Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview de Yasmin Levy réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena' en novembre 2009,  pour Musique Alhambra

 

 

- Yasmin Levy, dans ton nouvel album 'Sentir' tu interprètes des chansons traditionnelles ladinos, Flamencas ainsi que des compositions actuelles. D'où viennent toutes ces influences?

- J'ai grandi à Jérusalem, ville très hétérogène où se mêlent de nombreuses religions et peuples. Il y a des juifs, des chrétiens, des musulmans. Il y a des musiques et des traditions qui proviennent de partout. Je suis le résultat de toute cette fusion. C'est pour cela que j'incorpore  des éléments orientaux, andalous et cubains dans ma musique. Il y a de tout.

- Ton lien avec le ladino?

- Je chante en ladino car je suis Séfarade. Les Séfarades sont les juifs qui vécurent en Espagne jusqu'en 1492 où ils furent expulsés sous l'ordre des rois d'Espagne. Ils se dispersèrent partout dans le monde. La majorité est partie en Turquie, dans les Balkans, comme c'est le cas pour ma famille, du coté paternel. J'ai grandi en écoutant cette musique séfarade. C'est ma tradition; c'est pour cela que je chante ces chansons qui se transmettent oralement de génération en génération, depuis 500 ans. A la maison, les mères chantaient les romances à leurs filles et les hommes chantaient les chants religieux aux garçons, à la synagogue. J'étais très heureuse de connaitre ces chansons qui avaient traversé toutes ces années. Un jour, mon père, Yitzhak Levy, qui était musicien, comprit que quelqu'un devait sauver ces chansons pour qu'elles ne disparaissent pas. Il alla de maison en maison pour enregistrer ceux qui connaissaient ces chants. Puis, il écrivit les mélodies et les paroles. Les gens qui avaient chanté pour mon père sont mort depuis. Ils auraient pu emporter leurs chansons dans la tombe si mon père n'avait pas réalisé ce travail.

- Où a-t-il collecté ces chants?

- En Israël. Dans ce pays, il y a des gens de diverses cultures, ces chants étaient d'origines variées: bulgares, turques, etc.

- Ton père t'a  beaucoup influencé dans ton art, n'est-ce pas?

- Oui. il sortit 10 livres de musique liturgique juive et 4 livres de romances. Il mourut lorsque j'avais 1 an, mais j'ai grandi en écoutant sa voix et la voix de ma mère. Moi, je parle l'espagnol d'aujourd'hui, le castillan et ma génération ne parle plus le ladino, qui est la langue espagnole juive. On dénombre 150 000 personnes qui parlent le Ladino dans le monde et ils ont entre 70 et 80 ans. Dans 50 ans, personne ne parlera plus cette langue. La seule chose qui survivra de cette tradition, ce sont les chansons. C'est donc une mission pour moi de les chanter et de les diffuser dans le monde.

- Pourquoi fais-tu une rencontre entre le Ladino et le Flamenco, dans ton album?

-  Dans la musique Ladino, il m'a toujours manqué de la passion et moi, je recherche le feu et la passion. Quand je découvris le Flamenco, je découvris la passion et c'est ainsi que je décidai de réaliser une fusion entre le Ladino et le Flamenco, de chanter en Ladino d'une manière Flamenca. Actuellement il ne manque pas la passion dans la musique séfarade mais les chants Ladinos que j'interprète sont anciens et c'est pour cela que les gens les interprètent avec parcimonie, comme s'ils étaient fragiles. Je m'oppose à cette manière d'interpréter ces chants. Ce sont des chants qui ont 500 ans, certes, mais ils sont jeunes malgré tout. Maintenant que j'ai trouvé mon style, je ne peux revenir en arrière et j'interprète ces chants avec tout le respect que je leur dois. Je n'ai jamais prétendu être une chanteuse de Flamenco. Je réalise simplement une fusion des styles et j'ai compris que, pour porter ces chants au monde entier et aux jeunes, je devais changer ma manière de les chanter. Traditionnellement, ces chants sont interprétés a capella, c'est à dire sans accompagnement musical. Si je chante a capella pendant une heure et demi, ce sera joli mais difficile. C'est ainsi que j'ai eu l'idée d'ouvrir ces chants à la musique turque, andalouse, cubaine et à d'autres musiques encore.

- Comment la communauté séfarade a-t-elle accueilli ta manière d'interpréter ces chants?

- Au début, les gens de la communauté séfarade étaient perplexes devant mon travail, mais après 7 années d'expérience et après avoir porté ces chants dans le monde entier, à l'Opéra de Sydney, à New York et dans beaucoup d'autres villes, j'ai acquis une certaine maturité et une reconnaissance auprès du public, ce qui change leur regard sur mon travail. Ils  comprennent que garder la tradition en Israël, c'est bien, mais l'ouvrir au monde, c'est une bonne chose aussi.

- D'après toi, ce disque est-il une réflexion sur tes origines, réflexion te permettant ainsi de mieux te connaitre, ou est-ce un moyen de partager ton vécu avec les autres ?

- En fait, c'est tout cela à la fois. Me rencontrer moi-même et partager avec les autres. Tous mes disques sont le résultat de ce processus et ils me permettent aussi de m'exprimer en tant qu'artiste. Ces chansons anciennes que j'interprète ne m'appartiennent pas. Elles font partie de ma vie mais elle ne sont pas à moi. Elles appartiennent à ma communauté. C'est pour cette raison que j'ai toujours un peu d'appréhension pour les interpréter et c'est une grande responsabilité pour moi. C'est pour cela qu'il est important pour moi d'écrire mes chansons dans lesquelles je peux chanter comme une 'folle'. Il y a tout cela dans l'album.

- Comment as-tu découvert le Flamenco?

- J'ai grandi en écoutant le Flamenco et jamais je ne pensais que j'allais chanter.  Je voulais être vétérinaire. Mais, quand j'ai commencé à chanter, j'apprenais en parallèle la danse Flamenca car j'en avais envie. Sachant que je chantais en Ladino, mon professeur m'a proposé un jour de m'inclure dans un projet artistique et c'est ainsi que les chants Flamencos entrèrent dans ma vie. Puis je suis partie apprendre le chant Flamenco à Séville. Je séjournai plusieurs mois là bas mais pas suffisamment longtemps pour chanter le Flamenco car, le Flamenco est aussi une manière de vivre et il faut vivre longtemps là bas pour accéder à cela. J'ai donc pris ce que je pouvais de cette tradition et j'ai crée mon propre style de musique.

- As-tu travaillé ta voix pour y incorporer le son Flamenco?

- Si tu écoutes mon premier disque, tu remarqueras que je chante avec une voix 'de tête'. C'est ainsi qu'on chante en Ladino. Puis, j'ai appris le Flamenco et à partir de là j'ai chanté avec la poitrine. Dès le deuxième album, j'ai changé ma manière de chanter. Avant, je voulais absolument avoir la voix d'une chanteuse Flamenca, je faisais tout pour modifier ma voix. A cette période j'avais délaissé les chants séfarades au profit des chants Flamencos. Deux ans après, je réalisai qu'il y avait beaucoup de chanteurs de Flamenco et très peu de chanteurs de Ladino et j'ai compris ce que je devais faire. J'ai rencontré ma voix, mon âme après 10 ans de travail et de passages difficiles. Personnellement, je pense que je suis devenue une véritable chanteuse en novembre 2008, l'année dernière, après avoir réalisé trois albums. C'était lors d'un concert en Allemagne. J'étais sur scène et il y a eu un moment magique, quelque chose s'est réalisé en moi, d'un point de vue technique et spirituel. Je chantais et c'est à ce moment précis que je suis devenue une chanteuse, seulement dès ce moment là.

- Quel regard portes-tu sur ton nouvel album?

- Cet album est comme mon bébé et je l'ai enregistré au meilleur moment de ma vie de chanteuse. De plus, j'avais des rêves que j'ai réalisé uniquement dans cet album. Premièrement, de chanter avec mon père. Par la magie de la technologie, je chante avec lui le thème 'Una Pastora' grâce à un enregistrement qui date de 50 ans et quand on écoute l'album, on croirait que nous étions ensemble dans le studio d'enregistrement. Je rêvais aussi de chanter avec Eleni Vitaly, une chanteuse extraordinaire d'origine grecque. Ce fut merveilleux pour moi. Je rêvais aussi d'interpréter une chanson d'Antonio Molina, qui est mon mentor. Le thème 'La hija de Juan Simon' est une chanson très difficile à interpréter. J'ai eu le courage de le faire sur ce disque. Pour toutes ces raisons, 'Sentir' est l'album le plus important pour moi.

- Pourrais-tu nous parler de ta collaboration avec Javier Limon, guitariste et producteur de cet album?

- Travailler avec Javier fut la plus belle expérience qui me soit arrivée. Je vins vers lui comme un oiseau avec des ailes cassées et, lui, il m'a fait voler. Javier m'a fait grandir intérieurement, il me fit m'ouvrir et m'envoler. C'est un homme très sympathique, très modeste,  doux et vraiment talentueux. Quand il joue de la guitare, on croirait entendre son âme. Javier, je ne l'oublierai jamais.

- Combien de temps a-t-il fallu pour enregistrer cet album?

- A partir du moment où je lui ai envoyé les chansons, il a fallu 2 mois de travail pour les enregistrer. Lorsque je suis arrivée à Madrid, Javier avait déjà tout préparé pour que je chante. J'étais reçue comme une princesse. c'était très agréable.

- Dans la chanson intitulée 'Porque', tu délivres un message au public, n'est-ce pas?

- Oui, cette chanson a beaucoup d'importance pour moi. En plus du fait de chanter aux côtés d'Eleni Vitaly, qui est une des plus grandes chanteuses, les paroles de cette chanson sont un appel à la paix et à la tolérance. Je remarque que la religion est souvent utilisée et réinterprétée pour justifier le mal qu'on fait aux autres. Je m'insurge contre cet état de fait. Moi, en tant que juive, je ne peux te considérer comme inférieure à moi car tu es chrétienne ou musulmane. Nous devons nous respecter les uns les autres. J'ai découvert qu'il y a beaucoup de 'bonnes personnes' dans le monde mais je vois aussi le mal que les êtres se font entre eux et cela me révolte. Je suis devenue ambassadrice d'une association nommée 'Children of peace' (les enfants de la paix). Mon action consiste à réunir des enfants palestiniens et israéliens qui ne se connaissent pas et qui pensent qu'ils sont des ennemis. Je les incite à se tenir par la main; je leur parle de mon métier et je leur explique  que, dans ma vie, il n'y a pas de place pour la guerre. Ma religion c'est la tolérance. C'est ce message que délivre aussi dans cette chanson.

- Si tu devais retenir une chanson de cet album, quelle serait-elle?

- C'est difficile car elles sont toutes importantes pour moi... La chanson 'Una pastora' que je chante avec mon père, c'est mon âme, mais je crois que c'est dans la chanson d'Antonio Molina 'La hija de Juan Simon', que la véritable Yasmin Levy se révèle. J'ai mis tout ce que je suis dans cette chanson. Cela fait 16 ans que je voulais chanter ce thème. C'est uniquement dans ce disque que j'ai eu le courage de le faire. Lorsque j'ai annoncé mon projet à Javier , il m'a donné son accord à la seule condition que ce soit bien fait. J'avais beaucoup d'appréhension,  j'ai essayé et il m'encourageait en me disant que c'était excellent, qu'il fallait que je continue.

- Comment as-tu choisi les musiciens qui t'accompagnent dans cet album?

- Dans ce disque, ce sont principalement les musiciens de Javier qui interviennent. J'ai eu l'honneur d'être accompagnée par ces excellents artistes, qui sont aussi les musiciens de Paco de Lucia. Amir Shahsar, le flutiste est le seul musicien avec lequel je travaille depuis 7 ans . Je l'ai fait venir d'Israël pour l'enregistrement de l'album.

- Comment définirais-tu ton style de chant?

- ...sauvage et très délicat.

- Oui, c'est tout à fait cela. Quelles sont tes prochaines dates de concert?

- J'ai 5 dates en France et je reviens au mois de février où je me produirai au théâtre de l'Alhambra, le 6 février plus précisément, puis je ferai une tournée en Europe, aux Etats Unis, en Australie...

- As-tu un autre projet en parallèle?

- Oui, j'aimerais faire un album de musique religieuse en Israël avec un orchestre classique mais j'ai besoin de temps pour réaliser ce projet. Actuellement, j'ai envie de célébrer la naissance de mon nouvel album. Dans 1 ou 2 ans, je pourrai envisager un nouveau projet.

- Merci Yasmin pour cet entretien et pour ce très bel album. A très bientôt.

 

 

>>Ecouter<< des extraits sonores de l'album 'Sentir'

Visiter le site web de Yasmin Levy: http://www.yasminlevy.net

 

 

 

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Remerciements à Agnès Thomas pour  sa disponibilité et son aide