Interview de Valérie
Romanin réalisée par Isabelle Jacq
en juillet 2008, pour
Musique Alhambra
- Valérie Romanin, j’ai assisté en
partie au stage de Flamenco descalzo que tu as donné à Paris. C’était
fort intéressant. Pourrais-tu nous définir le concept de cette danse ?
- J’ai conçu le Flamenco descalzo -flamenco pieds-nus en
français- alors que je vivais en Argentine. J’ai vécu dans ce pays plus
de 5 ans, j’y dansais le Flamenco et parallèlement je pratiquais
beaucoup la danse orientale. Je baignais dans un univers de musiques qui
faisaient la fusion. Le Flamenco descalzo est né naturellement,
spontanément. En écoutant la musique de Titi Robin et de bien
d’autres musiciens, il me venait un enracinement Flamenco mais j’avais
besoin d’incorporer, par exemple, des mouvements d’ondulation. C’était
vital, c’est ce que je ressentais. Je me suis dit alors que si la
musique existe et arrive à faire cette synthèse, le langage corporel
doit pouvoir le faire aussi. Je ne voyais pas d’opposition entre le
Flamenco et la danse orientale. Au contraire, je trouvais que beaucoup
de choses les rapprochait et j’essayais de comprendre pourquoi et
comment. C’est à ce moment là que j’ai décidé d’enlever mes chaussures
de Flamenco, de m’ancrer dans la terre tout en me permettant d’onduler
et de vibrer car ce sont des techniques qui, loin d’être antinomiques,
utilisent la gravité et se complètent. J’ai fait des recherches
historiques à la fois sur les maures et les gitans en Espagne et les
tziganes en général. Le résultat de ces recherches me permet d’établir
les liens qui existent entre ces styles de danses et j’en suis ravie car
cela apporte un fondement à mon travail.
- Tu parles de créer un concept
nouveau, mais n’est-ce pas plutôt un retour aux sources ?
-
C’est un nouveau langage corporel qui se nourrit d’un retour aux
sources. Lors de mes recherches, en feuilletant les dictionnaires de
Flamenco et en observant certaines gravures ou peintures du XVIIIème et
XIXème siècles, on voit bien que les gitanes dansent sans chaussures.
Une zambra, par exemple, se danse sans chaussures. Je continue à
m’enrichir du Flamenco et de la danse orientale et j’inclus dorénavant
un troisième volet qui est la danse tzigane, tout particulièrement la
danse Kalbeliya, qui est, à mon avis, un des grands-pères du
Flamenco. Je suis allée au Rajasthan et c’était un grand bonheur
d’apprendre à danser là-bas, sur place, car j’avais vraiment
l’impression d’être à l’origine des choses. Le Flamenco descalzo est un
langage corporel original qui expérimente la fusion de ces trois danses.
- Quel est
ton parcours artistique ?
- J’ai toujours aimé la danse, mais, je crois que dans ma
famille, la danse était considérée comme un loisir. J’ai commencé par la
danse classique que j’ai pratiquée de nombreuses années, puis le modern
jazz et un peu de barre à terre. En parallèle, j’avais envie aussi de
faire des études « sérieuses », de sciences politiques et d’économie.
J’étais très attirée par l’Amérique Latine et je suis partie au Chili en
1998. Là bas, loin de mon berceau familial, j’ai commencé à pratiquer le
Flamenco, un peu, beaucoup, passionnément !!!. En quittant l’Europe,
j’avais quitté le confort, le modèle salarial, une certaine sécurité.
L’Amérique latine est un continent jeune. Si on a un peu de talent, on
est incité à se lancer. J’ai progressivement mis mon travail de côté et
je pratiquais de plus en plus la danse. Puis, je me suis mariée et
lorsque nous sommes arrivés en Argentine, mon mari
m’a dit « puisque tu aimes la danse, consacre-toi à cela ! » Et j’ai
consacré tout mon temps à la danse. J’ai fait huit années de Flamenco.
Trois ans après avoir débuté le Flamenco j’ai gouté à la danse orientale
et cette discipline est venue naturellement s’ajouter à la première.
- Quelles
sont les influences qui nourrissent ta danse ?
- C’est surtout la musique qui nourrit ma danse. Certains
musiciens qui font de la fusion m’inspirent beaucoup. Puisque la danse
est visuelle, prenons une image : imaginons que le Flamenco descalzo
soit représenté par un arbre. J’ai l’impression que la danse tzigane
correspond aux racines de l’arbre, que le Flamenco en est le tronc et
que la danse orientale en sont les branches.
- Quand
as-tu commencé à enseigner le Flamenco descalzo ?
- J’ai commencé à enseigner cette danse en 2002 à Buenos
Aires et je n’ai pas cessé depuis. Le Flamenco descalzo est vraiment
devenu mon langage.
- Dans ta manière de danser, nous
remarquons que ton braceo est très Flamenco. Quels sont les
mouvements
communs aux Flamenco et ceux qui les distinguent ?
- La différence principale entre le Flamenco descalzo et
le Flamenco avec chaussures (j’aime le nommer ainsi maintenant !), c’est
que tout le travail rythmique qui est traditionnellement fait avec les
pieds, à travers « el zapateo », est en partie réalisé avec les
palmas. Aussi bien les palmas -frappe d’une main contre l’autre- que
celles sur le corps. J’incorpore des frappes sur les chevilles et aussi
des petits sauts. De plus, j’insiste beaucoup sur le fait que l’on danse
en groupe. Le Flamenco descalzo n’est pas une projection de soi dans le
miroir, comme je vois beaucoup dans les cours de danse. Je ressens le
Flamenco descalzo comme un moment de partage et je veux créer dans mes
cours, stages et même spectacles cette ambiance de partage. C’est
ambitieux mais c’est ainsi que je le vis.
- Dans tes stages, quelles sont les
musiques sur lesquelles les stagiaires dansent ?
- Nous dansons par exemple sur la musique de Titi
Robin, sur celle de Yasmin Levy, Vicente Amigo, Miguel Poveda,
Tony Gatlif, Juan Carmona, Jesus Torres, Radio tarifa...et aussi sur
notre propre musique, celle de nos palmas !
- Quelles sont
les grandes lignes de ta pédagogie ?
- Au début du cours, je prends le temps de créer une
atmosphère de groupe. Je consacre un temps assez long au travail des
mains et des bras, car le braceo flamenco est si beau et
caractéristique mais demande beaucoup de pratique pour l’incorporer et
le faire sien. Je poursuis par une partie rythmique, basée sur des
exercices ludiques autour du temps, du contre temps, de la compréhension
du compás. Dans une troisième partie, nous travaillons une
séquence chorégraphiée. On étudie
parfois un tango, una rumba, una zambra, una patada de bulería, una
letra de soleá. En vérité, aucun
palo n’est fermé au Flamenco descalzo.
- Comment crées-tu tes chorégraphies ?
- Avant même de créer les mouvements, je sélectionne la
musique. Mon inspiration première c’est la musique. Je la décortique, je
la transcris, je fais un petit schéma qui devient ma partition à partir
de laquelle j’expérimente des mouvements isolés et des enchainements.
C’est ainsi que je construis une chorégraphie.
- Te produis-tu sur scène en parallèle
de tes cours ou te consacres-tu exclusivement à l’enseignement ?
- Ça dépend de mon humeur. J’ai fait beaucoup de
spectacles lorsque je résidais en Argentine. Quand je suis arrivée à
Londres au début 2005, j’étais totalement déracinée. J’avais beaucoup
plus envie d’enseigner que de me produire en spectacle. Mon enracinement
londonien s’est fait grace à l’enseignement. Un jour, j’ai été invitée à
‘Planet Egypt’, soirée qui a lieu une fois par mois à Londres. J’y ai
présenté quelques solos de Flamenco descalzo et je dois dire que je
prends beaucoup de plaisir à participer à cet événement car on danse au
milieu des gens. C’est la distance avec le public qui me gène quand je
me produis sur une scène car je conçois la danse tel un dialogue
offrir/recevoir, une sorte de partage à tour de rôle, assez loin du
rapport souvent réducteur exposer/regarder. Néanmoins, lorsque je suis
retournée en Argentine, il ya quelques mois, nous avons créé, avec
plusieurs artistes amis, un nouveau spectacle intitulé ‘Tres por Tres’.
C’est un spectacle dans lequel il y a une partie indienne,
une partie orientale et une partie Flamenco descalzo, où alternent solo,
duo et trio ! C’était vraiment bien ficelé !
- Es-tu attirée par la diversité
culturelle par le fait de tes origines aussi ?
- C’est possible…mes parents sont français mais ma mère
est née en Algérie et mon père a vécu un partie de sa jeunesse au Maroc.
Je me souviens qu’il me racontait comment du Maroc, il traversait
l’Espagne chaque année à l’été pour revenir en France. De plus, du côté
de ma mère, j’ai une grand-mère italienne et du côté de mon père, une
arrière-grand-mère espagnole. Il y a surtout la présence du bassin
méditerranéen dans mes origines...
- Tu enseignes la danse à
Londres et tu donnes des stages à Paris …
- Oui, c’est un défi. Le Flamenco descalzo est né en
Argentine. Je l’ai donc conçu et enseigné en espagnol. Depuis que je vis
à Londres, je l’enseigne en anglais. Et puis j’ai eu envie de
l’enseigner dans ma langue natale, donc en venant en France, et je suis
très touchée de l’accueil qui m’a été réservé.
- Vas-tu en Andalousie pour te
ressourcer ?
- La première fois que je suis allée en Andalousie,
c’était pour l’expo 92, il y a bien longtemps ! J’ai eu la chance de m’y
rendre en 2002 à l’occasion de la Biennale de Séville. Je me suis tout
simplement régalée. J’ai pris des cours et j’ai assisté à des spectacles
merveilleux : écouter Enrique Morente, El Lebrijano, voir
danser Cristina Hoyos, c’était beaucoup d’émotions pour moi.
De plus, l’Andalousie, les cafés, les tapas, les gens, le soleil, c’est
vraiment agréable. L’année dernière, au mois d’août, nous étions à
Malaga pour la Feria puis à Grenade. Grenade, c’est le pays des
merveilles pour moi. Au centre, il y a la ville espagnole, médiévale,
chrétienne, juste au-dessus l’Albaicin, qui est l’ancien quartier maure,
puis encore au dessus, Sacromonte, le quartier où les gitans se sont
installés, dans les fameuses grottes. Dans une seule ville, tout est là
et en plus, on sent le parfum des fleurs d’orangers et on entend
quelques notes de guitare ou bien des palmas. Pour moi, c’est un vrai
bonheur. Cette année, nous allons à Jerez, et Jerez, m’a-t’on dit, c’est
un peu comme une petite Séville !
- As-tu des projets de collaboration
avec des artistes en Espagne ?
- Pour l’instant non…c’est peut-être par timidité. C’est
peut-être la prochaine étape...
- Quand reviens-tu en France pour
donner des stages ?
- Je propose des rendez-vous réguliers à La Roulotte à
Vapeur, à Paris. Je reviendrais en septembre et en novembre 2008. De
plus, j’organise avec Julie de St Blanquat, professeur de danses
orientales (association Etoile des Sables) un voyage que nous avons
concocté ensemble et intitulé 'Trait-d’Union', du 8 au 16 novembre
prochain. L’idée est de danser en voyageant, de voyager en dansant, mais
aussi de prendre le Ferry de l’Espagne vers le Maroc avec une ouverture
sur le monde d’aujourd’hui. Au mois de février 2009, je serai invitée
pour la troisième fois au Centre Chorégraphique de la ville de
Strasbourg pour animer des stages de Flamenco descalzo aux enfants, aux
adolescents et aux adultes. Puis, je partirai en Argentine pour quelques
semaines de cours...
- Merci Valérie, et notons que
nous retrouverons ton actualité en détail sur ton site web:
www.flamencodescalzo.com
. A très bientôt…