Carlos Heredia est l'un
des artistes Flamencos que nous avons eu l'honneur de rencontrer
lors de notre récent séjour à Séville. Talentueux guitariste
d'origine gitane,
Carlos a joué avec les plus grands et continue à mener une
carrière artistique tout en se consacrant, depuis quelques
années, à la fabrication de magnifiques guitares. Nous
l'avons retrouvé à la Carboneria, lieu de rendez-vous
incontournable des aficionados, à
Séville:

-Carlos, nous sommes à peña
'La Carboneria', lieu de Flamenco
bien connu des aficionados, à Séville. Viens-tu souvent ici?
- Oui, c'est le lieu , dans le monde, où je me sens le mieux.
Ici, je suis chez moi .
Cette maison, elle a du duende. Cela fait plusieurs
années que je fréquente cette peña. Chaque fois que je veux
composer ou donner un cours de guitare, je viens ici. J'aime l'ambiance et le fait que le public provienne du
monde entier.
- Y a-t' il d'autres peñas ou tablaos, à Séville,
que tu recommandes aux aficionados?
- Pour moi, ici c'est le meilleur endroit. Bien sur, il y a
d'autres lieux intéressants comme le tablao 'Los Gallos' dans lequel il y a de très
bons artistes qui se produisent, ou encore des lieus dans le
quartier de Triana...
- Où et quand as-tu découvert le Flamenco?
- J'ai découvert le Flamenco quand j'étais
enfant, dans mon quartier, à las 3000 Viviendas, à Séville . A 8 ans, je
jouais déjà de la guitare. Nous étions un groupe d'une dizaine
d'enfants parmi lesquels il y avait Raimundo Amador, Rafael
Amador, El Bobote, El Electrico, des personnes qui sont devenues
des artistes importants dans le monde du Flamenco. Nous avions
formé le groupe 'Los Gitanillos'. Nous étions les seuls enfants à
jouer aussi bien du Flamenco, à cette époque. Paco de Lucia
venait chez nous ainsi que Camaron, Chiquetete, Pansequito.
Nous
avions été invité à nous produire dans un tablao Flamenco à
Séville. Beaucoup de monde venait nous voir. Les Montoya se
produisaient aussi dans ce tablao, avec nous. Par la
suite, Raimundo et
Rafael Amador ont crée le groupe Pata Negra, un groupe aux
influences rock qui a eu beaucoup de succès.
- Tu as poursuivi ta carrière aussi, n'est-ce pas?
- Oui, j'ai travaillé avec des grands danseurs et danseuses:
Farruco, Cristina Hoyos, Manuela Carrasco, Juana Amaya. J'ai
travaillé aussi avec Juan Peña el Lebrijano dans le spectacle
'La Hora de persecusión', avec Maria Jiménez et d'autres grands
artistes.
- ...Puis tu as fait une pause pendant quelques temps; et maintenant,
que fais-tu?
- Maintenant, je me consacre à la fabrication de guitares, tout
en continuant à jouer de la guitare.
- As-tu des projets, une tournée en vue?
- En fait, j'ai écrit une pièce de théâtre et je souhaite la
présenter bientôt au public, dans plusieurs pays. Nous avons
quelques dates en cours de confirmation.
- Cette pièce de théâtre intègre de la
musique, je suppose...
- Oui. J'ai écrit les textes, les dialogues et j'ai composé la
musique. La pièce met en scène deux familles gitanes et deux
personnages principaux: une danseuse qui s'appelle Candela et un garçon qui est cireur de
chaussures; il est issu d'une famille gitane humble. Ils tombent
amoureux l'un de l'autre et Candela va lui apprendre à
danser. La vie du jeune homme va totalement
changer...l'histoire ne s'arrête pas là. Dans ce spectacle, nous découvrons aussi
la manière de vivre des gitans, leurs traditions et leurs coutumes...
- Qui sont les musiciens qui t'accompagnent?
- Parmi les musiciens qui m'accompagnent, il y aura le
guitariste Ramón Amador. Nous avons toujours joué
ensemble. Il y aura aussi un jeune homme musicien qui n'est pas
espagnol et qui a fait des arrangements musicaux à certains
moments, dans le spectacle.
- Quels sont les danseurs qui participeront
à ce spectacle?
- Je réfléchis encore à la distribution... je pense à Juana Amaya, Angelita Vargas, Carmen Ledesma, par exemple.
En fait, je souhaite par
dessus tout que ce soit une œuvre très Flamenca et très
traditionnelle, du Flamenco puro!
- Tu es né et tu résides à las 3000
Viviendas, lieu où il y a de nombreux artistes Flamencos. Que
souhaiterais tu nous dire à ce propos?
- En effet, il y a de très bons artistes à las 3000 Viviendas.
Dans ce lieu, nous avons toujours vécu avec le Flamenco. Je me
rappelle, lorsque nous étions enfants, tout le monde célébrait
les fêtes traditionnelles et, dans ces moments là, les maisons et
les rues étaient en fête, du matin au soir. Les maisons étaient
petites et elles se jouxtaient. Quand il y avait un repas, tout
le monde
était
invité. C'est ce que les enfants comme moi ont vu et ont vécu,
toute la vie: écouter du Flamenco, danser du Flamenco. Il n'y a
donc pas d'autre alternative que d'être
Flamenco...
- Tu tiens dans les mains une guitare
que tu as fabriquée. Elle est très belle et elle a un son
magnifique. Comment l'as-tu réalisée?
- En fait, pour fabriquer cette guitare, il a
fallu en faire deux
car elle comporte deux couleurs et 2 qualités de bois. J'ai du
réunir les morceaux jusqu'à lui donner la forme désirée. J'ai
consacré beaucoup d'heures de travail pour réaliser cette
guitare, en un mois et demi. Le son est superbe et elle est très
agréable au toucher. J'ai changé la table d'harmonie et certains
éléments à l'intérieur.
- Quels sont les artistes qui
possèdent une guitare que tu as réalisée?
- Il y a Manolito Franco, Rafael Amador et bien
d'autres artistes puisque j'ai 36 guitares sur le marché.
- Quel est ton point de vue sur
l'évolution du Flamenco et sur sa forme actuelle?
- Je respecte toute personne qui est sincère et qui s'exprime à
sa manière. Ce qu'il faut respecter, par dessus tout, c'est la
pureté. Je ne peux apprécier un guitariste qui, lorsqu'il
commence à jouer, ne donne aucune indication sur le palo
qu'il interprète et quand il faut écouter le thème en entier
pour enfin identifier le palo qu'il joue, pour dire
par exemple que c'est une Solea. Si je ne la reconnais pas, je
ne peux la nommer Solea. Je remarque un autre phénomène qui est
assez récent: actuellement, pour accompagner un cantaor
lors d'un spectacle, il faut répéter deux ou trois mois avec lui
avant de se produire sur scène. Jamais de ma vie je n'ai
répété,
ni avec Farruco, ni avec Manuela Carrasco, ni avec
Chocolate, même quand il fallait de se produire dans les
grands théâtres ou Festivals. Parfois, on se concertait un peu
avant le spectacle et cela suffisait amplement pour être prêt à
se produire sur scène. De plus, maintenant on nous demande un
Curriculum vitae pour être engagé. Moi, je n'ai pas besoin de
cela pour travailler avec un artiste. J'ai surtout besoin de le voir, avant tout. Quand tu vois l'artiste danser, jouer de la
guitare ou chanter, tu n'as pas besoin de vidéos ou de CV.
- Le Flamenco s'est ouvert au monde
entier. Cela explique peut-être les changements d'attitudes.
Qu'en penses-tu?
- Oui, bien sur, mais si on me connait, on n'a pas besoin de me
demander un CV pour me donner du travail. Un CV, cela sert pour
la promotion de l'artiste, mais pas pour lui donner du
travail...
- Comment vis-tu le Flamenco et comment
le ressens-tu?
- Je crois que le Flamenco, c'est quelque chose de sauvage. On
peut le pratiquer, l'étudier mais il est bon de ne pas jouer
comme dans l'ancien temps ni d'être trop en avance sur son temps.
Si l'on est trop moderne, on perd la pureté. Il faut savoir
trouver le juste milieu.
- Est-ce que tu aimerais communiquer
avec d'autres styles de musiques ?
- Oui, cela me plairait beaucoup de jouer avec différents styles
de musique et de musiciens, dans la mesure où, quand je joue avec
un violoniste, un percussionniste, un bassiste ou un
saxophoniste, ma guitare reste Flamenca et je demeure un
guitariste Flamenco.
- Quel est ton palo préféré
quand tu joues de la guitare?
- J'aime beaucoup le Taranto, la Buleria, les
Tangos, la Solea por Buleria. Il y a des palos avec lesquels je
m'identifie plus ou moins.
- Pour toi, qu'est-ce que cela signifie
'être Flamenco'?
- C'est simplement le fait que quand tu joues une Solea,
un Taranto ou une Buleria, que cela sonne et que
cela 'sente' le palo que tu interprètes. Actuellement,
les choses sont plus complexes qu'avant.
Auparavant, le guitariste était
toujours celui que l'on mettait à l'arrière de la scène, dans le
Flamenco. J'ai toujours dit qu'un jour, la guitare prendra plus
d'importance et qu'elle se placera aussi au devant de la scène,
que l'on dansera et chantera pour la guitare. Ce jour est
arrivé, mais j'aurais espéré que cela se fasse dans de bonnes
conditions et d'une meilleure manière, c'est à dire en
continuant à faire du Flamenco .
- Tu as sorti un disque, il y a
plusieurs années, n'est-ce pas?
- Oui, j'ai enregistré le disque intitulé 'Gypsy
Flamenco-Carlos Heredia' à New-York. Il est sorti en 1996
chez le label Chesky. Nous l'avions enregistré dans une église,
en direct, avec un micro et les artistes autour, en train de
jouer, comme cela se faisait pour le Jazz. Si l'enregistrement
ne nous plaisait pas, il fallait répéter le thème en entier.
- Depuis, as-tu réalisé un autre album?
- En fait, j'ai fait un autre disque mais il n'est pas encore
sorti car je l'ai réalisé à l'époque où le nuevo Flamenco était
très à la mode et les maisons de disques trouvaient que mon
disque n'était pas un produit commercial. Je l'ai réalisé il y a 17
ans, avec Jorge Pardo, Carlos Benaven, Ruben Dantas,
ma nièce Alba Heredia et le
bassiste Miguel Vargas. J'aimerais beaucoup le faire découvrir
au public, car c'est un grand travail...
- Carlos, merci pour ce moment
d'échange très agréable; nous te souhaitons beaucoup de succès
dans tes projets et dans ta carrière artistique. A bientôt...

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