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Interview d'Alba Lucera réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena', en février 2011,  pour Musique Alhambra

 

 

 

Cela fait plusieurs années que nous suivons la carrière artistique d'Alba Lucera, danseuse originaire de Genève et installée à Séville depuis quelque temps. Notre première rencontre eut lieu en 2006, en Andalousie, à Sanlucar de Barrameda, alors qu'elle participait au Festival International de Flamenco organisé par l'équipe de Planète Andalucia.  Nous l'avions revue deux ans plus tard, à Paris, où elle nous avait accordé une interview au cours de laquelle elle nous racontait son parcours artistique, l'aspect pluridisciplinaire de celui-ci, cheminement qui témoignait d'une extraordinaire ouverture au monde et d'une quête profonde et personnelle de la part de cette danseuse. Comme nous l'avions pressenti, le temps a donné un sens à son cheminement pluriel,  donnant forme et faisant jaillir la nature profonde de cette artiste,  source bouillonnante de talent, de passion et d'amour . Nos retrouvailles à Séville se sont faites avec beaucoup de bonheur, d'autant plus qu'elles coïncidaient avec la préparation de sa nouvelle création ‘Entre les Rives; Camino’, projet qu'Alba Lucera nous dévoile dans l'entretien suivant:

- Alba, nous sommes ravis de te voir à Séville, ville où tu résides actuellement. Est-ce pour des raisons professionnelles que tu as décidé de t’installer ici?

- Oui. Je vis à Séville depuis 3 ans. Avant, je vivais à Paris, puis je suis venue m’installer à Séville; j'ai fait beaucoup d'aller-retour et comme c’est compliqué de vivre dans deux endroits à la fois, j’ai décidé de vivre ici. L'année dernière j'ai monté ma compagnie, à cette époque j'avais la possibilité de partir 6 mois au Japon, mais j’ai senti que c’était un moment crucial où quelque chose d’important était en train de naître et je suis donc restée à Séville. Séville est avant tout une ville que j'aime profondément et où chaque jour je me sens un peu plus chez moi, avec le même bonheur de pouvoir y vivre, donner et recevoir ce qu'offre son quotidien. C’est important pour moi de pouvoir être ici, de partager ma passion pour le flamenco, et du temps avec les artistes avec lesquels je travaille.

- Tu prépares ta prochaine création intitulée ‘Entre les Rives; Camino’. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce projet?

- C’est un projet qui remonte à plusieurs années, dans le sens où j’ai eu un parcours artistique pluriel et que je souhaitais, un jour, donner naissance à une rencontre de différentes disciplines artistiques dans une création. En effet, j’ai commencé par la musique, le piano plus particulièrement, puis, ma découverte du Flamenco a changé le cours de ma vie. En parallèle, j’ai toujours eu un rapport intime avec l’écriture et la littérature. J’ai toujours aimé écrire et lire depuis enfant et j'ai étudié les lettres espagnoles et françaises. Ce spectacle est avant tout un spectacle de Flamenco qui intègre une partie de textes, avec des poèmes et des extraits d’un roman d’Andrés Neuman, un auteur hispano- argentin qui a reçu le prix Alfaguara et le prix de la Critique 2010 pour son roman «El Viajero del Siglo», dont la traduction française paraîtra prochainement en France. Cette rencontre de différentes disciplines artistiques est l'expression de mon parcours et s'est donnée de façon naturelle, sans que je force les choses, s’enrichissant au contact d'artistes de grandes qualités avec lesquels j'ai la chance de collaborer.

- Le titre que tu as choisi ‘Entre deux rives; Camino’ qu’évoque-t-il pour toi?

- Ce titre évoque le thème du spectacle et rejoint mon parcours d’une rive à l’autre. Il exprime l’expérience de la rencontre de différents espaces, le fait d’être nomade, d’une certaine manière. Je viens de Genève et j’ai vécu aussi à Paris. Je suis aussi en contact avec l’Andalousie depuis 9 ans et, après beaucoup d’aller-retour, je me suis installée à Séville, depuis 3 ans. Mais, plus qu’un rappel autobiographique, le thème du spectacle évoque l’histoire de l’être humain en général, l’idée d’être à la fois de partout et de nulle part; c’est aussi l’histoire des gitans, le vécu de nombreux peuples avec le motif de la ‘casa móvil’, pour reprendre une expression apparaissant dans un vers d'un poème d’Andrés Neuman. Cet auteur a beaucoup parlé de la question du mouvement, de l’être qui migre, d'un regard hybride en dialogue entre l'ici et l'ailleurs, que ce soit d’un pays à un autre ou à travers un regard pluriel dans un même espace. Dans le spectacle il y a cette idée de mouvance, de dialogue entre la quiétude et le voyage -entre le fait de voyager en soi-même ou dans un même endroit, ou de parcourir des kilomètres et «atterrir en soi-même». La quiétude et le mouvement se questionnent donc au cours du spectacle, apparaissant comme à la racine de la vie et de la danse. L'idée de partir et de faire ses adieux, au-delà du voyage, est une expérience profonde qui est à l'image-même de la vie: «donner aux choses la bienvenue qu’elles méritent, en prendre congé avec la gratitude qui leur est due», comme nous en témoigne un extrait d'un écrit de Neuman.

- Cette création s’articule donc autour d’une histoire, n’est-ce pas?

- Oui, pour reprendre rapidement la trame du spectacle, la première scène commence quand un personnage portant une valise s’en va, traverse une ligne qui représente le seuil entre l’ici et l’ailleurs. Ce personnage que j'interprète danse sur un solo de piano suivant un premier texte qui parle de la ‘despedida’ (les adieux), c’est à dire l'idée de lâcher ses amarres. Il y a une phrase du texte qui dit «faire ses adieux est une façon de s’entrainer à mourir, mais aussi une certaine forme de résurrection.» C’est donc un peu cette idée de laisser son bagage pour aller vers l’ailleurs, comme une mort et une renaissance; ce moment de transition où l'on ne sait plus si le contenu de la valise nous appartient, d'où l'on vient et vers où l'on va, ce moment magique de la page blanche que l'on peut ressentir à l'aube ou au crépuscule lorsque la lumière change. C’est un solo que je danse avec le danseur Gonzalo Quintero, représentant ici mon ombre, les amarres à la première rive ou la mort d’une certaine manière, jusqu’au moment où mon personnage s'en dédouble et traverse une frontière, une ligne, pour arriver dans un patio où il y a une famille gitane flamenca; là commence la rencontre avec la musique et le baile flamenco. Dans cette scène, le personnage va être peu à peu intégré. Puis la scène suivante reprend le motif du souvenir de l'autre rive, de la nostalgie aigre-douce. Ensuite les différents personnages se découvrent et s'unissent, jusqu’à ce que les deux danseurs de la famille gitane finissent, eux, par partir, le premier personnage restant dans le patio. Cette inversion des rôles rappelle le motif de la mouvance, des migrations indissociables à la condition humaine, tel que je le perçois, et d'une façon universelle allant au-delà de ma propre histoire: quelque chose qui touche tout être humain depuis le moment où il sort du ventre de sa mère, car avant de savoir marcher nos pieds sont déjà à la recherche d’un sol à fouler. C'est cette idée du mouvement qui nous habite que je souhaitais partager.

- C’est donc autant l’histoire d’un voyage dans un espace géographique que celle d'un voyage intérieur, n’est-ce pas?

- Oui, exactement, dans ce spectacle un regard et une voix hybrides font dialoguer notre vécu intérieur et extérieur. Le contact de divers espaces se matérialise à travers la rencontre de différentes expressions artistiques, de la danse à la musique et aux mots, avec le Flamenco comme langage, du contemporain au traditionnel.

- Comment les disciplines artistiques s’articulent-elles entre elles ?

- Ce spectacle est avant tout dansé, avec une forte attention donnée à la théâtralité. Du fait que c’est une création créée sur la base de lectures et de poèmes s’intégrant au corps du spectacle, il me semblait essentiel que les mots s'intègrent de façon organique à la musique et à la danse -non pas comme un copier-coller, et de prendre soin de l'équilibre général du spectacle; la parole apparaît ainsi comme un élément qui vient lancer les images, l’atmosphère, comme un point d'interrogation lancé au spectateur et réveillant l'émotion des motifs s’exprimant dans la musique et dans la danse.

- Comment t’es venu l’idée d’intégrer les textes d’Andrés Neuman dans ton spectacle?

- Cela fait plusieurs années que j’ai découvert son écriture, tout d’abord à travers des contes. Quand j’étais en Lettres hispaniques, j’ai fait un travail de mémoire sur ses nouvelles. A l’issue de mes études, j’ai eu la chance de le rencontrer. Autant au niveau humain qu’au niveau de son écriture, c’est une rencontre marquante dans mon parcours, car c'est très riche de pouvoir échanger avec Andrés Neuman, une personne généreuse comme en témoigne sa réflexion, et il m'a toujours encouragée sur mon parcours artistique hybride, notamment en me confiant la traduction de ses poèmes et textes pour ce spectacle. Depuis plusieurs années, ses poèmes résonnent avec ma propre expérience. Je lui ai fait part, il y a déjà plus d'un an, de mon désir d'intégrer, un jour, ses textes dans un spectacle, et il était très enthousiaste. Cet été, j’ai monté un dossier expliquant mon projet de spectacle et j’ai obtenu une subvention de la part de la Ville de Genève pour pouvoir le réaliser. J'ai ainsi pu réunir ces différentes disciplines, qui sont avant tout différents chemins.

- Quels sont les artistes qui t’entourent dans cette création?

- Je suis très heureuse de collaborer avec les danseurs Jesus El Jara et Gonzalo Quintero, l'un au style traditionnel gitan et l'autre ayant aussi une formation académique classique, contemporaine et bien sûr Flamenca. Il y a aussi le pianiste Sergio Monroy dans ce spectacle. Le piano est un instrument qui a marqué mon parcours et que j’ai voulu intégrer, depuis longtemps. Au chant, il y a Jesus Flores qui est un chanteur avec qui j’aime beaucoup travailler, ayant un chant très profond et une forte présence sur scène, ainsi que Juan Torres, un guitariste fabuleux dans l'accompagnement de la danse notamment. Jesus et Juan viennent tous deux de Moron de la Frontera. Nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur Mara Rey qui est une artiste magnifique, tant au niveau de son chant que de sa personnalité. Et le comédien Nicolas Reichel qui a été intégré plus tard au spectacle, de grande qualité et faisant presque partie de ma famille d'une certaine façon. Je suis très reconnaissante de travailler avec de magnifiques personnes tant au niveau artistique qu’humain.

- C’est donc un travail de mise en corrélation entre ses différentes disciplines artistiques. Mais, qu’est-ce qui va prévaloir dans tout cela?

- C’est vraiment la danse et la musique qui sont indissociables durant tout le spectacle. C’est aussi le langage du Flamenco qui prédomine.

- Parmi les artistes qui t’entourent, dans cette création, y en -t-il certains qui étaient déjà présents dans ton spectacle précédent?

- Il y a presque deux ans, ma rencontre avec El Jara a marqué le début de la création de ma compagnie et je continue donc à travailler avec lui; une belle amitié s’est installée entre nous. Jesus Flores et Juan Torres étaient présents aussi lors de mon précédent spectacle, ‘Fuerza y Temple’, que nous avions présenté à Genève il y a un an et Gonzalo Quintero a intégré la compagnie dans la reprise de « Fuerza y Temple » à Paris en septembre dernier; c'est très riche de travailler avec lui car c'est un artiste très complet.

- Quand est-ce que le public pourra découvrir cette création?

- Nous présentons ce spectacle les 18 et 19 mars prochain, à Genève, au Théâtre de l’Alhambra et j’espère le présenter ailleurs par la suite, ainsi qu’à Paris car je suis très attachée à cette ville et au monde Flamenco qui y réside.

- Merci Alba pour cet entretien; nous te souhaitons un franc succès lors de la présentation de ce spectacle et dans ta carrière artistique…à très bientôt.

-Merci à toi Isabelle, je suis très heureuse de te rencontrer à nouveau, ici, à Séville.

Visiter le site Web d'Alba Lucera: www.albalucera.com