Interview de Fani Fuster
réalisée par Isabelle Jacq en janvier 2008
pour Musique Alhambra

- Fani, tu as
vécu plusieurs années à Séville avant de revenir dans ta ville natale à
Toulouse. Pourquoi as-tu choisi Séville pour te former au Flamenco ?
- J’ai fait du
Flamenco pendant 4 ans à Toulouse avec Isabel Soler et j’ai
rencontré Manolo Marin lors d’un stage à Mont de Marsan en 1996.
impressionnée par son enseignement je suis partie l’année suivante, en
97, étudier le Flamenco avec lui, dans son académie au cœur de Triana.
Dans les cours que je suivais, il y avait Rafael Campallo, Beatriz
Martin, Fernando Romero. C’était encore la grande époque où tous ces
grands artistes prenaient des cours avec le Maestro. Je pensais
rester à Séville 6 mois car je faisais des études de droit et, comme
j’étais au milieu de mon DEA, j’avais envie de vivre mon rêve avant de
rentrer dans une vie trop fermée. Je suis partie en Espagne dans cet
état d’esprit et, en fait, je suis restée 8 ans à Séville. Chaque année
j’ai eu une nouvelle opportunité qui me poussait à rester plus
longtemps. J’ai obtenu une bourse du Ministère de la Culture pour mes
études chorégraphiques puis j’ai eu mon premier contrat
professionnel (en Australie) ;les contrats s’enchainaient les uns après
les autres jusqu’à ce que j’intègre la compagnie Israel Galvan.
- Comment as-tu
vécu ton apprentissage à Séville ?
- Je suis partie à
Séville pour étudier avec Manolo Marin, mais j’ignorais à
l’époque que chaque ville possédait un style propre, qu’il y avait une
école de Grenade, de Cadiz, de Jerez , de Séville. Je me suis aperçue
plus tard que j’ai eu de la chance de me former à Séville car le style
Flamenco de Séville me correspond.
- As-tu étudié dans l’Académie de Manolo Marin pendant les huit années
où tu as vécu à Séville?
- J’ai toujours gardé un lien privilégié avec Manolo
et son académie. 0n y respirait, on y vivait et on y apprenait le
flamenco. Longtemps après avoir été son élève, alors que je travaillais
tous les soirs dans un tablao Sévillan, Manolo m’a rappelé et m’a
proposé d’être sa répétitrice dans tous ses cours, des intermédiaires
aux professionnels. J’ai été très honorée de cette confiance. Notre
collaboration a duré un an et demi, pendant lesquels je me suis nourrie
jour après jour de sa longue expérience et de son immense savoir.
- Tu es revenue
à Toulouse en 2006 et tu as ouvert ton Académie de danse. Ton retour à
Toulouse, comment s’est-il passé ?
- Au début j’ai
beaucoup hésité quand il a été question de rentrer en France. Séville,
c’était fabuleux pour moi mais je n’envisageais pas ma vie là bas. En
fait, je me sens très française dans ma façon d’aborder les choses même
si j’ai des origines majorquines, par mon père.
- Nombreux sont
les artistes avec lesquels tu as collaboré et avec lesquels tu
collabores encore. Pourrais-tu nous citer quelques-uns uns d’entre eux ?
- J’ai collaboré
avec des artistes passionnants tels que Juan Carlos Lerida ou
Mari Angeles Gabaldon, mais l’aboutissement a été pour moi la
rencontre avec Israel galvan. Je suis rentrée dans sa compagnie
pour la création de Galvanica lors de la Biennale de Flamenco.
Nous étions 12 danseurs. Puis il m’a rappelée en tant que soliste. Je
dansais seule, mais également en duo et en trio avec Pastora Galvan,
et Israel. Travailler avec lui a ouvert de nouveaux horizons
dans ma danse et dans ma manière d’aborder le flamenco.
- Qu’est-ce qui
t’a le plus fasciné chez Israel Galvan ?
- Lorsqu’il
danse, il y a une pensée et une conscience derrière chaque geste. Quand
on est à côté de lui on ressent une énergie formidable, une vibration
intérieure réellement puissante. Pourtant, c’est un homme simple et
adorable. Etre près d’un génie, même si c’est dur sur le moment est une
immense chance. Il suffit de se laisse pénétrer par sa présence.
- Il t’a donc
beaucoup apporté, n’est-ce pas ?
- Oui,
certainement. D’ailleurs, à cette période, je me demandais pourquoi il
m’avait choisie comme soliste dans son spectacle ; j’ai compris plus
tard car il m’a donné les explications que j’attendais. Il m’a dit les
mots suivants ‘parce que tu as une lumière que très peu de gens ont sur
scène. Continue le Flamenco, tu trouveras ta place’. A cette période je
doutais beaucoup de moi, je ne me sentais plus à ma place à Séville et
j’avais même l’intention d’arrêter la danse. Après ce qu’il m’a dit,
j’étais véritablement rassurée et ces propos ont redonné un sens à mon
parcours. Quelque chose est resté de cette collaboration, même si, à
l’époque, cela ne se voyait pas encore.
- Comment
caractérises-tu ta manière de danser?
- En fait, je me
situe à la croisée des chemins. Des « traditionnels » à l’école
sévillane qui met l’accent sur la féminité, la douceur et le
raffinement. J’ai été influencée aussi par la recherche, l’esthétique et
le sentido de la danse d’ Israel Galvan et d’ Andres
Marin. Chez Manolo Marin, ce qui m’a le plus touchée c’est
l’esprit dans lequel il aborde la danse, son coté facétieux, son énergie
et son exigence artistique . Et bien sûr comme la plupart des
danseuses de ma génération par la grande Eva. Je cherche à
absorber en observant la danse de ceux qui m’inspirent et je retranscris
cela, à ma façon, dans mon corps. J’ai aussi une démarche artistique
personnelle car le Flamenco est un chemin vers moi, cela m’a permis
d’être moi même, de me connaître et de trouver une voie qui me
corresponde. A ce sujet, je mène une recherche artistique passionnante
avec José Sanchez, guitariste qui a un vécu très particulier avec le
Flamenco. Il joue depuis l’âge de 6 ans, c’est un passionné qui a aussi
une façon très personnelle de jouer et de voir le Flamenco. C’est le
partenaire idéal pour explorer, avancer et chercher une vérité qui est
la mienne au travers du Flamenco. Quand je danse, je recherche cette
énergie concentrée et retenue qui peut exister dans une note, un
silence, un geste. En fait, je cherche à désapprendre, pour construire
quelque chose qui m’appartienne.
- Le Flamenco
permet d’exprimer toutes les émotions. As-tu tendance à vouloir exprimer
certaines émotions plus particulièrement ?
- C’est sur qu’il y une véritable joie
qui m’envahit quand j’entends de la buleria, ou des tangos,
j’ai le sourire qui monte. Je réagis d’une manière très enfantine, c’est
comme si je mangeais un bon gâteau avec plein de crème. En fait, quand
je danse, j’aime aussi exprimer tous les sentiments, les contrastes, les
contradictions, passer d’un état extrêmement expressif à un état de
relâchement total. J’aime jouer avec les contrastes et les ressentir
physiquement, essayer par mes collaborations artistiques de les faire
vivre et qu’ils existent également, chercher tout ce que l’on peut être.
Le flamenco permet d’être tout.
- Parmi tes
collaborations artistiques, tu as travaillé dans un spectacle qui mêle
le cirque au Flamenco. Quel était ton rôle dans ce spectacle ?
- C’était avec
Aurélien Bory, de la Compagnie 111. J’intervenais en tant que
danseuse. Ses spectacles tournent dans le monde entier. Actuellement il
est au Théâtre de la Ville de Paris avec un spectacle qu’il a monté avec
l’Opéra de Pékin. Pour nous, c’était une première.
- Actuellement tu
participes en tant que danseuse au spectacle ‘Le divan du Tamarit’ avec
Vicente Pradal. Pourrais-tu-nous en parler ?
- Pour moi, ce
spectacle, c’est un peu comme une performance car je suis en scène
pendant 1h30 . C’est un spectacle qui reprend les derniers poèmes de
Lorca. Ce n’est pas le Lorca, engagé, citoyen, mais un
Lorca intime qui parle de lui, de son rapport terrifié à la mort et
à l’amour dans l’Espagne « pré franquiste ». C’est une langue très
belle, pleine de fulgurances et de poésie qui crée une ambiance un peu
surréaliste. Travailler sur les mots m’a permis en tant que danseuse
de rentrer dans un monde imaginaire, et abstrait tellement nécessaire à
la création. J’ai eu beaucoup de liberté dans mon travail. Au préalable,
Vicente Pradal m’a beaucoup parlé de Lorca pour nourrir mon
univers de ses visions et de ses angoisses .Ce sont des émotions
universelles.
- -
As-tu été dirigée par le metteur en scène dans ton rôle ?
- José Manuel Cano a réalisé la mise en scène du
'Divan du Tamarit'. Il souhaitait que je sois le personnage central afin
de faire lien entre tous les artistes et d’incarner l’âme Lorquienne
dans la représentation de la mort.
- Qui sont les
artistes qui interviennent dans ce spectacle ?
- Vicente
Pradal intervient en tant que chanteur et directeur musical. Au
piano, il y a Rafael Pradal, le fils de Vicente, au chant,
Servane Solana et Alberto Garcia. Au violoncelle,
Emmanuel Joussemet, au Saxophone, Hélène Arntzen, musicienne
qui travaille toujours avec Vicente dans ses productions. Il y a
aussi les comédiens Françoise Cano Lopez et Alain Papillon.
C’est une équipe formidable avec laquelle j’ai pris énormément de
plaisir à travailler.
- En parallèle
de ton métier de danseuse, tu enseignes le Flamenco, dans ton Studio, à
Toulouse. Qu’est ce qui te motive dans ce travail de pédagogue ?
- Je donne des
cours de flamenco et sévillanes, pour tous niveaux, pour enfants et
adultes , j’aime ça et je le revendique! Mes élèves ont souvent
beaucoup de choses à exprimer mais ne savent pas toujours comment. Nous
cherchons la voie ensemble au travers du Flamenco. Il y a évidemment un
travail technique, mais j’insiste sur le fait que le Flamenco est un
formidable moyen pour s’exprimer et redonner vie. Je crois que j’arrive
à leur transmettre ce message, car je vois qu’elles sont toutes
magnifiques à un moment donné du cours.
- Les cours
sont-ils accompagnés à la guitare et au chant ?
- Oui, les cours
sont accompagnés par la guitare de José Sanchez, le cajon de Max
Richard et parfois au chant.
- As-tu des
projets de collaboration ?
- Je monte un
spectacle avec José Sanchez. La première aura lieu pendant le festival
« Un week en avec Elles » au théâtre d’ Albi, le 23 mars 2008 . Il y
aura aussi Alberto Garcia et Cristo Cortes au chant et Max
Richard à la percussion. Mais je ne vous en dis pas plus sur cette
nouvelle création….
- As-tu le
projet de constituer ta compagnie avec d’autres danseurs ?
- Pour l’instant,
je travaille sur une écriture personnelle, que je veux asseoir avant
d’avoir quelque chose à transmettre à travers des corps qui ne sont pas
le mien. Créer ma compagnie, je pense que cela se fera plus tard… cela
fait partie des ‘possibles’
- Merci Fani !
nous aurons le plaisir de te voir danser dans le cadre de
ta prochaine
création, le 23 mars 2008 au Théâtre, à Albi.

Visiter le site Web de Fani Fuster:
http://www.fanifuster.com
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