Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

Accueil Al-Andalus  Flamenco Liens Forum Contact Email
   

Interview de Jean-Philippe Bruttmann réalisée par Isabelle Jacq

pour Musique Alhambra

à l'occasion de la sortie de l’album 'Macadam Paseo'


 

- Jean-Philippe Bruttmann, pourrais-tu nous expliquer les raisons de la conception de ton nouvel album 'Macadam Paseo'?

-          -  Le précédent album remonte à 6 ans. Cela faisait un moment que j'avais envie de réaliser un nouvel album, mais ces dernières années, mon travail musical était plutôt axé sur  la scène. Ce disque est intervenu dans une période de creux scénique volontaire. Je joue exclusivement du Flamenco et j'ai toujours été  fasciné par le Flamenco parce qu'il recèle une alchimie entre la magie du spectacle vivant et la magie des musiques. Donc l'intérêt pour cette musique m'a fait écouter des disques, puis, l'intérêt qu'on a porté à mon travail a nécessité que je fasse des disques ! Je le fais bien volontiers, cela donne ma position, à un moment donné de mon parcours, comme un navigateur qui voyage sur une route assez inconnue d'ailleurs…    (…)  Ce disque, je l'ai réalisé après plusieurs années de très longues périodes d'installation dans des théâtres, de longues périodes de scène. Il y a eu plus d'un an au Ranelagh, à Paris, (…) plusieurs séries de (…) un mois à l'Européen, (…) au Festival d'Avignon, des tournées, et toujours beaucoup de choses autour de la scène; il y a eu énormément de travail avec de très nombreux interprètes, J'ai travaillé successivement, à cause de la durée et malgré mes fidélités, avec 4 danseuses, 4 chanteurs et 4 percussionnistes, avec, pour chacun d'eux, un contexte toujours différent et beaucoup d'équipes qui ont varié  autour de moi. Tout cela m'a permis de remettre des choses en question à chaque fois, de travailler avec nouveaux sons dans mon oreille. Il y a eu aussi le rôle important du nouvel album de Paco, autant que mes nouvelles idées. Même si cela peut étonner, les deux albums d'Henri Salvador ont joué aussi un rôle,  car ce chanteur fait partie de ma mémoire; je l'écoutais dans mon enfance. Je suis fait aussi de tout ce que j'ai écouté quand j'étais enfant. Riche de toutes ces expériences et sources d'inspiration, il a fallu, à un moment donné, rassembler tout cela pour écrire un disque. Il a fallu me poser la question 'Qui suis-je?' et 'qu'est ce que je veux donner au monde?' Cet album est en quelque sorte une tentative de réponse à ces questions.

- 'Macadam Paseo', pourquoi  ce titre?

- 'Macadam Paseo' c'est un jalon assumé d'un flamenco d'ailleurs. Nous, les flamenquistes français, nous sommes tous à la recherche d'un positionnement dans le monde du Flamenco. Nous avons deux problèmes principaux à régler : notre identité et notre manière de travailler. En effet, je constate un problème pratique dans la diffusion de ce que je vois, ce que je  lis et de ce que j'entends. En France, nombreux sont les artistes  qui s'inventent une généalogie espagnole.  Mais pourquoi aller s'inventer une naissance à Malaga par exemple, quand on est né dans le 9ème ? Moi je suis né à Grenoble. De plus, les deuxièmes générations d'espagnols qui sont en France jouent la musique de leurs parents ou de leurs grands-parents, mais en tout cas, la musique de leur racines. Moi, mes racines, elles ne sont pas  sur le territoire Français.  J'ai une aïeule sévillane, chose que j'ai découvert tardivement (à 32 ans). Ma mère est née en Algérie, elle est française, mais sa terre est d'ailleurs, et mon père vient  de l'Est de l'Europe. Je ne joue ni la musique de ma mère ni celle de mon père. Je joue une musique d'ailleurs mais qui est encore ailleurs de mes propres ailleurs !

- Alors dans quelle(s) terre(s) est-ce que tu te situes?

-  En fait, je me situe comme un « gitan errant ». Dans mon parcours personnel, il y a  ces mythologies de déplacement, cette l'idée de nomadisme,  du parcours mythologique des gitans à travers l'Europe. Tout cela, je le porte en moi, et l'idée de mouvement rejoint aussi l'idée de parcours entre une enfance qui écoutait « Pata pata » de Myriam Makeba et tout ce que j'ai découvert depuis. 'Macadam paseo' vient de cette idée de promenade, de déplacement, de parcours à la fois mythologique et vécu, qui fait que quand j'ai composé ces titres, je me suis aperçu que c'était une sorte de panorama, comme si je voyageais à l'intérieur de moi-même. Quand je vais au fin fond de ce que j'ai a dire, je ne peux raconter que ce que je suis. Ce fin fond, cela n'est que moi. Le macadam qu'il y a dans le paseo, c'est aussi parce que je suis un citadin, je n'ai pas de rapport à la terre. Quand je retourne à Grenoble, je m'aperçois quand même que je suis de là-bas. Comme disait F. Mitterrand, 'On est de là où on a grandi'. J'ai grandi là-bas.

- En écoutant  cet album, j'ai le sentiment qu'il s'agit plus d'une promenade tranquille que l'expression d'une douleur liée à un exil ; qu'en penses-tu?

- En effet, 'Macadam Paseo', c'est l'histoire d'un citadin qui, un jour, se met spontanément à faire une musique d'ailleurs avec une espèce de tranquillité. L'album porte cette idée de promenade et de ballade assez tranquille. Les titres ont des tempi  assez médium. Mon souhait était de dégoupiller l'anxiété de la quête. Néanmoins, je suis en recherche de quelque chose et je n'ai pas fini de trouver ce que j'ai a dire, sinon je ne serais pas un artiste. Cette impression de promenade que tu ressens, c'est cette forme de tranquillité quand l'angoisse disparaît. Je vis  une forme de réconciliation avec moi-même car j'assume aujourd’hui, notamment, complètement le fait de réaliser un album Flamenco qui porte l'empreinte de ma naissance en France et d’une forme récente de vécu, apaisé. 

- Peux-tu nous préciser l'influence de Paco de Lucia sur ta musique et sur la réalisation de cet album?

- Oui, en fait c'est très simple. Dans l'histoire du Flamenco, il y a eu un 'avant' et un 'après' Paco. Paco, c'est l'homme qui a changé le monde en Flamenco. La musique de Paco, c'est la musique de Paco. Loin de moi l'idée de me comparer à lui, mais je peux aussi dire, pour arrêter de me torturer à essayer de la qualifier, que ma musique est simplement… la mienne !

Tu utilises aussi plusieurs instruments qui ne sont pas issus de la tradition flamenca. Peux-tu nous expliquer ce choix?

- La flûte, la trompette, l'accordéon... j'irai même plus loin, il y a d'autres instruments qui ne sont pas flamencos: les percussions, qui ne sont pas un instrument traditionnel. Tout cela pour dire que, depuis Paco, on n’a rien inventé. Paco de Lucia a prouvé que, dès lors que l'on respecte les règles d'écriture rythmiques, c'est à dire tant qu'on ne trahit pas le compas, et que l'on garde l'esprit du flamenco, cela reste du flamenco. Qu'est-ce qu'un compas? C'est un mode, une tonalité et un tempo qui génèrent un climat. Si l’on respecte cela, il n'y a aucune raison de se priver. Qu'est-ce qui fait partie de la tradition  Flamenca? Dans tous les cas, cela fait partie de ma tradition Flamenca puisque je suis né en 1971 et cela faisait longtemps que Paco était déjà Paco. Ma bible musicale, c'est le 'Live de Paco en 1984', pour deux raisons: Tout d'abord, parce que, musicalement, c'est impeccable, et deuxièmement, parce que l'enregistrement est fait à Sète, et que l'on entend crier mes copains gitans qui assistaient à ce spectacle. Donc, cet album est doublement important pour moi. Pendant deux ou 3 ans de ma vie, je me suis levé le matin en écoutant cet album avec ses percussions, le sax, la flûte. C'est donc très spontanément que j'ai inclus tous ces instruments dans ma musique.  L'utilisation de l'accordéon dans le titre Tsadok, (…) propose des climats variables qui correspondent à mes ambiances. Un accordéon, c'est un instrument à la fois occidental, très urbain, qui est très 'macadam' et aussi très 'paseo' car il y a certaines gammes et certaines notes qui renvoient à des musiques roumaines, hongroises, tziganes et d'Europe centrale, (…) à une 'orientalité' qui est diaphane et diffuse et qui est mienne. Dans le  morceaux intitulé Esperanza, j'utilise  la trompette (sourdine). Il y a une très grande urbanité dans cet instrument, il évoque  New York.

-Dans un thème de ton album, tu fais allusion aux anciens et à un grand-père, qu'as-tu voulu exprimer?

- J'ai perdu mon grand-père quand j'écrivais l'album. J'ai composé dans le métro les 2 derniers couplets chantés dans la buleria intitulée 'El abuelo'. Je les avais enregistrés sur mon téléphone … ! Voici un couplet : 'A la tarde de la vida, por culpita de ser un hombre, Esperando solo a la muerte, El abuelo dice 'no te préocupes'... C'est cette phrase là qui a guidé tout l'album. La seule personne sur terre qui m'ait toujours dit 'Ne t'en fait pas, tu vas y arriver', c'est cet homme-là, qui était à l'automne de sa vie, lui qui avait  le plus de raisons de s'inquiéter. Avec l'infinie douleur de sa disparition et de sa perte, j'ai eu en même temps le sentiment que je devenais adulte.

- Pourrais-tu nous préciser les thèmes  contenus dans l'album et les artistes qui t'accompagnent ? 

- En fait c'est à peu près simple. Comme dans toute bonne dissertation, chaque question répond au titre ! (…) L'album débute par 'la maleta', ce thème  exprime le fait que je vous emmène dans un voyage. L'intro de la rumba, c'est la préparation au  voyage, ‘on fait la valise, je vous emmène’ ! Cela évoque aussi mon enfance, quand je descendais dans le midi, nous écoutions les gitans, mes amis Baliardo, notamment Hippolyte et le « cousin Manolo ». Xavier Sanchez intervient aux palmas et percussions. Le deuxième thème, c'est' Macadam Paseo', c'est celui qui illustre tellement bien mon urbanité. C'est aussi le titre de l'album, (…) emblématique. C'est une alegria. Le troisième thème 'Caminito', est un tangos qui exprime que mon parcours n'est pas tout droit ! C'est mon clin d'oeil à l’époque du « Clopin Clopan » chanté, notamment, par Henri Salvador, c'est mon 'petit chemin qui sent la noisette' à moi !  Le thème suivant, ‘ Timeo ‘, est une rondeña.  Ce titre vient du spectacle que j'ai réalisé en 2005 où j'évoque la crainte de l'homme par rapport aux croyances, la finitude. La phrase ' Decir la muerte es igual que decir dios' est issue de ce spectacle. Le thème 'La vuelta', est une solea.  Ma solea vient de la scène (...) Les notes sont posées en fonction de l' escobilla dansée par mon amie Sharon. Le thème suivant, 'Tsadok', est un thème plus oriental (…) On retrouve l'accordéon de  David Venitucci (…) à la fois oriental, occidental et populaire. (…) Je reviens d'Ouzbékistan. Là bas, il y a trois origines ethniques : les turcs, les perses et les sino mongoles, et ils ont même des Luli (des gitans). Ce thème rappelle le fait que je suis un « gitan errant ». Le thème suivant, 'Esperanza' exprime l'espoir, comme son nom l'indique. En composant ce thème, j'ai pensé à New York, la ville grise et humide, au petit matin. Ce thème renvoie au jazz. (…) Pierre Bertrand est  au sax.   Il y a aussi Nicolas Folmer qui intervient à la trompette. Ce moment raconte aussi l'histoire de ma rencontre avec ces artistes-là, les jazzmen, ceux avec lesquels ont peut établir une passerelle musicale. Le dernier thème s'intitule 'El abuelo'. Il termine l'album dans une sorte d'accomplissement, avec en note finale, cette phrase 'no te preocupes' chantée par Alberto Garcia, concluant l’album. Cela exprime aussi le fait que, malgré la finitude des choses, malgré la souffrance de la perte, rien ne disparaît vraiment, les êtres qu'on aime, on les transporte en soi.

- Quelle est la date prévue pour la sortie de l'album?

- (…) la sortie officielle de l’album  est prévue pour le 5 avril prochain..

-          - Merci Jean-Philippe pour cet entretien et à bientôt  pour les concerts de sortie officielle de cet l'album qui est très attendu par tous les aficionados !

 

   Dates de concerts de Jean-Philippe Bruttmann:

-               -     les 11 et 12 mai 2007 à 20h30, au Théâtre 145 de Grenoble (res. 04 76 49 53 39 + Fnac)

-           -  les 12, 13 et 14 juin à 20h30 à l’Européen, à Paris  (res. 01 43 87 97 13 + Fnac et ticketnet)

       Commentaires à propos de l'album 'Macadam Paseo': Lire les commentaires

Visiter le site Web de Jean-Philippe Bruttmann: http://www.bruttmann.com

>>Télécharger le dossier de presse << de Jean-Philippe Bruttmann (format word)