- Andrés Marin, tu es le fils du
bailaor
Andrés Marin et de la cantaora Isabel Vargas. Qu'aimerais-tu
nous dire à leur sujet?
- En plus de m'avoir donné la vie, ce qui est leur rôle
essentiel, ils m'ont introduit
dans le monde du flamenco. Ce sont des artistes qui ont
travaillé longtemps avec des grandes figures du Flamenco comme Marchena,
par exemple. Par eux, j'ai été
familiarisé avec cet art et mon père m'a introduit dans le monde
du baile et j'ai suivi ses pas.
- Il t'a formé à la danse?
- Oui, il m'a formé au début. Il a été mon
seul et unique professeur car, après, je me suis formé tout
seul.
- Que gardes-tu de Séville, ta ville natale?
- Séville est la ville dans laquelle j'ai
grandi et dans laquelle je réside encore. En effet, je continue
à vivre dans le quartier où je suis né. J'aime cet
environnement, je m'y sens bien.
- Quand as-tu décidé de démarrer une carrière de
danseur?
- J'ai commencé à danser à l'âge de 7 ans;
à cet âge là, je voulais déjà être bailaor. J'ai
interrompu ce projet pendant un temps, puis j'y suis
revenu. Ma carrière de bailaor démarra réellement en
1995.
- Comment décrirais-tu ton style de baile?
- Ce qui caractérise mon baile
c'est son aspect expérimental; c'est une danse sans peur et avec
une grande liberté d'expression.
- Es-tu ainsi dans la vie?
- Oui, je danse ce que je suis tout comme le
peintre peint ce qu'il est.
- Te ressens-tu comme un des représentants du
nouveau Flamenco?
- Je suis un représentant d'un baile sans
censure. Le baile a traversé des périodes diverses et durant ces
périodes il y a toujours eu des artistes qui ont révolutionné
cet art. les gens du Flamenco ont une connaissance très
superficielle du Flamenco...je te le garantis. Lorsque les
Flamencos parlent de cet art, c'est souvent d'une manière
stéréotypée. Ils n'on t pas de réelles connaissances et ne savent
pas ce qu'est le flamenco libre ou ce qu'est le Flamenco en
évolution. Chacun campe sur ses positions en déclarant 'C'est
ça Le Flamenco'. En fait, le Flamenco est un art personnel. Un
art individuel est un art personnel. Chacun danse à sa manière,
c'est pour cela que danser sans faire partie d' une compagnie,
cela fonctionne très bien aussi. J'ai eu une compagnie, mais je
revendique un Flamenco libre car, quand on danse dans une
compagnie, cela modifie les choses.
- Que gardes-tu de la tradition dans ton
baile?
- Tout, car il ne peut y avoir d'avant garde
si elle n'est pas sous-tendue par la tradition, de même qu' on ne
peut construire une maison sans installer les fondations. Les
fondations, c'est la connaissance et la maitrise du baile.
- Quelles sont les connaissances fondamentales à
acquérir, d'après toi?
- Il est nécessaire d'écouter le cante,
de connaitre les styles de cante et de remarquer que
chaque chanteur a sa manière de chanter. Tout le monde ne
cherche pas à acquérir cette connaissance. les danseurs montent
une chorégraphie mais ils dansent de la même manière avec tous
les cantaores.
- Travailles-tu toujours
avec les mêmes chanteurs
?
- Non, je change à chaque fois. Cette fois-ci,
c'est Segundo Falcon qui vient en artiste invité. C'est un très
bon chanteur et c'est un honneur pour moi qu'il soit là.
- Ton projet de travailler avec Llorenç,
comment s'est-il réalisé?
- Lors de l'élaboration de ce spectacle,
j'avais envie de travailler avec le son des cloches car cela
éveille des images en moi, tout autant que la Solea.
Danser au son des cloches, cela ne s'était encore jamais fait
dans l'histoire du Flamenco et pourtant les letras sont remplies
d'allusions aux cloches. Comme je cherchais à travailler avec un
campanologue, un ami m'a parlé de Llorenç puis son neveu me l'a
présenté. Nous avons commencé à travailler ensemble et cela me
plaisait beaucoup car, dans sa musique, il y a tout: le jondo, le
noir, le doux... Llorenç fait de la musique
expérimentale, minimaliste. C'est un grand campanologue et un
musicien de polyphonie. C'est la perle rare.
- Les cloches, qu'évoquent-elles dans ce
spectacle?
- Dans mon spectacle, elles représentent des
mémoires de ma vie et de mon environnement. Plus largement, la
cloche annonce des évènements: la mort, un mariage. elle est
aussi utilisée pour la guerre. La cloche est un instrument de
communication, tout comme le Flamenco. Souvent, les gens
considèrent cet art plus comme un divertissement, une
distraction que comme un moyen de communication.
- Au fond, que cherches-tu à communiquer
au public?
- Je communique ce que je ressens, je danse
en m'exprimant librement. Je ne prétends pas délivrer un
message particulier. Je danse pour moi avant tout et cela en a
toujours été ainsi.
- Comment as-tu élaboré ce spectacle?
- Nous avons travaillé en studio avec Llorenç et
les musiciens. Nous avons choisi la musique. Puis, j'ai
écouté la musique de Llorenç et j'ai travaillé avec lui.
- Llorenç joue-t-il a compás dans le
spectacle?
- Non, Llorenz joue librement. Il utilise
d'autres formes de rythmes que les nôtres. Nous, nous
interprétons des palos: Seguiriya, bambera, cantiña, etc.
- Que racontes-tu dans 'El cielo de tu boca'?
- Ce n'est pas un spectacle narratif. C'est un
spectacle visuel, réflexif, chargé d'émotions. C'est un travail
ouvert. Je ne monte jamais de spectacles narratifs. Mon travail
est une série de propositions expérimentales.
- Qu'est ce qui distingue la
première version du spectacle de la deuxième?
- La première version rassemble 3 cantaores et il
y a une trentaine de cloches sur scène ainsi qu'une vidéo
projection en fond de scène. La deuxième version est une
version réduite de la première. Il y a moins de cloches, moins
de cantaores et il n'y a pas de projection vidéo.
- Tu as présenté la première version
récemment, au Festival
Flamenco de Nîmes. Que penses-tu de ce festival?
- C'est un festival Flamenco important et il a
l'avantage d'intégrer dans sa programmation des artistes hors
norme. C'est merveilleux!
- Quels conseils donnerais-tu à un danseur qui
souhaite évoluer?
- L'évolution c'est avant tout une histoire de
sentiments et de volonté. Celui qui, depuis l'âge de 7 ans,
éprouve l'envie de devenir un danseur, aura plus
de chance d'y parvenir que celui qui n'a jamais eu cette volonté
depuis sa plus tendre enfance.
- Une mise en garde particulière pour
celui qui est dans une démarche artistique sérieuse?
- Oui, je lui recommande de ne jamais avoir peur
ce que qu'il est et de ce qu'il ressent. Moi, je n'ai jamais eu
peur de ne plus appartenir à la famille du Flamenco alors que je
suis issu de cette tradition. Personne ne peut déclarer que je
n'appartiens pas à cette famille car je l'ai vu dans ma propre
maison. Il y a aussi un autre cas de figure: certains artistes qui
n'appartiennent pas à cette famille et qui veulent à tout prix
s'intégrer à ce milieu. Pour essayer d'y parvenir, ils revêtent
les costumes à pois pour faire 'Flamenco'. C'est un leurre,
évidemment. Le Flamenco n'est pas dans le vêtement. Il est dans
l'âme, dans l'esprit et dans la vérité de ton expression, si tu
as quelque chose à raconter. Sinon, cela reste simplement joli,
mais ça ne prend pas aux tripes. Il ne faut pas avoir peur de la
vie. Il est nécessaire d'avoir de l'éducation et du respect pour
la vie, pour les autres, pour notre environnement, pour le Flamenco, pour
tout.
- D'où vient cette liberté
d'expression que l'on ressent dans ton baile?
- C'est quelque chose de personnel. C'est une
décision que j'ai prise et je m'y accroche. Il y a des gens qui
me soutiennent comme Daniela Lazary, par exemple.
- On rapproche souvent ton
travail à celui du danseur Israel Galvan. Qu'en penses-tu?
- Je crois que je suis plus silencieux qu'Israel,
néanmoins nous défendons le même genre de danse et s'il fallait
citer les danseurs qui détiennent une liberté d'expression, ce
serait Israel et moi. Nous sommes issu d'un même
contexte éducatif, c'est peut être cela qui nous rapproche
aussi. En peinture, il existe des courants artistiques:
l'expressionnisme, le surréalisme, l'impressionnisme et
d'autres. Il en est de même pour la danse Flamenca et Israel
et moi appartenons au même courant relatif à cette danse.
- Vous n'êtes pas nombreux à
appartenir à ce courant artistique...
-Il y a Israel et moi... nous nous
habillons en noir, nous dansons librement, sans peur. C'est bien
qu'il y ait des artistes comme lui.
- Comment vois-tu l'évolution
du Flamenco?
- Le Flamenco traverse une très bonne période.
Avant, il était très censuré. Maintenant, il s'élargit. Les
danseurs ont acquis une bonne technique et beaucoup dansent très
bien. Tant que le Flamenco gardera sa liberté, il continuera à
vivre.
- Quels sont les maestros qui t'inspirent dans ton
baile?
- J'ai 40 ans; je n'ai plus de maîtres qui
m'influencent car ils l'ont déjà fait quand j'avais 7 ans. A
cette ppériode, je regardais comment ils dansaient, leur
technique. Je continue à regarder ce qui se fait autour de moi,
le travail des autres artistes sans pour autant que cela
m'influence.
- T'intéresses-tu à
d'autres disciplines artistiques?
- Oui, à la peinture, au cinéma... J'apprécie
beaucoup le cinéma d'avant-garde. J'observe le mouvement des
images et je m'intéresse aussi aux mouvements culturels et aux danses
de chaque pays, la position corporelle inhérente aux
autres danses. J'aime aussi regarder
les sculptures de la Grèce antique, de l'ancienne Egypte.
J'observe les positions des corps.
- As-tu une nouvelle création
en élaboration?
- Oui, j'ai un nouveau projet nommé 'La pasión
según se mire’ . C'est un spectacle de danse dans lequel ma
partenaire artistique est la danseuse Pilar Albarracin. Il y
aura plusieurs artistes invités comme Lole Montoya, Concha
Vargas, José de la Tomasa. Il n'y a pas de dramaturgie ni
d'histoire dans ce spectacle. Ce sont des moments où chacun
s'exprime librement.
- Merci Andrés, et à tout à
l'heure pour 'El cielo de tu boca'.
- Merci à toi!

Visiter le site Web d'Andrés Marin:
www.andresmarin.es
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Remerciements à Daniela Lazary pour son aide précieuse.
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