En 2014, Andrés de Jerez et
Samuelito se rencontrent au festival Arte Flamenco de
Mont-de-Marsan, qui marque le début d'une belle amitié ponctuée
de collaborations artistiques. De cette rencontre, un projet
commun est né, faire un disque de flamenco puro, celui de
l'émotion comme le cante d'Andrés, celui de la fraîcheur
comme le toque de Samuelito. C'est ainsi que l'album « Arañando
el alma » a vu le jour et que le public parisien a eu le bonheur
d'assister à la sortie de cet opus, lors d'un concert qui a eu
lieu le 12 janvier 2018, à la Chapelle des Lombards. Nous avons
eu le plaisir d'y assister et de retrouver Andrés et Samuelito,
quelques temps après, dans un café parisien, pour un entretien
chaleureux et imprégné des aromes de Jerez:
- Andrés de Jerez, tu es
un cantaor de Flamenco puro bien connu des aficionados. Parles nous
de Jerez, ta ville natale et de tes débuts dans le chant.
Andrés:
- J’ai grandi dans une
famille qui, sans être des artistes, étaient des aficionados au
bon cante. Même s’il aimait le chant, mon père ne voulait pas
que je devienne chanteur. Alors, mon grand-père m’amenait en
cachette dans des lieux où on pouvait écouter le chant. Tout
petit, vers l’âge de 5 ans, il m’amenait à la peña Los Tabancos
dans le quartier El Chicle de Jerez ainsi qu’à la peña El
Cordobes. C’était une peña taurine mais plus flamenca que
taurine. Il y avait beaucoup de fêtes Flamencas là bas. Parmi
les Flamencos qui fréquentaient ce lieu, il y avait Agujetas, El
Moneo, el Torta, Rubichis, tous les gens du Flamenco. J’étais un
enfant, et je chantais mes petits fandangos tandis qu’ Agujetas,
el Torta m’interpellaient pour que je continue à chanter mon
répertoire. Je n’avais pas honte de chanter devant ces grands ! Le
chant est toujours sorti de mon âme avec beaucoup de sincérité.
- Tu as bien connu ces artistes,
n’est-ce pas ?
Andrés:-
Oui, j’ai bien connu tous
ces artistes. J’ai connu le père, le fils ainsi que grand père Agujetas à qui j’ai dédié ma
Solea dans mon disque
« Arañando el alma ». J’ai bien
connu aussi El Tio Chalao ; je l’ai fréquenté durant les 15
dernières années de sa vie, à la peña la Buleria. Je fréquentais
aussi El Moneo, Los Mijitas. El tio Negro, je l’ai bien connu aussi.
-
Comment
as-tu appris à chanter ?
Andrés: Je n’ai pas appris à chanter ; cela ne s’apprend pas.
Je le porte en moi. Dieu m’a donné le don de chanter et il m’a
aussi donné la chance d’être en relation avec les meilleurs
Flamencos.
- Quand as-tu décidé d’en faire ton
métier ?
Andrés:- Je chantais beaucoup, lors d’évènements comme les
baptêmes, les mariages et les fêtes. On m’emmenait dans beaucoup
d’endroits, notamment à la la peña Los Cernicalos pour
chanter. C’est la 3ème peña la plus ancienne d’Andalousie. J’y
allais depuis l’âge de 14 ans. Là bas, je fréquentais les bons
aficionados qui avaient connu directement Manuel Torre. Je
chantais avec eux. C’est aussi dans cette peña, en 1989, que je suis
monté sur scène et que j’ai chanté officiellement pour la
première fois lors d’un cycle Flamenco qui y était organisé.
-
Le 12 janvier 2018, tu as donné
un concert mémorable à la Chapelle de Lombards, à Paris, pour
célébrer la sortie de ton premier album « Arañando el alma ».
Nous avons eu la chance d'assister à ce concert. C’était vraiment une
soirée magique !
Andrés:-
Oui, cette soirée était
imprégnée d’aromes Flamencos, tout d’abord parce que ma femme
m’avait concocté une surprise. Je voyais bien qu’elle préparait
quelque chose pour ce concert, mais elle ne voulait rien me
dire. Au début du concert, le public et moi avons découvert ce que c’était : on
entendait un enregistrement sonore dans lequel les membres de ma
famille et mes amis m’adressaient des messages tendres et
affectueux. J’étais tellement ému que j’ai failli pleurer
d’émotion! Mais je me suis dit que si je pleure, je ne pourrai
pas chanter. Dans ce cas là, j’ai la formule. Je pleure de
l’intérieur et je chante pour les autres. Vraiment, je ne
m’attendais pas à écouter cela sur scène. C’était un des beaux
moments de cette soirée !
- Oui,
pour le public, il y a eu a beaucoup d'autres moments très forts. Les aficionados ont
exprimé leur enthousiasme dans la salle, et nous avons tous été
bouleversés par ton talent et par ton magnifique album. Pour toi, que représente
ce disque ?
Andrés:- Ce disque, c’est ma vie ! il représente ma vie depuis
mes 5 ans jusqu’à maintenant, alors que j’ai 54 ans. C’est une
chose extraordinaire aussi d’avoir rencontré Samuelito, le
guitariste avec lequel j’ai décidé d’enregistrer l’album. Quand
on s’est rencontré, il avait 19 ans, à l'époque.
- Comment as-tu rencontré Samuelito et
que dirais-tu de lui?
Andrés:-
On s’est rencontré à Mont
de Marsan, pendant le Festival Arte Flamenco où Samuelito était
bénévole. C’est David Ceccarelli, un artiste de Jerez et ami
commun qui nous a présenté. Il aimait m’écouter chanter, moi
j’appréciais beaucoup sa manière de jouer. Nous avons tout de
suite eu envie de travailler ensemble. Samuelito a beaucoup de
talent et il est en voie de devenir un grand
artiste! Sa personnalité, sa noblesse, sa musique, il a tout pour réaliser une belle carrière artistique internationale ! De
plus, nous avons un très bon contact, une belle connexion
d’âme. Ensemble, nous sommes déjà en train de penser à notre
deuxième album !
- Comment est né le projet de réaliser
ce premier album « Arañando el alma » ?
Andrés:-
J’ai donc rencontré
Samuelito à Mont de Marsan et nous sommes devenus amis. A cette
période, Michel Monpontet, sa femme Suzanne et sa sœur Gema
avaient le projet de créer un Festival Flamenco d’ Estella, à
Pamplune. Ce festival avait lieu du 16 au 18 juillet 2015.
Il nous a proposé d’y participer et nous a intégrés dans la
programmation. A l’affiche du festival, il y avait aussi les
guitaristes Jeronimo Maya et son frère Leo de Aurora ainsi que
le cantaor Chiqui de Jerez. Puis, grâce à notre ami Isidoro,
nous avons fait un concert à peña Flamenco en France, à Paris. C’est à ce
moment là que j’ai proposé à Samuelito de faire un disque avec
lui.
- L’album contient 8 thèmes.
Pourrais-tu nous préciser leur contenu ?
-
L’album commence par le
thème « Libertad » (« liberté »). Je lui ai donné ce titre car
le mot « libertad » est contenu dans les premières
letras que
je chante :
« El querer no se podía ocultar
mas Voy a la audencia de Cádiz
De rodillas yo me jinco
Y te saco en libertad »
Ce sont des
letras populaires, c’est
une Solea por buleria. Dans le deuxième thème qui s’intitule « Taranto
de la Moreria », les premières letras sont de Chocolate ; j’ai
composé les paroles de la 2eme letras. Puis,
c’est « Besos a mi mujer », un tientos avec un final Tangos/
Rumbas. C’est un chant canastero que fait mon ami Capullo.
Je le termine por Tango Rumba et c’est là que je chante mes letras :
“De menta, canela y limón
Son los besos que te daba
Los besos que te daba yo”
Je dédie ce thème à ma femme.
Le
quatrième thème « Al viejo Agujetas », c’est une Solea avec des
paroles tirées du répertoire populaire. Pour « Lamento », le
cinquième thème, j’ai choisi de chanter por Seguiriya, car la
Seguiriya est un palo tragique et sombre qui exprime
une plainte, la douleur. Dans ce thème, ce sont des paroles
tirées du répertoire populaire. Dans sixième thème « Al Tio
Chalao », je rends hommage à Chalao, ce grand cantaor. Je
l’ai fréquenté pendant les quinze dernières années de sa vie,
dans sa peña. Je le considère comme mon Maestro. C’était un
homme très sympathique, il était toujours prêt à m’aider. « La
malalengua », (la mauvaise langue) la 7eme chanson, c’est un
Fandango. Il s’adresse aux êtres qui médisent sur les autres par
jalousie, par méchanceté ou par avidité matérielle et à cause de
toutes ces mauvaises choses qui
pourrissent les relations humaines. Ce thème regroupe quatre
Fandangos, un que chante Manuel Agujetas, le deuxième c’est
Miguel Fernandez, un ami, qui me l’a donnée.
Les
deux autres letras, j’en suis l’auteur :
“Se paseaba por el
filo de
una espada
Una serpiente se paseaba
Y por mas que corte un
filo
Mas corta una mala lengua
Que habla lo que no es debido”
Pour moi, le chant Flamenco, c’est un
message qui s’adresse à tous et qui peut toucher chacun de nous.
Il y a un Fandango pour chaque situation. C’est un message qu’on
adresse aux autres, à l’humanité entière. Pour moi, un bon
palo, c’est comme une bible. Pour tous ceux qui lisent la
bible, on peut
se sentir concerné davantage par un verset que par un autre ;
chaque verset n’a pas le même impact sur les uns et les autres.
La 8eme chanson « Al Tio Negro », évoque un autre
cantaor, Tio
José « El Negro del Puerto », que j’ai bien connu et à qui je
dédie cette chanson. Il faisait des chants appelés les Corridos
Gitans. C’était un peu dans le style des chants de ces troubadours qui
allaient de ville en ville pour annoncer des nouvelles. Ce
palo sans accompagnement musical conclut le disque.
-
Qu’est
ce qui te motive pour chanter et qu’aimes-tu chanter ?
Andrés:- A
Jerez, on dit de moi que je suis un cas spécial car je
ne suis pas issu d’une famille d’artistes Flamencos, et pourtant
je porte le cante Flamenco en moi d'une manière innée. En
fait, avec l’expérience que j’ai acquise auprès maestros cantaores de Jerez, cela
équivaut à une transmission familiale. Quand je chante, je
chante ma vie, mes peines, mes douleurs, mes joies. Je chante ce
qui sort de moi ; quand je chante, je
me sens libre et tranquille. El Tio Alfedro
me disait que le Flamenco, c’est mon médicament. Il a bien raison !
- Ton chant, c’est ton médicament mais
c’est aussi un médicament pour ceux qui t'écoutent !
Andrés:-
Merci! Oui, c’est pour
cela aussi que je chante et que je le partage avec tout le
monde!
-
Comme
nous le disions tout à l’heure, cet album est le fruit d’une
collaboration artistique entre Samuelito et toi. Samuelito,
quelle est ta part de participation dans l’élaboration de cet
album ?
Samuelito: - Andrés et moi nous nous sommes rencontrés en 2013, on se
connait bien et notre lien a évolué en une belle amitié. L’envie
d’enregistrer cet album vient de nous deux. Pour ce qui est d'organiser
l’enregistrement du disque, c’est moi qui me suis occupé de
tout.
- Tu es donc le directeur artistique
du projet, n’est ce pas ?
Samuelito:- Oui, en effet, j’ai décidé de la manière dont les choses
allaient se passer, jusqu’au choix des huit thèmes. Andrés a
choisi de chanter les Corridos, mais les autres palos, je
l'ai ai choisis, en accord avec Andrés. J’ai composé toutes les
falcetas de l’album. Elles ont été spécialement conçues pour ce
disque.
- Comment avez-vous travaillé ensemble
pour l’élaboration de cet album ?
-Samuelito: Du fait que l'on a enregistré en studio, sous la forme d’un
live,
il a fallu préparer les falcetas avant l’enregistrement. Andrés
a préparé ses letras, plus ou moins d’ailleurs car pour la
Solea, par exemple, on a fait plusieurs prises et il n’a pas
chanté les mêmes letras à chaque fois.
- Quel est ton sentiment sur cet
album ?
Samuelito:- C’est très émouvant pour moi, et même encore plus pour mon
père car, une des choses qui m’ont amenées au Flamenco c’est le
fait que, quand j’étais enfant, j’écoutais un disque d’Agujetas
que mon père avait ramené à la maison. Il avait vu le film de
Dominique Abel et il était tombé amoureux du chant d’Agujetas
ainsi que du personnage. Je me suis imprégné de cela… j’avais 4
ans. Tu imagines, 20 ans après, je ramène un disque de Flamenco
puro de Jerez de l’école d’Agujetas! C'est vraiment
énorme! Andrés vient de
cette école là, du chant très rancio de Jerez. Andrés a connu Agujetas, il a passé beaucoup de temps avec lui. C’est une
personnalité tellement forte ! Andrés en a été forcément
imprégné et impacté, lui aussi. Le fait de passer beaucoup de
temps avec Andrés et de bien connaitre son chant, cela me touche
beaucoup aussi.
- Cette collaboration avec Andrés, cet
enregistrement d’album avec lui, qu’est ce que cela t’a apporté
encore?
Samuelito:- C’est une immersion dans le Flamenco le plus authentique, et
ça c’est une chance.
- Même si tu la mérites, cette chance…
Samuelito:- En tous cas, c’est là. On a
séjourné une semaine à Jerez ensemble,
il y a deux semaines. Là bas, Andrés c’est la mascotte. Il
connait tout le monde et tout le monde le connait. J’ai été au
Chicle, chez sa mère; sa maison se situe en face de la maison d’Agujetas !
j’ai mangé des pucheros, des pollos asados, les mêmes que ceux
que mangeaient Agujetas. C’est une vraie imprégnation !
- En effet… Andrés, parle nous de ta
collaboration avec les autres musiciens qui ont participé à
l’enregistrement de cet album ?
Andrés:- Parmi les palmeros, il y a Isidoro
Fernandez. Je le connais depuis longtemps, depuis son
plus jeune âge. Nous avons étudié ensemble au Lycée, à Jerez. Il
est un peu plus jeune que moi. On se fréquentait déjà à cette
époque. Par la suite, il est venu à Paris et, comme il porte le
Flamenco en lui, dorénavant il se dédie à cet art avec beaucoup
de talent. Dans l’album, il y a aussi la participation de Juan
Manuel Cortes, un musicien de référence. Samuelito le
connaissait. Il y a aussi Dani Barba aux palmas et jaleos. C’est
aussi un guitariste. C’est aussi une très bonne personne et un
bon musicien. Je suis très content de toute l’équipe de
musiciens qui a participé à l’enregistrement de cet album. Je
suis aussi heureux aussi pour la qualité d’enregistrement du
son ; ce travail a été réalisé par Jean Louis Solans et
Guillaume Dujardin. Je remercie Miguel Angel Gonzalez pour
la photo de couverture et la jaquette. Je tiens aussi à
remercier tous les musiciens qui ont
travaillé sur ce disque, ainsi que le label Buda Records, les
studios Solanito et Ferber. On a enregistré cet album autour de
tapas, dans une ambiance très sympathique. Ma femme est venue,
ainsi que la compagne de Samuelito ainsi que d’autres amis. Nous
avons tous passé un très bon moment !
- Ton chant comporte une forte
dimension émotionnelle. Comment arrives-tu à cela ?
Andrés:- C’est totalement inexplicable. C’est ainsi. C’est peut être
lié à ma sensibilité et ma reconnaissance envers ma terre
natale, le cante de Jerez et ses cantaores. Je pense par exemple
à Pepe Castaño, Alfredo Benitez qui me suivent depuis toujours.
D'ailleurs, nous avons un projet d’enregistrer un disque avec des
artistes qui n’ont encore jamais réalisé de disque.
-
Quelle
est la part de technique dans ton cante?
- Il n’y a rien de technique dans ma manière de chanter. Cela
part du cœur et va directement au cœur. Si je pense, je ne
chante pas.
-
Pourtant,
tu enseignes le chant, n’est-ce pas ?
Andrés:- Je vais t’expliquer les choses pour que ce soit plus clair. Le
chant inné ne s’apprend pas. Mais si tu as de l’aficion,
que tu écoutes et que tu ressens le Flamenco, que tu le vois
vibrer de l’intérieur, voila ce qui peut te rapprocher du
cante. Cet état d’esprit et d’émotions, c'est possible
de l'
acquérir. C’est cela que j’enseigne, avant tout. Mes cours sont
quotidiens, simples. J’explique, entre autre, l’histoire de chaque
palo,
donc un ensemble de choses qui permettent de progresser dans le
cante.
- Tu vis en France du coté de Bordeaux,
depuis quelques années. Comment ressens-tu l’aficion au
Flamenco dans ce pays ?
Andrés:-
L’aficion
française est très bonne. Il y beaucoup de français qui
assistent au Festival de Jerez, à Séville, à Jerez. J’ai été
très ému par l’aficion que j’ai ressenti à la Chapelle
des Lombards à Paris, lorsque nous avons présenté notre disque.
Ce n’est pas seulement de l’aficion à la danse ou à la guitare,
mais c’est aussi cette aficion au cante ! Je tiens à
remercier Paco el Lobo qui était présent aussi ce soir là car
c’est lui qui nous a mis en contact avec le label Buda Records.
C’est donc grâce à lui que nous avons trouvé un bon label. Je
le remercie vraiment !
- Andrés et Samuelito, quels sont vos
projets de tournée pour la sortie de ce disque ?
Andrés: - Oui, nous avons le projet de présenter le disque à Jerez, au
mois de juin. Nous irons aussi à Caen, en terre Normande, ainsi
qu’à un Festival dans le Léon, en Espagne. Nous avons d’autres
concerts en cours de confirmation.
-
D’autres
projets ensemble ?
Andrés: - Oui, nous avons le projet d’enregistrer un deuxième album
ensemble. Les éléments se mettent en place peu à peu.
- Andrés et Samuelito,
nous vous
remercions de nous avoir accordé cet entretien. Nous vous
souhaitons beaucoup de succès pour la tournée de votre
magnifique album « Arañando el alma » et nous espérons vous
revoir très bientôt, sur la scène parisienne aussi !
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