De tous les artistes Flamencos
que nous avons rencontré et côtoyé dans la région angevine, il y
en a un qui, par dessus tout, a réellement retenu notre
attention. Il s'agit d'André Charbonneau, guitariste, pédagogue
et compositeur de talent. Son premier album, sorti en 1992,
avait remporté un franc succès auprès de la critique et du monde
Flamenco. L'annonce de la préparation de son deuxième opus
Flamenco intitulé 'Guitare solo-André Charbonneau' et de sa
sortie imminente, le 17 mars prochain, nous a enthousiasmé, et
lorsque nous avons écouté ce disque, nous avons été
véritablement conquis par son travail résolument authentique et
dépourvu de clichés. Nous saluons le talent indéniable de cet
artiste qui a, une nouvelle fois, réalisé un travail
remarquable. Voici l'entretien qu'André nous a accordé pour la
sortie de cet album:
- Depuis la
sortie de ton premier album flamenco en 1992, plusieurs années
se sont écoulées avant que tu enregistres ton deuxième album
Flamenco. De plus, tu t’es éloigné de la scène et du Flamenco
pendant une longue période. Qu’est-ce qui t’a donné envie de
revenir à cela?
-
- Après le premier
disque, j’ai beaucoup tourné en duo « Guadalquivir » avec ma
femme danseuse. Puis j’ai progressivement arrêté la scène dans
les années 2000 au moment de la naissance de mon fils. A partir
de là, j’ai privilégié la composition musicale, rêve que j’avais
envie de réaliser depuis l’enfance. J’ai créé des musiques de
courts métrages et de documentaires, j’ai enregistré l’album «
Rien qu’un instant » en 2003 avec d’autres de mes compositions
pour guitare. « Les Productions D’Oz » au Québec les ont
d’ailleurs éditées et les vendent en partitions. J’ai aussi créé
des musiques pour la chanteuse Lauren, neuf d’entre elles
figurent dans son dernier album intitulé « Sans compter » sorti
en 2010. Après ce parcours plutôt intérieur et solitaire, j’ai
éprouvé le besoin de revenir vers la guitare flamenca et vers le
public.
-Ton nouvel album,
est-ce un travail de maturité ou le ressens-tu plutôt comme une
nouvelle étape dans ton parcours artistique en lien avec le
Flamenco?
-
- C’est un album qui
témoigne d’une nouvelle étape dans mon parcours artistique car
je passe du duo Guadalquivir au solo de guitare. Je pense aussi
être allé un plus loin dans la personnalisation de mon jeu et de
mes créations, d’où une certaine maturité effectivement.
J’accompagne la danse encore régulièrement mais ce que je
préfère par-dessus tout aujourd’hui, c’est la guitare en tant
que soliste.

- Ce qui explique ton choix d’avoir
réalisé un album solo, n’est-ce pas?
-
- Oui, dans cet
album, il n’y a que de la guitare et cela me tenait à cœur de le
réaliser de cette manière. Ca correspond bien à ma personnalité
et à ce moment de ma vie. J’ai aussi la chance d’avoir une
maison de disques qui ne m’impose pas de réaliser un travail
formaté, et à qui ça a bien plu.
- Tu dédies cet
album a Drew…pourrais-tu nous parler de ce guitariste?
-
- J’ai appris la
guitare avec Drew Croon, compositeur guitariste américain qui
résidait il y a longtemps à Angers tout près de chez moi. Je lui
rends hommage car c’est lui qui m’a fait découvrir le Flamenco.
Il jouait de la guitare flamenca en y introduisant son état
d’esprit américain. Cela m’a permis d’entrevoir qu’il était
possible d’être soi-même dans sa propre culture et de jouer du
Flamenco en respectant les règles. J’ai ressenti à ce moment là
la dimension internationale du Flamenco, art qui dépasse le
cadre de l’Andalousie. Drew est décédé trop tôt à 56 ans en
2007.
- A ce propos, nous rappelons tes
origines angevines… il me semble que dans ta famille, il n’y a
pas de lien avec l’Andalousie… est-ce exact?
-
- Effectivement, je
n’ai aucune racine espagnole, et pourtant je suis tombé amoureux
de cette musique… Cela témoigne encore de l’universalité du
Flamenco.
- Comment est-ce
que tu te situes vis-à-vis de la tradition et de la modernité?
-
- Tradition et
modernité sont des concepts malheureusement trop souvent
utilisés à des fins commerciales et que l’on oppose à tort. On
est toujours « moderne » au moment où l’on crée, tout en étant
issu de la tradition flamenca qui, elle, est suffisamment forte
pour ne pas se fair e
oublier. L’art reste de toute manière complètement intemporel !
- Pourrais-tu nous
faire un commentaire sur chaque thème de ton album?
-
- Tout d’abord, j’ai
choisi des titres en espagnol mais je voulais aussi qu’ils
soient compris ou devinés par des français qui constituent mon
principal public. Evidemment mes compositions se basent sur les
rythmes fondamentaux du flamenco.
Le premier thème intitulé
Leyenda
est un taranto
qui évoque le côté oriental du flamenco avec des sonorités
arabo-andalouses. J’ai souhaité le début du morceau très imagé
un peu comme les légendes des « Mille et une nuits ». J’emmène
ainsi mes auditeurs en voyage…
Antiguo
est une
siguiriya. J’adore ce palo primitif qui incarne à lui seul
le flamenco. J’ai tout construit autour de cette cadence
dramatique ! Et en quelques accords, tout est dit !
Amistad
est une bulería que j’ai voulue au contraire légère et
frivole, de bonne humeur et que je dédie volontiers à mes amis !
Misterios
est basé sur le
compás de l’alegría mais je m’en éloigne vraiment
avec un refrain un peu mystérieux entouré de thèmes très
colorés. Quand on rencontre pour la première fois le flamenco,
il nous apparaît plein de mystères et en même temps si chatoyant
!
Soledad
est une soleá.
Style fondateur évidemment obligé pour le soliste «
solitaire » que je suis ! Le thème rappelle un peu celui de «
Recuerdo », granaína de mon précédent album de
flamenco. Ca crée un lien !
Memoria
est un fandango de
Huelva. J’aime bien ce style entraînant et raffiné dans
lequel je joue beaucoup avec les temps et les contretemps ! Dans
ce morceau je reste assez proche de la tradition, dans le style
de Pepe Habichuela, avec un refrain final bien enjoué !
Fuego
est aussi une bulería. Le Flamenco, c’est l’incandescence
et c’est bien connu que les Andalouses ont toutes des yeux de
braise ! Dans cette bulería, comme toujours, je joue tous
mes thèmes entièrement au pouce. Je n’utilise mes autres doigts
pratiquement que pour les rasgueados. Ca me permet de
maintenir une intense pulsation traditionnelle dans des passages
un peu étrangers au Flamenco et d’avoir de nouvelles sonorités
dans mes arpèges.
Nostalgía
est une farruca.
Dans ce style plus facilement identifiable, je reste assez
proche de la structure traditionnelle, excepté pour l’intro et
le final. Je joue mes thèmes assez rubato pour exprimer un côté
nostalgique qui me correspond aussi.
Je clôture ce disque avec
Niño
qui est une rumba que je dédie à mon fils Adam qui joue
déjà très bien de la guitare et avec qui j’ai tellement de
plaisir à jouer ! J’aime bien composer des rumbas pour guitare
seule. Dans le même genre, j’avais déjà fait « Compañera
», dans mon premier album de flamenco, qui avait bien plu !
- Lorsque tu élabores un thème,
quelle est ta manière de travailler?
-
- Au départ, il y a
toujours une idée mélodique qui me vient. Elle est parfois déjà
associée à un rythme flamenco. Sinon je recherche le palo le
plus approprié pour la développer et la mettre en valeur et dans
lequel je pourrais à la fois faire coexister mon univers et
celui du Flamenco. Enfin je cherche les doigtés pour que mes
mains trouvent le maximum de confort. Comme tout guitariste de
Flamenco, je peux tout à fait prendre n’importe lequel de mes
thèmes et le mettre dans un autre style. C’est d’ailleurs l’une
des choses que j’ai apprises rapidement à faire en Andalousie.
Je devais être capable de prendre une
falseta et de la jouer dans
différents palos. C’est fondamental dans l’apprentissage
du flamenco de savoir faire ça ! Dans cet album, j’ai donc
privilégié pour chaque thème le rythme qui permet de mieux
l’incarner.
- Tu vis en France, dans la région
angevine, depuis plusieurs années et tu as vécu aussi en
Espagne, auparavant. Est-ce que tu ressens toujours ce besoin de
te ressourcer en allant en Espagne, ou c’est quelque chose
d’acquis, pour toi?
-
- J’ai eu la chance
de rencontrer personnellement et d’avoir des rapports
privilégiés avec de grands guitaristes : Paco Peña, Vicente
Amigo, José Antonio Rodriguez, Paco Serrano, Manuel de Palma...
Chacun d’entre eux avait son style. J’ai pris pendant des années
des cours particuliers et approfondis avec tous ces artistes et
j’ai aussi suivi l’adage : « Ecoute les conseils des autres mais
suis le tien ». J’ai donc ainsi parallèlement développé mon
langage personnel. Le Flamenco est en moi, désormais il ne me
quittera jamais…
- D’après toi,
pour devenir un bon soliste en guitare Flamenca, faut-il passer
par l’accompagnement de la danse et du chant ou peut-on se
passer de ces étapes?
-
- Je pense
qu’accompagner la danse est incontournable car cela pose les
bases rythmiques. Evidemment moi je vis avec une danseuse et
j’ai eu cette chance qu’elle crée ses chorégraphies sur mes
thèmes. On a donc toujours travaillé en parfaite harmonie dans
notre duo « Guadalquivir ». Quant à l’accompagnement du
chant, la plupart du temps les guitaristes doivent suivre au
mieux et assurer plus que créer car les chanteurs ne travaillent
pas toujours autant en symbiose avec les guitaristes que les
danseurs. Mais le Cante en Andalousie, c’est sacré !
- A l’écoute de ton a lbum,
nous ressentons une diversité autant dans les mélodies que dans
les rythmes. Il y a de nombreuses surprises aussi dans chaque
thème. Et toi, comment ressens-tu cet album?
-
- J’ai pris beaucoup
de plaisir à concevoir cet album. J’adore jouer le Flamenco
comme aux premiers jours et la naissance d’une composition est
toujours une jubilation. Beaucoup de ces mélodies me tenaient
véritablement à cœur et j’avais vraiment envie de les offrir au
public. Voilà qui est fait ! J’espère qu’il les appréciera,
qu’il ressentira ce dont tu parles et qu’il goûtera aussi cette
forme soliste de la guitare moins courante de nos jours !
- Ton album est
produit par Sunset France, tout comme le premier opus, n’est-ce
pas?
-
- Oui, et je suis
heureux de continuer la route avec eux. En plus, le premier
album se vend toujours. Un grand merci à Alain, Patricia
et Sébastien Normand !
- Pourrais-tu nous parler de ton
retour sur scène?
-
- Je présente
actuellement mon spectacle en soliste qui s’intitule «
André Charbonneau joue et raconte
le Flamenco, et bien plus encore… » dans lequel je joue
évidemment de la guitare flamenca, mais je raconte aussi des
histoires, des anecdotes personnelles. J’initie le public aux
palmas et je leur fais lire des coplas. Je les emmène aussi en
voyage vers le Nouveau Monde où je joue du charango, du cuatro
puis retour en Andalousie par les Canaries avec le timple. C’est
un spectacle très personnel, toujours évolutif.
- Quels sont les commentaires que
te fait le public qui vient te voir sur scène?
-
- Mon spectacle est
une invitation à découvrir le Flamenco d’une autre manière. La
guitare soliste plaît et le fait de raconter crée du lien. Les
gens sont plutôt ravis et viennent facilement à ma rencontre à
la fin du spectacle. Leurs commentaires sont très sympathiques.
Certains me parlent de leurs émotions, d’autres viennent
échanger des anecdotes. Le public participe au spectacle et
comme dit le comédien Michel Bouquet :
« N’oubliez pas que le public ne
vient pas pour vous voir jouer mais qu’il vient pour jouer avec
vous ».
- Ton disque sort le 17 mars prochain. Quels sont tes projets
autour de cet évènement ?
-
Mon disque est
distribué en France par Harmonia Mundi, dans tous les points de
vente en magasin et en ligne, et à l’international dans une
dizaine de pays. Je vais communiquer dans la presse nationale et
régionale, et dans les radios. Mon producteur de son côté fait
aussi un important travail de communication, notamment sur le
net, et à l’étranger. D’autre part, je joue régulièrement mon
dernier spectacle, surtout dans l’Ouest de la France.
- Merci André. Nous te souhaitons du succès avec ce nouvel opus
que nous apprécions beaucoup. A très bientôt…
Visiter le site myspace d'André Charbonneau:
www.myspace.com/andrcharbonneau
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