Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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 Interview de Juan-Carlos Principal, réalisée par Isabelle Jacq le 26 mai 2005 pour le site  Musique Alhambra:


Juan Carlos Principal

Isa :- Juan-Carlos, comment as-tu découvert le Flamenco et quand as-tu commencé la guitare?

Juan-Carlos : - Mes parents sont andalous (avec de lointaines origines sardes du côté de mon père).  On écoutait tout le temps du Flamenco à la maison. Mon père était parolier, il écrivait des letras et s’intéressait beaucoup au Flamenco. Il était architecte de métier. Pendant son temps libre, il écrivait beaucoup… en fait, je peux dire que je baigne dans le flamenco depuis toujours.
Il y avait une guitare qui traînait à la maison, j’ai fait mes débuts avec elle, à 6 ans. Mon père a vu que cela me plaisait, alors il m’a inscrit à des cours de guitare dans un centre espagnol dans la ville où j’habitais, à Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise. Alberto et Norberto Torres ont été mes premiers professeurs. Je prenais des cours avec eux mais je n’étais pas très assidu. Comme j’avais des facilités pour apprendre, j’apprenais essentiellement ‘à l’oreille’.

Isa : –Ta famille et toi, vous avez toujours vécu en France ?

J.C : - je suis d’origine andalouse et je suis né en France. Mes grands-parents vivaient en Andalousie, dans la province de Cadix à Bergen de la Frontera. Mon grand- père était pêcheur, il est allé à Motril dans la province de Grenade. Là-bas, il a connu ma grand-mère et ils ont fait des enfants dont mon père qui est resté dans cette ville  jusqu’à l’âge de 16 ans. Après avoir fait ses études, mon père est venu en France  pour trouver du travail. Il a vécu à Saint-Etienne, puis à Lyon et c’est là qu’il a connu ma mère qui venait de Jaén.

Isa : -Pourrais-tu définir ton lien avec le Flamenco ?

J.C : - Quoi que je fasse comme musique, j’ai toujours le Flamenco comme véhicule. Je connais des musiciens de Jazz à Paris, des contrebassistes, des guitaristes, Luis Winsberg par exemple ; Ils m’ont ouvert sur un autre univers musical. Je peux aussi m’intéresser à la musique orientale, comme je l’ai fait avec le chanteur Abed Azrié,  mais quoi que je fasse, ça sonne toujours flamenco.

Isa : - Pour toi, qu’est-ce que le Flamenco ?

JC : - Le Flamenco, c’est la synthèse culturelle de l’art présent en Andalousie au travers les siècles. On a aussi bien de l’art romain que l’art juif et l’art musulman. Le Flamenco est un art très riche, il est mariable avec toute autre musique riche et c’est cela qui me plait dans le Flamenco et qui fait que je m’intéresse aussi à d’autres musiques.

Isa : - Que signifie pour toi l’expression ‘être Flamenco’ ?

J.C : - Le flamenco est un art, c’est aussi une philosophie de vie. 'Être Flamenco' c’est être soi-même, connaître ses limites et vivre avec, et ça,  parfois, cela peut faire mal… C’est être généreux, pouvoir partager cet art, partager des moments. C’est aussi se lever le matin, comme tout le monde, déjeuner… mais ce n’est pas de l’exotisme.

Isa : - Juan Carlos, quelle place accordes- tu à l’accompagnement du chant et la danse dans ta démarche artistique. ?

J.C : - … Pour moi et en tant que guitariste, l’école de la guitare c’est la rythmique. J’ai beaucoup appris en accompagnant la danse, car ,ce qu’il y a de plus important dans la musique en général, c’est la rythmique ; après il y a l’harmonie et la mélodie.
L’accompagnement de la danse m’a permis de développer la rythmique, d’analyser les pas, de développer des musiques, de créer des choses par rapport à des données.

Isa : - Selon toi, dans un duo guitare/danse, lequel accompagne l’autre ?

J.C : - En fait, il y a deux méthodes:  Puisque le danseur est devant sur la scène, il considère parfois que cette situation lui permet de diriger l’ensemble du travail. Sans valoriser à aucun moment le travail du guitariste, il lui demande donc de travailler sur ses pas, d’être à son écoute et de le suivre.ça c'est la première méthode.
L’autre méthode est la suivante : le danseur vient avec des pas et une chorégraphie et le guitariste s’adapte, puis vient le moment où le guitariste pause une musique et cela plait au danseur et il va vouloir calquer les pas sur cette musique. Dans cette 2è attitude, il y a une communication entre le musicien et le danseur, une écoute mutuelle et une harmonie. Elle concerne les danseurs qui s’intéressent à la musique ou qui sont musiciens aussi et qui s’intéressent au travail du guitariste. C’est plutôt de cette façon que j’aime travailler l’accompagnement de la danse.

Isa : - Quand tu accompagnes le chant, quels sont les principes auxquels tu te réfères?

J.C : Pour le chant, c’est pareil. Il faut connaître le chant, il faut être à l’écoute. Il est nécessaire aussi d’écouter ce qui s’est fait auparavant, aller vers des références, c’est possible maintenant d'écouter les chanteurs anciens grâce aux nombreuses archives qui sont rééditées en CD.
Il est nécessaire aussi de bien connaître  les palos, de savoir, par exemple, qu’il y a 5 styles de soleares et pourquoi celle de Triana sonne différemment de celle de Cadix, etc.
Actuellement, beaucoup d’artistes s’improvisent comme chanteurs ou guitaristes Flamencos mais ne connaissent pas bien cet art, au fond.
L’enseignement du flamenco passe beaucoup par la transmission orale. Ce que j’ai entendu, je l’ai gardé, et quand j’avais des questions à poser, je les posais. C’est comme cela que j’ai appris. En fait, il y a deux attitudes à distinguer : le guitariste qui va écouter une musique et qui va faire le ‘papier calque’, c’est à dire mimer et reproduire cette musique, et il y a celui qui, à partir de cette même musique, va interpréter en imprégnant cette musique de sa propre personnalité, de sa présence ; Cette attitude là  me correspond davantage.

Isa : - Est-ce que tu sous- entends que l'approche du Flamenco est beaucoup moins théorique que pratique ?

J.C : - non, la théorie, il la faut, mais ce qui est fondamental, c’est la transmission orale, car tout passe par les émotions. Si on veut écrire des émotions, je veux bien, mais si on va au fond des choses, au fond du rythme, ce n’est pas possible de mettre cela sur papier… ou alors, il faudrait des Kms de partitions et je souhaite bon courage à celui qui veut tenter une telle aventure...

Isa : -Techniquement, est-il plus difficile d’accompagner la danse à la guitare que d’être un guitariste solo ?

J.C : - On ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs, et on ne peut pas construire une maison par le haut non plus. Si on veut être un grand soliste, il faut savoir accompagner le chant et la danse. Celui qui commence par le solo, s’il se retrouve à accompagner le chant ou la danse, il est perdu.
Pour celui qui a commencé par la guitare classique avec la lecture de partitions et qui veut se lancer dans le Flamenco, il suffit de prendre les choses dans l’ordre. Il va donc s’intéresser au chant et à la danse pour comprendre les structures…
Même si j’essaye de penser un peu plus maintenant, je reste convaincu que le Flamenco est basé essentiellement sur les émotions…
Quand je vois un enfant dont les parents lui demandent de faire du piano et qu’il doit faire 1 ou 2 ans de solfège avant de toucher son instrument, cela me gêne. Je serais plutôt du style à donner une percussion à un enfant, sans forcer, comme s’il avait une voiture dans un coin et qu’il fasse du bruit avec. Au bout d’un moment, même si techniquement il n’est pas 'au point', tu sens qu’il a développé naturellement un véritable sens rythmique et musical.
Comme j’enseigne la guitare aussi, j’essaye ,au travers mes cours, que l’élève fasse une quête vers lui-même, qu’il se découvre, qu’il aille chercher au fond de lui.

Isa : - Juan Carlos, quels sont les palos que tu préfères pour l’accompagnement du chant et de la danse ?

J.C :- Pour accompagner les chants libres comme les tarantas, granaïnas, malagueñas, je prends du plaisir , mais je prends encore plus de plaisir à accompagner les chants de compas comme la solea, la seguiriya , bulerias, tangos, l’Alegria.. Je me régale quand il y a un rythme à respecter.

Isa : - Peux-tu nous préciser les temps forts de ta carrière, des collaborations importantes pour toi ?

J.C : - J’ai vraiment aimé ce que j’ai fait en Espagne, de 17 à 20 ans, dans les tablaos Flamencos. Après cela, les temps forts ont été le Festival d’Avignon avec ‘Flamenco Vivo’, ça a été la création musicale du ‘CID’ de Corneille, qui a tourné à Paris au Théâtre de la Madeleine, au Marigny, au Ranelagh et qui est parti en première de partout;
ça a été ma collaboration avec Abed Azrié en 1998 et 1999 dans l’album 'Suerte'. Puis, il y a eu mes créations, mes voyages à l’étranger, au Canada, aux États Unis, avec ma première création ‘ Sendero Flamenco’, puis ma 2è création ‘Los Gitanos’ suivie de ‘Flamenco Hombres’ qui est la création la plus récente puisqu'elle date de cette année 2005.

Isa : - Pourrais-tu me parler de ta collaboration avec Abed Azrié et de ta participation à l’enregistrement de l’album ‘Suerte’ ?

J.C : Abed Azrié, c’est quelqu’un que j’aime beaucoup, qui m’a  tout de suite mis en confiance. J’ai partagé énormément de choses avec lui. C’est Vicente Pradal qui me l’avait présenté. Nous avons commencé à répéter chez lui, et, au fur et à mesure on a continué à se voir, puis nous sommes partis en création à Toulouse une quinzaine de jours, et c’est dans cette ville que nous avons enregistré l’album ‘Suerte’ en Live, lors d’un concert.

Isa : - Qu’est-ce que cette expérience t’a apportée ?

J.C :- ça a été une très belle expérience musicale et humaine. Abed Azrié est quelqu’un de profond, qui fonctionne avec son cœur. C’est aussi un bon chanteur. Nous avons partagé plein de bons moments ensemble. Dans le spectacle ‘Suerte’ , il y avait une formation musicale classique, orientale, Flamenca… c’était très riche d’un point de vue culturel. Cela m’a amené à m’intéresser aussi à l’histoire du Flamenco en partant de la vallée de l’Indus. Cela m’a inspiré également ma première création ‘Sendero Flamenco’.

Isa : - Quels sont les artistes avec lesquels tu travailles pour ta nouvelle création ‘Flamenco Hombres’?

J.C : - Il y a la danseuse Sabrina Romero. Elle est lyonnaise à la base et je la connais depuis longtemps ; Il y a aussi les danseurs Alvaro Panos , Manuel Gutierrez, Francis Buil, Angel Lopez qui enseignent la danse à Lyon, Cristo Cortes, Alberto Garcia qui vient de Paris, Melchior Campos ‘Mencho’ au chant, les guitaristes Carlos Maldonado et Daniel Manzanas ainsi que les percussionnistes Juan Cortes et Cedric Diot.

Isa : - Il y a un beau Casting, mais pourquoi n’y a-t-il qu’une femme ?

J.C :- Oui, j’ai voulu faire un spectacle où il n’y a presque que des hommes car je voulais exprimer ma vision de la vie, telle que je la ressentais à ce moment là. J’ai choisi 4 danseurs qui possèdent chacun leur style propre.
Il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce spectacle…j’ai voulu mettre des hommes en situation …c’est en quelque sorte l’école de la vie que j’ai mis en scène, avec les situations de partage, d’amitié  mais aussi de rivalité et de luttes. La Femme, porteuse de vie par essence, intervient à la fin du spectacle, comme une note d’espoir.

Isa :- Juan Carlos, quels sont tes projets à court terme ?

J.C : -J’ai fait 4 créations, j’ai 30 ans, je tourne bien … La plupart du temps j’accompagne les danseurs, j’accompagne des formations musicales. Maintenant j’aimerais tourner plus à mon nom, mettre plus l’accent sur mes créations... je prépare un album aussi.

Isa :- Es-tu attiré par des expériences de métissages musicaux tels que le 'nuevo Flamenco' ou 'Flamenco-fusion' ?

J.C : - C’est une orientation que je respecte. Je considère qu’une chose est pure à partir du moment où elle est faite avec le cœur. De plus , il y a bien des métissages au niveau humain, alors pourquoi pas dans le domaine musical et artistique en général ?...c’est une richesse.
En fait, mes créations vont vers cette tendance 'nuevo flamenco' avec des prises traditionnelles. J’introduis des influences jazz, blues, bossa… mais je tiens à garder les racines Flamencas.
Je travaille actuellement sur un projet de disque ,guitare et musique qui a cette orientation musicale riche et colorée.

Isa : - Quels sont les artistes avec lesquels tu aimerais travailler ?

J.C : - En France , il y a Daniel Manzanas dont la personnalité et le travail me touchent beaucoup. Il y a aussi Antonio Ruiz 'Kiko'. J’aime beaucoup ce qu’il fait, j’aime bien l’humain aussi… Il y a aussi Abed Azrié, car ,avec lui ,ce ne sont toujours que des belles expériences . En Espagne, il y a le danseur Manuel Gutierrez ..et d’autres encore…

Isa : - Quand est-ce que le public pourra te retrouver sur scène?

J.C- Après le Festival de Mont de Marsan et d’Avignon, je pars me ressourcer un peu… je reprends à la rentrée avec le spectacle ‘Sendero Flamenco’

Isa :- Merci Juan Carlos pour le temps que tu nous a accordé pour cet entretien, et merci à toi pour tout ce que tu apportes au public. Tu as de très nombreux aficionados ...
à bientôt!