La venue de la grande danseuse
Belén Maya pour donner un stage à l' Académie de Flamenco, à
Paris, a suscité un véritable engouement de la part des
aficionados. En effet, du 20 au 22 décembre 2016, les stagiaires
qui ont eu la chance de pouvoir y participer ont eu le
plaisir de recevoir l' enseignement de la danseuse et
pédagogue qui fut révélée dans le film "Flamenco" de Carlos
Saura, de celle qui a
imposé un nouveau
style de danse Flamenca désormais incontournable, modèle
d'équilibre entre la tradition et l'expression contemporaine.
Nous avons eu aussi le bonheur de la rencontrer pendant une pose
durant laquelle elle nous a accordée l'entretien qui suit:
- Belén, tu es à Paris pendant quelques jours
pour diriger des stages de danse à l’Académie de Flamenco.
Comment vis tu ton séjour à Paris et que penses-tu du niveau des
élèves, ici?
- Je suis venue
plusieurs fois à Paris, dans le cadre des spectacles où je me
produis, mais cela fait longtemps que je n’avais pas dirigé de
stages à Paris. J’ai vu que le niveau des élèves est plus
élevé, par rapport à la dernière fois.
A Paris, ces
jours-ci, je suis très tranquille car je profite de mon temps
libre pour visiter la ville. Quand je viens pour les spectacles,
je dois me reposer et je ne peux pas faire de tourisme. La
dernière fois que je suis venue à Paris, c’était avec Israel
Galvan. J’étais restée 3 jours mais comme j’avais besoin de
beaucoup de repos et de tranquillité pour me mettre en condition
pour le spectacle, je ne suis pas sortie. Cette fois-ci, c’est
différent. Les stages ont lieu l’après midi, et le matin je
visite la ville.
- Quelles sont les grandes lignes de ta
pédagogique?
- En général, je
travaille tout d’abord la technique corporelle. J’essaye de
travailler chaque partie séparément: les hanches, les cotes, les
épaules, les bras et ses diverses parties, l’une après l’autre,
puis en travaillant l’ensemble, d’une manière globale. Ces
exercices permettent d’acquérir une autonomie de chaque partie
du corps et cela donne la possibilité de danser soit avec
l’ensemble du corps, soit en utilisant qu’une partie du corps ou
en séparant les parties. Avec les femmes, je travaille aussi
beaucoup le mouvement des hanches pour libérer les hanches. Je
travaille aussi le chant, la relation qui existe entre les pas,
le chant et la letra ; cela est très important.
Ainsi, il y a deux parties dans le stage : la première concerne
le travail corporel qui inclut le travail sur les pas et le
chant avec les letras, définir par exemple le moment du
chant où l’on pose les remates, les llamadas.
L’autre partie du stage concerne la chorégraphie et sa mise en
relation avec le chant.
- Belén, depuis plusieurs années, tu parcours le
monde entier avec tes spectacles et pour dispenser des stages de
Flamenco. Remarques-tu des différences chez tes élèves dans leur
manière de comprendre et de vivre le Flamenco en fonction des
pays où ils résident? Le Flamenco gagne-t-il en authenticité et
en véracité au fur et à mesure que nous nous rapprochons géographiquement de
l’Espagne ?
- En Andalousie,
la tradition Flamenca est très forte et elle est présente depuis
de nombreuses années. Le Flamenco est présent
partout : dans la vie, dans la famille, dans la tradition, dans
la rue, dans les tablaos aussi, mais c’est aussi une
manière de vivre et les gens qui vivent avec n’ont pas forcement
un objectif professionnel. A l’extérieur de l’Espagne, c’est
difficile de trouver cela. Mais je n’utiliserais pas
l’expression «vrai Flamenco». Le Flamenco sort de l’intérieur de
soi, des émotions de chacun, de la manière de ressentir propre à
chacun, et ce ressenti s’exprime dans les mouvements, dans la
danse, le chant et la guitare. La base, c’est cela. J’ai
rencontré des gens, hors d’Espagne, par exemple au Japon, qui
ressentent le Flamenco d’une manière très forte et qui, dans
leur danse, expriment ce qui provient de leur vérité intérieure,
de leurs émotions les plus profondes. Nous pouvons trouver aussi
du Flamenco qui ne soit pas « véridique», en Andalousie aussi.
En effet, en Espagne, j’ai rencontré des gens qui
dansent
le Flamenco sans exprimer d’émotions, sans posséder de codes
éthiques, qui dansent simplement par habitude, en présentant des
postures. Donc, je crois que la tradition historique, la
tradition artistique et culturelle sont évidemment présentes en
Espagne, mais le Flamenco est lié aussi à la personnalité et aux
émotions de chacun ainsi qu’à notre manière unique de les
exprimer.
- Pourquoi as-tu choisi le Flamenco et plus
particulièrement la danse comme discipline artistique ? Est-ce
un choix de ta part ?
- Oui, ce fut un
choix absolu. Au départ, je ne devais pas m’engager dans cette
voie professionnelle ; j’avais le projet de faire des études et
quand j’ai eu 18 ans, c’était le moment de choisir entre aller à
l’université ou me lancer dans l’apprentissage de la danse ;
c’est à ce moment là que j’ai pris la décision de me consacrer à
la danse. J’ai donc suivi une formation dans cette discipline
puis j’ai décidé de me professionnaliser dans cette voie. Je
suis partie à Madrid suivre une formation intensive durant une
année, puis je suis allée à Séville pour danser en tant que
professionnelle. Ce fut donc une décision très consciente et
très forte de ma part ; c’est pour cette raison que tout est
allé très vite à partir du moment où j’ai fait ce choix.
- Ton père, le légendaire Mario Maya était un
grand danseur, un Maestro. Ta mère dansait aussi. Tes
parents t’ont-ils influencé dans ta manière de danser ?
- … Ils m’ont
influencé par la suite. J’ai commencé à travailler avec mon
père, dans sa compagnie, quand j’étais déjà une danseuse
professionnelle. Il m’a beaucoup influencé à ce moment là. Quant
à ma mère, elle est décédée avant que je commence à danser.
Néanmoins, par la suite, j’ai pu la voir danser dans des vidéos.
Bien qu’elle n’ait pu m’apprendre à danser, son style m’a
beaucoup
influencé,
surtout au début.
- Comment définirais-tu le Flamenco. Quelle est
ta recherche au travers de la pratique de cet art ?
- Quand j’ai
commencé à danser, cela a été un moyen pour m’exprimer, pour
libérer mes émotions. Quand j’avais 18 ans, j’étais très timide
et introvertie. Je ne parlais pas beaucoup. Le Flamenco m’a
beaucoup aidé à faire sortir et à exprimer mes émotions. Peu à
peu, j’ai réalisé que le Flamenco était très riche, qu’il
comportait de nombreux aspects, qu’il était beaucoup plus grand
que ce que je pensais. C’est
alors que je me
suis plongée dans ma formation artistique et que, pour moi, le
Flamenco est devenu bien plus qu’un simple outil de
désinhibition. Il est aussi un élément moteur dans chaque étape
de ma vie et dans l’évolution de ma manière de ressentir. J’ai
raconté des choses différentes au travers du Flamenco et, au fur
et à mesure de ma pratique, il devenait chaque fois plus
contemporain, plus personnel, plus alternatif.
- Quels sont les moments les plus importants de
ta carrière, les collaborations artistiques qui t’ont marquées
et que tu souhaiterais évoquer ?
- Le premier
grand moment de ma carrière fut celui de ma participation au
film « Flamenco »
de Carlos Saura, puis, ma collaboration avec Maité Martin et sa
compagnie. Je fis deux spectacles avec elle. Ce furent des
moments très agréables et très forts d’un point de vue
artistique.
Un autre
grand moment :
ma collaboration avec Israel Galvan, il y a 2 ans, dans le
spectacle « Lo Real ». Pour moi, cela a été important à tous les
niveaux, non seulement pour mon travail, mais aussi dans
cheminement intérieur en tant que femme et en tant que Gitane.
Le thè me
qu’il abordait et le spectacle
m’impressionnèrent beaucoup.
- Travailler avec Israel Galvan, cela a donc été
très important pour toi
- Oui, cela a été
un moment très fort. Quand j’ai commencé à travailler avec
Israel, c’est comme si je commençais à travailler avec dieu,
directement. Quand je suis entrée dans le studio, je lui ai
dit : « Je fais ce que tu veux,
je suis à ton entière disposition », car je suis consciente du
fait que travailler avec Israel est un privilège. A partir de
là, nous avons beaucoup répété pendant 6 mois. Cela a généré en
moi une véritable une transformation. J’ai appris une nouvelle
façon de travailler, d’écouter la musique. C’est un grand
créateur qui va au-delà du Flamenco ; il travaille comme un
danseur contemporain, avec un esprit totalement ouvert. Il est
très intuitif, exigeant, mais il a aussi des images qui sortent
du Flamenco, bien qu’il utilise le Flamenco comme instrument. Il
a beaucoup d’imagination, de connaissances théâtrales, un sens
de l’humour aigu ; il est audacieux, provocateur. Travailler
avec lui, cela a donc été une expérience unique dans ma vie
artistique.
- Parles-nous, de « Romnia », ta nouvelle
création
- La première
de ce spectacle a eu lieu en septembre de l’année dernière. Nous
avons beaucoup tourné en Espagne, en Alle magne,
en Norvège et aux Etats Unis. C’est un spectacle sur le thème de
la femme Gitane. C’est un solo d’une heure. Il n’y a pas de
musiciens; je suis seule, accompagnée par des enregistrements
sonores de femmes et d’orchestres Gitans d’Europe de l’Est.
La
musique est très belle et très forte. Chaque saynète représente
un style de femme Gitane. Pour moi, ce spectacle comporte une
charge émotionnelle très forte. Depuis que j’ai vu Israel,
l’envie de réaliser un Solo
a germé en moi, et enfin, j’ai concrétisé ce rêve dans ce spectacle.
Travailler en Solo, cela est très différent que de travailler
avec des musiciens,
cela a été un
voyage merveilleux pour moi et j’aimerais continuer à travailler
de cette manière car cela change tout. De plus, en tant que
Gitane, le thème était très fort pour moi. Essayer d’entrer dans
mon identité de femme Gitane et d’explorer cette part de
moi-même que je n’ai jamais réellement vécu, puisque j’ai
toujours vécu comme une femme « non Gitane », cela a été
difficile, mais comme le thème est très actuel du fait des
difficultés que rencontrent certaines communautés à s’intégrer dans
certains pays et du fait de la montée du racisme, le spectacle a
eu beaucoup de succès en Espagne.
- Israel Galvan a collaboré avec toi, dans ce
spectacle, n’est-ce pas ?
- En effet, il y
a une courte saynète qu’il a montée lui-même : celle dans
laquelle je porte une robe de mariée.
- Tu disais tout à l’heure qu’Israel Galvan a une
capacité exceptionnelle à se libérer des codes du Flamenco.
As-tu aussi, parfois, ce besoin d’échapper aux codes du
Flamenco ?
- Oui, et cela se
produit de plus en plus car, ces dernières années, je me suis
sentie très limitée à l’intérieur du Flamenco. J’ai fait beaucoup
de spectacles, j’ai dansé avec beaucoup de gens. Il arrive un
moment où l’on se sent à l’étroit dans ce cadre un peu rigide.
On peut changer, mais dans le circuit du Flamenco, les festivals
de Jerez, Mont de Marsan, Nîmes, Biennale de Séville, cela leur
coute beaucoup d’accepter ce changement. Alors, soit ils
n’achètent pas le spectacle, soit la critique est mitigée. Pour
toutes ces raisons, peu à peu, je me suis sentie de plus en plus
limitée et il est arrivé un moment où je suis sortie du circuit
que j’ai cité tout à l’heure, pour aller vers d’autres styles
d’endroits comme les Festivals de world musique, les festivals
de danse contemporaine et de danse théâtre. Dans ces lieux, je
me sens encore plus libre. En ce moment, j’essaye d’élargir mes
circuits pour gagner ma liberté et m’exprimer comme je le
souhaite.
- Quel processus de création mets-tu
en place quand tu élabores un spectacle ?
-
Je pars toujours d' un thème qui m’intéresse. A partir de ce
thème, je commence à chercher. Par exemple, dans « Romnia »
j'aborde le thème de la Femme Gitane. Avec "Medusa", ma nouvelle
création 2017 qui est en cours d’élaboration, j'évoque le thème
de la rage féminine. Chaque création est toujours liée à
une expérience personnelle, à quelque chose qui me concerne
directement. Le thème de la femme Gitane, tout comme celui de la
rage féminine me touchent intimement.
Je suis une
personne calme, en apparence, mais quand je me fâche, je
fais peur à ceux qui sont là et à moi-même. J’ai beaucoup de
rage en moi. C’est pour cela que j’ai choisi d’explorer et
d’approfondir ce thème. Travailler sur cette colère m’aide à
comprendre aussi ce qui m’arrive dans ces moments là
et les raisons qui me poussent à agir ainsi. J’ai commencé à
interroger mes amies, des femmes, pour leur demander ce qui se
passe en elles lorsqu’elles se
mettent en colère. Je me suis rendue compte que beaucoup de
femmes ont de la rage enfouie en elles, une rage bien cachée. Au
quotidien, on se doit de garder le sourire : avec le mari, les
enfants, avec tout le monde, mais à l’intérieur, il y a comme un
feu silencieux qui couve. Il faut le faire sortir, le danser, c’est
ainsi que j’ai commencé à travailler sur "Medusa".
Dans « Romnia »,
c’est la musique qui m’inspire et me porte dans ma création.
Pour « Medusa », je m’inspire et m’entoure d’images, de photos;
elles sont très présentes dans mon processus de création. Je me
réfère à plusieurs cultures et aux différentes représentations
de divinités qui symbolisent la destruction mais qui portent en
elles un feu purificateur. Des images de sang, la Méduse dans
la mythologie Grecque, celle qui est représentée par une tête de
femme avec des serpents sur la tète. Au Tibet et en Inde, il y a
aussi des déesses qui crachent du feu. Ce sont les déesses de
la colère. Elles ont de la colère mais c’est une « bonne
colère ». C’est ce concept qui m’intéresse. En fait, chaque
spectacle comporte une inspiration différente.
- Que penses-tu du fait que le Flamenco est
devenu Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité ?

- Je
vais essayer de rester polie en disant que, pour le Flamenco, ce
statut ne sert
vraiment à rien! Tout cet argent qui a été mis dans la
publicité, dans la campagne pour obtenir le prix, cela fait
beaucoup d’argent dépensé et dans quel but ? Simplement pour
faire de la publicité. Tout cet argent dépensé, c'est de
l'argent gaspillé! c’est ce qu’il y a en moins pour l’aide à la
création et l’aide aux artistes. Depuis, la situation des
artistes en Espagne est devenue très difficile.
L’argent a
été mis uniquement dans de très grands évènements, des grosses
productions. Le jour de l’inauguration de la Biennale, le
spectacle d’ouverture était grandiose, ils ont fait venir de
très grands artistes le premier soir, mais il n’y avait plus
d’argent pour les jours suivants. Plutôt que de dépenser tout
l’argent dans un seul grand évènement, il vaudrait mieux donner
un peu d’argent, régulièrement pour aider les artistes, pour les
soutenir dans leur création, aider financièrement les peñas
qui emploient et font vivre
des
artistes locaux.
En France, la
culture est davantage valorisée et les artistes sont plus
soutenus. J’ai travaillé en France, dans un réseau de théâtres
et d'auditoriums nationaux, avec un manager français. Dans les
villes de France où j'ai présenté mes spectacles, j’ai remarqué
la beauté des théâtres, la qualité des équipements et le
professionnalisme des techniciens. De plus, du fait de la mise
en place des abonnements, il y a du public toute l’année.
Malheureusement, ce n’est pas le cas en Espagne. Là-bas, les
choix culturels sont avant tout régis par des choix politiques.
Il y aurait beaucoup à faire pour que la situation s’améliore…
alors nous, les Flamencos, nous partons travailler à l’étranger.
Je travaille en France et beaucoup au Japon, ainsi qu’aux Etats
Unis où je suis très attendue. Là-bas, si je veux faire une
conférence, me produire dans un théâtre, ou proposer stage, on
me donne tout ce que je veux, et cela dans les meilleures
conditions. De ce fait, j’ai élargi mes activités et je donne
aussi des conférences sur le Flamenco contemporain, aux Etats
Unis.

- Quelles sont tes prochaines dates de tournées ?
te verrons-nous en France prochainement ?
- La tournée en
France n’est pas encore prévue, mais il y a quelques dates en
cours de confirmation. Il y a plusieurs dates de spectacles en
Espagne, dont la première du spectacle « Medusa » qui aura lieu
en mars 2017 à Séville ; puis, en mars ou avril je pars en
tournée aux Etats Unis et je reviens en septembre ou octobre
pour une tournée en Espagne.
- Belén, merci beaucoup pour cet entretien que tu
nous a accordé, nous espérons te revoir bientôt, à Paris!
- Merci a toi, à
bientôt...

Photos du Stage de Belén Maya, à
l'Académie de Flamenco d'Anita Losada, du 20 au 22 décembre
2016, à Paris:
Photos
© Jeremy Bismuth

Visiter le site web de Belén Maya:
belenmaya.com
Voir la vidéo de présentation du spectacle
"Romnia" de Belén Maya:
Cliquer ici
Site de l'Académie de Flamenco:
www.academie-des-musiques-et-danses-du-monde.com/flamenco
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