensemble et qu'il aimait ma manière de
danser, il fit de moi sa partenaire artistique. Il était un très
grand danseur et chorégraphe; j'ai donc eu une très grande
chance de danser à ses côtés. Je remercie la vie de m'avoir fait
rencontrer ce danseur et d'avoir travaillé plus de 20 ans avec
lui.
- Ton talent est
immense, nous le reconnaissons tous. Tous ces grands moments que
tu as vécus, toutes ces belles rencontres, ta trajectoire
artistique fulgurante, est-ce du à la chance, au travail? les
deux à la fois?
- Je crois qu'il y a une corrélation importante
entre le baile, le théâtre et le Flamenco. Ce sont ces
trois choses que j'aime et qui sont vitales pour moi. Je suis
une artiste qui a beaucoup aimé la danse; je travaille sans
relâche depuis de nombreuses années. Je n'ai jamais compté les
heures de bus (dans les années 70), de train, d'avion, les
répétitions et les nombreux déplacements que j'ai effectués pour
danser sur toutes les scènes du monde. Il y a une part de chance
dans mon parcours artistique mais il y a surtout beaucoup de
travail. Je suis une femme combative et travailleuse.
- Quels sont les moments de ta
carrière artistique qui sont restés gravés dans ton cœur?
- J'ai 50 ans de carrière artistique...et il y a
tant de moments importants que je ne pourrais les citer tous!
Voici quelques moments qui me viennent à l'esprit: mon passage à
l'Opéra Garnier, à Paris, et les jeux Olympiques de Barcelone,
en 1992. A Barcelone, c'est la fois où il y a eu le plus de monde
à me voir danser, en une seule soirée...c'était très émouvant.
Je me rappelle aussi les débuts de "Carmen" ici, au
Théâtre de Paris, avec Antonio Gades. Il y a eu "Bodas
de sangre" aussi... Un autre moment: celui où je suis
remontée sur la scène après avoir vaincu le cancer. ça a été un
moment très important aussi.
- Nous sommes très heureux que
tu sois guérie. Pourrais-tu nous parler aussi de ta
collaboration avec Carlos Saura?
- Ma collaboration avec Carlos Saura a été
très importante pour moi. Tout a commencé quand un producteur
dont la femme était très aficionada au Flamenco a
apprécié mon projet d'adapter à l'écran l'œuvre intitulée "Bodas
de Sangre" (1981) de Federico Garcia Lorca. Ce
producteur a contacté Carlos Saura. Celui-ci a accepté le
projet et l'a réalisé. Ce film eut un tel succès que, très vite,
Carlos Saura prépara un deuxième film qui fut
"Carmen"(1983), puis un troisième qui fut "El amor Brujo"(1986).
Avec ce triptyque et nos tournées, nous avions environ 9 mois de
travail par an. C'était incroyable! Partout où nous allions, le
public nous félicitait et nous remerciait pour notre travail et
à propos des films. Les critiques furent très positives. Grace
au travail de Carlos Saura, nous fûmes comblés.
- Pour toi, qu'est-ce que le
Flamenco?
- Personnellement, le Flamenco, c'est ma vie et
le résumer en quelques mots, cela me parait bien difficile, car
le Flamenco est encore très énigmatique. Le Flamenco est une
partie de la culture de l'Andalousie et c'est aussi une manière
de vivre. C'est un art très passionnel dans lequel nous donnons
notre vie. Avec notre musique, notre chant et notre danse, nous
développons des thèmes tels que l'amour, la joie, la tragédie,
la tristesse, la sensualité... C'est le reflet de la vie et des
sentiments les plus importants qui sont: la joie, la tragédie et
la passion. C'est un art vivant dans lequel nous livrons nos
émotions et nous transmettons beaucoup de nous-même. C'est aussi
pour cela que c'est un art qui touche et fait vibrer les gens.
- Le Flamenco actuel, comment
le perçois-tu?
- Le Flamenco continue d'évoluer. Il y a de très
bons professionnels dans le cante, la musique et le
baile, mais en tant que professionnelle de la danse, je peux
affirmer qu'il y a un éventail d'artistes merveilleux, qui sont
des gens très professionnels, des grands artistes qui luttent
avec force et courage dans cette période difficile de crise. Ce
sont des gens formidables grâce auxquels le Flamenco ouvre de
nouvelles portes et poursuit son chemin. Le jour où des artistes
comme moi se retirent, nous sommes confiants car la relève est
assurée par ces professionnels qui dansent divinement. Celui qui
a le plus d'opportunités réussira à être célèbre et continuera à
évoluer dans son baile.
- Quels sont tes projets?
- Mon projet est de continuer à faire des
chorégraphies. Je fais aussi des chorégraphies d'Opéra comme,
par exemple, l'Opéra de Carmen ou des chorégraphies de
zarzuelas. Je souhaite maintenir ma compagnie et cela n'est pas
toujours facile car c'est une grande compagnie mais ma sœur qui
est manager et qui s'occupe des tournées travaille très bien. Si
un programmateur a besoin aussi d'une formation plus réduite,
elle répond aussi à la demande. J'ai aussi le projet de
retourner en Chine, l'année prochaine.
- Aurais-tu une réflexion à
rajouter sur ta vie de danseuse et de chorégraphe?
- Je remercie la vie de m'avoir donné une chose
si bonne qu'est la danse. J'aime cet art passionnément et bien
que je me retire de la scène, je serai toujours liée à la danse
en tant que Directrice artistique et chorégraphe. Ainsi, j'aurai
l'espoir de revenir à nouveau à Paris.
- Nous t'attendons tous avec
impatience. Merci beaucoup Cristina pour ce moment que tu nous a
accordé et pour ton immense talent... à très bientôt!

Nous remercions Nicole et Romero Diaz
productions
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