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Une conversation de l'après-midi avec Diego El Cigala

Texte: Juan Cruz

Extrait du dossier de presse de l'album 'dos lagrimas' de Diego El Cigala

publié avec l'aimable autorisation d' Universal Music

 

- Comment tout cela a commencé, Cigala?

- Par ma relation avec Cuba et la musique cubaine- et il ne fait aucun doute que tout a commencé quand j'ai entendu et vu Bebo interpréter 'Lágrimas negras' (ce qui a donné le CD Lágrimas negras), avec Cachao, dans le documentaire Calle 54 de Fernando Trueba. La graine était semée et j'étais à jamais lié à Cuba. Je suis allé à la Havane pour la première fois en 2003 pour interpréter 'Lágrimas negras' avec Chucho Valdés au Théâtre Karl Marx, dans le cadre du Festival Cubadisco. C'est là que j'ai découvert le peuple cubain et compris qu'il avait beaucoup en commun avec les gitans dans son mode de vie, dans sa façon de ressentir les choses, avec des problèmes qui arrivent de tous les côtés. La musique est son charme et son mode d'expression le plus pur.

-Un peuple musical.

- Oui, j'ai été très impressionné d'apprendre que les gens avaient dormi sur les marches du Karl Marx pour acheter un billet (très cher pour les cubains, au moins un mois de salaire), bien que je n'aie pas été payé du tout et que la société espagnole des droits d'auteur ait pris en charge tous les frais. Bebo n'est jamais retourné à Cuba, mais j'ai noué un lien très spécial. J'ai beaucoup appris. J'ai découvert de nouvelles choses qui sont maintenant dans cet enregistrement, comme Dos Cruces (deux croix) que Tata Guïnes et Changuito m'ont chanté.

- C'est donc par hasard que vous avez rencontré Guillermo Rubalcaba. Le hazard. Picasso disait, et vous le citez: il faut être là à travailler pour que le hasard arrive.

- Oui, il faut être là. "Je ne cherche pas, je trouve" -n'est-ce pas ce que disait Picasso? et que les muses sont là, mais il faut qu'elles vous surprennent en plein travail. J'étais là, à Berlin, à travailler et prendre du plaisir à faire connaissance avec l'homme, qui a plus de quatre vingt ans. Il a connu le Cuba des années 1950, avec le son de cette époque d'une richesse musicale fabuleuse, le son que je cherchais. Les pianistes plus jeunes des années soixante et au-delà sont plus influencés par le jazz.

- Comment le décririez vous?

- Je ne suis pas du genre à définir les concepts. Musicalement, les cubains comprenaient déjà parfaitement ce que je cherchais. C'était une progression naturelle pour moi après 'Lagrimas negras', et j'ai presque cinq ans d'expérience là dedans maintenant. C'est ce qui compte, n'est-ce pas? Des années d'investissement dans ce domaine, sans déserter le Flamenco. Mais l'aventure s'est révélée extraordinaire, pas comme dans 'Lagrimas negras', où j'étais incapable de chanter dans la bonne tonalité, je ne savais rien et n'avais aucune expérience. Je n'avais jamais chanté avec accompagnement de piano et encore moins dans ces rythmes. Je ne savais pas ce qu'était un guaguancó ou un danzón. Je suivais intuitivement. Maintenant je suis beaucoup plus libre.

- Et Rubalcaba joue brillament du piano.

- L'original, c'était Guillermo. Il s'est débarrassé de toutes ces vieilles sonorités, de l'odeur du rhum hors d'âge. J'essaie toujours de m'immerger dans les figures légendaires, comme Rubalcaba ou Changuito et Tata Guïnes, "El Rey del Tambor" (Le Roi du tambour), qui est avec nous plus que jamais, grâce au souvenir qu'on a de lui, de même que Juana Bacallao ou Cachao. Les voir simplement à côté de moi parler l'un à l'autre, bavarder et discuter de ce qui marcherait le mieux pour moi, ce qui ne marcherait pas, voyez-vous? Les voir m'inspirait et me remplissait de calme. Bien que j'aime aussi travailler avec de jeunes talents; en fait, ma formation de base réunit Yesly Heredia, de Cuba, que je veux remercier pour faire le pont entre la musique cubaine et le Flamenco, et SabÚ Suárez Escobar, de la dynastie Porrina, qui a été l'architecte de la percussion, tant Flamenco que cubaine, pour tout le disque; mon guitariste, El Morao, qui a joué ce merveilleux solo sur la mélodie de Dos Gardenias, et Jumitus.

- Cet enregistrement est comme une sorte d'hommage à une ville, à certaines personnes, à un passé.

- C'est vrai. Prenez par exemple Compromiso, écoutez ce qui s'y dit: reproches, engagements..."Si tu es la voile, je suis le vent, si tu es la vallée, je suis la rivière, si tu es la blessure...

- ..."je souffre."

- C'est le reflet de la vie; on trouve des choses dans les chansons qui disent exactement ce qu'on voudrait dire: "Si tu es la blessure, je souffre.". C'est arrivé tout simplement, il fallait que ce soit sur Dos lágrimas. Voici comment: je regardais un film au petit matin, un film vraiment très fort, 'La noche de los girasoles' (La nuit des tournesols), où il est question d'un viol, et qui comporte une séquence avec la chanson 'nous n'avons pas signé de documents ni trouvé d'accord formel'. Le lendemain, j'ai téléphoné au studio pour dire qu'il fallait inclure cette chanson, et que  Reinaldo Creagh devait la chanter.

- L'enregistrement commençait alors à prendre forme.

- Tout à fait. Je dois m'assurer que les chansons sont dans la bonne tonalité pour moi. Si c'est une mélodie en mode mineur, elle s'adapte facilement au Flamenco. On écoute la mélodie et on dit: "C'est du Flamenco". Et tout se met en place. Quand j'étais à Berlin, j'ai vu Reinaldo, un homme de 90 ans, chanter dos gardenias avec Rubalcaba. Si quelqu'un doit partager cette mélodie avec moi, me suis-je dit, c'est cet homme de 90 ans.

- Comment le reste de l'enregistrement a-t-il pris corps?

- J'étais démoralisé en abordant María de la O. Je n'arrivais pas à m'en saisir. Je ne sais pas si c'est parce que je l'avais entendu chanter par d'autres chanteurs, comme Miguel de Molina ou Lola Flores qui en avaient fait de très belles versions. Nous l'avons pris plus lentement puis plus lentement encore. Je l'ai chanté je ne sais combien e fois, jusqu'à ce qu'un jour, en arrivant au studio pour chanter une autre chanson, je comprenne soudain comment il fallait que je fasse María de la O. J'ai crié à mon preneur de son, Álvaro: "Vas-y pour María de la O!" et c'est précisément à ce moment que c'est venu alors que j'étais seul dans le studio. La réponse était de ralentir le rythme que nous avions, de monter le tout d'1 demi ton, et je me suis trouvé associé à la tragédie de cette femme devenue une histoire, un roman.

- Que s'est-il passé avec Bravo?

- C'est une chanson très complexe. Tout le monde m'a dit de la laisser de côté, mais il y a quelque chose en moi qui disait sans cesse '"il la faut." D'abord parce que je l'écoutais depuis mon enfance, ensuite parce que j'avais entendu Bambino la chanter à la manière de cette danse qu'on appelle la Bulería.

-Une chanson sur la vengeance.

- Une chanson très cruelle sur la haine, la vengeance.

- Caruso est une autre chanson difficile.

-Nous ne savions pas au juste comment nous y prendre, jusqu'à ce que je trouve la réponse dans un rythme de tango. C'est affreux! Caruso transformé en tango argentin! Il ne manquait plus que le bandonéon, et un grand instrumentiste, bien sûr. Et c'est là qu'est arrivé Richard Galliano, qui se l'est approprié dès la première prise.

- Ces chansons ont tant de choses à dire.

- Elles me parlent beaucoup. Et si elles ne le font pas, je suis perdu. Quand je chante, j'écoute, totalement engagé, ressentant tout...Et quand je sens que tout s'est parfaitement passé, c'est un pur bonheur.

-Un miracle.

- C'est ça. La musique est miraculeuse: elle touche le cœur, relève les malades. Savez-vous ce que Bebo m'a dit? "Je continue, Diego, je continue grâce à la musique."

- Et vous aussi?

- Oui, moi aussi. Sans la musique, je ne serais rien.

- C'était un vrai risque, d'enregistrer Dos cruces.

- Oui. Changuito me l'a chanté à Cuba. L'idée m'est venue d'un coup. Quand je l'ai chanté il y a 3 ou 4 mois au Téatro de la Maestranza à Séville. J'étais là-bas avec Rubalcaba, Changuito et Tata Guïnes, et nous avons commencé: "Il fallait que ce soit Séville avec sa lune argentée". C'était étonnant et nous ne l'avions toujours pas enregistré. J'ai répété dans ma loge. Au moment de la prise test, j'ai dit: "Voyons comment marche Dos cruces." Mais nous avons alors eu une meilleure idée: "Devant le public!" C'est là qu'on lâche tout." Et c'était un baptême du feu, là, à Séville- il fallait que ce soit Séville. Curro Romero est venu me voir ensuite: "C'était comme entendre  Dos cruces pour la première fois! Comme lorsque ma mère me l'a chanté!" Juanito Valderrama, Dieu ait son âme, m'a un jour parlé de Dos cruces et m'a dit: "Fais attention à chaque détail, explore tout, explore les cuplés, et tu trouveras peut-être des choses merveilleuses." Et je pense que c'était le baptême du feu de Dos cruces.

- Que dit la chanson?

- Elle me dit Séville, elle me dit la vérité. Et un grand bonheur, c'est ce que je vous dis: Séville, Séville.

- Deux larmes, deux croix...

- C'est étrange, toujours deux.

- Et vous introduisez 'Gracias à la vida', quelque part...

- La vie m'a beaucoup donné, vraiment, beaucoup.

 

 

Album "Dos lágrimas" de Diego el Cigala: +Infos  

Visiter le site Web de Diego el Cigala: www.elcigala.com