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Interview de Rocío Bazán réalisée par Isabelle
Jacq 'Gamboena',
en mars 2009, pour Musique Alhambra

Rocio Bazán
- C'est une
grande joie pour nous de savoir que tu vas chanter ici, ce soir, pour le
public parisien, dans le cadre du Festival 'Voix de femmes'. Rocio, pour
toi qui originaire de Malaga, qu'est-ce que cela représente le fait d'être ici, à Paris et de
participer à ce Festival?
- Lorsqu'on m'a contacté pour me proposer de
participer à cet évènement , à Paris, j'ai accepté immédiatement car je crois
que les femmes jouent un rôle très important dans le monde du Flamenco,
et il y a de plus en plus de femmes dans ce domaine artistique. De plus,
être à
Paris, en France, c'est un grand honneur pour moi car c'est un pays qui
sait respecter cet art et qui donne au Flamenco l'importance qu'il
mérite. Je suis donc très contente d'être ici.
- Le 8 mars, Journée Internationale de la
Femme, qu'est-ce
que cela évoque pour toi?
- Cette journée représente beaucoup de bonnes choses,
pour nous, les femmes. Maintenant, il est admis que les femmes jouent le
même rôle que les hommes dans cette société. La femme a prouvé qu'elle a
une valeur inégalable.
- Nous aimerions connaitre ta trajectoire artistique et
savoir comment tout a commencé pour toi...
- Je crois que je porte en moi une forme d'errance
familiale, d'afición et le fait de savoir chanter. Mon arrière
grand-père qui s'appelle José Fernandez chantait très bien. Ma
grand-mère et ses deux frères chantaient aussi. Ma mère et mes tantes
qui, elles aussi sont aficionadas au cante chantent bien aussi.
Un de mes oncles m'a beaucoup aidé dans l'apprentissage du Flamenco.
J'ai appris les différents styles et palos du Flamenco. J'ai vécu
dans une ambiance familiale très flamenca, et chaque jour je tombais toujours plus amoureuse du Flamenco.
- Pourquoi es- tu allée vers le chant
plutôt que vers de la danse, par exemple?
- Je ne me suis pas allée vers le chant, c'est le chant
qui est venu à moi. On ne peut pas décider les choses en se disant 'moi,
je veux être 'cantaora'. Cette profession ne peut être envisagée
sans qu'il y ait au préalable une prédisposition au cante, un minimum
de qualités vocales et qu'on sache écouter. Pour le baile ou la guitare,
c'est un peu différent car on peut apprendre à jouer de la guitare ou à
danser sans avoir de véritables prédispositions pour cela. Pour chanter,
c'est plus difficile. Il n'y a pas une table de numéros ou de lettres qui
puissent guider et indiquer la manière de faire. Pour apprendre à chanter
il faut un potentiel et des facultés préalables. Puis vient le stade où
il faut apprendre chaque jour un peu plus et le Flamenco doit prendre de
plus en plus d'importance dans sa vie. Tout en le séparant toujours de
ma vie privée, le Flamenco est très important pour moi. Je ne pourrais pas vivre sans le
Flamenco.
- Dans ta trajectoire artistique, as-tu reçu l'appui du
monde Flamenco, ou est-ce un cheminement solitaire?
- C'est une voie plutôt difficile, surtout pour les
jeunes car nous ne recevons pas l'appui des représentants artistiques.
Mais, en même temps, c'est plus gratifiant de réussir pour celui qui
avance seul. Pour nous, les jeunes, la seule manière de nous faire
connaitre, c'est de se présenter aux concours et, parfois, le choix du
jury n'est pas toujours représentatif du talent des
jeunes, mais comme c'est le seul moyen de se faire une place dans le
monde du Flamenco, on s'y présente quand même.
- Tu as gagné plusieurs prix, dont celui des 'Jovenes
Valores del Festival del cante de la Minas' en 1999, n'est-ce pas?
- Oui, j'ai eu beaucoup de chance. Je dis cela car il y a
beaucoup de bons chanteurs. J'ai eu le plaisir de recevoir aussi le prix
que je chéris plus particulièrement, celui du 'Giraldillo' de la Biennale de Arte
de Séville, que j'ai obtenu en 2002 et qui, d'une certaine manière,
fait qu'aujourd'hui, je chante ici, en France. Cela m'a ouvert plusieurs
portes et, grâce à ce prix, j'ai gagné de la popularité et cela m'a
donné l'opportunité de participer à des évènements Flamencos de grande
envergure.
- Comment définirais-tu ta manière de
chanter?
- Je pense que, de nos jours, le cante n'est pas
façonné par la terre dont on est issu, mais plutôt par le cantaor.
Cela me fait enrager les réflexions du style: "Tu n'es pas de Malaga
donc tu ne sais pas chanter por Malagueña" ou: "Tu n'es pas de
Huelva, donc tu ne sais pas chanter le Fandango'. Il est vra i
que la terre jouait un rôle fondamental pour le cantaor, surtout
à une époque où il n'y avait pas encore les enregistrements qui nous
permettaient d'écouter ou découvrir tous les
palos et qu'il se pouvait qu'un chant provenant d'une autre province ne soit
pas arrivé aux oreilles de ce cantaor. Mais aujourd'hui, les
choses sont radicalement différentes. Pour celui qui a envie
d'apprendre, tout est à la portée de chacun grâce aux moyens de
communication et à la discographie qui montrent tous les styles de chants, qu'ils
soient de Malaga ou de Séville. En fonction des qualités vocales de
l'individu, certains peuvent avoir plus de probabilités que d'autres
pour devenir de bons cantaores. Donc, cela dépend
surtout de nos qualités vocales.
- As-tu besoin d'être dans des
dispositions intérieures particulières pour être inspirée, dans ton
chant?
- On ne peut chanter de la même manière tous les jours
car il y a plusieurs facteurs qui interviennent sur le fait qu'on soit
meilleur cette fois là plutôt qu'une autre. Un jour, alors que j'étais
de mauvaise humeur et que j'étais triste, j'ai senti beaucoup plus de
force pour chanter et plus d'envie de transmettre. Cependant, quand je
suis dans un état normal ou contente, il se peut , parfois, que le chant
soit pire. Donc, je pense qu'on ne peut pas chanter parfaitement tous
les jours. Il y a des jours où l'on est plus inspirée que d'autres.
Souvent, quand je chante, je ne me reconnais pas. Je me dis: "qu'est-ce
qui m'arrive aujourd'hui, il y a quelqu'un qui chante pour moi?". J'ai
souvent cette sensation et je sais qu'il ne s'agit que d'une impression,
bien-sûr. Souvent, je ressens qu'il y a une forme de magie, quelque
chose que je ne fais
pas moi-même mais qu'on est en train de faire pour moi... Cela m'arrive
souvent.
- Cela pourrait être une manifestation
du duende?
- Oui, probablement...
- As-tu des projets d'enregistrements?
- En ce moment, je prépare un album qui devrait sortir au
début de l'année prochaine. J'ai très envie de réaliser ce travail en
solitaire car, jusqu'à présent, j'ai surtout réalisé beaucoup de
collaborations avec de nombreux artistes. Cette fois-ci, c'est un
travail que j'accomplis seule et qui me correspond totalement. Je
souhaite réellement exprimer, dans cet enregistrement discographique, ma
manière de ressentir le Flamenco.
- Quels sont les grands
cantaores ou cantaoras dont tu nous recommandes vivement
l'écoute?
- En matière de Flamenco, j'ai beaucoup de références.
J'aimerais commencer par les chanteurs de ma terre d'origine: El Cojo de
Málaga. Il est une référence, spécialement dans l'interprétation des 'cantes
por Levante' et des cantes 'Abandolaos'. El Cojo
de Málaga était un Génie, il détient un trésor caché, que peu de gens on
fait l'effort de découvrir. Puis, je citerais Don Antonio Chacon. Parmi
les femmes, il y a La Niña de Los Peines, La Repompa de Málaga, bien
qu'elle mourut très jeune et qu'elle n'ait qu'une courte
discographie. La Trini de Málaga était aussi une chanteuse merveilleuse,
ainsi que
Dolores Jiménez Alcántara
'La Niña de La Puebla' dont nous fêtons, cette année, le centenaire
de sa naissance. Parmi les cantaores, je citerais Antonio
Mairena. Je dois parler de lui car, grâce à lui, il y a beaucoup de
chants qui ont été sauvés de l'oubli car cette homme s'est occupé
d'enregistrer ces chants pour qu'ils puissent demeurer dans l'histoire
du Flamenco. Fosforito est aussi un grand chanteur, je l'écoute
beaucoup. J'ai beaucoup appris de lui car il a des qualités
exceptionnelles en tant que cantaor; il a interprété un éventail très
large de chants...Voila pour les cantaores qui me viennent à
l'esprit, mais il y en aurait tant d'autres à citer!
- En tant que cantaora, te
préoccupes-tu aussi de remettre au goût du jour des chants anciens ou
délaissés?
- Oui, j'aime récupérer ces chants. Par exemple, le
cante por caña est un de mes chants favoris que j'aime interpréter
dans mes récitals. J'aime aussi chanter la Vidalita, la Milonga, la
Petenera...il y a beaucoup de chants qui existent uniquement grâce aux
enregistrements discographiques car les chanteurs actuels ne se
préoccupent pas de chercher certains chants oubliés et ils préfèrent se
contenter d'interpréter 2 ou 3 palos à la mode. Par exemple,
concernant le cante por Solea, beaucoup se contentent
d'interpréter
le cante por Solea d'Alcala, parfois un peu de Solea de Cadiz, la
Sereneta, la Solea de Triana, alors qu'il y a beaucoup d'autres styles
de Solea. Il en est de même pour la Malagueña. On interprète
généralement la Malagueña de Manuel Torre ou celle d'El Menizo, d'El Canario, alors qu'il y a une grande variété de
Malagueñas qui sont mises
de côté.
- Quelle est ton actualité artistique?
- Je viens de terminer une tournée dans toute
l'Andalousie , tournée réalisée grâce à la Fondation 'Caja
del Sol'. J'ai eu le plaisir de découvrir 15 lieux d'Andalousie et
maintenant, grâce à la programmation ' Málaga en Flamenco', j'ai 10
dates programmées dans différents cycles intéressants en lien avec ce
Festival. J'ai aussi plusieurs dates prévues dans les Festivals d'été.
Au mois de septembre et d'octobre, j'irai en Hollande et en Belgique
dans le cadre d'autres Festivals et j'ai aussi d'autres dates en
Amérique du Sud avec un spectacle intitulé 'El Indiano', inauguré à la
Biennale de Séville. J'ai aussi d'autres projets. Grace à Dieu, la crise
ne semble pas avoir affectée le Flamenco...
- Merci Rocío, tu es vraiment
admirable!
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Interview réalisée en mars
2009, dans le cadre du Festival Voix de Femmes organisé par
Flamenco en France en coréalisation avec le Théâtre de
l'Epée de Bois, à Paris. Remerciements à
l'équipe du Théâtre de l'Epée de Bois ainsi qu'à
l'équipe de 'Flamenco en France', en particulier à
Marie-Catherine Chevrier, Ingrid
Fouledeau, Marcos Velasco et Camill Rhoul.

Visiter le site Web de
Rocío Bazán:
Visiter le site Web de Flamenco en France:
http://www.flamencoenfrance.fr
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