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Interview de Deval Yali
Amaya 'La Sultana' réalisée par Isabelle jacq 'Gamboena',
en octobre 2009,
pour Musique Alhambra

-Devla, tu viens
d’Andalousie pour participer au Festival Cirko Galop, qui a
lieu en France, à Muizon, près de Reims. Tu t'y produis
durant trois jours consécutifs. Quel événement ou rencontre
est à l’origine de ta venue?
- Il y a 5 ans, je dirigeais l’école 'Prendia,
Escuela de Arte Gitano’ dans les grottes de Grenade.
J’avais remarqué plus particulièrement une de mes élèves car
elle avait une aisance incroyable et travaillait très bien.
Après un cours intensif, je lui ai demandé d’où elle vient
et ce qu’elle fait dans la vie. Elle m’a expliqué qu’elle
est acrobate de cheval et qu’elle aime beaucoup le flamenco.
Elle travaille ici, dans ce cirque. Par son intermédiaire,
j'ai été mise en contact avec les organisateurs du Festival
qui m’ont invitée à cette édition.
- Quelles sont tes
impressions sur ce Festival Tzigane ?
- C’est un grand plaisir pour moi de
participer à ce Festival. Il y a beaucoup de magie et de
grands artistes qui donnent envie d’ouvrir notre âme, notre
cœur et nos tripes. Ici, j’ai rencontré Boï, un des
grands artistes gitans qui vient de Camargue. Il est très
connu dans le monde gitan. Avec sa sœur, Alegrita,
ils ont participé à plusieurs films. Ce sont des gens très
appréciés.
- Boï et toi communiquez
en Kalo, c’est bien cela ?
- Oui, outre le fait que je parle 7 langues,
j’ai conservé aussi ma langue, comme Boï, ce qui est de plus
en plus rare, même en Espagne, même parmi les grands gitans
qui dansent le Flamenco. La plupart ont coupé avec notre
langue, l’âme de notre peuple. La langue c’est très
important ; c’est le rythme de notre âme et de nos
sentiments et le Gitan qui perd sa langue perd, dans le même
temps, ses racines et sa poésie. Comment peut-on parler de
l’essentiel si on n’a pas les pieds sur terre ? Le Flamenco
parle des éléments, de la nature. Voici quelques letras,
par exemple : ‘Que tiene la fragua, que tiene el rio…eres
como el viento…pero yo te siento, tu me haces sentir, llena
me de ti…’ tu vois, la nature est toujours présente.
Quand nous disons ‘J’ai envie de quelque chose’ en Kalo,
nous disons ‘Je brûle’. Notre langue vient du sanskrit, mais
il y a un mystère autour de l’origine de cette langue et
j’aime beaucoup le mystère et j’espère que nous resterons un
grand mystère. La connaissance des cartes de tarots est
préservée par les gitans. C’est notre tradition et elle
provient du livre de Thot, c’est à dire de la vieille
Egypte. C’est la deuxième partie de la Kabbale et c’est donc
un mysticisme très ancien. Les historiens qui parlent des
Gitans sont toujours des Gadjé. Ce n’est pas juste
qu’un Gadjo parle de l’histoire des Gitans car c’est
son interprétation et l’histoire est toujours un peu
manipulée. C’est aux Gitans de parler d’eux. Je peux dire
que nous sommes le plus grand mystère de l’univers et nous
sommes comme l’univers : un mystère. Notre langue, elle est
vieille comme la terre, comme l’air et elle est pure. Nous
sommes tombés des étoiles et nous venons de l’Inde mais
nous avons la même spiritualité que celle de l'Egypte. Nous
sommes passés par ce pays aussi. Nous ne sommes pas un
peuple ignorant. Nous avons une grande histoire, notre
culture est riche et nous vivons libres de toute
classification. C’est bon que les gens s’interrogent sur nos
origines, qu’ils bougent à leur tour comme le vent, comme la
terre et qu’ils arrêtent de penser. On veut leur dire à
chacun ‘Ferme les yeux et sens’.
- Dans ton spectacle, tu
chantes aussi, n’est pas ?
- Oui, j’essaye de sauvegarder notre langue
en interprétant des vieilles chansons Gitanes que ma
grand-mère chantait. J’ai besoin de chanter de temps en
temps.
- Que signifie ton prénom
Devla ?
- C’est le nom de la Sainte Devla. Ma
mère a choisi ce prénom en mémoire de Devla qui a
exaucé sa prière, car pendant plus de 10 ans, ma mère ne
pouvait avoir d’enfant. Elle a imploré pendant plusieurs
mois la Sainte Devla Kali et enfin, je suis venue au
monde.
- Quelle est ta conception
du Flamenco?
- Je danse le Flamenco Gitan et, pour nous,
le Flamenco n’est pas une chose esthétique. C’est l’histoire
de notre vie et quand je danse, j’improvise chaque jour et
danser ainsi c’est prendre des grands risques, c’est se
jeter sur le feu chaque fois. Dans ces moments là, quand on
jette notre âme sur le chemin, c’est là que vient le destin.
Par l’improvisation, nous laissons parler les esprits. C’est
ainsi que vivent les gitans. Je danse surtout quand je sens
la Kali qui est notre vierge, notre déesse. Quand
elle vient, elle me possède. Pour les Gitans, c’est une
véritable dévotion. Danser, c’est une manière de se mettre
en transe, d’ouvrir notre âme à des forces supérieures, au
duende. Actuellement, il y a beaucoup de danseurs qui
maitrisent très bien la technique ; ils font beaucoup de
bruits et ils bougent beaucoup, mais à l’intérieur
d’eux-mêmes, rien ne bouge. Ils ne travaillent pas cette
partie invisible et cette part qui est la magie, et ce mot
n’est pas tout à fait juste car la magie ça se fait, alors
que le duende, c’est quelque chose qui se laisse
venir ; C’est le présent, c’est être présent. Dans le bel
alibi de la danse, le Flamenco nous nettoie. Nous laissons
tous nos bagages et le passé, toutes ces vieilles choses qui
nous embarrassent. C’est avec ces forces qu’on est nettoyé
et qu’on est présent à ce moment là. Plus rien n’existe que
ce moment là. On voit bien d’ailleurs que quand on arrête de
penser, il y a une réalité, une vérité qu’on ignore et qui
est pourtant très belle, parfaite.
-
Pour toi, le Flamenco est en quelque sorte un chemin
initiatique, n’est-ce pas ?
- Oui, totalement. Peut-être que je comprends
cela car nous, les Kalé, Gitans ‘andaores’ ou
les Gitans nomades, nous voyons la vie comme un chemin et
non comme une chose statique. En fait, la vie est un
passage. Ma grand-mère connaît très bien les énergies et les
éléments naturels et la danse, c’est un peu de la
brujeria. Par exemple quand nous dansons por Solea,
nous faisons comme l’arbre qui plonge ses racines au plus
profond de la terre, nous allons dans notre obscurité, nous
marchons dans le monde de l’ombre en cherchant la lumière ;
puis arrive la montée et nous allons vers le monde visible
et nous montons tous ensemble toujours plus haut, vers la
lumière, comme les branches de l’arbre qui poussent et se
dirigent vers le ciel. Il est important de voir notre
obscurité, de se confronter à elle car nous ne pouvons la
fuir. Chaque fois que nous dansons avec elle, nous dansons
avec une partie de notre vie. La mort c’est la vie ; on doit
la toréer, on doit la danser pour l’apprivoiser. C’est ça le
Flamenco. Il y a eu, dans le passé, des grands artistes
comme Carmen Amaya qui se sont sacrifiés et donnés au
monde entier avant de disparaître. Alors, j’ai espoir qu’il
y ait, dans les nouvelles générations, quelques artistes qui
sortent du lot et qui feront bouger les mentalités.
- Tu as crée ton école
‘Prendia’ dans laquelle tu enseignes le Flamenco, n’est-ce
pas ?
- Oui, c’est une école itinérante mais
j’enseigne aussi dans un studio à Séville. C’est un vieux
studio et tous les grands y sont passés. C’est un lieu qui a
beaucoup d’histoire et de duende. Nous, les Gitans
nomades, nous avons appris que lorsque nous posons notre
caravane quelque part, nous recherch ons
toujours l’endroit précis, car c’est très important que ce
lieu nous convienne. Je donne des stages réguliers là bas
et, en parallèle, je donne des cours intensifs dans
différentes villes d’Europe et du monde. Les stages sont
toujours accompagnés au chant et à la guitare. Le grand
guitariste Carlos Heredia est un des accompagnateurs.
- Tu poses aussi pour de
grands photographes. Pourrais-tu-nous en dire un peu plus à
ce sujet ?
- Oui, j’ai d’ailleurs plusieurs nouveaux
projets concernant des photographies Flamencas Gitanes. Je
travaille avec ‘Soma y Luz’ une grande association
artistique d’arts visuels Gitans. Nous allons travailler la
photographie Gitane sur le thème des vieux arbres et des
paysages de duende à Séville. Je danserai dans ces
lieux et nous réaliserons des clichés photographiques. J’ai
un autre projet de photographie sur le thème de la Vierge
Noire, La Kali. Le Flamenco est préservé en
Andalousie grâce à la dévotion des anciens à la vierge. Nous
voulons lui rendre hommage de cette manière. Je danserai en
musique dans l’idée de transmettre le duende au
travers une image. Une modiste travaillera les costumes et
les couleurs pour que les photos ‘bougent’.
- Nous attendons avec
impatience les dates de tes prochaines expositions et
ton prochain passage sur la scène artistique, en France.
Merci Devla et à très bientôt.
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