Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview de Manuel Delgado réalisée par Isabelle Jacq, en mai 2007, pour

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Manuel Delgado

- Manuel Delgado, en France, tu es considéré à juste titre comme l’un des maitres actuels de la guitare flamenca. Pourrais-tu nous parler de ta rencontre avec le Flamenco ?

- Je suis de Barcelone, et dans cette ville, la tradition Flamenca est présente depuis longtemps. De plus, comme ma mère est andalouse, à la maison, nous écoutions beaucoup de Flamenco à la radio. J’ai été bercé par ces sonorités musicales. Ma rencontre avec le Flamenco s’est faite aussi au travers de la guitare. La guitare acoustique est un instrument qui m’a fasciné dès le départ. La découverte d’artistes Flamencos comme Juan Habichuela m’a beaucoup impressionné.  (…)  Toti Soler à Barcelone m’a ému aussi. C’est un guitariste qui est avant tout un créateur. Bien qu’il ne soit pas un guitariste de Flamenco, à la base, il avait une manière de jouer qui s’inspirait beaucoup du Flamenco.(…)

- Ton envie de devenir musicien est arrivée très tôt, n’est-ce pas ?

- Oui, j’ai commencé à jouer de la guitare à 13 ans. Au départ, c’était pour le simple plaisir de partager des moments avec mes amis dans le quartier, à Barcelone, et non pour en faire un métier. J’avais très envie de jouer et je jouais toutes sortes de musiques.  Lorsque j’ai réalisé mon attirance pour le Flamenco et que je commençais à jouer de la guitare à ma manière, je suis allé chez un vieux guitariste, dans le barrio Chino de Barcelone. J’ai pris deux cours de guitare avec lui. Il m’a montré un fandango. J’ai travaillé ce morceau et je suis revenu la semaine suivante. Il m’a dit ‘Toi,  as tu le temps de travailler ?,  as tu le temps pour étudier?…’J’ai cru que c’était un reproche, qu’il me disait que je n’avais pas assez travaillé pendant  la semaine. Il a rajouté cette phrase ‘Tu puedes tocar como los angeles’ (tu peux jouer comme les anges). Je ne savais pas pourquoi il me disait cela, mais ce qu’il m’a dit est resté gravé dans ma mémoire. Plus tard, j’ai effectué un séjour de quelques mois,  en Andalousie, puis j’ai vécu un an à Séville, ville dans laquelle j’ai rencontré beaucoup de guitaristes. La fièvre du Flamenco a réellement commencé à cette période de ma vie, vers la fin des années 70. Alors que j’avais  déjà pris la décision de me consacrer au Flamenco, j’ai découvert Paco de Lucia. ‘Entre dos aguas’, le disque de Paco, sortait au même moment. C’était magique. Sa musique m’a donné des ailes et cela m’a prouvé que le chemin du Flamenco en valait vraiment la peine. De plus, le Flamenco correspondait à ma façon de vivre et à l’image que j’avais de ma vie en tant que musicien.

- Tu vis à Paris depuis plusieurs années …qu’est-ce qui a motivé à ton arrivée dans cette ville?

 - J’habitais à Séville et j’avais envie d’aller en France, sans l’intention de m’y installer. C’était une période où j’étais très ouvert à de nombreuses expériences musicales car j’étais attiré par la musique au sens large du terme. Le Flamenco était le fil conducteur qui me permettait de communiquer avec beaucoup d’autres musiciens et d’autres  musiques. A Paris, j’ai eu un flirt avec la musique classique, dans l’intention de découvrir ce style musical. J’ai été admis à l’Ecole Normale après avoir fait une audition. J’ai donc fait une année d’étude dans cette école. J’ai arrêté par la suite car j’avais compris que mon chemin n’était pas celui-ci. Cette expérience a renforcé mon gout pour le Flamenco et m’a permis de savoir déchiffrer une partition, et d’acquérir une certaine rigueur musicale. Par la suite, lorsque je me suis vraiment consacré au Flamenco, il a fallu que je me débarrasse de cette manière d’aborder la musique.

- Côtoyais-tu le milieu Flamenco de Paris, à cette période?

- Quand je suis arrivé à Paris, je n’ai pas rencontré tout de suite le monde espagnol. Pour moi l’Espagne était en Espagne et tous mes liens étaient en Espagne mais j’ai été adopté tout de suite par le milieu espagnol à Paris, dès que je l’ai approché, quelque temps après. Pendant plusieurs années, j’ai surtout travaillé et fait des expériences musicales avec des musiciens qui habitaient en France, surtout des musiciens qui venaient de l’univers du jazz. J’ai rencontré Pierre Procoudine Gorsky, un guitariste  avec lequel j’ai enregistré mon premier album en duo; c’était un moment de bonheur total. Par la suite, l’envie de replonger totalement dans le monde du Flamenco est arrivée. J’ai rencontré Paco Narvaez, un grand guitariste. Il m’a pris en sympathie et il m’a fait progresser. Je travaillais beaucoup avec lui. Il m’a fait comprendre que si je voulais m’engager totalement dans la voie du Flamenco, il était nécessaire que je franchisse plusieurs étapes… et ces étapes se sont avérées longues et plus dures que je l’avais imaginé. Il m’a transmis cette conscience des choses et je le remercie vraiment. J’ai commencé à connaître le milieu Flamenco grâce à une danseuse, Lita Peiro. Ne connaissant pas l’univers de la danse, j’ai fait l’apprentissage de l’accompagnement de la danse avec elle.  C’est la première danseuse  qui a eu la patience de me montrer cela. J’ai eu la chance aussi de rencontrer Daniel Manzanas, guitariste qui  maitrisait l’accompagnement de la danse, d'autant plus qu’il avait été danseur avant d’être guitariste. J’ai appris beaucoup avec lui et je le remercierai toujours.Par la suite, j’ai commencé à accompagner beaucoup de danseurs et j'ai fais  aussi des échanges avec l’Espagne, avec des compagnies madrilènes.

- Tu aimes aussi accompagner des artistes d’univers musicaux différents, n’est-ce pas?

- Oui, j’ai toujours été attiré  par les rencontres musicales, car cela est très enrichissant. J’ai connu beaucoup de musiciens orientaux de différents bords ; si je devais les citer tous, la liste serait très longue. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé avec Mohamed Zinelabidine en Tunisie ou Issa Hassan, le grand buzuquiste Kurde. Nous avons fait plusieurs festivals ensemble. C’est dans l’un de ces festivals que j’ai rencontré Omar Bachir

- Manuel, tu as un véritable talent de compositeur et les aficionados te connaissent aussi au travers ton talent d’accompagnateur de la danse et du chant. Quel aspect a le plus d’importance pour toi : l’accompagnement ou la création musicale ?

- J’ai toujours voulu créer mes propres morceaux, car j’aime cela. Aujourd’hui, presque tout ce que je joue, ce sont mes compositions, même les falsetas que je joue quand j’accompagne le chant et la danse, je les compose. C’est pour cela que je ne sépare pas mon travail de soliste de celui d’accompagnateur. Je suis un mélange des deux. A mon avis, il est important pour un guitariste Flamenco de créer un rapport entre ces deux aspects. Cette interaction entre ce que l’on apprend en accompagnant un chanteur ou un danseur et ce que l’on compose soi même et que l’on a envie de jouer en soliste, c’est fondamental. Je suis très content d’accompagner le chant et la danse car cela enrichit énormément ma créativité.

- D'après toi, l’apprentissage de la guitare a-t-il évolué?

Je pense qu’aujourd’hui, les guitaristes qui commencent l’apprentissage du Flamenco  comprennent qu’il est nécessaire de commencer par la base et non par le ‘toit’. Avant, les guitaristes voulaient apprendre très tôt la dernière falseta du dernier album des meilleurs guitaristes du moment. Maintenant, les élèves veulent apprendre le compas, comprendre comment cela fonctionne et se donner les moyens techniques pour jouer correctement de la guitare. C’est un changement radical de mentalité. Il est vrai que, sans le compas, on ne peut jouer correctement, et on ne peut accompagner le chant et la danse.

- Manuel, tu interviens au sein de plusieurs groupes et tu collabores avec de nombreux musiciens et artistes. As-tu le projet aussi de former ton propre groupe ?

 - Justement, je viens de fonder un groupe dans lequel j’introduis la plupart de mes compositions personnelles. Ce groupe porte mon nom. J’ai fait ce choix sans aucune envie de me mettre en valeur. Ce qui est important c’est de mettre en valeur la musique et s’il y a une valeur à reconnaitre dans ce travail, je suis bien fier de cela. Ce groupe me permet aussi de rassembler tous les gens avec lesquels j’ai travaillé pendant ces quinze dernières années et de faire converger la musique autour de mes compositions.

- Peux-tu nous préciser les membres du groupe ?

- Le groupe est constitué d’un contrebassiste d’origine turque, Emek Evci, avec lequel je travaille depuis un certain temps. Il connaît très bien le jazz, la musique orientale et il s’intéresse aussi de manière très pointue au Flamenco. J’ai toujours dans mon groupe un ou deux chanteurs. Le chanteur que je vais présenter à Planète Andalucia le 8 et 9 juin prochain, c’est Alberto Garcia, bien connu du monde Flamenco pour ses qualités artistiques. Il y a aussi Edu, un jeune percussionniste extrêmement doué. C’est la base de mon groupe. D’autres artistes nous rejoignent en fonction des projets que nous élaborons. Alejandra Gonzalez va danser lors du spectacle qui aura lieu à Planète Andalucia. J’aime beaucoup la manière dont elle a évolué et j’avais donc envie que l’on soit ensemble à cette occasion. Il y aura aussi une jeune chanteuse, Carmela.  Il y aura aussi ma fille, Carmela Delgado qui jouera du bandoneon. Mon ami et guitariste Javier Cerezo sera présent également.

- Les thèmes que tu composes sont-ils toujours en lien avec le Flamenco ?

Tout ce que je compose converge vers le Flamenco. Chaque thème comporte un palo reconnaissable. Lors des spectacles à mon nom, je joue un Fandango, un Tanguillo, trois Bulerias différentes, un Tango ; En ce moment, je suis en train d’adapter un morceau d’Egberto Gismonti au Flamenco en réalisant un Tiento. Egberto est un grand compositeur Brésilien et son travail est très particulier ; cela n’a rien à voir avec la bossa nova ou la samba. Je joue aussi une Taranta, une Solea. Actuellement, je compose une Alegria.

- Manuel, Quelles sont tes prochaines dates de spectacles  ?

 Je reviendrai à Planète les 8 et 9 juin prochain avec spectacle à mon nom. Le 3 juillet, je serai à Mont de Marsan lors du Festival Flamenco. Il y aura Cristo Cortes et Alberto Garcia au chant. Il y aura aussi Javier Cerezo à la guitare et Raquel Gomez à la danse. Ensuite, je serai au Festival de Châteauvallon, le 29 juillet. Je serai entouré de Miguel Sanchez, aux percussions et Estefania Suissa à la danse.

- Manuel, nous te remercions vivement pour cet entretien et nous te disons à très bientôt…

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