Surnommée "La perle noire du
Flamenco" Ana Pérez est l'étoile montante du baile
Flamenco actuel. Elle a dansé magnifiquement samedi 23 mars
2013, sous le chapiteau du
Romanès Cirque Tzigane, lors de la Fiesta Gitana Flamenca
organisée récemment par Casa Planète. Ovationnée par le public, elle a
témoigné une nouvelle fois de son talent véritable. Nous
avons eu le plaisir de la retrouver après ce spectacle et elle
nous a accordé l'entretien suivant:
- Ana Pérez, quelles sont tes
impressions sur le fait d ’avoir
dansé, ce soir, sous le chapiteau du Romanès Cirque Tzigane, à
Paris?
- L ’ambiance
était très chaleureuse et, en fait, je n’étais
pas trop dépaysée car je me sentais comme dans un tablao
en Espagne. Ce qui changeait c’est
que l’espace est
grand et le musicien était loin et en même temps le public était
très proche. C’était
difficile d’être
présente partout, mais c’était
agréable.
- Pourrais-tu nous raconter tes
débuts dans le Flamenco?
- J ’ai
commencé à danser et à être dans le milieu du Flamenco très tôt
et très naturellement car ma mère tient le centre Solea à
Marseille. Elle danse, elle enseigne et elle a un tablao. J’ai
vécu dans cet univers depuis toute petite. Je ne me disais pas
«un jour je serai danseuse». C’est
venu naturellement. J’ai
commencé par la danse contemporaine à l’âge
de 10 ans en prenant des cours avec Josette Baïz, à Aix en
Provence. Je suis entrée dans le groupe «Grenade», groupe dans
lequel j’ai dansé
pendant 6 ans. Au fur et à mesure que j’ai
évolué dans la danse contemporaine, je me suis rapprochée du
Flamenco. Cela m’a
aidé à comprendre que le Flamenco avait de l’importance
pour moi et que, sans le Flamenco, je ne pouvais exister. Après
le bac, je suis allée m’installer
à Séville pour me perfectionner et essayer de percer dans «la
cour des grands».
-
Qui sont les maitres qui t ’ont
formé?
- La principale personne qui m ’a
formée, c’est
Pilar Ortega. Je la considère comme mon maitre, dans le
Flamenco. J’ai
pris aussi des cours avec un peu tout le monde pour essayer tous
les styles.
- Comment as-tu travaillé ton
style. As-tu marché d ’abord
sur les pas du maitre ou as-tu cherché tout de suite ce qui te
caractérisait?
- Pilar Ortega m ’a
aidé techniquement. Elle m’a
ouvert les yeux sur tout ce qu’il
y avait à travailler et elle m’a
fait travailler. Ensuite, j’ai
été inspirée par tous les plus grands. Je suis fascinée par
Manuela Carrasco, la grande déesse, mais je suis aussi fascinée
par Rocio Molina, par Eva La Yerbabuena, par Farruquito. Pendant
longtemps, j’ai
essayé de ressembler à l’un,
à l’autre, un peu
à tout le monde et depuis quelque temps, j’ai
pris conscience de ce qui me plait vraiment et c’Est-ce
que j’essaye de
chercher en ce moment. Je suis en train de travailler sur mon
identité, mes racines africaines. Ma grand-mère est capverdienne
. Elle est retournée vivre au Cap-Vert l’année
dernière et je suis allée lui rendre visite cette année. C’est-ce
retour aux racines qui m’aide
à être différente des autres, je crois.
- Comment procèdes- tu pour
travailler sur tes racines? Retournes-tu souvent au Cap Vert?
- Pour l ’instant,
je n’y suis allée
qu’une fois et j’y
suis restée 15 jours. Ce n’est
pas beaucoup mais j’écoute
beaucoup de musiques africaines, capverdiennes. Ce qui me
caractérise depuis toujours c’est
le fait que j’ai
un sens particulier du compas, et le rythme, c’Est-ce
qui me plait le plus, ça me transcende. Autant j’aime
la guitare et le chant, autant je vais toujours essayer de
trouver une rythmique très soutenue à l’intérieur
du Flamenco.
- Quelles sont les collaborations
importantes et les moments clefs qui ont jalonné ton parcours
professionnel?
- Depuis deux ans je travaille avec Luis de la
Carrasca, dans sa compagnie. Cela m ’a
beaucoup aidé à m’épanouir
sur scène, dans la vie. Cette équipe est comme une famille pour
moi et Luis m’aide
beaucoup. Le groupe Grenade m’a
aussi beaucoup apporté.
- Tu as travaillé aussi dans la compagnie
Cristina Hoyos, n ’est-ce
pas?
- Oui, j ’ai
participé à la tournée du dernier spectacle de Cristina Hoyos. J’ai
dansé au Palais des Congrès, à Paris. Maintenant cette compagnie
ne tourne plus. Cela a été une belle expérience pour moi.
-
Qu ’est-ce
qui fait la différence entre le style de Cristina Hoyos et ta
vision de la danse?
- Cristina Hoyos fait un travail très classique,
simple, épuré. Moi, je suis plutôt sauvage, racée dans ma
gestuelle. Elle a tendance à avoir des bras courbés, bien placés
et moi j ’aime
bien les lâcher. Ce sont des détails comme cela qui me
distinguent de son style, mais lorsque j’ai
dansé dans sa compagnie, je me suis adaptée.
- Et ce soir, lors de la Fiesta
Gitana Flamenca, as-tu eu besoin de t ’adapter
aux autres danseuses?
- Ce soir, je dansais avec 2 danseuses Gitanes et
je me suis adaptée. Je crois que c ’est
un don que j’ai.
Je sais ce qu’attend
le public et je fais toujours ce que réclame le public. Parfois,
je me dis que je devrais faire ce que je suis, sans chercher à
plaire et c’est-ce
que je fais, à ce moment là. En fait, je suis un peu tout cela.
- Ton expérience à Mont de Marsan,
au Festival Arte Flamenco, en 2012, comment l ’as-tu
vécue?
- Oui, cela a été un moment important pour moi. J ’ai
dansé dans le concert de Juan Ramón
Caro, en tant qu’artiste
invitée. Juan Ramón
Caro est un grand guitariste. Quand j’ai
su que j’allais
danser pour lui, cela m’a
beaucoup enthousiasmé. Au départ, je devais danser pour Rafael
Riqueni qui est aussi un maitre prodigieux, mais comme il n’a
pas pu le faire, pendant un laps de temps, je ne savais pas avec
qui j’allais
collaborer. Quand j’ai
appris que c’est
pour Juan Ramón
Caro que j’allais
danser, j’ai sauté
de joie. En fait, l’année
précédente, j’avais
crée un spectacle que j’avais
présenté à Avignon. J’avais
monté une Seguiriya et pour m’inspirer,
j’écoutais la
Sigiriya de Juan Ramón
Caro. Alors, quand j’ai
su que je danserai pour lui, j’ai
pensé que j’allais
faire une Seguriya. Danser sur la scène du Café Cantante à Mont
de Marsan, en tant que première danseuse française c’était
une étape importante mais c’était
assez lourd à porter. C’était
dur mais je l’ai
fait.
- Nous avons assisté au spectacle
et nous pouvons témoigner que tu as dansé magnifiquement. Tu as
participé à des concours aussi, n ’est-ce
pas?
- Oui, j ’ai
été finaliste, il y a plusieurs années, quand je me suis
installée à Séville. Par la suite, j’ai
arrêté de me présenter aux concours car je n’arrivais
pas à danser à cause des nerfs. Maintenant, j’ai
totalement dépassé cela et je me suis présentée au concours des
« Jovenes Flamencos » , qui a lieu en Andalousie et là,
je passe la finale le 7 avril prochain; je danse au Théâtre
Alameda, à Séville.
- Parmi tous les palos du
Flamenco, quel est celui dont tu te sens la plus
proche?
- La Solea, c ’est
le palo que je préfère. Pour danser la Solea, on dit qu’il
faut « aguantar el cante », c’est-à-dire
supporter le chant, le retenir, se retenir soi-même et tout
lâcher au bon moment au moment juste, quand le chant et la
guitare le demandent. Danser
la Solea demande beaucoup d’écoute.
En ce qui me concerne, soit je la danse très bien, soit je la
danse mal, c’est-à-dire
que je n’essaye
pas d’entrer dans
un personnage ni de prouver quelque chose. Si ça me traverse,
cela donne quelque chose de très beau, sinon, je ne me force
pas. Je laisse le naturel s’exprimer.
- Quels sont tes projets?
- J ’habite
à Séville et le 1er avril je pars à Barcelone pendant
1 mois ½ au cours duquel je vais travailler au Tablao Carmen
Amaya, tous les jours, jusqu’au
20 mai. Pendant cette période, je ferai aussi des allers retours.
Je serai au Festival Flamenco de Toulouse où je vais remplacer
la Nimeñ a qui est tombée
enceinte. Je vais la remplacer avec le groupe qu’elle
a déjà constitué. De plus, j’essaye
de faire tourner mon spectacle « Pilares » que j’ai
présenté à Nîmes, au mois de janvier dernier et que j’ai
fait ensuite en février, à l’Amphithéâtre
de l’Opéra
de Lyon.
- Quels sont les artistes qui t ’accompagnent
dans cette création et quel est le contenu de ce spectacle?
- Les artistes qui m ’accompagnent
sont le guitariste Manuel Gomez, son cousin Pepe Fernandez, qui
est aussi un guitariste très prometteur. Il ya 2 chanteurs: Pepe
de Puro et Juan José Amador qui sont aussi 2 excellents
chanteurs de Séville. Javier Teruel est aux percussions. « Pilares »,
cela veut dire « Piliers ». Dans cette création je présente les
principaux piliers qui caractérisent ma danse et aussi un peu ma
personnalité. J’ai
fait 4 danses: 1 Fandango de Huelva en introduction car c’est
un chant très traditionnel en Flamenco. Puis, j’ai
fait une Solea très ancienne avec une bata de cola, une
Sigiriya très sauvage, très Flamenca et je finis sur une Buleria
composée par Manuel et son cousin Pepe, que nous avons ensuite
travaillé avec les chanteurs et la percussion qui est très
présente aussi. J’ai
monté un duo avec la percussions sur ce dernier numéro. C’est
un peu le principal pilier du spectacle car c’est
là où j’ai
travaillé sur mes racines africaines, où j’ai
essayé de trouver une gestuelle située entre le Flamenco et la
danse africaine. Mon costume a un peu choqué et , en fait, je m’en
réjouis. J’avais
ramené des tissus du Cap Vert et l’on
ma confectionné une robe avec des tissus africains, ouverte
jusqu’’en haut
pour pouvoir faire des mouvement amples avec les jambes. C’était
une chorégraphie très contemporaine et je suis très contente du
résultat. Après avoir travaillé ce style de danse, et après
avoir traversé une période de doute, j’ai
compris dans quel sens je devais aller.
- Merci Ana pour cet entretien et
nous avons hâte de te revoir sur scène …à
très bientôt!
- Merci à toi …
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Remerciements à Laurent Milhoud, Directeur de
Casa Planète et à Alexandre Romanès, Directeur du Romanès Cirque
Tzigane |