Interview de Manolo Marin réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena',
en novembre 2009, pour Musique Alhambra

Le Maestro Manolo Marín, nous
l'avions rencontré et interviewé il y a quelques années,
alors qu'il dirigeait un stage de Flamenco pour
l'association Arabesques, à Angers. Connaissant son parcours
artistique et ses qualités exceptionnelles de danseur,
chorégraphe et pédagogue, nous avions été touchés par son humilité et sa
simplicité. Manolo a
formé les plus grands danseurs et il est l'un des plus
grands dépositaires de la tradition. Recevoir son enseignement, le voir danser, lui parler, c'est
s'abreuver à la source du Flamenco... et quel breuvage
exquis!
- Félicitations Manolo pour le spectacle que tu as offert au
public, ce soir. C'était magnifique.
- Merci. Je me produis très peu sur scène car je donne surtout
des stages. Quand je fais un spectacle, j'improvise beaucoup sur scène. Je danse avec le
cœur.
- Quelles sont tes impressions sur le fait de danser à
Planète Andalucia?
- Cela fait de nombreuses années que je n'ai pas dansé
dans un tablao. Par exemple, la dernière fois que je
suis venu à Paris, j'ai dansé au Palais de Chaillot, qui est
une grande salle de spectacle. J'ai perdu l'habitude de
danser dans des petites salles, mais cela me plait beaucoup.
L'ambiance est chaleureuse et le fait que le public et les
artistes puissent communiquer entre eux, c'est agréable.
- Le projet de danser à
Planète Andalucia, comment
s'est-il réalisé?
- Du fait que je dirige actuellement un stage de Flamenco à
Paris, Maria Donzella de l'association Atika Flamenco,
l'organisatrice du stage, m'a annoncé que l'équipe de Planète Andalucia
s'intéressait beaucoup à mon travail et qu'ils aimeraient que je me produise dans leur
salle. Au début,
j'ai un peu hésité car ce n'est pas évident de préparer un
spectacle en si peu de temps, mais finalement, j'ai accepté
la proposition car je cela me plait de venir ici. Chaque fois que je danse, je pense
que c'est la dernière fois. Mais, il y a tout le temps une
nouvelle fois...c'est ainsi.

- Tu viens régulièrement en France pour donner des stages de
Flamenco, n'est-ce pas?
- Oui, je donne régulièrement des stages dans
plusieurs ville en France. En ce moment, je suis à Paris.
- Comment as-tu choisi les artistes qui t' accompagnent dans
ce spectacle?
- Il y a certains artistes que j'ai choisi et d'autres qui
m'ont été proposés. Par exemple, je travaille beaucoup avec
Maïte Gamoy. Elle a une école de danse à Bayonne dans
laquelle je viens régulièrement donner des stages. C'est une élève et
une amie. Nous avons fait quelques spectacles ensemble.
Felipe, le guitariste et Blas, le chanteur, je les
connais bien aussi. Les autres, ce sont des musiciens de
Paris qui m'ont été proposés pour m'accompagner dans ce
spectacle: Le guitariste Pascal Gaubert qui est le mari de
Maria Donzella et le palmero que je ne connaissais pas.
- C'est un spectacle que tu as monté spécialement pour
Planète Andalucia, n'est-ce pas?
- Oui. Nous avons travaillé entre nous pendant 3 jours. Le
guitariste et le chanteur nous ont rejoint aujourd'hui.
- Le spectacle était parfait...
- Nous étions très content car il y avait beaucoup de
chaleur de la part du public.
- Au début du spectacle, nous entendons un
enregistrement sonore des figures emblématiques du cante.
Etait-ce un hommage à ces chanteurs disparus?
- Oui, La Paquera de Jerez et Camaron ont des voix qui
m'émeuvent beaucoup. C'est un hommage que je leur rends. De
plus, avant de danser, j'ai besoin d'écouter quelque chose
qui m'apporte le duende.
- Fais-tu toujours cela dans tes spectacles?
- Non, je l'ai fait pour celui-ci, précisément. Du fait que je me
produis sur scène d'une manière sporadique, j'ai besoin de
'Flamenco Flamenco' avant de danser. J'espère que le public
a apprécié cet instant d'écoute...
- Oui, nous avons été très ému aussi. Est-ce aussi ta
manière d'insuffler au public l'importance de la notion
d'écoute ?
- Oui, bien sur. De plus, tous les musiciens écoutent et
disent Olé!. Camaron m'a beaucoup ému. Il y a même un
moment où j'ai versé des larmes en écoutant sa voix et
les letras qui sont tragiques; de plus Camaron chante en public
dans cet enregistrement. Cela
est de plus en plus rare dans le Flamenco. De nos jours, tout est joli,
techniquement mieux étudié, mais du cœur, comme dans le
chant de Camaron, il y en a peu.
- Pourrais-tu me donner ton sentiment sur la disparition
récente de Bernarda de Utrera?
- J'ai appris sa disparition il y a très peu
de temps. Sur
l'enregistrement sonore et un si court passage, je ne pouvais pas
inclure tous les grands chanteurs. Si je
l'avais appris plus tôt, j'aurais rajouté la voix de sa
sœur, Fernanda. Tout comme celui du Camaron,
elle était
déchirante d'authenticité. Elle se brisait dans son chant. La disparition de
sa sœur, Bernarda m'attriste beaucoup aussi. Sans ces
chanteurs, le flamenco demeure un peu orphelin. De plus,
tous ces artistes ont vécu une époque difficile. Ils
chantaient pour manger et pour avoir un toit sur la tête.
Maintenant, on chante pour acheter des voitures, des
appartements...pour consommer davantage. C'est une autre
époque.
- Tu as dansé de très beaux duos avec La Flamenquita.
Pourquoi as-tu choisi cette danseuse comme partenaire
artistique, pour ce spectacle?
- Nous avons dansé plusieurs fois ensemble. Nous nous sommes
produis, par exemple, au Théâtre de Bayonne. De plus, nous
travaillons ensemble depuis de nombreuses années et
j'ai beaucoup de sympathie pour elle. Dans mes stages,
c'était mon assistante. Elle a une manière personnelle de
danser et en même temps son style et le mien sont très
proches. Nous nous comprenons très bien, nous avons de
nombreuses affinités et une confiance mutuelle.
Ce projet a surgit alors que nous travaillions ensemble. Je
lui ai parlé du projet en lui expliquant que je n'avais pas
envie de m' occuper de l'aspect administratif de celui-ci
car je ne suis pas très doué pour ce genre de choses; Maïté
est excellente pour cela. Je lui ai donc demandé d'organiser
ce projet et de m'engager dans le spectacle. Nous avons
travaillé ensemble; cela n'a pas toujours été facile pour
elle car j'ai très mauvais caractère. Je suis vieux et je
suis assez rigide sur certaines choses.
- Manolo, d'où vient cette énergie que tu dégages. Tu dis
que tu n'es pas jeune mais pourtant, sur scène, tu n'as pas
d'âge.
- Pourtant, j'ai 73 ans...
- Quel conseil nous donnerais-tu pour, qu'à ton âge, nous
ayons tous autant d'énergie et de passion que toi?
- Tu l'as dit, c'est la passion qui m'anime et qui me donne
cette énergie. Avoir une passion pour quoi que ce soit,
c'est formidable. Quand on me demande ce qu'il faut faire
pour apprendre à danser, je réponds qu'il faut plus que d e
l'intérêt pour cela, il faut de la passion. Sinon, on peut
apprendre la technique mais il y a quelque chose qui ne
s'apprend pas; et cette chose, on l'a ou on ne l'a pas.
- Qu'est-ce qui t'inspire dans ton
baile?
- C'est difficile de répondre précisément à cette question...
Par exemple, ce soir, quand nous avons entendu le
chant de Camaron qui évoque la mort d'un frère dans la
mine; cela a fait écho en moi, car j'ai perdu mon petit frère, récemment. Ces
letras m'ont émues d'autant plus qu'elles
parlent aussi de ma vie. Le Flamenco
parle de la mère, de l'amour, de la mort et tout cela me touche
aussi.
- Tu as crée de nombreuses chorégraphies pour de très grands
artistes. Quelles sont les collaborations qui ont le plus
d'importance pour toi?
- Il y en a tant...Les grands projets que j'ai réalisés ne
sont pas forcément les plus importants, à mes yeux. Par
exemple, j'ai fait le spectacle d'ouverture et de clôture
des jeux
Olympiques avec Cristina Hoyos, en 1992. J'ai fait aussi les
chorégraphies du spectacle ‘Azabache’,
crée pour l'Exposition Universelle de Séville en 1992.
Ce spectacle a couté très cher. Il y avait 60 danseuses. Les
costumes ont été réalisés par Franca Squarciapino, qui a obtenu le César et l'Oscar des «meilleurs costumes» pour
le film de
Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau. Les costumes étaient merveilleux et
authentiques. Il y avait 5 vedettes, des grandes étoiles
espagnoles. C'était un spectacle important autant pour l'ampleur
des moyens déployés que pour le prestige des artistes. J'ai
réalisé aussi les chorégraphies pour des cinéastes comme Carlos Saura, les spectacles que j'ai chorégraphiés
pour Cristina Hoyos ont beaucoup d'importance,
surtout après sa collaboration avec Antonio
Gades car, à partir de cette période, je réalisais la chorégraphie de tous
ses spectacles. Elle
est passée au Grand Rex, à Paris. Elle a eu aussi beaucoup de
succès à l'Opéra Garnier. J'ai réalisé aussi les
chorégraphies de Manuela Vargas. Cela aussi a été très important
pour moi.
- Quels sont les danseurs qui te font dire que le Flamenco a
un avenir?
- Je ne te citerai pas de nom précis, mais je peux te dire
qu'avant, il y avait des écoles de baile. Maintenant, c'est
très différent. Les élèves bougent et vont faire des stages
un peu partout. Tout le monde est pressé, veut être connu,
passer à la télé. Il y a de bons danseurs qui maitrisent
vraiment la technique. Mais comme tout le monde veut
innover, la tentation de la fusion est grande. Pour cette
raison, il est de plus en plus difficile de garder l'essence
du Flamenco. Le Flamenco c'est du Flamenco!
- Merci Manolo pour cet entretien, et à très bientôt.
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