Gypsy Caravan , un film de Jasmine Dellal
Inspirée
par la communauté Rrom, la scénariste, réalisatrice et productrice
Jasmine Dellal avait réalisé un premier documentaire 'American
Gypsy' qui sortit en salle en 2000 et fut plébiscité par la
critique et le public. Sept ans après, elle apporte un nouveau témoignage
des liens qu'elle a tissée avec cette communauté au travers d'un deuxième long métrage intitulé 'Gypsy Caravan' dans lequel elle emporte le
spectateur dans un voyage au travers de la musique, de la vie et des
traditions de cinq groupes tziganes issus de différents pays, lors d'une
tournée de 6 semaines aux Etats Unis. Ainsi, la troupe espagnole
d'Antonio El Pipa, les groupes roumains Taraf de Haïdouks
et la fanfare Ciocarlia , la grande chanteuse macédonienne Esma
Redzepova, et le groupe indien 'Maharaja'
constituent la tournée de Gypsy Caravan. Flamenco, violon
gitan, musique folk indienne et jazz représentent le programme musical
de ce film qui retrace le portrait de ces musiciens au travers des
prises de vues de concerts, des scènes intimistes et de leur vie en
coulisse. Qu'ils soient sur scène, dans leur famille ou sur la
route, ces artistes nous offrent de grands moments d'émotions et de
bonheur et nous rappellent qu'il est temps de dépasser les stéréotypes
dont la communauté Rrom est victime. Ce film , Jasmine
Dellal l'a dédié à la décennie de l'inclusion des Rroms
2005-2015 où 8 gouvernements, les Nations Unies, Georges Soros et
la Banque mondiale rejoignent les communautés Rroms pour combattre
la pauvreté et la discrimination.
A noter que la bande originale du film est disponible,
distribuée par Harmonia Mundi.

Interview de Jasmine Dellal
réalisée par Isabelle Jacq en juin 2007
pour Musique Alhambra

A l'occasion de la sortie officielle du documentaire 'Gypsy
Caravan', Jasmine Dellal nous a accordé un entretien que nous vous
restituons ici:
- Jasmine Dellal, pourriez vous nous
parler de votre parcours et des raisons qui vous ont amenée à devenir cinéaste?
- Il y a quelques années, je ne savais pas ce que j'allais me consacrer au
métier de cinéaste, mais je savais que je voulais faire quelque
chose qui pourrait améliorer un peu le monde. Comme je suis une
idéaliste et que je ne suis pas une très bonne politicienne, j'ai
décidé de faire des films car je crois que, de nos jours, l'image est un formidable moyen
pour communiquer et pour agir.
-Le peuple Rrom est vraiment votre sujet de
prédilection. Pourriez vous nous précisez les raisons de votre
fascination pour cette communauté?
- On ne
sait jamais réellement d'où vient l'intérêt pour un sujet , mais je crois que
cela
provient, au départ, de mon enfance. A Londres, nous jouions à des jeux
comme tous les enfants et il y avait un jeu où l'on me disait que si je
ne faisais pas ce que ma mère me disait, les gitans viendraient
m'emporter. C'est de là que m'est venu l'envie d'en savoir plus sur les
gitans. Cette idée ne m'obsédait pas mais je posais parfois des questions à leur sujet
et je ne savais pas, à
l'époque, que les réponses que j'entendais étaient pleines de
stéréotypes, que cela n'avait rien à voir avec la réalité .

- Quand avez-vous rencontré des gitans, pour la
première fois?
- Que je sache, c'était pour mon premier film, 'American Gypsy'.
Quelques années auparavant, j'avais lu un livre sur Les Gypsys qui
m'avait profondément marqué. C'est là que j'ai vraiment réalisé que ces gens existaient ici aussi .
Comme j'étudiais à l’université de Berkeley, en Californie du nord, et
en tant que journaliste je contactais par téléphone certains Gypsys pour essayer au moins
de leur parler et la plupart ne voulaient même pas me parler. Ils
étaient très polis et trouvaient des excuses pour raccrocher et même
parfois, s'ils me parlaient, ils inversaient les rôles, c'étaient eux
qui posaient toutes les questions et c'était moi qui devait répondre. Je
trouvais très intéressant que le processus normal soit inversé, j'ai
donc conclu qu'il devait y avoir des gens intéressants à l'autre bout du
fil. J'ai insisté un peu, et par la suite j'ai commencé le film 'American Gypsy'. Le focus central de ce film c'est une famille
Rrom qui habite au nord ouest de l'Amérique. Ce sont les premiers
personnages avec lesquels j'ai passé beaucoup de temps. J'ai rencontré
aussi bien d'autres gens dans le parcours de ce film; mais eux,
c'étaient les premiers Gypsys que je rencontrais véritablement. Cette famille vivait
à l'américaine, mais, en même temps, lorsqu'elle parlait des américains,
cela signifiait les non gitans, les non Rroms. Eux ne sont jamais parti
des Etats Unis, ils savent toujours qu'ils sont en dehors de la société,
et même s'ils vivent sur le modèle américain,
ils se sentent rejetés par la société.
- Comment est né ce
documentaire 'Gypsy Caravan'?
- J'avais fini le premier long métrage et je croyais que j'allais
travailler sur un tout autre sujet. C'est à cette période qu'une société qui organise des concerts, le
'World
Music Institut', m'a proposé deux jours de travail. Il s'agissait de
filmer des musiciens et plus particulièrement un concert avec des
gitans. Ils avaient entendu parler de moi et du fait que je m'y
connaissais sur les caméras et les gitans. Lorsque j'ai commencé à
tourner je me suis rendue compte très vite qu'il se passait quelque
chose d'absolument génial sur scène et aussi en coulisse ainsi qu'à l'hôtel
lorsque les artistes s'y retrouvaient après les concerts . J'avais envie de partager cela
avec le monde.
Lorsque le 'World Music Institut' lança une nouvelle tournée Gypsy Caravan,
j'étais prête pour réaliser ce long métrage. Les caméramans
m'ont suivi dans cette aventure qui dura cinq ans.
Réaliser ce film
me permettait de renter dans le monde des Rroms d'une manière très
dif férente de celle de mon premier film et de montrer leur musique
et, par cette porte là, rentrer dans la vie réelle de cette communauté. Je
voulais montrer les gitans sur scène, en coulisse et dans
leur domicile.
L'image des gitans musiciens, c'est une image assez commune. Je l'ai
confrontée à celle des mêmes gens chez eux. L'idée était d'explorer la
distance entre le mythe et la réalité des Rroms et
de dépasser les stéréotypes à leur sujet.
- Lors des séquences où les artistes parlent de leur vie
et lorsqu'ils sont filmés dans leur village et leur maison, les
artistes ont-ils manifesté des réticences à se livrer et à dévoiler leur
intimité devant la caméra?
- Cela dépend. j'ai été aidée par plusieurs
éléments. J'avais déjà tourné American Gypsys que plusieurs personnes
avaient vu ou au moins avaient entendu parler et ils savaient que je ne
véhiculais pas des stéréotypes dans le film. On l'a même diffusé dans le bus , au début, pour que
tout le monde le voit. Les artistes ont compris qu'ils pouvaient avoir confiance
en moi, que j'étais bien intentionnée à leur égard . Le fait que je
parle un peu leur langue, ça aide aussi . Le fait aussi que j'ai
commencé le tournage en passant 6 semaines en autobus avec eux,
nous avons donc vécu ensemble pendant 6 semaines avant que j'essaye
vraiment de rentrer dans leur intimité. Le tournage que j'ai fait dans
chaque famille , nous l'avons réalisé après la tournée.
- La promiscuité entre les artistes et l'équipe de
tournage pendant 6 semaines s'est- elle toujours bien déroulée?
-Oui, cela me surprend même de réaliser à quel point cela
a été facile. 35 personnes dans le même autobus parlant une dizaine de
langues différentes , se couchant très tard après les concerts et
se levant très tôt pour partir dans un autre lieu, on pouvait pourtant
imaginer vivre des tensions dans un tel contexte..mais
cela n'a as été
le cas
- Lors du
montage du documentaire, vous avez sans doute retenu une partie de l'ensemble
des prises de vue. De ce fait, nous pouvons nous demander si l'ambiance joyeuse qui émane
du film est
vraiment ce que vous avez vécu pendant le tournage. Est-ce le cas?
- Oui, c'était vraiment comme cela. Dans l'autobus, il y
a eu des petites difficultés quand par exemple, certains se posaient la question
entre eux s'ils devaient fumer ou pas, car trop de fumée incommodaient
les autres. Il y a eu aussi des moments ou les gens d'ennuyaient, en
attendant les avions, en faisant le chek in de l'hôtel. Ces images là, je
ne l'ai ai pas retenues car ce n'est pas la chose principale que je
voulais retenir pour le film. J'ai remarqué aussi que les indiens
arrivent à rire dans n'importe quelle situation, et dans les
moments de difficultés, leur attitude apaisait tout le monde.
- Comment avez vous organisé les voyages dans
chaque famille? aviez vous un circuit préétabli ?
- J'ai organisé ces voyages sans suivre un circuit
préétabli. J'ai commencé tout
d'abord par filmer la tournée car c'était bien sur la chose à ne pas
rater. Pendant la tournée, j'ai trouvé l'argent pour financer le film.
Je suis allée en Inde car je devais aller voir ma mère qui habite
dans le sud de l'inde et j'en ai profité pour aller dans le Nord. Puis,
quand je suis rentrée de l'Inde, alors que j'avais la garantie que je
pouvais financer le film, c'est là que j'ai organisé les autres voyages
:en Roumanie, Macédoine et en Espagne. Comme les musiciens sont toujours
en tournée, il a fallu organiser les voyages en fonction aussi de leur
disponibilités, arrivés lorsqu'ils étaient là. En Espagne, nous voulions y être en même temps que la
feria. Nous avons donc attendu le bon moment.
-Les artistes qui ont participé à la tournée ont-ils vu le film?
- Ils ne l'ont pas tous vu car il faut le traduire
dans chaque langue d'abord. Néanmoins, quand ils étaient en tournée ,
par la suite, certains d'entre eux sont passés par New York, ville où je
réside. Je les ai invité dans la salle de montage pour qu'ils voient les
images d'eux même et , j'ai montré aussi les images des autres, chez
eux. Leur réaction étaient très intéressante . Ils avaient vécu 6
semaines ensemble mais ils ne connaissaient pas les familles des uns et
des autres; ils étaient vraiment fascinés de les découvrir au travers
ces images. Par exemple, les indiens étaient
étonnés de voir
la maison d'Antonio El Pipa . En fait ils étaient très intéressés par le
contraste et les particularités qui existaient entre eux. Esma a vu le film dans sa version définitive et il lui a
vraiment beaucoup plu aussi.
- Cette tournée a-t-elle à donné lieu à de nouveaux
projets entre les artistes qui y participaient?
- Il y avait eu une
première tournée de Gypsy Caravan. Dans cette nouvelle tournée, les artistes ont pu
mieux se
connaitre . Ils ont découverts aussi les liens qui existaient entre
eux du fait de leur identité Gypsy. Cela leur a permis de mieux voir les
similarités et les différences entre eux et de réfléchir à cela,
ensemble. Ils voulaient aussi absolument faire des choses ensemble,
Maharaja et Antonio El Pipa ont réalisé un projet artistique
ensemble et je crois qu'ils ont prévu une tournée. D'autres projets ont vu le jour aussi.
Il y a eu notamment la Fanfare Ciocarlia qui a enregistré son nouvel album "Queens and kings",
entourée de musiciens représentant les différentes communautés Rroms du
continent dont
l'incontournable Esma Redzepova.
- Y a-t-il un moment fort particulier que vous auriez vécu pendant le
tournage et dont vous souhaiteriez nous parler?
- Il y a eu à peu près 200 heures de rush et environ deux
heures de film.... je ne pouvais pas tout montrer! Des
moments forts, il
ya en a eu tellement...déjà, ceux que l'on peut voir dans le documentaire et
aussi
ceux que j'ai vécu personnellement, lors du tournage. Il me revient une
anecdote. Cela concerne le groupe flamenco d'Antonio El Pipa. Au début,
cela n'a pas été très facile quand je suis allé tourner dans sa
famille. Antonio était toujours très occupé et Juana
ne souhaitait pas se livrer ;l'idée qu'on entre dans sa vie privée et
qu'on la filme dans son quotidien, cela n'était pas facile pour elle de
l'accepter. Elle ne nous laissait pas aisément entrer dans son espace
privé . Néanmoins, à la fin, elle a accepté de parler d'elle et de sa
vie. Par la suite, et elle m'a fait savoir que beaucoup de journalistes
avaient tenter de l'interviewer et que j'avais été la
seule à qui elle avait accepté de raconter une partie de sa vie et de me faire rentrer. Cela m'a
profondément touché.
- Qu'est- ce que ce film vous a apporté à titre personnel
et à titre professionnel, en tant que cinéaste?
- En tant que cinéaste, c'est un peu tôt pour tirer des
conclusions car le film vient de sortir... Ce que je peux dire déjà c'est
que le film est distribué dans plusieurs pays: en France, aux Etats
Unis, en Belgique , c'est déjà un bon début. J'espérais aussi réaliser
un film qui sortirait en grand écran et c'est chose faite. Le fait de
sortir ce film en grand écran contribue à toucher un large public. J'ai fait ce film pour le grand écran et mes amis qui l'ont vu
à la fois sur petit écran et sur grand écran le même jour , lors de sa
sortie officielle m'ont dit qu'ils ont fait une expérience très
différente. Je ne m'attendais pas à cela, ce constat est intéressant aussi.
- Avez-vous le projet de sortir le film en DVD?
- Oui, il va sortir en DVD dans les mois prochains.
- Alors il faut bien préciser que c'est un film à voir en
grand écran d'abord, n'est ce pas?
- Oui, bien sur que c'est bien qu'il sorte aussi en DVD
et qu'il passe à la télévision ,mais ce que je veux préciser c'est que
c'est un luxe pour une cinéaste qui n'a réalisé que deux films de voir son
film sortir dans les grandes salles de cinéma; c'est un luxe que j'ai pu
vivre.
- Quels sont les messages principaux que vous voudriez que le
public
retienne de ce documentaire?
- Il y a un message ...et je suis presque gênée de le
dire... ce que je voudrais que le public retienne c'est le fait que les
Gitans ,
les Rroms sont des êtres humains. C'est tellement simple que je suis
presque gênée de le formuler par des paroles. Ceux qui disent ne pas
aimer les gitans, on les reconnait de suite, mais, je pense qu'il y a
aussi beaucoup des gens qui disent aimer la musique gitane ou qui aiment les
gitans mais, en réalité, ils sont fans de l'idée et de la musique mais ils ne
voudraient absolument pas être avec les gitans. En ce moment, il y a beaucoup de gens
et d'organisations qui se battent pour la
reconnaissance de ce peuple et contre le racisme. On peut dire que c'est
un mouvement politique. En ce qui me concerne, je ne milite pour aucun mouvement politique
particulier bien que j'
accorderais sans hésitation mon support à un mouvement qui œuvre en
faveur de la reconnaissance de la communauté Rrom, si cela était nécessaire. Mais mon
action est
avant tout d'apporter un témoignage humain basé sur un vécu avec cette
communauté.
- Jasmine Dellal, quels sont vos projets
professionnels?
- Je n'ai pas encore décidé de mes projets dans le futur , mais je
peux dire que, dans ma prochaine vie, je voudrais être musicienne. Pour
ce qui est de cette vie ci, des choses se feront, mais c'est encore trop
tôt pour en parler...
- Merci Jasmine pour cet entretien et nous
espérons que Gypsy Caravan obtiendra le grand succès qu'il mérite! à
bientôt!

Voir le
Site
officiel du film 'Gypsy Caravan'
+ d'infos:
http://www.bossa-nova.info
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