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Interview de Vicente Pradal réalisée par Isabelle Jacq,

 en mars 2008, pour la création de la pièce 'Yerma'

Interview réalisée pour Musique Alhambra

 

 

- Vicente Pradal, ‘Yerma’ est la prochaine pièce de théâtre de Federico Garcia Lorca que tu mets en scène et en musique. Tu travailles actuellement à l’élaboration de ce projet. Pourrais-tu-nous en parler?

- C’est une commande de Madame Muriel Mayette, nouvel administrateur de la Comédie française, qui est une admiratrice de Lorca et s’est rendue compte qu'il n’a jamais été joué au Français. Je pense que c’est au vu du travail que j’ai fait précédemment, notamment le Romancero Gitano et Llanto qui ont été présentés à Paris et à Madrid avec beaucoup de succès, que j’ai été choisi  pour conduire cette mission. Elle m’a donné carte blanche pour ce projet et j’ai choisi le 2ème volet de la trilogie rurale, qui regroupe trois tragédies de Lorca : Bodas de Sangre, Yerma et La Casa de Bernarda Alba.  J’ai choisi Yerma car c’est la pièce de Lorca avec laquelle je me sens le plus en résonnance. C’est un tournant très important dans ma carrière... Si j’ai fait un peu de mise en scène, par exemple sur le Romancero Gitano, c’était sur un support littéraire lorquien poétique. Là, nous sommes vraiment dans le théâtre. C’est une tragédie avec ses dialogues, ses personnages, son argument, en l’occurrence l’incapacité pour le couple Yerma et Juan d’avoir un enfant. Ce drame devient à ce point une tragédie que Yerma bascule dans la folie et devient criminelle puisqu’elle étrangle son mari à la fin de la pièce, en hurlant qu’elle tue elle-même son enfant ... Je pense que Lorca a compris beaucoup de choses avant tout le monde, dans une société espagnole qui était archaïque notamment concernant les minorités, par exemple les gitans, la condition de la femme et donc là, dans Yerma, il a fait une introspection dans la structure spécifique de la féminité avec un œil extrêmement affûté et cet itinéraire m’a beaucoup intéressé. 

- Qui sont les comédiens et artistes qui participent à cette pièce ? 

- Ce sont les comédiens de la Comédie Française et trois musiciens que j’ai eu le loisir d’amener. Ma fille Paloma au chant et à la danse, mon fils Rafael au piano, et Alberto García avec qui j’ai travaillé sur 'Le Divan du Tamarit', qui sont les voix chantées de l'œuvre.

- Le  nom  des comédiens ?

- La comédienne principale qui joue le rôle de Yerma, est une jeune femme, ravissante et habitée, qui s’appelle Coraly Zahonero, le nom trahit ses origines espagnoles. Celui qui joue le rôle du mari, Juan, c’est Laurent Natrella. Il y a aussi deux comédiennes extrêmement confirmées et talentueuses : Madeleine Marion qui va jouer le rôle de la vieille païenne, et la sublime Christine Fersen qui va jouer Dolores, qui est une sorte de chamane. Deux jeunes comédiennes formidables qui sortent du conservatoire : Raphaèle Bouchard et Eléonore Simon. A cette liste se rajoutent deux comédiens remarquables de la Comédie Française : Céline Samie et Sharokh Moshkin Ghalam qui est un excellent acteur et un danseur soufi qui va d’ailleurs danser en duo avec Paloma. Il y aura donc une rencontre avec la danse soufie et la danse Flamenca. Ce sera très intéressant….

- Concernant les parties chantées, quel répertoire as-tu choisi ?

- Ils vont chanter la partie versifiée de l’œuvre puisque  c’est une tragédie conventionnelle dans le sens où il y a donc des personnages et des dialogues mais il y a aussi une particularité c’est que le Lorca poète y met beaucoup de lui puisqu’un sixième de la pièce est écrit en vers, et c’est ce sixième que j’ai choisi de ne pas traduire, de  garder en espagnol ; Il sera donc chanté. Alberto García va chanter la partie qui incombe à l’homme dans cette œuvre et je suis ravi d’avoir pu lui proposer de participer à une deuxième aventure qui devra lui prouver à quel point j’ai déjà apprécié de travailler avec lui. Il est, à mon avis, la valeur montante du Cante Flamenco en France.

- Seras-tu sur scène, dans Yerma ?

-Non, je ne serai pas sur le plateau. Je ne me suis pas autorisé à être dans la distribution pour avoir un œil le plus opportun et disponible possible sur la mise en scène, le décor, les lumières, le son et l’esthétique générale du spectacle. En tant que concepteur du projet, c’est prudent d’être uniquement dans la salle. Evidemment l’interprète que je suis sera frustré puisque quand on y a pris goût soi-même, il y a une sensation de manque. Mais, j’ai déjà été dans ce genre de situations, notamment en Italie où je dirigeais une pièce sur le prophète, ou en Espagne pour la pièce ‘l’Apocalypse’, avec Carmen Linares, Irène Papas et Yoko Ono, ou encore dans ‘L’amour de loin ‘, un spectacle sur un troubadour du 12ème siècle que j’ai composé et mis en scène. Les gens qui sont sur le plateau constituent une très belle équipe, extrêmement compétente, qualifiée et engagée dans le projet. Nous devrions avoir quelque chose de différent et profond et probablement bouleversant.

- Quels sont les instruments et le  style musical utilisés ?

- Il y a le piano et les voix. Nous trouverons des références très évidentes au Flamenco. Par exemple, l’ouverture de la pièce va se faire sur un style que, à tort, beaucoup d’artistes négligent, voire méprisent : c’est la Nana, la berceuse Flamenca. Il y aura d’entrée une référence au Flamenco traditionnel que nous allons évidemment personnaliser. Ensuite, c’est de la composition, l’objectif étant de  mettre en avant l’aspect populaire dans, par exemple, la fameuse scène du lavoir, quand les lavandières chantent et battent des rythmes tout en lavant le linge et en colportant les ragots du village qui exaspèrent le couple Yerma et Juan. Il y a des moments profonds, notamment un chant que va interpréter  Paloma, qui est d'une grande profondeur, un grand moment d’intimité dans le psychisme de Yerma, dont je suis très fier. C’est certainement une de mes plus belles chansons. C’est une belle construction et quand Paloma la chante, accompagnée par son frère, c’est absolument bouleversant…

- Merci Vicente pour cet entretien que tu nous as accordé et à très bientôt !

 

  Visiter le site Web de Vicente Pradal:  www.vicentepradal.com

    >>Visiter le site << de la Comédie française

 

 

Interview de Vicente Pradal réalisée par Isabelle Jacq, en mars 2008, 

pour la sortie de l’album ‘El Divan del Tamarit’

Interview réalisée pour Musique Alhambra

 

- Vicente Pradal, suite à la tournée nationale de ton spectacle ‘El Divan del Tamarit’, tu viens d’enregistrer un album éponyme. Pourrais-tu nous préciser sa date de sortie ?

- L’album ‘El Diván del Tamarit’ va sortir à la mi-mai, pour coïncider avec la présentation, au théâtre du Vieux Colombier, de Yerma, que je présente à la Comédie Française, à Paris.

-Dans l’album, as-tu repris les mêmes thèmes que ceux du spectacle, et cela d’une manière chronologique ?

- Il y a deux moments purement instrumentaux que j’ai décidé de ne pas mettre dans l’album. Sinon, ce sont les 11 chants qui composent la version scénique, mais il y a deux différences fondamentales: la première c’est que l’orchestration n’est pas tout à fait identique car une orchestration pour la scène ne fonctionne pas forcément à l’audio . J’ai acquis les services de deux musiciens  additionnels qui sont Renaud Garcia Fons à la contrebasse et Edouard Coquart aux percussions, avec aussi des interventions ponctuelles de ma fille Paloma, pour avoir une couleur de voix supplémentaire. La deuxième différence, c’est que l’ordre des morceaux a changé. Nous avons pris les mêmes thèmes, les poèmes, les casidas et les  gacelas et nous les avons organisés comme cela nous plaisait. De plus, il n’y a pas un postulat qui justifie que le disque soit à l’identique du spectacle. Le spectacle est quelque chose d’éphémère, mais le disque, par contre, nous survivra. J’ai fait en sorte que l’album puisse avoir une vie propre.

-  Que signifie le titre « El Diván Del Tamarit » ?

- Oui, le Divan, c’est un recueil de poèmes dont le nom et le genre ont été définis par les arabo-andalous, c’est à dire que un poète arabo-andalou, s’il voulait faire un recueil de poèmes, il le réunissait sous le nom de ‘Divan’. Donc, on suppose que c’est l’ensemble des poèmes que Lorca a voulu dédier au Tamarit, qui est l’actuelle ‘Huerta de San Vicente’, c’est à dire le jardin de la famille Lorca, à Grenade. Ce jardin là, s’il porte le nom chrétien de Huerta San Vicente, le nom ancien hérité des arabo-andalous, c’est le Tamarit. Donc on suppose que ce sont les poèmes écrits au Tamarit. Je pense que Lorca, comme beaucoup d’intellectuels sensibles, avait une conscience de ce que nous devons à  cet héritage des arabo-andalous puisqu’ils ont apporté à l’Espagne une infinité de sciences et d’arts qui sont aujourd’hui une des composantes de notre culture à tous et de la culture andalouse, en particulier, y compris du Flamenco.

- Au travers de cet album, rends-tu un hommage à Lorca ? Que voudrais-tu nous dire sur Lorca ?

- Avant tout, c’est le musicien qui parle. J’ai besoin de faire de la musique, comme un boulanger a besoin de faire son  pain. C’est mon métier. Ce n’est évidemment pas un hasard si j’ai choisi Lorca, mais je crois que le moteur, au départ, c’est la nécessité intérieure de faire de la musique. Aujourd’hui, pour moi, c’est lié à la poésie et je salue le talent de Lorca chaque fois que je mets de la musique sur ses vers, car, si je l’ai choisi c’est parce que je le préfère. Les choses se sont décidées, chemin faisant. Je me souviens toujours des vers d’Antonio Machado « Caminante, no hay camino, se hace el camino al andar’,’Marcheur, le chemin n’existe pas, le chemin se fait en marchant’. Je n’ai pas décidé au milieu des années 90 de consacrer une décennie à Federico García Lorca ; C’est pourtant ce que j’ai fait. Il y a eu le ‘Llanto’, le ‘Romancerao Gitano’, puis  ‘El Diván del Tamarit’, et maintenant ‘Yerma’. Avant, il y a eu ‘La savetière prodigieuse’ de Lorca qu’avait mis en scène Jacques Nichet qui était le fondateur directeur du TNT, qui vient de passer la main . Depuis longtemps, Lorca est un poète qui accompagne mes pas. Lui, c’est un génie universel. Moi, je ne suis qu’un passager de plus dans le train de son génie. Ce serait vaniteux de vouloir lui rendre hommage.

- Dans cet album, y a-t-il d’autres textes, d’autres poèmes que ceux de Lorca, comme c’était le cas dans le spectacle ?

-  Dans le spectacle, nous avions choisi de mettre deux thématiques, celle du ‘Diván du Tamarit’ et, comme nous avons constaté que c’était les derniers poèmes de Lorca, nous avons aussi voulu crier notre indignation devant son assassinat. Nous avons donc intégré un certain nombre de poètes qui étaient les contemporains de Federico. Plutôt que de le dire nous-mêmes, nous avons pris les mots de Neruda, de Machado, de Miguel Hernández. Nous avons pensé à des textes d’Alberti ainsi qu’à un texte d’Isabel Lorca, sa sœur. Cela, nous ne l’avons pas mis dans le disque, car j’ai choisi de mettre uniquement les 11 poèmes du Tamarit et un sonnet de l’Amour Obscur qui est également dans le spectacle.

- L’album est-il fidèle à l’ambiance du spectacle ?

- L’ambiance sonore, l’esthétique musicale, certainement. Ensuite, je pense que chez les auditeurs qui auraient vu le spectacle, certaines mélodies vont réactiver les images, je suppose. Je vais au bout de ma mission qui aura été de composer un certain nombre de chants à partir des poèmes de Federico.

- Quels sont les artistes qui ont participé à l’enregistrement de cet album ?

- Tous les artistes du spectacle… donc Emmanuel Joussemet au violoncelle, Hélène Arntzen au saxophone, Rafael Pradal au piano, les 3 chanteurs : Servane Solana, Alberto García et moi. Il y a aussi 4 musiciens additionnels : Renaud García Fons à la contrebasse, Edouard Coquart aux percussions, ma fille Paloma au chant et aussi une courte intervention  d’un flûtiste qui est un de mes meilleurs amis et qui a travaillé dans le ‘Llanto’ et  dans ‘Pelleas et Melisanda’,  Luis Rigou, un argentin qui fait une intervention à la Kena, dans un titre de l’album.

- Dans le spectacle ‘Le Diván du Tamarit’, la danseuse Fani Fuster incarne l’amour et la mort. Elle y  tient une place prépondérante. As-tu transposé sa présence dans l’album ?

- Non, et c’est à regret d’ailleurs, car elle apporte énormément à ce spectacle et pour moi, sa présence est indissociable de certaines musiques qui ont été écrites pour elle, pour valoriser sa danse. Mais, en même temps, mettre une danseuse dans un disque, ce n’est pas facile !  On aurait pu avoir quelques rafales de pieds, mais  j’ai choisi de ne pas le faire. En revanche, on trouvera dans l’album des remerciements pour elle parce qu’il est vrai que c’est une danseuse très créative et qui m’a beaucoup inspiré.  Ma composition a quelque part été influencée par sa personnalité de danseuse et elle laissera dans l’air des graphiques uniques qui sont, pour moi, associés à certaines de mes mélodies. Elle est donc présente de manière subliminale.

- Y a-t-il en toi cette même fascination pour la mort et l’amour ou les deux à la fois ?

- Non, je n’ai aucune fascination pour la mort. C’est une figure épouvantable pour moi. Elle est toujours associée à une douleur ponctuelle ou durable . C’est une idée qu’avec l’âge, on apprend à apprivoiser un peu, mais je n’ai aucun appétit pour la mort. En revanche, je n’ai pas peur de me confronter à elle. On ne peut pas sortir indemne, par exemple, d’un travail comme celui que j’ai fait pour le ‘Llanto’. Par contre, une fascination pour l’amour, oui, c’est indéniable, depuis toujours et pour longtemps j’espère... C’est le carburant le plus puissant pour les artistes.                                       Si ce n’est pas le cas, il faut s’inquiéter...

- Tes impressions sur l’album ?

- Autant les séances d’enregistrement ont été extrêmement euphorisantes et me procuraient beaucoup de bonheur, autant le travail de mixage, irrévocable, irréversible, m’est apparu comme traumatisant, la moindre erreur est irrémédiable. Le mix a été terminé il y a un mois. Je suis encore dans la phase analytique et critique  mais je crois que ‘El Divan del Tamarit’ sera un beau disque. Je salue surtout tous les gens qui y ont participé, les interprètes, les techniciens qui se sont beaucoup investi. Il y a eu un engagement magnifique et, je crois qu’il y a quelques chansons qui resteront peut-être. En tous cas, ma maison de disque ,Virgin, a beaucoup d’espoir sur cet album jugé à la fois profond et accessible.

- Ou pourra-t-on trouver l’album ?

- Du fait que Virgin est une Major, sa force de distribution est importante. On pourra donc le trouver partout dans le monde.

- Merci Vicente… nous avons hâte de découvrir cet album !

 

  Visiter le site Web de Vicente Pradal:  www.vicentepradal.com