Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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 Interview du Maestro Manolo Marin réalisée par Isabelle Jacq, le 14 février 2005 pour le site Musique Alhambra:
 


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el Maestro Manolo Marin



I- Manolo Marin,tu es considéré comme le maître incontestable du baile flamenco dans le monde entier. Danseur, chorégraphe , tu parcours le monde également pour enseigner cet art à beaucoup de professionnels du Flamenco qui viennent se ressourcer à la lumière de ton enseignement ... Manolo, comment as-tu découvert le Flamenco ?

M - En fait, c’est le Flamenco qui m’a découvert, je pense. Je danse depuis tout petit ! Je suis né Séville , dans une ville où la tradition du Flamenco est très présente et c’est là que j’ai commencé à danser, dès ma plus tendre enfance, dans les fêtes puis au tablao 'el Guajiro'.

I - Le flamenco que tu as appris, qui te l’a enseigné ?

M - Au départ, je n’ai pas eu de professeur... Je dansais pour m’amuser, comme les autres, dans les fêtes et dans les rues de Séville. Plus tard , quand j’ai eu un peu d’argent, je suis parti à Barcelone où j’ai pris des cours de danse. Mais, j’ai surtout appris en observant les autres .

I -Le Famenco que tu transmets actuellement , le considères-tu comme traditionnel ?

M - C’est un peu difficile d’expliquer cela avec les mots...Ce que j’essaye d’apporter aux autres, avant tout, c’est l’amour et la passion pour le Flamenco. La danse Flamenca demande une certaine discipline de la part du danseur pour acquérir la technique spécifique à cet art. Mais, ce que je privilégie par dessus tout, c’est de mettre en avant le caractère de chacun.  Ce que j’aime aussi dans le fait d’enseigner c’est que je constate à chaque fois que les gens ne se ressemblent pas, que chacun à une personnalité qui lui est propre et c’est cela que je souhaite faire émerger, au travers la danse.

I - Pour toi, qu’est-ce que le flamenco ?

M - C’est quelque chose d’extraordinaire. Si je devais recommencer ma vie depuis le début, je referais du Flamenco. C’est toute ma vie. J’aime beaucoup la musique, le chant et la danse Flamencos.

I - Le Flamenco, tel que tu le conçois, réside-t-il toujours dans la trilogie danse-chant- guitare, où peut-il exister d’une autre manière ?

M - Ce qui ne comprennent pas le Flamenco préfèrent toujours la danse car c’est quelque chose de plus spectaculaire, de plus accessible et qui se voit. Mais, c’est dans le chant et dans les mots que dit le cantaor que réside le sentiment profond. Si on se réfère à l’histoire du Flamenco, au départ, le chanteur n’était pas accompagné par la guitare. L’accompagnement guitare et la danse sont venues par la suite.

I -Entre la guitare et la danse quel est l’élément qui accompagne l’autre ?

M - C’est le guitariste qui accompagne le danseur, évidemment. Le danseur pose une chorégraphie , le guitariste suit et accompagne cela. Mais, au fond, c’est plus subtil que cela , car il y a un dialogue qui s’installe au fur et à mesure entre les deux artistes.

I -Qu’est-ce qui caractérise le Flamenco. Est-ce le compas , les palos ?

M - Oui, le respect du compas est primordial pour danser le Flamenco...mais l’esprit, la passion, le sentiment sont encore plus importants ! On peut apprendre à danser le Flamenco, à chanter, on peut apprendre la guitare, mais si cela est fait sans passion, cela n’est pas du Flamenco et la passion, cela ne s’apprend pas dans une école.

I -D’après toi,  quelles sont les qualités d’un bon danseur de Flamenco ?

M - Il y en a beaucoup ! la qualité la plus importante est d’aimer le Flamenco. Ensuite, il est nécessaire d’avoir une bonne oreille, de la discipline et il faut avoir ce "petit plus" qui ne s’apprend pas . En règle générale, l’artiste a quelque chose que les autres n’ont pas.

I -Selon certains aficionados, ce sont les gitans qui détiennent la tradition du Flamenco, qu’en penses-tu ?

M - Ce n’est pas nécessaire d’être gitan pour pratiquer le Flamenco. Moi-même, je ne suis pas gitan. Il est vrai que les gitans d’Andalousie font cela très bien. Mais, les gitans de Barcelone dansent et chantent la rumba; il n’y a pas de flamenco chez eux, excepté chez les fils des gitans andalous ou des castillans .Les gitans ont un don pour le Flamenco mais ils ne détiennent pas cet art.

I -Tu as a réalisé des chorégraphies pour de grands ballets, mais aussi pour la télévision et les compagnies de danse. A l'Opéra de Paris, tu as rendu lumineux le "Bolero" de Ravel pour le ballet de Nantes et tu continues à réaliser des chorégraphies qui obtiennent un véritable succès auprès du public. De toutes les chorégraphies que tu as réalisées, quelle est celle qui te plait le plus ?

M - Aucune ! de toute manière je ne suis jamais content du travail que j’ai réalisé...

I- Alors, peut-être est-ce celle que tu réaliseras à l’avenir qui donnera satisfaction ?

M - Peut-être. Pour réaliser une belle chorégraphie, il faut avoir du talent. Et ça, c’est au  public d'en juger ! Ce que je peux dire à ce sujet c’est que pour réaliser un bon travail dans ce domaine, il faut avoir les moyens et le temps nécéssaires pour aboutir le projet d’une manière satisfaisante. On ne m’a jamais donné assez de temps ni les moyens dont j’avais besoin pour faire un travail tel que je souhaitais. Pour faire un bon travail de chorégraphe, il faut également avoir de très bon danseurs et avoir le temps de répéter ensemble. Le jour du spectacle, il est important aussi que l’éclairage de la scène soit en harmonie avec la chorégraphie.

I -Tu as pourtant travaillé avec des grands danseurs comme Cristina Hoyos et Antonio Gades . Ce sont de très bon danseurs , n’est-ce pas ?

M - Oui, c’est vrai, mais je ne suis jamais réellement satisfait de mon travail. Effectivement , il y a des bons danseurs. Pour te préciser ma pensée, je te dirais qu’il y a aussi un autre élément important pour réaliser un bon travail : Pour un chorégraphe , il est important de pouvoir choisir soi-même les danseurs avec lesquels on travaille. Récemment, j’ai réalisé une chorégraphie pour un film à l’Opéra du Caire, en Egypte. J’ai travaillé avec les danseurs de l’Opéra d’Egypte qui sont des russes. Ce sont des bons danseurs mais leur manière de danser est incompatible avec le Flamenco. C’était pratiquement impossible de leur insuffler le caractère propre au flamenco. J’ éprouve la même difficulté lorsque j’enseigne le flamenco au Japon ou aux Etats-Unis. Beaucoup de danseurs qui résident dans ces pays n’ont jamais été en Andalousie. Je pense que pour pratiquer le Flamenco, il faut être allé un peu en Espagne, y retourner de temps en temps, vivre quelque temps dans les milieux où l’on pratique le Flamenco pour s’imprégner de cet art. Grâce aux moyens de communications comme la télévision, on diffuse une certaine image du Flamenco partout dans le monde et on le fait connaître plus facilement qu’avant, c’est une bonne chose. Mais, le problème c’est que cela a tendance à uniformiser cet art, à lui faire perdre sa richesse qui réside dans la diversité de son expression. Pourtant, chaque danseur a son caractère propre et cela est très important. C'est ce qu'on découvre en Andalousie. Je préfère donc que le danseur reste lui-même tout en lui apportant la technique et les connaissances  nécessaires à la pratique de cet art. Dans le Flamenco, c’est plus le cœur que la tête qui parle ! En fait, tout est une question de ‘vivencia’. Pour faire du Flamenco, il faut être Flamenco !

I -Manolo, que penses-tu du Nuevo Flamenco ?

M - L’échange et la rencontre de plusieurs cultures est une bonne chose. Mais, si tout le monde se met à faire du Nuevo Flamenco, il n’y aura rien de nouveau .D’ailleurs, je pense que tout a été fait déjà et qu’il n’y a rien de nouveau. Plutôt que refaire ce qui a déjà été fait, pourquoi ne pas se concentrer plutot sur la qualité du travail, faire les choses bien, tout simplement ? il me semble que cela devrait être la priorité de tout créateur.

I -D’après toi, quel est l’avenir du Flamenco ? penses-tu que la tradition du Flamenco va continuer à se transmettre dans les prochaines années ?

M - Oui, à mon avis , il y aura toujours des gens qui transmettront la tradition du Flamenco. Les racines du Flamenco existent et on ne peut pas les changer. Actuellement, beaucoup de chanteurs suivent une certaine modernité lorsqu’ils réalisent un album . Je pense par exemple à José Merce qui a sorti récemment l'album ‘Confi de Fua ’. Dans cet album, il a intégré des nouveaux arrangement musicaux. C’est un disque actuel, dans l’air du temps. Mais ce même José Mercé, si tu le vois chanter dans une peña en Andalousie, tu remarqueras qu’il chante por solea, por seguirilla ou l’alegrias comme toujours, d’une manière traditionnelle.

I -Dans le Flamenco, il y a une réminiscence de plusieurs cultures , le métissage n’est-il pas à la base de cet art ?

M - Oui, il est vrai que le Flamenco a été crée par les gitans qui sont parti de l’Inde. Dans leur art, ils ont intégré des styles de plusieurs cultures découverts tout au long de leur migration . Lorsqu’ils se sont installés en Andalousie, sur une terre où la culture espagnole connaissait également un brassage de plusieurs autres  cultures , c’est là qu’ils ont crée le Flamenco et cet art a reçu naturellement l'influence de toutes ces cultures.

I - L’enseignement que tu transmets, tout en étant ancré dans la tradition, est-il basé sur cette ouverture, sur une certaine universalité ?

M - Oui, mais pas d’une manière excessive. Le flamenco est un art qui se ressent . Ses racines se trouvent en Andalousie, berceau du Flamenco.

I - Merci Manolo pour ce moment que tu m'as accordé... nous sommes nombreux à admirer  ton talent et  ton travail . Merci également pour ta grande générosité.