Interview de Dolores Agujetas réalisée par Isabelle
Jacq 'Gamboena',
en mars 2009, pour Musique Alhambra

Dolores Agujetas
- Dolores, nous sommes très heureux de te voir parmi
nous, au théâtre de l'Epée de Bois, dans le cadre du Festival 'Voix de
femmes'. Comment ressens-tu l'ambiance du Festival?
- Je suis très contente d'être ici. On ressent de
l'amitié et tous ceux qui sont ici et qui organisent ce festival sont de
bonnes personnes.
- Pour toi, la journée Internationale de la femme, est-ce
une fête importante?
- En Espagne, il y a la fête des mères, la fête du
travail, mais je ne savais pas qu'il y avait la fête des femmes. Je
n'étais pas au courant car je me réunis pas spécialement avec des
femmes.
- Tu es la fille d'une dynastie gitane, Los Agujetas. Ton
chant transmets ce savoir mais tu détiens en même temps un style
particulier. Comment as-tu affirmé ta façon de chanter?
- Je viens de là où sont mes racines qui sont celles de mon père. Mon père c'est le seul
Maestro pour moi,
aujourd'hui et pour toujours. Il y a beaucoup de grands cantaores, mais
pour moi c'est le seul, l'unique. C'est le plus important professeur, il
dirige la meilleure école, c'est la plus grand Maestro, le meilleur
d'Espagne et d'ailleurs. C'est lui qui m'a tout donné. Il m'a donc
beaucoup influencé. Il y a eu beaucoup de bons chanteurs, mais on ne
peut pas dire qu'ils sont morts. Ils sont vivants car on les porte en
nous, lorsqu'on chante. Mon père chante comme on chantait dans l'ancien
temps. C'est ce que je porte. Je chante comme Agujetas, comme Manuel
Torre, comme Chacon...c'est une dynastie que je porte en moi. S'ils étaient
morts, le Flamenco n'existerait plus.
- As-tu un message à adresser aux Flamencos
d'aujourd'hui?
- Non, je n'ai pas de message particulier à diffuser. Le
seul message que je reçois moi-même, c'est quand j'écoute mon père
chanter. Personne d'autre ne peut me donner de messages.
- Quels sont les palos que tu préfères?
- Il y en a beaucoup: la seguiriya, solea, Martinete,
Solea 'pa escuchar', Bulerias, Tientos, Tangos, Arbolea, Malagueña,
Taranto et d'autres encore...
- Il y a des gens qui distinguent le cante Gitano du
Flamenco; pour toi, est-ce une seule et même chose?
- Le Flamenco, je ne connais qu'à travers un 'oiseau',
mais le mien n'est pas Flamenco. C'est un cantaor Gitan de Jerez de La
Frontera, là où il y a les meilleurs du monde.
- Donc, pour toi, c'est du Flamenco...
- Oui, aujourd'hui on appelle cela du Flamenco, mais
nous, dans l'ancien temps, nous ne disions pas 'Allons écouter du
Flamenco' mais nous disions 'Allons écouter du cante'.
- Que penses-tu du Flamenco qui est pratiqué en France?
- Je connais beaucoup d'artistes Flamencos qui sont de
Jerez, de France ou d'ailleurs. Maintenant le Flamenco est partout, dans
le monde entier. Pour moi, un artiste français fera la même chose qu'un
artiste japonais, par exemple. Aujourd'hui, le Flamenco est tellement
commercial! C'est pour cette raison que mon chant, on ne peut l'appeler
Flamenco.
- A ton avis, est-il possible pour tout le monde
d'apprendre le cante Flamenco?
- Si cela te plait beaucoup, tu peux l'apprendre comme le
français ou le japonais l'apprend et le chante bien. Mais il faut que
cela te plaise beaucoup.
- Tu as enregistré deux albums.
Pourrais-tu nous en parler?
- Le premier, 'Hija del Duende' je l'ai réalisé
avec mon fils Antonio. Nous l'avons autoproduit car aucune maison de
disque n'aurait accepter de produire un disque de ce genre, loin de tout
style commercial. Nous l'avons enregistré en une journée, tout comme le
deuxième disque 'Dolores' paru en 2004 où, cette fois, Parilla
de Jerez m'a accompagné à la guitare.
- Comment définirais-tu le Duende?
- Le mot Duende, c'est quelque chose que tu portes à
l'intérieur de ton âme et qui exprime ce que tu dois exprimer, tout en
sachant que toi, ici, tu as un duende. C'est cela le duende.
- On dit que tu interprètes
plutôt du cante Jondo. Qu'en penses-tu?
- Les gens, comme ils ne comprennent pas le chant, ils le
qualifient de cante jondo. Ce n'est pas forcément du cante
jondo. C'est du cante de mes racines, imprégné de sentiments,
de souffrance, d'expression et de caractère. A l'intérieur, tout y est.
L'ancienneté des gitans, du plus vieux au plus jeune, du plus petit au
plus grand. Je viens donc de là, de la pureté, de la transcendance, du
peu que j'ai écouté des autres générations sachant que c'est là bas
qu'est la pureté.
- D'après toi, un chanteur se fait
meilleur en vieillissant où le talent est-il totalement indépendant de
l'âge et de l'expérience de la vie?
- Je ne sais pas. Si quelqu'un le pense, alors il est
nécessaire de le répéter, mais moi, je crois qu'avec l'âge on apprend
plus, non parce que l'on chante mieux ou que l'on chante moins bien;
seulement, on continue à apprendre. Celui qui veut peut apprendre comme
on dit le 'cante jondo' et le cante commercial ou le
Flamenco, comme tu préfères l'appeler.
- Qu'est-ce qui te fait chanter? la
douleur ou la joie?
- Ni l'un ni l'autre. Comme je suis une aficionada
et que j'aime tant chanter, le fait d'avoir écouté ces chants depuis que
je suis toute petite m'aide beaucoup. C'est aussi plus facile quand on
porte un bon nom et de vivre là où je suis née. Je suis issue d'une
famille de chanteurs et comme mon grand-père et mon père, j'ai écouté le
golpe, le marteau, l'enclume, le son du fer, l'appel du charbon.
C'est cela qui me fait chanter.
- Quels sont tes projets?
- Mes projets? je parlerais plutôt de mon projet: faire
avancer mes enfants, qu'ils soient les chanteurs les plus purs, qu'ils
sachent écouter.
-Tu défends une manière
de chanter...
- Je défends la forme de cante que je porte en
moi, quand je chante. Je respecte ce que font les autres, chacun a le
droit de faire ce qu'il veut. A qui cela plait, tant mieux, à qui cela ne
plait pas, qu'il fasse ce qu'il veut.
- Donc, pour toi, la tradition c'est
quelque chose de fondamental...
- Vue la manière dont j'ai vécu et celle dont je vis, il
est clair que la tradition a beaucoup d'importance. Chacun possède une
tradition. Par exemple, la tradition c'est de faire le gâteau que
faisait ta grand-mère et de te rappeler sa façon de faire. Je fais ce
que fait mon père et lui, il fait ce que faisait mon grand-père et ma
grand-mère.
- Les Letras que tu chantes, elles
sont traditionnelles aussi, n'est-ce pas?
- Bien sur, elles sont traditionnelles car elles sont
très jolies. Quand on dit 'Ay', c'est quand on a mal quelque part et ce
mot, il faut le chanter bien. Quand ta mère chante et qu'un jour elle te
quitte, ou les enfants...comme je suis très maternelle et que j'aime
beaucoup ma famille, c'est ça qui a de l'importance pour moi et les
letras évoquent aussi tout cela.
- Merci beaucoup, Dolores, pour ce
moment que tu nous a accordé et à très bientôt!
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Interview réalisée en mars
2009, dans le cadre du Festival Voix de Femmes organisé par
Flamenco en France en coréalisation avec le Théâtre de
l'Epée de Bois, à Paris. Remerciements à
l'équipe du Théâtre de l'Epée de Bois ainsi qu'à
l'équipe de 'Flamenco en France', en particulier à
Marie-Catherine Chevrier, Ingrid
Fouledeau, Marcos Velasco et Camill Rhoul.

Visiter le site Web de Flamenco en France:
http://www.flamencoenfrance.fr
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