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Interview de Cristina Hall, en février 2017

à Paris

Réalisation: Isabelle Jacq Gamboena

 

- Cristina Hall, Nous sommes très heureux de te voir à Paris et de savoir que tu donnes un stage de Flamenco à l’Académie de Flamenco d’Anita Losada. Quel est ton lien avec Paris ?

- C’est la première fois que je donne des stages à Paris, mais ce n’est pas la première fois que je viens à Paris. J’y suis venue il y a longtemps, même avant de danser le Flamenco! J’ai passé des vacances dans cette ville, vers l’âge de 15 ans. Mon premier spectacle à Paris, c’était à Planète Andalucia avec Manuel Gutierrez, puis avec la compagnie Yann Lheureux .

- Tu es née et tu as vécu aux Etats Unis. C’est aussi là bas que tu as commencé à danser le Flamenco. Peux-tu nous parler de tes débuts ?

- Je suis née à San Francisco, en Californie. Avant de me lancer dans la danse, j’étais musicienne ; je vouais du violon ; cela me plaisait, mais ce n’était pas ma passion. A l’adolescence, c’était le moment de chercher ma voie et de m’y engager. J’étais assez désespérée car je me cherchais sans me trouver. Un soir,  j’ai eu soudain une révélation : je devais danser le Flamenco ! J’ai regardé les pages jaunes pour trouver un professeur de Flamenco pour prendre des cours et j'ai commencé à me former.

- Ensuite, tu es partie à Séville pour continuer ta formation, n’est-ce pas ?

- Oui, une fois arrivée à Séville, le fait que je devais rester en Espagne pour devenir une danseuse professionnelle et donner des cours, c'était une évidence pour moi . Je suis partie d’abord à Madrid quand j’avais 18 ou 19 ans. Ce que j’ai trouvé à Madrid, ce n’est pas ce que je cherchais. Je suis donc partie à Séville et maintenant, cela fait 15 ans que je réside dans cette ville.

    - Quels sont les maitres que tu as eu, à Séville ?

- En fait, déjà quand j’étais à San Francisco, il y avait une femme danseuse qui s’appelait La Tania. Elle fit un spectacle dans lequel Andrés Marin participa. Quand je l’ai vu danser, j’ai compris que je devais apprendre à danser avec lui. Le lendemain, j’ai fait un stage qu’il organisait, tout en sachant que cela serait difficile pour moi. Pendant le stage, j’ai vraiment ressenti à quel point cela m’apportait beaucoup. Andrés Marin venait souvent à San Francisco par le biais de La Tania. Donc cela faisait une année que je dansais et, pendant le stage, il me demandait plusieurs fois de danser seule.  L’année suivante, il est revenu ; j’avais déjà un meilleur niveau. Andrés me demandais encore de danser seule, face aux autres.  Je pense qu’il a vu quelque chose en moi. Lorsque je suis allée à Séville, j’ai pris des cours avec Israel Galván et presque tous les professeurs de cette ville. Andrés Marin, Israel Galván et Manuela Rios sont les danseurs qui ont eu un réel impact sur moi.

- Je t’ai vu danser sur une Guajira; tu maniais l’éventail avec beaucoup de finesse. Quelle importance accordes-tu aux accessoires, quand tu danses ?

- J’apprécie tous les accessoires, mais tout dépend du contexte. J’essaye d’amener un sens au fait que j’utilise tel ou tel accessoire. Par exemple, si j’utilise l’éventail, ce n’est pas seulement pour me donner un peu d’air, mais je l’utilise par exemple comme instrument de percussions, ou comme les aiguilles d’une montre, etc. Il n’y a pas un accessoire particulier pour lequel je pourrais te dire qu’il me plait beaucoup. Ils me plaisent tous d’une manière égale et avec chacun d’eux, j’essaye de raconter ma propre histoire.

- Ta manière de danser le Flamenco est très personnelle, novatrice. Quelle est la raison qui t’a poussé à danser ? D’où vient ton style, est-ce quelque chose qui t’est venu spontanément, ou est- ce le fruit d’une recherche?

- Je danse pour me rencontrer; cela a toujours été très clair dans mon esprit, dès le début. Il y a beaucoup d’étrangers qui viennent en Espagne et qui veulent devenir Espagnols. Moi, je sais que si je danse, c’est pour aller à la rencontre de moi-même. C’est ma manière de me rencontrer et c’est une recherche quotidienne : vivre des choses et ensuite les transformer dans mon langage qui, dans mon cas, est le Flamenco. Beaucoup d’heures pour chercher à comprendre comment ton corps parle, et non chercher à imiter le langage d’une autre personne.

Comment procèdes-tu pour te chercher et pour te rencontrer au travers de la danse ? as-tu une méthode particulière ? dois-tu t’éloigner d’une partie de ton apprentissage, de tes maestros ?

- Oui, je dois m’éloigner d’un peu de tout ; les voir de loin mais ne pas les imiter. Voici un exemple : j’ai crée une pièce qui se nomme « Catharsis », et j’ai trouvé une musique qui n’a rien à voir avec le Flamenco, mais moi, quand j’ai écouté cette musique, j’ai vu une danse. J’ai donc mis la musique et j’ai laissé mon corps parler au travers de cette musique. Je ne cherchais pas une esthétique parfaite, mais je me laissais plutôt porter par la musique. Quand je vis des choses, ces choses m’habitent. Je me mets donc dans un studio et, à partir d’une sensation qui vient, le geste arrive aussi et exprime ce que je veux raconter. Le mental ne travaille pas, mais il y a beaucoup d’heures de travail pour parvenir à cela.

- Quelle est la part d’influence que la tradition du Flamenco exerce sur toi ?

- Pour moi, la tradition du Flamenco, c'est très important! Quand j’ai commencé, j’écoutais Juanito Valderrama, Pepe Marchena. Avant de connaitre Camaron, j’écoutais la Niña de Los Peines. Je m’enfermais dans ma chambre et j’écoutais pendant des heures car je savais que c’était la base de tout. Je regardais aussi les vidéos de La Chana, de Mario Maya, d’Antonio Gades. Par exemple, si je dois danser une Farruca, je regarde la danse d’Antonio Gades car, pour moi, c’est le numéro 1 dans ce palo.

- Pour une danseuse qui n’a pas d’origines andalouses comme c’est ton cas, a-t-il été difficile pour toi de t’intégrer dans milieu du Flamenco et d'y faire ta place, à Séville ?

- Cette position engendrait parfois un sentiment de solitude. Cette impression de venir d’ailleurs, d’être différente, m’éloignait des autres.  Au départ, cela a été difficile, mais maintenant, je me réjouis de cette situation car j’ai ma propre histoire.  Ainsi je peux apporter ce que j’ai vécu, ce que je connais ; ma mentalité est différente… et tant mieux ! Maintenant, ma différence est une force.

- Y a t-il une collaboration artistique dont tu souhaiterais nous parler?

- Ma collaboration avec Yann Lheureux est importante, d’autant plus que Yann  provient du milieu de la danse contemporaine et auparavant, du Hip Hop. Il a décidé de travailler avec moi et j’ai appris beaucoup à ses cotés.

- Comment avez-vous travaillé ensemble ?

- au début j’ai bien précisé à Yann que je ne fais pas de danse contemporaine, et il a voulu quand même que l’on travaille ensemble. Avec lui, j’ai travaillé sans miroir, et cela a changé ma façon de travailler, cela m’a aidé à chercher autre chose que l’esthétique du mouvement. Plutôt que de me demander de mettre mes bras ici ou là, Yann me mettait en situation. Même si nous étions dans la création d’un spectacle, nous improvisions beaucoup. Au travers de l’improvisation, mon corps m’amenait dans des recoins que mon mental ne m’aurait pas permis d’atteindre. Yann me disait « le corps est plus rapide que le mental, ne pense pas ! », et cela a beaucoup changé ma façon de danser et de créer.

    - Ensemble vous avez réalisé une création nommée « Cristina », en 2015, n’est-ce pas ?

- Cette création est une idée de Yann. Il voulait créer un spectacle pour trois femmes ; cette création se nomme en réalité « The rare birds ». Elle rassemble une danseuse contemporaine d’origine cubaine, une autre danseuse qui est de Paris et qui provient du hip hop contemporain, et moi, en tant que danseuse Flamenca. Lorsqu’il a décidé de m’engager, nous avons d’abord beaucoup parlé ensemble. Je lui ai raconté un peu mon histoire, ce que j’ai vécu à Séville, les moments difficiles aussi, en tant qu’étrangère. Je lui ai expliqué aussi mon combat intérieur entre la tradition Flamenca et la vision plus contemporaine de la danse, avec mon point de vue « d’étrangère ». C’était très intéressant de travailler dans cette création,  car je racontais ma propre histoire aussi dans la danse.

 - As-tu d’autres projets de spectacles ?

- Il y a un an, j’ai crée un autre spectacle "Translúcido" que nous avons présenté au Festival de Düsseldorf, avec Ana Perez et Carlos Carbonnel. Maintenant, j’aimerais réaliser une nouvelle création.

- Comment définirais tu ton lien avec le Flamenco ?

- Le Flamenco, pour moi, c’est là où je me sens libre. Il peut tout raconter. Quand je danse sur la scène, je sens que c’est le moment pour moi de raconter ma vérité. Mais, pour raconter sa propre histoire, il faut se connaitre d’abord en profondeur, et savoir en quoi le Flamenco nous parle, puis nous situer par rapport à cela. C’est un art qui est rempli d’émotions, de vie, des peines les plus grandes, des joies les plus intenses. Il est si riche ! Le chant, c’est ce qui me bouleverse le plus. Quand j’écoute  Pepe Marchena ou Manolo Caracol, des larmes coulent du plus profond de moi, mais je ne peux vraiment t’expliquer pourquoi.

 -  Quels conseils donnerais-tu aux danseurs qui souhaitent évoluer dans cet art ?

- Je n’aime pas particulièrement donner des conseils, car je ne crois pas en eux... mais je peux dire que, dans mon cas, la constance et le travail sont les maitres mots. C’est un métier très difficile mais très gratifiant, surtout d’un point de vue personnel. Pour avancer, il faut se connaitre, ne pas chercher à imiter les autres, être fidèle à soit même, beaucoup écouter les anciens, ceux qui ont crée des écoles… mais  la qualité importante c'est la constance.

- Comment perçois-tu le Flamenco actuel et son évolution?

- Le niveau a beaucoup évolué, et la technique ne cesse de se compliquer, mais il y a peu de gens qui m’émeuvent. Les artistes cherchent à tout compliquer, alors que, pourtant, je crois que la force réside dans la simplicité  c’est du moins ce que j’ai appris.  J’ai remarqué aussi qu’il y a une peur de l’évolution dans le Flamenco d’aujourd’hui. Avant, il n’y avait pas cette peur ; certaines vidéos anciennes sont parfois plus modernes que ce que l’on voit aujourd’hui ! Dans beaucoup de danses, actuellement, j’ai remarqué que c’est comme si l’on voulait revenir en arrière, maintenir une esthétique qui n’a plus rien à voir avec notre monde réel. Que  chacun fasse ce qu’il veut, mais, selon ma vision des choses, je crois que notre nature d’être humain est d’évoluer et il ne faut avoir peur de rien, le Flamenco ne va pas disparaitre, il est déjà si ancien !

Photos du stage de Cristina Hall, en février 2017, à l'Académie de Flamenco, à Paris:

Visiter le site web de Cristina Hall: www.cristinahallflamenco.com

Remerciements à Anita Losada de l'Académie de Flamenco, à Paris: Cliquer ici pour visiter le site de l'Académie