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Interview
de Gabriel Da Rocha réalisée par Isabelle Jacq en juillet 2006
pour
le site Musique Alhambra :

Gabriel Da Rocha
- Isabelle
: - Gabriel,
tu es un danseur, chorégraphe et tu enseignes le Flamenco à Paris depuis
une quinzaine d’années. Tu as fondé une école ’ La Nueva Academia del
Flamenco' avec la vocation de transmettre la danse et la culture
flamenca, école dont tu organises toutes les activités. Pourrais-tu nous
expliquer ce qui t’a amené à pratiquer cet art ?
- Gabriel
: - La première raison, c’est la rencontre avec
ma vraie mère adoptive : Lia NANNI, danseuse argentine, lorsque je la
vis danser dans son spectacle. J’ai été piqué par quelque chose, j’ai
été très touché par cette artiste et j’ai eu envie de la connaître. Elle
ne dansait pas le Flamenco mais le classique espagnol. Lia enseignait
aussi. Ma première approche de la danse s’est faite avec elle. J’ai fait
mes premiers pas sur scène avec elle, je n’étais pas bien vieux. Elle
fut mon mentor et m’enseigna bien plus que la Danse, je lui dois tant…
J’ai aussi pris des cours avec Alain Debrus, de l'Opéra de Paris et
Aurélio Bogado, ex-danseur étoile de l’opéra de Marseille.
J’ai appris les
castagnettes, dansé le folklore et le tango Argentins, le classique
Espagnol avec Lia NANNI et Osvaldo del Fabro ; lequel me donna également
des bases de Flamenco. Il m’a beaucoup apporté. J’ai fait partie de sa
compagnie. J’ai une bonne dizaine d’années de danse classique/classique-espagnol
derrière moi. Ensuite j’ai pris de cours de Flamenco à Paris qui m’ont
laissé sur ma faim et, en 1990, je décidai de me spécialiser dans le
Flamenco et partis en Espagne pour me former à l’Academia Amor de Dios,
à Madrid. Parallèlement, j’ai commencé une carrière de danseur.
- I
: -
Tu as étudié plusieurs styles de danse, pourquoi as-tu
choisi de te spécialiser dans le Flamenco. Quel a été le déclic ?
- G
: -
Il y en a eu plusieurs. Il y a d’abord eu
l’amour du chant et de cette culture (l’Espagne et les espagnols m’ont
accueilli à bras ouverts, je n’étais pas habitué à cette chaleur humaine).
Alors que je pratiquais plusieurs styles de danses, j’écoutais de plus
en plus de chant Flamenco. Mon envie de pratiquer le Flamenco est née en
pleurant, en aimant et en respirant le chant Flamenco. Quand j’écoutais
Agujetas, Chano Lobato, Carmen Linares ou Camaron, ça me touchait
profondément. La danse a été le moyen de m’approcher du Flamenco. Quand
j’ai commencé à comprendre cet art, j’ai très vite compris que ce serait
l’histoire d’amour de ma vie et un moyen idéal d’exprimer ce que je
sentais en moi. C’était un langage qui me permettait une certaine
liberté et qui me paraissait tellement plus qu’une technique, un langage
évident. Il y a vraiment une histoire de sentiments, vécus sur le moment,
quelque chose d’instantané dans le visuel et puis il y a la partie
audio-visuelle. C’est un art total. Ce qui m’a très vite beaucoup plu,
c’est la communion
des trois éléments : le chant, la
guitare et la danse, lorsqu’ils communiquent entre eux et lorsqu’il
s’établit une circulation de la même énergie, d’un même élan ou même
d’un jeu entre chacun d’eux …c’est
là qu’arrivent les moments de grâce qui me touchent tant :
les moments de Flamenco !
- I
: -
Gabriel, tu as dansé et tu as été soliste dans plusieurs
compagnies, pourrais-tu nous parler de ta carrière de danseur ?
- G:
- Ma carrière de danseur a été un peu courte
car elle s’est arrêtée à 32 ans, la vie en a décidé ainsi ! Néanmoins,
comme je l’ai précisé, j’ai vécu beaucoup d’expériences très différentes
avant de me consacrer totalement au Flamenco. J’ai fait des spectacles
de danse russe, du cancan, du classique espagnol, des opérettes ; où,
avec la compagnie «Iberia » de José LOPEZ, j’ai été soliste à l’Opéra de
Toulon, dans plusieurs représentations de ‘la belle de Cadiz ‘et
d’autres opérettes. Nous étions 70 personnes sur scène, un vrai grand
orchestre, c’était une grosse machinerie ; les spectacles duraient
3heures et on s’amusait beaucoup.
Cela m ‘a appris à
gérer l’espace, le travail en équipe et m’a apporté des notions de
chorégraphies, de tableaux. Grâce aux bases que j’ai acquises avec La
China, j’ai commencé une carrière de danseur de Flamenco, j’ai monté mes
solos, j’ai dansé avec les Fleurons du Flamenco de l’époque, par exemple
avec Sofia Manzanas que je connais depuis 20 ans et j’ai monté des
chorégraphies de danses de couple avec d’autres danseuses, nous avons
fait beaucoup de spectacles et festivals ensemble. Nous étions
accompagnés par Daniel Manzanas, par Cristo, par Alberto Garcia, Cati et
Gonzalo, Jean-Baptiste Marino que je connais lui aussi depuis plus de
20ans , qui est un grand guitariste et grand ami.En
fait, on s’est tous connus à la même époque, fin des années 80, début
90.
- I
: -
Quels sont les maîtres qui t’ont formé en danse Flamenca?
- G
: -
C’est ma seconde Maman, La China, qui m’a
véritablement formé au flamenco à l’Académie Amor de dios, à Madrid.
Elle m’a été présentée par une amie commune « Juncal » …qu’elle repose
en paix... Je l’ai connue en prenant ses cours et je l’ai vue danser
sans me lasser pendant toute la période où elle était à Madrid. J’ai
pleuré d’émotion, de vibrations, de sa magie - à chaque fois. Lorsque
je l’ai rencontrée, en 3 jours, nous étions comme mère et fils.
A
Paris, il y avait des années
qu’aucun artiste d’Espagne n’était venu
donner un stage et apporter une information artistique d’actualité alors
que la danse flamenca était en pleine mutation en Espagne ! J’ai décidé
avec elle de commencer à lui monter des stages ici, il y a quinze ans de
cela. Très vite, une très grande complicité s’est installée entre nous.
Elle travaille dans le monde entier et nous collaborons toujours
ensemble. Maintenant, on s’appelle tous les jours, on s’adore. C’est une
rencontre magique. Adrian Galia, son fils, m’a beaucoup appris aussi.
J’apprécie énormément son côté avant-gardiste, son travail de recherche
permanante, je peux dire qu’il se comporte comme un frère avec moi et je
l’aime beaucoup. Manuel Liñan que j’ai rencontré il y a 5 ans, m’a
beaucoup apporté aussi ; c’est une très belle personne, une belle
relation s’est installée entre nous. Il est tout jeune, il n’a que 26
ans et pourtant je suis complètement fasciné par le danseur et le
professeur. Il n’est la copie de personne, il ne fait rien comme
personne. Il est totalement Flamenco. Comme lui, il n’y en a pas
d’autres,
c’est une qualité première à
mes yeux pour un artiste et c’est si rare.
Nous vivons dans
un monde de copies, y compris pour les artistes à mon grand désespoir.
Je dirais que sa danse et celle d’Adrián GALIA, bien que très
différentes, sont de véritables danses d’auteur. Ils se sont intéressés
tous deux aux racines du Flamenco, à leurs propres racines, accompagné
d’une recherche intérieure et d’une observation réaliste de la société
dans laquelle nous vivons tous. Tous ces éléments rassemblés dans leur
âme et dans leur corps d’hommes et d’artistes ont fait de leur écriture
chorégraphique une véritable expression de l’actualité dans la plus pure
tradition flamenca.
-
I : -
Tu enseignes le Flamenco depuis plusieurs années.
Plusieurs élèves qui ont fréquenté tes cours sont devenus des danseurs
professionnels. Peux-tu nous expliquer la raison du succès que
rencontrent tes cours et pourrais-tu nous préciser les caractéristiques
de ton enseignement ?
- G
: -
La chose primordiale pour moi c’est
d’essayer de rester honnête avec soi-même tant qu’avec les autres. Je ne
veux rien vendre et je veux toujours rester un enseignant même si en
France les conditions de travail, les lois et les statuts sociaux par
rapport aux professeurs qui se déclarent sont difficiles (nous restons
peux nombreux dans ce cas) ; je veux être honnête avec mes élèves, car
en entrant dans la salle ils m’accordent leur confiance, et je veux être
honnête avec le Flamenco aussi. Pour moi, enseigner le Flamenco, c’est
transmettre la passion de ma vie tout entière, sans retenue et
naturellement ; c’est voir au-delà de ce que j’ai pu réaliser moi-même
quand je pouvais danser sur scène et cela pour chaque élève.
C’est d’imaginer ce qu’attendent
réellement de moi mes élèves : viennent-ils pour passer un moment
exotique ou pour vraiment aller en profondeur et entamer un long chemin
ensemble ? Je ne me peux m’empêcher de voir l’un ou l’autre sur scène et
à un bon niveau dans le futur, je sens le poids d’une grande
responsabilité ! J’essaye de leur montrer les chemins les plus faciles
possibles pour réussir à comprendre et pratiquer cet Art.
Cela commence par leur
enseigner les bases techniques, préparer un danseur, un artiste autonome,
j’ai des notions de placement ; lorsque j’enseigne le Flamenco, je
prépare physiquement un danseur, c’est à dire qu’il est nécessaire de le
muscler et de l’assouplir pour la danse, qu’il acquière les positions,
des chemins de bras qui sont définis. Il doit aussi travailler le
périnée, le centre, explorer la manière d’aborder le sol pour obtenir un
résultat optimum dans le respect de chaque corps. Je travaille beaucoup
sur les sensations de chaque élève afin que concrètement il comprenne et
se rende naturellement compte des chemins corrects pour avancer dans sa
technique.
- I
: -
Ton cours, comment est-il structuré ?
- G
: -
Mon cours est divisé en deux parties. La
première consiste à la préparation technique. Nous faisons des exercices
sur la base de variations au cours desquelles je donne les explications
approfondies et progressives. Je constitue ce que j’appelle des ‘blocs’
(variations) en travaillant sur un rythme donné : Par exemple nous
pouvons mettre le ‘bloc’ des tours sur un rythme de solea por buleria
dont j’explique en même temps les structures rythmiques. Mes cours sont
tous accompagnés à la guitare. Ainsi, l’élève apprend qu’il faut
toujours écouter la guitare mais aussi la commander. On ne doit pas
placer le mouvement sur la guitare, mais l’on doit dans sa danse prendre
la guitare par la main et l’emmener là où l’on veut aller. Je leur
transmets les codes chorégraphiques qu’ils mettent en place, le
mouvement dans l’espace et le temps, toujours. C’est important pour
l’élève d’allier le travail de la technique à celui du compas et de la
théorie pour maîtriser ces deux éléments. Dans la deuxième partie du
cours, il s’agit de création chorégraphique. Chaque année je crée une
danse pour chaque groupe, étudiée pour être accessible à tous les élèves
afin qu’ils deviennent autonomes au moment de danser : je leur apprends
à marquer le chant, à suivre la structure de la letra, à savoir où l’on
peut ‘rematar’, où l’on peut fermer ou laisser les portes ouvertes.
L’accompagnement du chant et de la guitare, les explications techniques,
pourquoi et comment on fait pour ‘recogerse’… j’apprends tout cela à mes
élèves : structure d’une letra, signification socio-culturelle,
geographique, historique,
interprétations
personnelles : mon travail de professeur de Flamenco est de transmettre
aussi la culture Flamenca comme je la vis, sans jamais oublier ses
fondements ancestraux.
-
I
: - N’y a t’il pas un
danger lorsqu’on transmet une technique ou quelque chose de bien
structuré que l’élève s’enferme dans cette technique ?
- G
: -
Un bon écrivain doit d’abord apprendre la
langue dans laquelle il écrit, toutes ses règles puis sa culture et
commence par des essais … D’où l’intérêt pour l’élève de participer
aussi aux stages d’improvisations appelés aussi ‘ateliers de pratiques’
que je mets en place régulièrement. Ces stages sont accompagnés au chant
et à la guitare, un accent est donné au travail des palmas et chaque
atelier étudie un palo ou des structures différentes. Autant dans mes
cours à l’année, on n’arrive pas en milieu de saison, sans avoir à
récupérer des variations montées car il y a un suivi et une progression ;
autant à ces ateliers pratiques, chacun arrive avec le niveau qu’il a,
on s’en fiche de se tromper, l’idée c’est de se lâcher et de
s’accompagner, on fait des palmas. Cela fait deux ans que j’organise ces
ateliers et il y a de très bons résultats chez les plus assidus, les
élèves sont très contents. Je mets en place aussi des stages à Paris et
en Espagne et avec d’autres professeurs comme la CHINA, Adrián GALIA, et
MANUEL LIÑAN. Même s’il y a un énorme travail technique qui est fait
aussi à ces stages cela permet aux élèves de s’ouvrir à autre chose, ces
artistes montent toujours une création une chorégraphie entière. En fait,
je prétends avoir créé une méthode d’enseignement adaptée à
l’apprentissage de zéro à professionnel, j’ai des fondamentaux qui sont
très clairs, que je donne à l’élève dans un ordre précis, pour qu’il
progresse et puisse devenir autonome et créatif.
- Pourrais-tu
nous parler du stage international de Flamenco que tu as organisé à
Séville l’été 2006? Comment ce projet est-il né?
- G
: -
Ce projet est né en complicité avec La
China. Cela faisait très longtemps que j’avais envie de cela. Lorsque
j’ai débuté l’enseignement il y a quinze ans, je faisais venir La China
une fois par an. Il y a un échange, une complicité dans nos expériences
d’enseignement, une confiance mutuelle. Ce projet est né aussi de
l’envie d’aller plus loin dans l’enseignement. Ce stage avec elle et son
fils nous permet
d’approfondir
plusieurs aspects du Flamenco. Créer un rendez-vous en Espagne, dans une
ville qui a un lien fort avec le Flamenco tout en restant dans une
optique pédagogique et non mercantile, voilà un des objectifs. Comme mes
élèves, j’avais envie aussi d’un moment de vie qui dure plusieurs jours
avec eux, dans un lieu magique, l’académie d’Esperanza Fernandez et son
mari. L’idée de rajouter des conférences de Flamencologie avec Faustino
Nuñez pour que les élèves comprennent les clés de la musique et la
culture Flamenca, apporte quelque chose de plus encore. Le travail du
Flamencologue est en étroite collaboration avec le cours de danse.
Travail spécifique pour chaque palo dans un esprit convivial. Cela n’a
jamais été fait auparavant et les élèves ont besoin de ce genre de
stages.
- I
: -
Qu’est-ce qui te motive le plus dans ce métier que tu
pratiques avec passion ?
- G
: -
Quand j’enseigne ou quand je danse, mon envie c’est de
partager avec les autres ce que j’aime. J’aime enseigner car je n’ai
rien à garder pour moi. Je me dédie totalement à l’enseignement et à la
création de pas ou de chorégraphies nouvelles. L’important pour moi à
été de me définir, je me sens à ma place, j’aime les rapports entre les
élèves et moi ce sont des échanges de profond respect et d’amour
réciproques … sinon cela ne marche pas. Mes élèves, j’ai envie qu’ils se
définissent aussi. Actuellement je me sens un peu limité dans mon
activité et mes projets à cause des conditions
dans lesquelles je
travaille : car je n’ai pas de lieu et doit louer des studios à l’heure
pour pouvoir dispenser mes cours. J’espère avoir bientôt un local qui me
permette d’y travailler 24 h sur 24 et dans lequel je puisse développer
ma méthode à une plus grande échelle, ainsi que de nombreux projets déjà
bien mûris dans ma tête.
-
I : - Nous souhaitons
tous que ce projet se réalise. En attendant, merci Gabriel pour le temps
que tu nous accordé. Tes élèves auront la chance de te retrouver le 2
septembre prochain, lors de l’ouverture des cours, pour cette nouvelle
saison 2006-2007. Nous pouvons aussi connaître toutes les activités que
tu organises dans ton école en visitant le site de La Nueva Academia del
Flamenco :
http://perso.orange.fr/nuevaacademiadelflamenco
…A A très bientôt Gabriel !
Attention
changement d’URL déjà effectif :
http://www.nueva-academia-del-flamenco.com
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