Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview de Yana Maizel réalisée par Isabelle Jacq ’Gamboena’,

en mai 2009, pour Musique Alhambra

 

Yana Maizel

- Yana, tu es danseuse et comédienne et tu résides à Paris depuis plusieurs années. Quelles sont les grandes lignes de ton parcours artistique?

- Avant de découvrir le Flamenco, j'étais comédienne. Je suis née à Saint Pétersbourg et mon père était comédien. On a immigré de Russie au Canada quand j’étais à l’école primaire. À Toronto, j'étais accepté dans un lycée des arts où j’avais passé une audition pour la section de théâtre. Dans cet établissement, j’ai également commencé la danse contemporaine et jazz. Puis, en parallèle à ma formation de comédienne, j'ai fait des études d'histoire de l'art à l'université. J'avais obtenu une bourse d'étude pour faire une année de fac à Grenade. Et c’est là-bas, en allant dans les cuevas du Sacromonte, que j'ai découvert le Flamenco. J’étais tombée en plein dans una juerga avec deux guitaristes et plusieurs femmes, gitanes, qui chantaient. Soudain, une femme d'un certain âge, au premier abord timide, étrangère (je crois bien qu'elle était française) s’est levée et à fait una pata por Buleria (enfin, je crois, car à l'époque, je ne connaissais pas encore le Flamenco). Les gitanes lui chantaient et l’encourageaient avec des jaleos et elle improvisait. J'étais totalement abasourdie, car il y avait là, une sorte de compréhension, qui dépassait les différences d’origine, de langue et culture… qui me dépassait moi aussi ! Tout était là : un cri de douleur, de révolte, une moquerie, un défi, et aussi un grand respect et un amour pour quelque chose qui était très loin de moi, mais que je ressentais fortement. Cela m'a impressionné, m’a émue aussi. À partir de ce moment-là, je rêvais de pouvoir faire cela. Peu de temps après, j'ai commencé à prendre des cours à Grenade avec la Mariquilla. Depuis, je n'ai jamais lâché le Flamenco. Cette année à Grenade est donc un moment clef dans mon parcours artistique. J'avais un lien particulier avec le Flamenco : un grand respect pour cet art, mêlé peut-être à de la peur. Je voulais entrer dedans pour le comprendre mais je ne voulais pas me l'approprier. Je ne voulais pas devenir une danseuse professionnelle du flamenco. Néanmoins, plus j'avançais dans ma formation, plus je  livrais un combat entre mes deux activités: le théâtre et le Flamenco.

 

-  Puis, tu es venue en France, n'est-ce pas?

- Après avoir terminé ma dernière année d'Université à Toronto, je suis partie à Bordeaux, rendre visite à une amie. Je voulais rester quelques mois pour apprendre le français, puis repartir en Espagne pour continuer ma formation en flamenco. J'ai fini par rester 2 ans à Bordeaux, car j’avais obtenu une bourse pour faire une maîtrise et DEA en Histoire de l'art. À l’obtention de ces diplômes (et je me suis dépêché, car je voulais utiliser ce qui me restait de la bourse pour payer mes cours de flamenco) je suis partie à Séville. Mon retour en France était motivé par un désir d’entrer à l’Ecole International de Théâtre Jacques Lecoq. Je rêvais depuis longtemps d’aller dans cette grande école, qui était devenue presque mythique pour moi. C'est une école de la vie, qui donne des outils pour créer son propre langage d’expression. On y apprend faire du théâtre avec très peu de choses: le corps, la voix, le regard. Beaucoup d’artistes, danseurs, comédiens, plasticiens sont passés par cette école. Et je me rends compte aujourd’hui, des années plus tard combien l’enseignement de Jacques Lecoq est présent en moi, quand je crée, quand je joue, quand je danse et surtout quand j’enseigne le flamenco ! Ça a été une étape précieuse pour moi. Quand j’ai terminé mes deux années chez Lecoq, je suis partie à Madrid à Amor de Dios où je suis restée pendant deux ans. J'étais comédienne professionnelle et je ressentais le besoin de travailler, d'approfondir et d'utiliser le Flamenco. Je dépassais enfin cette idée du Flamenco intouchable.

- Pensais-tu auparavant que tes origines Russes t'empêchaient de te consacrer sérieusement au Flamenco?

- Non, ce sont des préjugés. Dans la musique russe, il y a beaucoup de points communs avec le Flamenco, et puis en Russie, il y a des tziganes. J’ai grandi avec la musique tzigane, avec cette rythmique très particulière, avec les contretemps, avec des mélodies nostalgiques aussi. La première fois que j’ai entendu una Farruca, j’ai pleuré, car ça me rappelait mon pays, mon enfance. C'est vrai que quand j'étais en Espagne, je me disais que j'étais tellement loin de la Russie et je me demandais si je pouvais vraiment un jour prétendre à être danseuse professionnelle de Flamenco. (On crée nos propres limites !!) Mais j’ai compris que pour moi le flamenco est universel, ça peut toucher tout le monde et ça appartient à ceux qui l’aiment. Ce n'est pas pour autant que je me suis surnommée ‘Carmen'. Je suis comme je suis, je m'appelle Yana, je suis russe, comédienne et j'apporte tout cela quand je danse et je le fais avec la créativité que j'ai.

- Y a-t-il des artistes qui t'ont donné envie d'aller vers le Flamenco ou qui t'inspirent?

- Je me suis d’abord approché le flamenco par le chant. Quand j'étais à Grenade, j’écoutais beaucoup Lole et Manuel. Ils m’émouvaient. J’adorais leurs letras, leur poésie. J'aime beaucoup aussi le chant de Camaron, José Menese, Fernanda et Bernarda de Utrera et aussi les classiques comme La Niña de los Peines. Je peux parler du chant et des chanteurs que j’adore pendant des heures ! À Madrid, j'ai pris des cours de chant avec Talegon de Cordoba et j'ai appris beaucoup de choses. Quand je danse, je puise tout dans le chant. Parmi les danseurs qui m'ont influencé dans mon apprentissage, il y a La Truco, à Madrid. Elle avait une véritable générosité et une pédagogie. Puis il y a eu la China, Rafaela Carrasco et bien sûr Maria Magdalena, à qui je dois beaucoup pour ma  propre pédagogie aujourd’hui.

 - Quelle est la part d'influence familiale dans tes choix professionnels?

- Bien que mon père ait été comédien, il n'était pas spécialement enchanté que je devienne comédienne, bien au contraire ! Et quand il a appris que je me dirigeais vers ce métier, il s'y est opposé, au départ.  Et le flamenco, n’en parlons pas !! Tous mes choix professionnels, j'ai du les arracher. Ce n'est que maintenant qu'il est fier et étonné de ce que je fais. Il voit que j'ai des tournées et que je réussis dans mon métier de danseuse et comédienne.

- Quelles sont les collaborations artistiques que tu souhaiterais évoquer?

- Il y en a plusieurs. J'ai travaillé avec Karine Saporta et sa compagnie. C'était la première grande compagnie que j'intégrais. Nous présentions un spectacle de Flamenco et de danse indienne : le Barata Natyam et la danse Katak. Plusieurs danseurs et musiciens étaient venus de l'Inde. On échangeait beaucoup au niveau artistique en créant des chorégraphies ensemble, puisant dans nos connaissances respectives. Il y avait aussi un autre danseur de Flamenco José Merino qui venait du Ballet National d'Espagne et qui est devenu un ami. Il était très généreux avec moi et j’ai appris une quantité de choses de lui ! C'était une expérience incroyable. C'est d’ailleurs grâce à une des danseuses d'origine indienne et qui réside en Martinique que j'ai réalisé un beau projet, l'année suivante. Elle m'a fait venir en Martinique pour donner des stages et créer un spectacle. Une autre collaboration artistique qui a beaucoup d'importance pour moi est celle avec le groupe Electro - Flamenco Von Magnet. C'est un groupe pluridisciplinaire qui existe depuis les années 80 et qui est devenu presque mythique maintenant. Je les ai rejoint sur l’album 'De L'aimant'. Nous avons créé un spectacle et nous l’avons tourné un peu partout (Islande, Hongrie, Hollande, République Tchèque…) C'est de la musique Electro sur des rythmes flamencos et c'est très théâtral. Dans ce spectacle, je joue du cajon, je danse et joue en tant que comédienne, je dis même un texte en russe sur un rythme de la Seguiriya ! Phil Von, le chanteur principal et cofondateur du groupe, danse le flamenco aussi, avec un style très particulier et avec une présence scénique hors commun. Il y a aussi Flor Magnet, une belle chanteuse, comédienne et Sabine Van Den Oever, guitariste de flamenco d'origine indonésienne, qui a étudié la guitare dans la fondation Cristina Heeren, à Séville.

- Tu enseignes aussi le Flamenco. Quelles sont les caractéristiques  de ta pédagogie?

- J'aime beaucoup enseigner. L'enseignement, c'est aussi une réflexion sur mon propre apprentissage. Cela fait plusieurs années que j'enseigne et je n'ai jamais autant appris qu'en donnant des cours. Dans mes cours, j'essaye de donner les clefs que j'ai acquis en Espagne en menant un combat, car il faut mériter de recevoir ces clefs-là. J'essaye de voir comment je peux les transmettre au mieux. Je travaille beaucoup sur la compréhension du rythme, du chant, sur le côté corporel aussi, la posture et bien sûr, la présence. C’est important pour moi que quand les élèves dansent, ils puissent transmettre quelque chose de personnel. Ce n’est pas intéressant d’essayer de danser comme quelqu’un d’autre. J'encourage mes élèves de partir en Espagne, de sentir cet art et ses origines. Le plus grand cadeau pour moi, c’est quand les élèves partent étudier là-bas.

- Où donnes-tu des cours?

- Aux Amandiers, dans le 20ème arrondissement, à Paris. Je propose aussi des stages de flamenco-théâtre que je donne un peu partout. Je suis invitée souvent par des compagnies ou écoles de théâtre et de danse. C’est vrai aussi que j’ai beaucoup de comédiens et chanteurs professionnels dans mes cours et stages.

- Quel rêve souhaiterais-tu réaliser?

- Quel rêve? ... ma vie est un rêve quotidien... je rêve de continuer mes recherches, mes collaborations artistiques. Je rêve de continuer dans la voie que j'ai choisie. J'espère bientôt créer mon solo théâtre - flamenco. C'est un projet qui murit. Il y a différentes collaborations que j'aimerais réaliser. En réfléchissant un peu, je dirais qu’un beau rêve serait de travailler dans un même projet avec Israel Galvan et Josef Nadj (un danseur, chorégraphe contemporain). Ce sont deux personnes dont les univers très personnels et décalés me parlent beaucoup !

- Quelles sont les difficultés que tu as du surmonter pour avancer dans ta carrière artistique?

- Les difficultés que j'ai rencontrées sont celles que j'ai éprouvées avec moi-même. Les questions d'origines et d'appartenance m'ont beaucoup préoccupées. C'est d'ailleurs sur ce thème que j’écris un solo. Ma difficulté a été aussi de me permettre des choses, d'oser mélanger les disciplines que je pratique, le théâtre et le Flamenco par exemple.

- Quels sont tes atouts?

- C'est plutôt au public d'en juger! ...je pense que j'ai des bases solides dans plusieurs domaines, que je suis curieuse et que j'aime approfondir et aboutir les projets que j'entreprends.

- Quels sont tes projets actuels?

- Je travaille sur plusieurs projets et spectacles en ce moment, notamment un opéra avec Omar Porras, un metteur en scène colombien qui est basé en Suisse et qui se produit souvent au Théâtre de la ville. Nous nous connaissons depuis 10 ans. Il m'a engagée en tant que danseuse et chorégraphe de Flamenco dans son opéra La Périchole, qui est une coproduction entre les Opéras de Toulouse, Bordeaux et Lausanne. J'ai créé les chorégraphies (flamenco) de groupe et du chœur et mes solos. J'ai aussi formé les 9 autres danseurs (classique, contemporain) au Flamenco. Je travaille aussi avec le guitariste José Toral. En plus d' être un guitariste génial (il avait fait la première partie d’un concert de Tomatito il y a quelques années) il est aussi un percussionniste, un poète et un peintre, une perle rare ! On s’est rencontré il y a quelques années à Paris lorsqu'il donnait un concert avec le chanteur José Lijero et nous collaborons depuis. J'ai un autre projet qui me tient à cœur. Il s'agit d'un spectacle théâtre - flamenco avec Karine Gonzalez et Déborah Greenfield.

- Pourrais-tu nous parler de ce projet?

- Oui, Hermanas Tres est un projet multidisciplinaire (flamenco, théâtre et vidéo) inspiré par la pièce les Trois Sœurs d’Anton Tchékhov. Étant russe, Tchékhov c'est un peu mon patrimoine et étant danseuse de flamenco et comédienne à la fois, ce projet est fait sur mesure ! Ça fait longtemps que je rêvais de réunir ces univers.

On a choisi de travailler en particulier sur les personnages de ces Trois Sœurs, trois femmes face à leur désir d’une vie meilleure, symbolisé par un retour dans leur ville natale, Moscou. Les trois sœurs rêvent de changer le cours de leur existence, mais sont incapables de le faire. Elles n’arrivent pas à suivre leurs rêves jusqu’au bout, à casser ce qui est établi. Cette difficulté d’avancer est finalement très contemporaine. Par nos recherches chorégraphiques, nous essayons de trouver une écriture personnelle qui puise dans la rythmique et l’énergie contenues du flamenco, tout en gardant un sens théâtral intimement lié aux mots écrits par Tchékhov.

Ce projet qui est toujours en création est accueilli dans différents lieux culturels du 19eme et 20eme arrondissements et nous présentons une partie de ce travail en cours le 26 juin à 15h30 et à 20h au Centre Curial, 90 rue Curial, dans le 19ème arrondissement à Paris. Pour plus d’information, il faut écrire à la Compagnie Errances: errances9@hotmail.fr

- Nous te souhaitons beaucoup de succès dans tes projets... à très bientôt Yana!