Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview de Thierry « Titi » Robin pour la sortie de son double album « Alezane »

 

Propos recueillis par Isabelle Jacq le 17 mai 2004, pour le site  Musique Alhambra.



-I : Thierry Titi Robin, quelles sont tes origines ?

-T : Je suis d'origine française, de l'ouest de la France, d'origine rurale. Je ne suis pas issu d'une tradition musicale forte. Cette tradition musicale, je suis allée la chercher dans d'autres communautés que ma communauté d'origine.

-I: En tant que compositeur guitariste, peux-tu nous définir ton univers musical ?

-T: ça n'est pas très évident pour un artiste de définir lui-même son univers; Je joue une musique de compositions, je ne joue pas une musique traditionnelle dans la mesure où l'essentiel de mon répertoire est composé. Il ne fait pas appel à une tradition précise. On peut dire que j'ai deux influences majeures qui sont les musiques gitanes et les musiques orientales. Elles sont en quelque sorte mes deux écoles, mes deux universités. A partir de cela, j'ai crée un style qui m'est propre.

-I : Ta rencontre avec le flamenco, comment s'est-elle passée ?

-T : Je n'ai jamais vraiment joué du Flamenco pur, mais j'en ai toujours écouté. Quand j'étais adolescent, j'écoutais Camaron, Paco, quand j'avais besoin d'être réconforté ou de faire la fête. Ça faisait partie de ma nourriture et ça l'est toujours resté, d'ailleurs. La forme musicale du Flamenco m'a beaucoup inspirée : la danse, les letras à cause de leur poésie et le chant. Mon rêve, ça a toujours été de chanter et comme je ne suis pas chanteur, quand j'étais adolescent, je prenais ma guitare et j'essayais de chanter comme Camaron, d'arriver à une forme de chant  aussi proche de la sienne. Mais, au fond, je n'ai jamais joué de Flamenco parce que je le respecte beaucoup et que je ne suis pas issu de cette culture. J'ai beaucoup joué avec les gitans catalans. Ils ne font pas de Flamenco mais ça fait partie de leur culture;Ils en écoutent tous les jours. Leur musique est périphérique au Flamenco comme le blues et le jazz le sont l'un pour l'autre. C'est une forme plus simple, moins sophistiquée. J'ai travaillé régulièrement avec des musiciens Flamencos. Certains m'ont encouragés lorsqu'ils m'ont entendus, comme Fosforito ou Chano Lobato, il y a de ça quelques années. Ils m'ont vraiment encouragé et pour moi c'était important parce que j'avais beaucoup de respect pour eux; J'ai toujours eu un rapport de fascination avec le Flamenco en tant qu'auditeur et en tant qu'amateur, mais, en même temps, ma place, je l'ai trouvée ailleurs, à un endroit où ja'i quelque chose à dire de manière plus personnelle. Dans le Flamenco, il y a des gens qui disent magnifiquement ce qu'ils ont à dire. Je ne pense pas que j'ai une place à prendre, là.

- I: Est-ce définitif ?

- T: Non, ce n'est pas définitif. Par exemple, quand j'ai fait un duo avec Paco el Lobo, je l'accompagnais au oud et il chantait le martinete; je faisais un Flamenco à ma manière. C'est donc tout à fait possible de se retrouver avec Nino Jose ou un musicien Flamenco. On a suffisamment d'univers en commun pour jouer ensemble, pour pouvoir échanger. Avec la danse, c'est pareil. Un soir de spectacle où on était avec Gulabi, il y avait également Moraïto et La  Macanita. Nous faisions chacun notre partie et nous nous sentions très proches. Moraïto disait «  Es un Flamenco de India ! » On va dire qu'on est cousins !

-I: Quelles sont pour toi les grandes figures du Flamenco ?

-   T : En ce qui concerne le chant, j'ai beaucoup écouté la Nina de los Peines, Tomas Pavon, Pepe Pinto, Manolo Caracol ; IL y a beaucoup de grands artistes. Camaron a été quelqu'un de très important pour moi et il l'est resté. Actuellement, j'aime beaucoup La Macanita. En fait, il y a énormément de gens que j'adore, mais certains me touchent plus que d'autres. Concernant la guitare, Paco de Lucia, je l'ai adoré. Je l'ai un peu abandonné au bout d'un moment jusqu'à ce qu'il sorte l'album « Almoraïma ». Ce disque a jeté les bases du Flamenco moderne. Pour moi, Paco était un génie et je suivais sa carrière ;un génie  contemporain, c'était fabuleux ! Mais, quand il a sorti « Solo quiero caminar », avec ce disque là, j'ai décroché. Je suis resté toujours aussi admiratif devant sa virtuosité technique, sa musicalité, mais, ce qu'il exprimait me touchait moins. Il est resté un très grand guitariste, à mon avis, mais sa musique ne me touche pas de manière aussi immédiate que celle d'« Almoraïma » et tous les duos qu'il a fait avec Camaron qui sont des purs chef-d'oeuvres du vingtième siècle. En danse, j'apprécie beaucoup Carmen Amaya, ce qu'on peut voir en vidéo, parce que, malheureusement, je n'ai jamais assisté à ses spectacles. Elle est vraiment formidable, très forte, très moderne, tout en étant purement traditionnelle. J'apprécie également Mario Maya, Farruquito qui sont absolument incroyables; Dans le Flamenco, il y a effectivement des génies parce que c'est une culture très riche, mais il y a aussi beaucoup de gens, même inconnus, qui peuvent avoir la grâce et, si vous êtes là, à ce moment là, vous avez les larmes aux yeux.

 - I : Qu'est-ce qui te motive à établir une rencontre musicale avec une autre culture   que la tienne et que cherches-tu au travers ces mélanges de   cultures ?

-   T : Au départ, je n'ai pas cherché à mélanger des cultures. J'ai cherché à exprimer ce que je ressentais dans ma propre culture. Mais, la musique n'avait pas suffisamment de force et donc, ce sont  les gitans et les arabes que j'ai côtoyés qui m'ont procuré un vocabulaire. En même temps, je n'étais ni gitan, ni arabe. Bien sur, je les fréquentais, mais j'avais aussi des racines de français et je voulais exprimer qui j'étais, je n'avais pas envie d'imiter qui que ce soit, mais plutôt de trouver ma propre voie et, comme je suis autodidacte, je me suis construit un vocabulaire à l'instinct, au désir. Ce vocabulaire est devenu assez vite homogène parce qu'il provenait de ma nécessité de m'exprimer. Je ne cherchais pas à marier des cultures, je n'étais pas en quête d'exotisme. Au contraire, je cherchais à creuser à l'intérieur de moi-même pour exprimer ce que je ressentais.

-   I: En fait, cette notion de mélange est en rapport direct avec l'authenticité, ce ne sont pas deux choses antinomiques pour toi ?

-   T : Exactement, c'est lié directement à l'authenticité parce que c'est mon destin. J'aurais pu naître dans une culture musicale très riche et ne pas avoir besoin d'aller prendre ailleurs; peut-être que j'aurais eu besoin quand même de renouveler  ma culture. Mais, je n'ai pas plus de respect pour une musique métissée que pour une musique très pure traditionnellement. Ce qui compte, c'est qu'entre ce que l'on ressent et les moyens qu'on utilise pour exprimer cela, il y ait une continuité.

-   I : Tu travailles depuis quelques années avec Gulabi Sapera, une grande danseuse chanteuse gitane du Rajasthan et vous avez enregistré plusieurs albums ensemble. Récemment, tu as sorti le double album « Alezane », 35 titres, 6 inédits et des nouvelles versions ; peux-tu nous en parler ?

-   T : Oui, ça fait longtemps que j'avais cette idée de compilation du fait que je ne joue pas dans un style précis et que je dois faire moi-même les bilans. Si je faisais du Flamenco, du jazz ou un autre style de musique où il y a une tradition, où il y a des critiques et des gens qui en parlent, ce serait différent. Moi, j'ai un chemin un peu solitaire et j'avais besoin de marquer le coup à un moment donné et de montrer qu'il y a une unité dans ma musique, que chaque disque est une branche différente du même arbre, qu'il a un tronc solide qui réunit tout ça. C'est important pour moi de me retourner, de regarder ce que j'ai fait et puis de faire partager aux gens une vision plus globale de ma musique et de mon histoire.

-  I: Est-ce le signe d'une étape vers quelque chose de totalement nouveau ?

-  T : ça, dieu seul le sait !

-  I : Actuellement, as-tu de nouveaux projets qui pourraient annoncer que tu marques un tournant dans ta carrière ?

-   T : En fait, j'ai l’impression qu'il n'y a pas de tournants dans ma carrière et qu'il n'y en aura jamais. Ce n'est pas triste du tout d'ailleurs. Mais, si je veux respecter cette forme d'expression, arriver vraiment à exprimer ce que je ressens, c'est comme de rencontrer une femme et de vouloir la respecter, de vouloir la comprendre et de vouloir l'aimer, il faut du temps. Cette route que j'ai choisie, c'est un peu pareil. J'ai l'impression de ne pas arriver encore à exprimer tout à fait ce que je ressens, qu'il faut que je creuse encore car j'ai beaucoup de choses à perfectionner, à modifier. C'est vraiment une mosaïque, cette musique. Il y a tellement de facettes et j'ai encore beaucoup d'idées que j'aimerais réaliser mieux. J'espère encore pouvoir continuer dans cette même voie.

-   I : Quand tu composes un nouvel album, as-tu le projet de faire quelque chose de nouveau à chaque fois ou es-tu motivé par ton envie de t'exprimer tout simplement ?

-   T : Je veux faire quelque chose de nouveau dans la mesure où je ne veux pas me répéter. Je veux raconter de nouvelles histoires à partir de cet univers là. Je peux essayer de nouveaux reflets dans cet empire, des nouvelles couleurs, des variantes. J'essaye de me renouveler et en même temps d'être fidèle à cette route que j'ai choisie et, plus j'avance, plus je me rends compte que c'est la seule voie qui me permet de m'épanouir. Je creuse et j'essaye d'aller plus loin, sur cette même route.

-   I : Existe-t-il un lien entre la culture des Kalbeliya du Rajasthan et le Flamenco ?

-   T : Très certainement ! Historiquement, les gitans sont partis de cette région. Le vocabulaire Rom que j'ai ici, je le retrouve en partie là-bas. Musicalement, il y a beaucoup de liens, on le sent bien. Mais, il ne faut pas essayer de tout regrouper comme ça parce qu'il y a des différences, dans les  rythmes, par exemple. Les gens qui vivent en dehors du monde gitan ont l'habitude de les mettre tous dans le même sac, que ce soit les roms, les manouches...alors qu'eux-mêmes, ils ne se reconnaissent pas d'une même famille. Mais il y a suffisamment de points communs pour qu'on puisse travailler ensemble, faire des rencontres, des disques, des spectacles. Quand Gulabi rencontre une danseuse Flamenco, on est vraiment très touché. Il y a des choses qui parlent, comme ça. Après, on laisse le soin aux ethnologues et ethnomusicologues de préciser et de définir, quand ils le peuvent, ce qui appartient vraiment à chacun.

-  I : Actuellement, quel est ton lien avec le Flamenco ?

-  T : Il m'arrive souvent de travailler avec des musiciens de Flamenco, actuellement avec Pepito Montealegre et d'autres chanteurs et musiciens que j'ai cités. J'écoute énormément de Flamenco et ça m'inspire beaucoup. Mais, en même temps, mon style musical, ce n'est pas du Flamenco. Néanmoins, c'est un style qui a de nombreux points communs avec lui, de nombreuses passerelles.  
                                                 
-   I : Peut-on classer ton style musical dans le mouvement «  musique world » ?

-   T: « Musiques du monde », c'est une catégorie commerciale qui correspond, chez les producteurs, à un style de musiques qui ne sont pas anglo-saxonnes. Pourtant, entre un japonais, un pygmée, un gitan de Marseille, quel est le rapport ? Il n'y en a pas, cependant on assimile leur musique à ce style. La « world Music », c'est en fait les musiques qui ne sont pas d'influence anglo-saxonnes. C'est très égocentrique comme manière de voir. En même temps, il y a un des gens qui sont un peu spécialisés dans le métissage, les brassages. En général, ils sont européens. Ils mélangent la musique anglo-saxonne et européenne avec des musiques qu'ils vont nommer « ethniques »parce qu'elles sont extra européennes, et qu'elles contiennent ce charme de l'ailleurs, de l'exotisme. Les maisons de disques, les magasins et les festivals ont classés ma musique dans cette catégorie « musiques du monde » parce que je suis extra européen dans ma manière de faire de la musique. Mais, au fond cela ne veut rien dire. J'ai plus de choses à échanger avec quelqu'un qui fait du Jazz, du rock'n'roll ou du Flamenco, qu'avec quelqu'un qui habite dans une immense métropole d'Europe de l'Ouest et qui va construire une musique à partir d'un brassage de disques qu’il a écoutés, de disques faits par des gens avec lesquels il n'a jamais vécu. Pour moi, la musique c'est l'expression d'un vécu. Elle a un sens qu'à partir du moment où l'on  vit quelque chose ensemble. Ce dont j'étais très fier dans le groupe « Gitan » qui a beaucoup tourné, c'est que nous étions en tournée ensemble, les payos, les gitans catalans, arabes. Il n'y avait pas d'autres formations comme celle-là à l'époque, et même actuellement, malheureusement. La musique que je faisais sur scène était  l'expression d'une vie en commun. Au-delà de la musique, nous exprimions le fait que nous étions capable de nous connaître, de connaître nos manières de vivre, d'en connaître les limites également. Une autre chose qui m'étonne c'est que très souvent, en France, lorsque que l'on parle de la cuisine, on utilise un vocabulaire délicat quand on fait des mélanges, on évoque le « mariage », l' « associement » d'épices et de parfums. Pour la musique, on parlera de « mélanges ». D'un seul coup, le caviar retombe. C'est une réalité professionnelle pour moi, c'est évident. Mais, au fond, cela m'est égal. Ce qui est important quand je joue devant le public, c'est qu'il ne perçoive pas une carte postale ou une espèce d'emblème du métissage, mais plutôt un individu comme eux, qui cherche à s'exprimer.  C'est cela qui est essentiel.

-   I : Pour toi, qu'est-ce qu'un artiste ?

-   T : C'est une question difficile...un artiste, c'est quelqu'un qui fait de l'art et qui en vit ou qui essaye d'en vivre parce que sinon, ce serait difficile. C'est un professionnel. On peut avoir des manières de vivre que l'on peut qualifier d'artistique, faire de la musique, avoir un état de grâce à un moment donné. L'artiste, lui, doit être capable de fournir de la beauté sur « commande ». Des gens font des kilomètres, payent leur place pour voir des artistes lors d'un spectacle. Ces musiciens sont censés être inspirés à une heure fixe, à un jour fixe. Cela paraît monstrueux, mais pourtant, depuis la nuit des temps, c'est comme ça. Un artiste, c'est aussi un individu qui, au départ, a des choses intimes à exprimer au travers une technique, une culture. Puis, il revendique cela. Il va dire « Moi, je suis peintre, regardez ces peintures, voilà ce qu'elles expriment. J'espère que vous pouvez comprendre ce que cela raconte car, ce que j'ai mis dedans a une grande valeur affective, sentimentale ou révolutionnaire. C'est ça un artiste. De même que le couvreur a la prétention de monter sur le toit et d'abriter une famille après le travail qu'il a fait et que ça puisse tenir, un musicien doit avoir la prétention de savoir faire danser, de nous émouvoir ou de poser, à tel moment, un beau spectacle. Il s'engage à cela et il monnaye ça comme un artisan. De plus, par rapport à la société, il y a un contrat. Un artiste parle de l'intime ; il touche au départ un public très privé et le transforme en quelque chose de public. Si cela marche, la résonance que ça éveille chez les gens qui ont payé pourtant fait que cela redevient quelque chose d'intime, de l'autre côté de la chaîne.


-   I : Lorsque tu affirmes que « l'artiste c'est quelqu'un qui a la prétention de nous émouvoir », le terme « prétention »n'est-t-il pas péjoratif à l'égard de l'artiste ?

-   T : je provoque un peu en parlant ainsi, mais, au fond, je trouve ça prétentieux et culotté de se dire artiste. Mois, je me dis artiste, mais, on peut être à la merci de quelqu'un qui fait un autre métier et qui va être extrêmement doué et faire des choses magnifiques. Alors, en quoi peut-on se dire artiste ? parce qu'il n'y aura jamais de diplômes pour ça, c'est quelque chose qui échappe. L'artiste prétend à ça. Ça peut être très beau, mais en même temps, c'est prétentieux car il faut être humble; Être un artiste : à l'origine, il y a un état, une vibration, un sentiment très fort qu'on ne peut pas faire autrement que de l'exprimer et de le partager sinon on devient fou. Donc, il faut le faire, voilà. Mais, ce n'est pas seulement ça. Il y a des gens dans les hôpitaux psychiatriques qui peuvent être des artistes, qui ont une sensibilité exacerbée et qui ont besoin de la faire partager, mais ils n'a pas moyen ; donc, ils explosent à l'intérieur d'eux-mêmes. Il y a la culture qui est là pour ça et puis, il faut beaucoup de travail pour s'exprimer d'une manière cohérente pour que ce soit partageable. Parfois on ressent des choses très violentes, mais si on l'exprimait brutalement, ce serait irrecevable. Alors, on transforme ce que l'on ressent en art, en musique. Pour les sentiments tendres ou amoureux, il faut aussi que ce soit transformé pour être recevable. Un artiste, c'est quelqu'un qui travaille intensément pour arriver à transformer et à discipliner cela. Il y a des artistes que l'on a compris qu'après leur mort. C'est la position de l'artiste maudit. Il n'y a rien de pire que d'avoir des choses très fortes à exprimer et de ne pas arriver à les faire partager. Le rapport de l'artiste à la société, pour moi, c'est tout cela.


-   I : A ton avis, quel est le rôle de l'artiste dans notre société ?


-   T : L'artiste, il a la parole. C'est un porte parole. On a composé quelque chose dans son coin et on va le partager avec d'autres. Les gens réagissent, sont touchés parce qu'ils ont  ressenti la même chose que nous, au moment où l'on a composé. Voila, cela fait comme un pont entre les âmes et les sentiments. A mon avis, le rôle de l'artiste est d'être avant tout le porte parole des choses qui sont difficilement exprimables autrement que par l'art. Les mots, souvent, ne suffisent pas et l'art arrive au moment où les mots ne sont plus suffisants pour exprimer cela. Parfois, quand une culture est forte, l'artiste n'exprime pas seulement son individu, mais tout un peuple. Certains deviennent des emblèmes, comme Camaron, par exemple, pour le monde gitan et le flamenco, ou Django Reinhart pour la musique manouche. Il en est de même pour Gulabi. Les gens qui sont à l'extérieur de sa caste reconnaissent et identifient sa caste au travers la danse qu'elle a crée .L'artiste est le porte parole de l'intime et  il peut être aussi le porte parole d'une culture, d'une communauté.

-  I : L'artiste a donc un énorme pouvoir de transformation sur les évènements, il porte une énergie très forte.

-   T : Oui, mais, à partir de ce pouvoir, je ne sais pas ce qu'il peut faire, s'il peut mener une action  bien loin; néanmoins, il permet de dire les choses, de les faire ressentir; c'est déjà énorme !

-   I : A ton avis, qu'est ce qui fait que les gens qui aiment le flamenco, les aficionados, sont fascinés par cet art ?

-   T : J'ai une impression, je ne sais pas ce qu'elle vaut; Bon, il y a déjà, avant cela et de manière un peu parallèle une fascination pour le monde gitan. Les gitans sont très présents dans le flamenco. C'est un peuple qui fascine beaucoup les non gitans par le fait qu'il a une liberté d'exprimer ce qu'il ressent et qu'il n'y a aucun frein à cette expression des sentiments. Cela fait beaucoup de bien à beaucoup de gens. Cela passe par le rythme, par la voix et la musique. Je suis souvent assimilé à un gitan et beaucoup de gens pensent que je suis gitan. J'ai souvent été présent dans les fêtes où j'étais le seul non- gitan et je voyais bien  comment on était perçu par l'extérieur. Cette fascination est due au fait qu'on a une expression très libre, que rien ne peut l'empêcher, qu'il n'y a pas de tabous par rapport à cela. Alors, c'est comme une grande fenêtre qu'on ouvre. Le Flamenco est une des formes les plus abouties du 20è siècle, c'est un art qui a évolué et qui, actuellement, relie l'instrument, la voix et la danse d'une manière intime et quasiment parfaite. Maintenant, certains artistes Flamenco ont atteint un niveau de virtuosité et de perfectionnement extraordinaire, que ce soit dans le domaine du chant, de la guitare ou de la danse. Le flamenco est un art à la fois populaire et savant dans la forme, et ça c'est important. Il y a cette rencontre entre des gens qui ont parfois un vécu très dur, alors que, souvent,pour les musiques « savantes », ce sont des gens qui vivent dans des conditions plus bourgeoises et pour cette raison, n'expriment pas la même chose. Dans le Flamenco, la forme artistique est savante, mais elle exprime un vécu qui peut être très fort.

-   I : Tu as travaillé beaucoup plus dans le flamenco, auparavant, dans ton album « Gitan »

-   T : Par moment, seulement et parce qu'il y a un chanteur Flamenco ; mais ça reste périphérique. Moi, je ne joue pas les compas en 12 temps, la seguirya, la buleria, la solea, las Alegrias. C'est quelque chose que je maîtrise mais dont je ne me suis jamais approprié. L'essence du Flamenco, elle est dans le compas. Il y a des moments, bien sur, ou l'on peut dire que je fais du Flamenco, parce que le Flamenco n'a pas de frontière. Mais, je préfère dire que, globalement, ce n'est pas du flamenco parce que j'ai beaucoup de respect pour cette culture.

-   I: Tu dis que tu ne joues pas du Flamenco, mais tu as une attitude très Flamenca. Tu es très proche de tes désirs intérieurs, tu ne cherches pas à faire quelque chose de beau, tu ne cherches pas à plaire, mais tant mieux si tu plais, tant mieux si ça marche bien. Ton objectif c'est d'être en accord profond avec toi-même et de t'exprimer fortement. Le monde gitan, il porte cette énergie. Il peut être parfois en contradiction avec la loi, il est porté par quelque chose de tellement fort, en lui; Tu as cette énergie qui fait que parfois tu peux être «  hors- caste »

-   T : Oui, sûrement, il y a la passion, ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue et qui doit obligatoirement s'exprimer par la musique, le chant et la danse ; ça c'est l'essentiel et ça prend une grande part dans ma vie. C'est aussi ce que j'aime dans la musique gitane et dans le Flamenco. On retrouve cette dimension dans la culture d'Asie centrale. Les gitans ont apporté cela, les soufis aussi, parce qu'ils s'adressent à dieu directement, plus ou moins brutalement, comme dans le Flamenco. Ils ont le même type d'images, les chemises qui se déchirent;c'est comme chez nous, dans les mariages gitans, on se déchire la chemise, il y a des choses très troublantes, qui expriment la passion. On est au dessus des conventions, des lois, de l'argent, de tout pour la beauté de l'amour, de la musique, de l'art. Pour un artiste, c’est séduisant. Mais, il y a beaucoup de phantasmes de la part des non gitans pour le milieu gitan. Quand on vit parmi eux, on se rend compte qu'il y a un prix à payer et qu'il est très fort aussi. Si les gens gardent une certaine distance, n'en retiennent que l'aspect exotique, c'est que, confusément, ils ne sont pas prêts à payer ce prix là pour vivre leurs désirs. Le gitan, il y arrive : il chante et il y a cette résonance là dans ce qu'il exprime. Le rôle du gitan c'est peut être un archétype du rôle de l'artiste dans la société...

-   I : Quels sont tes projets, les dates dans la région angevine et ailleurs ?

-   T : Nous jouerons au mois de décembre dans la région. Dans les mois qui viennent, nous serons beaucoup à l'étranger : en Suisse, au Portugal, en Espagne, au Maroc pendant 10 jours et nous jouerons dans plusieurs festivals durant l'été, d'autres dates sont en cours également. La formation avec Gulabi, c'est celle qui va tourner le plus. Nous aurons une tournée importante en Afrique ,à l'automne prochain. Il y a aussi le trio composé d'un accordéon, de percussions et de mes instruments, le quintet avec Pascal Spalin « Kalou », la basse, au chant : Pepito Montealegre, un des frères Saadna, en fonction de leur disponibilité.

-   I :  As-tu un autre projet d'album en cours ?

-   T : Cela fait longtemps qu'un nouveau projet mûrit, mais je vais laisser le temps à Alezane de galoper dans la prairie.

-   I : J'aime beaucoup « Alezane », de plus, il est merveilleusement illustré et,pour celui qui n'a pas la chance d'avoir tous tes albums, c'est une bonne façon de connaître l'ensemble de ton parcours musical... Merci beaucoup Thierry."
 

 

 

 

 

                                                      

             

      

                                                                          

     

 

 

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