Musique Alhambra

L'Actualité du Flamenco

 

  

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Interview d'El Farruco réalisée par Isabelle Jacq 'Gamboena' ,

 en juillet 2009, pour Musique Alhambra

 

El Farruco

 

El Farruco est venu à Paris donner un stage de danse flamenca. Organisé par L'association La Gitanilla de Cristina Magdalena, ce stage a obtenu un succès bien mérité. Ce jeune bailaor d'une beauté incomparable, plein de grâce et d'élégance a reçu cette année, à Madrid, le prix du meilleur danseur.  Nous l'avons rencontré dans son logement à Montmartre.  Il nous a accueilli très chaleureusement et sa manière simple et humble de parler des siens, de son art et de lui même nous confirmait le fait que nous étions non seulement face à une très grande figure du Flamenco mais aussi en présence d'un être doté d'une personnalité exceptionnelle. Retour sur ce beau moment partage:
 

- Antonio Fernandez Montoya 'Farruco', tu donnes actuellement un stage à Paris. Cette ville, qu'est-ce qu'elle représente pour toi?

- Ce n'est pas la première fois que je viens à Paris, mais c'est la première fois que je donne un stage ici. Paris, je l'ai découverte quand j'étais petit, à l'âge de 12 ans. Je vins la première fois avec ma famille, puis je suis venu avec mon frère, dans un théâtre parisien. Par la suite, c'était pour le spectacle 'Farruquito y Familia' que nous sommes revenus dans cette ville et cette fois-ci.

- Quand tu as du temps libre, que fais-tu à Paris?

- C'est seulement cette fois-ci que j'ai vraiment pris le temps de découvrir Paris. C'est une ville hallucinante. J'ai visité la Tour Eiffel, j'ai fait du bateau mouche; hier, nous  étions au Louvre, nous avons vu aussi l'Opéra et d'autres très beaux monuments.

- Es-tu satisfait de tes stagiaires?

- Les élèves et les gens qui respectent et qui s'intéressent au Flamenco, quelque que soit leur âge, leur couleur de peau ou leur nationalité,  cela m'impressionne toujours beaucoup. C'est ce qui se passe à Paris. Dans cette ville on peut voir une élève de 15 ans à coté d'une élève de 60 ans. On se rend compte aussi à quel point le Flamenco touche un public de plus en plus large.

- Que souhaiterais-tu nous dire à propos de la communauté gitane à laquelle tu appartiens?

- Je crois que pour les gitans d'Espagne, le Flamenco leur a ouvert des portes qui leur étaient malheureusement fermées auparavant, en Espagne. Les gitans ont été en marge de la société à cause du racisme à leur égard. Aujourd'hui, bien que les choses évoluent, certains souffrent encore de cela.  La communauté gitane a toujours été une communauté espagnole, une communauté de gens comme les autres, avec les mêmes ambitions que les autres. Par exemple, j'ai des amis gitans qui étudient le droit pour devenir avocat. Je connais des gitans médecins, professeurs. Aujourd'hui, le gitan est devenu l'ambassadeur d'Espagne par le Flamenco. La manière de considérer le gitan s'est améliorée. Quand je parcours le monde, je me considère comme l'ambassadeur d'Espagne car le Flamenco est l'une des choses les plus importantes en Espagne.

- Le Film 'Bodas de Gloria' retrace les traditions des gitans canasteros. Leur manière de vivre a-t-elle changée depuis?

- Oui bien sur, car les temps ont changé. Mon arrière Gand mère paternelle était canastera. Elle confectionnait des paniers d'osier et les vendait. Avant, il y avait de la pauvreté un peu partout. Grace à dieu, nous avons évolué et nous gagnons notre vie. La tradition des gitans qui consiste à ce que l'homme ait la parole avant la femme, cela arrivait avant, dans le monde entier. Maintenant les choses ont changées, même dans la tradition gitane. Nous avons quand même conservé quelques coutumes, comme celle où l'homme se marie avec une fille vierge. Ceci dit, j'ai des cousins qui se sont mariés avec une femme qui n'était pas vierge. Il l'a respecte et l'aime autant. Ce qui ne se perd pas chez les gitans, c'est le respect. Par exemple, si un gitan que je ne connais pas vient, s'il est plus âgé que moi, je me lève et lui cède ma chaise et je le respecte comme s'il était l'un des miens. Je l'aide comme s'il était mon frère. On maintient cette tradition dans toute la communauté gitane. Il est vrai que dans les communautés non gitanes, cette tradition se perd un peu. Les enfants crient sur leur père, les frères se disputent entre eux. Chez les gitans, tu ne verras jamais cela. Le grand frère, on le respecte. L'ami, qu'il soit gitan ou non, on le respecte aussi. Une autre tradition qui ne s'est jamais oubliée chez les gitans, c'est le Flamenco. Nous sommes toujours baignés dans le Flamenco. Nous parlons de Flamenco, nous écoutons du Flamenco, c'est comme une nourriture que nous devons manger tous les jours.

- Pour toi, qu'est-ce que le Flamenco?

- Définir le Flamenco, je n'ose pas le faire car pour le définir, il faut non seulement l'avoir beaucoup étudié mais aussi avoir beaucoup d'expérience avec le Flamenco et de la sagesse. Je peux quand même te dire ce qu'est le flamenco pour moi. Pour moi, le Flamenco c'est une manière de vivre, une forme de vie. Je vis le Flamenco car dès que je me lève le matin, la première chose que je fais c'est de mettre une cassette de Flamenco. Si ce n'est pas moi qui l'a met, c'est mon frère ou ma mère. Lorsqu'on est entre amis, nous n'allons pas en discothèque sauter ou danser sur de la musique techno, mais nous allons dans un bar écouter du cante, puis je me couche en écoutant encore du Flamenco, bien que j'aime toute sorte de musiques. Une de mes idoles c'est le défunt Michael Jackson. Dans la famille nous écoutons aussi Bach, Mozart, James Brown, Jimmy Hendrix, Stevie Wonder, Bobby Mc Ferrin , Aretha Franklin, mais la musique qui prédomine pour nous c'est le Flamenco.

- Tu portes le même surnom que ton grand-père Farruco. Qui t'a choisi ce surnom?

- C'est mon grand-frère Farruquito qui a choisi ce surnom pour moi. Quand je suis né, je ressemblais à mon grand-père. Tout en me regardant, Farruquito qui avait 6 ans,  dit à notre mère 'Maman, je veux qu'il s'appelle Antonio et qu'on le surnomme Farruco' et ma mère accepta. C'est ainsi que je m'appelle Antonio 'Farruco'.

- C'est une grande responsabilité de porter le même surnom que le légendaire Farruco. Comment vis-tu cela?

- J'éprouve une certaine certaine fierté à porter ce nom, mais c'est aussi une lourde responsabilité pour moi, qui suis si jeune. Lorsque le public me voit danser il se dit 'Voyons ce qu'il est capable de faire le petit fils de Farruco, voyons Farruco'. Ainsi, chaque jour, il faut être à 100% de mes possibilités car je dois défendre mon nom et comme je suis fier de le porter, je m'en tire plutôt bien jusqu'ici. J'essaye en même temps de me perfectionner en tant qu'artiste. Je suis jeune, j'ai 20 ans cette année et j'ai toute la vie devant moi.

- Tu danses depuis tout petit, qui t'a enseigné le Flamenco?

- En réalité, personne ne me l'a enseigné car comment peut-on apprendre à un enfant à manger?. Il a faim, alors il mange, n'est-ce pas? Si tu lui apprend à marcher, dès qu'il sait marcher, qui lui apprend à prendre quelque chose et l'investir, à prendre un sucette et à la mettre dans sa bouche ou un ballon et jouer avec? Personne ne lui apprend cela, c'est simplement l'instinct qui le pousse à agir ainsi. C'est donc mon instinct qui m'a poussé vers 2 ans à danser ca je voyais et j'écoutais tous les jours du Flamenco. A 8 mois de grossesse, ma mère continuait à danser. Avant de naitre j'étais déjà imprégné de Flamenco. Personne ne m'a dit 'Tu dois être bailaor' ou 'Tu dois écouter du Flamenco'. Personne ne m'a appris le Flamenco bien que j'ai eu des maitres. Mon grand-père me donnait des cours. Quand il mourut, j'avais 10 ans et j'avais déjà dansé pendant 4 ans avec lui. Puis mon frère et ma mère m'ont aidé. Il y a aussi la part personnelle, celle que j'ai mise.

- Qu'est-ce qui caractérise le style de baile de l'école de Farruco?

- Je vais te répondre comme un aficionado et non comme le petit fils de Farruco et comme un danseur. Je suis aficionado au cante, au baile et à la guitare. Je suis aficionado au Flamenco en général. Donc, j'ose dire que l'école de Farruco n'est pas meilleure ni pire qu'une autre, mais elle est différente. Elle est différente par son originalité car à l'intérieur de cette originalité il y a la  la tradition du Flamenco puro. Mais en même temps, le Flamenco que nous faisons est actuel, enrichi de musiques, de costumes, de lumières et de scénographies. Nous continuons quand même à conserver les racines du Flamenco, celui que nous a enseigné notre maitre. Le baile Flamenco est déjà inventé. Il n'y a plus de créateur du Flamenco. Il y a différents styles comme celui de Carmen Amaya, de Farruco, de Gades. Le style que Farruco est très personnel. Personne ne lui a dit comment on danse por solea ou comment faire des palmas. Il a crée son propre style de Baile. Nous conservons ce style de danse et en même temps nous l'enrichissons musicalement et d'un point de vue rythmique. Nous partons des racines, des bases du baile. Comme les autres nous dansons accompagnés à la guitare et au cante, mais nous pouvons aussi être accompagné d'un orchestre. C'est ce qui a changé(...) J'ai dansé avec des danseurs de claquettes. Je dansais du Flamenco et je ne faisais pas de claquettes pourtant j'ai fait de la fusion. Il n'est donc pas nécessaire de changer sa façon de danser pour être plus moderne car le Flamenco est le Flamenco.

- Qu'est-ce qui t'inspire dans ton baile?

- Selon l'état d'esprit que j'ai, selon ce qui se passe dans ma vie, selon comment je me suis levé le matin, selon le théâtre qui me reçoit... il y a beaucoup de paramètres qui influencent ma manière de danser. Ce n'est pas une question de forme physique. Il se peut que je sois fatigué et que j'écoute un chant qui soit en relation avec ce qui se passe dans ma vie pour que je sois très motivé dans ma danse. Si le guitariste fait une falseta d'El Niño Ricardo, Sabicas, Ramon Montoya ou Paco, cela peut aussi m'enthousiasmer.

- Il y a quelques années, tu étais venu avec ta famille présenter le spectacle 'Farruquito y Familia', dans un théâtre parisien. La représentation n'a pas eu lieu et le public qui était présent était très déçu. Que s'est-il donc passé?

- Oui, je vais t'expliquer ce qui s'est passé. C'était le jour de l'enregistrement du DVD. Nous étions tous préparés, tout était clair. Deux heures avant le début du spectacle, alors que nous étions tous réunis avec une énorme envie de danser, il y a eu une défaillance dans le système électrique, dans le théâtre. Les ampoules des projecteurs se sont mises à griller. Il y a eu un court circuit. Notre technicien des lumières voyant cela dit qu'il fallait réparer cette panne.  On donna l'avis au public que le spectacle aurait un peu de retard. Bien que ce ne soit pas son travail de monter jusqu'aux rampes des projecteurs, notre technicien monta, mettant en danger son travail et son corps car monter si haut est dangereux. Par professionnalisme, il monta pour essayer de réparer la panne, mais il se rendit compte qu'il ne pouvait rien faire. Des éclats de verre étaient tombés au sol. Une carcasse de projecteur était tombée. Personne était dessous, la salle du théâtre était encore fermée, heureusement. Comme c'était le jour prévu pour l'enregistrement du DVD, que le producteur avait mis beaucoup d'argent dans les caméras et qu'un DVD et que cela doit se réaliser avec des lumières spécifiques, je dis au producteur 'Nous n'allons pas perdre tous les deux. Nous allons quand même danser et tu enregistreras le DVD une autre fois'. Le producteur accepta et le technicien des lumières descendit et annonça que sur 60 ampoules, 50 étaient grillées. On ne pouvait danser avec si peu de lumières et en plus de cela, nous risquions de recevoir d'autres éclats de verre si nous dansions sur la scène. C'était dangereux et le public n'aurait pu apprécier le spectacle dans ces mauvaises conditions. Le public était entré. Très angoissées, nous sommes sortis tous des coulisses et sommes montés sur la scène. Mon frère  a pris le micro et en s'adressant au public il a expliqué tous les problèmes techniques. Provenant de Séville, toute la compagnie était depuis deux jours, à Paris, pour danser. Mon frère a rajouté 'Notre sécurité avant tout. Si un projecteur tombe à nouveau et qu'il nous tue?'. Nous ne pouvions prendre ce risque et le spectacle devait avoir lieu dans des conditions spécifiques pour que le public l'apprécie. Voila ce qui s'est passé.

- Je comprends, c'est très décevant pour vous aussi... Penses-tu que le Flamenco puisse changer l'être humain et de quelle manière?

- Certainement. Dans le Flamenco, la sensibilité et les sentiments prédominent. Celui qui vit comme un Flamenco, c'est une vie très saine car l'unique vice et l'unique drogue d'un Flamenco c'est chanter, danser, écouter. Pour comprendre le Flamenco, il faut avoir une grande sensibilité. Tout le monde n'a pas la faculté d'écouter un chant et de pleurer. Pour que cela arrive, il faut être sensible. Le flamenco aide les personnes 'froides' à s'ouvrir. On leur dit 'Assieds toi ici jusqu'à 4h du matin en regardant les étoiles et en écoutant le Flamenco, pleure et soulages toi.' Quand on fait cela, on se réveille le matin et on voit la vie d'une autre manière. C'est pour cela aussi que le Flamenco est une manière d'être.

- Ton dernier spectacle 'Al Natural' continue-t-il de tourner?

- Ce spectacle a tourné pendant plusieurs mois et maintenant je prépare un nouveau spectacle. Je vais faire des choses que je n'ai jamais faites auparavant. Je vais danser accompagné de nouveaux instruments. Il y aura aussi un nouveau corps de Ballet. Même si je suis issu d'une famille baignant totalement dans le Flamenco, que j'ai un grand père puriste, dont je suis fier et à qui je doit tout, j'ai aussi mes préoccupations, ma vision des choses. Si tu regardes la manière de danser de mon grand-père, de mon frère et la mienne, tu remarques que nous sommes très différents que chacun a sa manière de danser. Dans ce spectacle qui portera mon nom, je souhaite montrer comment je vois le Flamenco.  Je compose la musique, j'écris les letras et je travaille aussi la scénographie. Il y aura des musiciens impressionnants, une très bonne production. Je crois que nous le montrerons l'année prochaine. Dans quelques semaines, je serai au festival de Châteauvallon, en France, puis je pars au Mexique. J'ai fait une tournée en Andalousie. En août, je serai à La Union, puis à Madrid et à Barcelone. Puis je voudrais prendre deux mois pour me consacrer entièrement au montage de mon nouveau spectacle car cela nécessite beaucoup de travail.

- Aurais-tu un message, un conseil à donner aux Flamencos?

- Oui, j'aimerais dire quelque chose à mes amis et aux jeunes qui se lancent dans le Flamenco. Nous devrions lutter davantage pour revendiquer non seulement le mot 'Flamenco' mais aussi la raison pour laquelle nous faisons du Flamenco. Nous devons montrer aussi à tout le monde ce qu'est le Flamenco. Il y a des jeunes qui dansent très bien et pour qui c'est difficile car il n'ont pas la chance de trouver un travail. Alors ils changent leur manière de danser pour être commercial. Je ne crois pas que ce soit la bonne voie car si on arrête de revendiquer son identité, jamais on ne sera satisfait. Il faut poursuivre  dans le Flamenco avec authenticité. Essayer de plaire au public, pourquoi pas, mais avec sa personnalité et sa vision du Flamenco et toujours dans le respect du Flamenco et des maitres.

- Merci beaucoup Farru pour ce moment de partage et à très bientôt...

 

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